––––– Le roi Renaud de Guerre revint, tenant ses tripes dans ses mains… ––––––––––––––––––––––––
Adolescent, j’écoutais souvent le disque enregistré par Yves Montand intitulé CHANSONS POPULAIRES DE FRANCE dans lequel se trouvait une chanson que j’appréciais beaucoup : « Le Roi Renaud de Guerre revint ». M’intéressant aux conditions dans lesquelles avait été écrit le poème de Gœthe « der Erkönig » (le roi des aulnes), j’ai découvert avec surprise que la chanson et le poème avaient des racines communes et puisaient tous les deux dans le vieux fond des contes et légendes nordiques. Il existe de nombreuses versions de cette chanson (60 auraient été répertoriées) et son origine est complexe, elle résulterait d’une greffe d’une chanson du XIIIe siècle qui contait le retour du comte Renaud sur une autre chanson apparue au XVIe siècle issue d’une légende scandinave. La première version connue de la chanson est partielle (elle ne citait que douze vers) et a été présentée par le philologue breton La Villemarqué en 1839 dans son recueil de chants breton le Barzaz-Breiz. Trois années plus tard, en 1842, c’est Gérard de Nerval qui en présentera une version complète dans la revue La Sylphide, mais dés 1837, cet auteur avait déjà donné, sous le titre « La Korik », une version de la chanson du « Sire Nann » équivalent breton du « Roi Renaud » français. la plupart des études réalisées sur cette chanson lui confèrent une origine en Bretagne armoricaine et ses marges celtique et française mais il existe également une très vieille version danoise de ce chant transcrite sur un manuscrit daté de 1550 mais cette version pourrait provenir d’un livre français qu’avait fait traduire en norois le roi de Norvège, Hakon Hakonarson (1217-1273).
Pour plus d’information sur l’origine de la chanson et ses versions, c’est ICI Et pour écouter la chanson interprétée par Yves Montand, c’est dessous
la Ballade du roi Renaud
Le roi Renaud de guerre revint Tenant ses tripes dans ses mains Sa mère est à la tour en haut Qui voit venir son fils Renaud
Renaud, Renaud réjouit toi Ta femme est accouché d’un roi! Ni de femme ni de mon fils Mon coeur ne peut se réjouir.
Je sens la mort qui me poursuit Mais refaites dresser un lit Et faites le dresser ci-bas Que ma femme n’entendes pas.
Guère de temps y dormirai A minuit je trépasserai Et quand ce fut vers la minuit Le roi Renaud rendit l’esprit.
Il ne fut pas soleil levé Que les valets l’ont enterré Sa femme en entendant le bruit Se mit à gémir dans son lit.
Ah dites moi, ma mère m’amie Ce que j’entends cogner ici Ma fille c’est le charpentier Qui racommode l’escalier
Ah dites moi, ma mère m’amie Ce que j’entends pleurer Ma fill’ c’est la femm’ du berger Qui a perdu son nouveau né.
Ah dites moi, ma mère m’amie Ce qui vous fait pleurer aussi Ma fille ne puis le caché Renaud est mort et enterré.
Ma mère dites aux fossoyeux Qui creusent la fosse pour deux Et que le trou soit assez grand Pour qu’on y mettent aussi l’enfant
Terre fend toi, terre ouvre toi Que j’aille rejoindre mon roi Terre fendit, terre s’ouvrit Et la belle rendit l’esprit.
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–––– Bretagne : ballade de Sire Nann (An Aotrou Nann hag ar Gorrigan) ––––––––––––––––––––––
La première publication de cette ballade d’origine bretonne a été effectuée en 1837 par Gérard de Nerval dans la « Revue de Paris » sous le titre « La Korik ». La seconde, en 1839, par La Villemarqué sous le titre « Le seigneur Nann et la Korrigan ».
Ballade de Sire Nann et la Fée
An Aotrou Nann hag ar Gorrigan
Sire Nann et sa femme étaient / De bien bonne heure fiancés. / Bientôt ils furent séparés.
La dame hier eut des bessons; / – Voyez quel teint de neige ils ont : / Une fillette et un garçon. »
– Que votre cœur désire-t-il, / Vous qui m’avez donné ce fils? / Dites! Vous l’aurez aujourd’hui:
Bécasse de l’étang ou chair / D’un de ces chevreuils du bois vert ? / – La chair de chevreuil me plairait, / Mais au bois il vous faut aller. –
Sire Nann, entendant cela / A saisi sa lance de bois, /Sur son cheval noir a sauté / Pour gagner la verte forêt.
En arrivant au bord du bois, / Une biche blanche aperçoit. / A sa poursuite il s’est lancé,
Si vite que le sol tremblait. / Lui, de la suivre avec passion // Et l’eau ruisselle de son front Et des flancs de son cheval noir. / Jusqu’à ce que tombe le soir.
Il voit près d’une eau la cabane / Où vivait une korrigane./ Tout autour, de l’herbe fleurie. / Pour aller boire, il descendit.
Près de sa fontaine, la fée / Peignait ses longs cheveux dorés / Avec un beau peigne d’or fin / (Pauvres, ces dames ne sont point).
– Comment osez-vous, étourdi, / Venir troubler l’eau de mon puits? / Si vous ne m’épousez céans, / Vous languirez pendant sept ans / Ou dans trois jours serez mourant.
– Jamais ne vous épouserai : / Depuis un an je suis marié. / Ni ne languirai sept années, / Ni d’ici trois jours ne mourrai. / Dans trois jours je ne mourrai pas, / Mais le jour où Dieu le voudra. / J’aime mieux mourir à l’instant / Que m’allier aux korrigans.
– Bonne mère, si vous m’aimez, / Faites mon lit, s’il n’est point fait. / De moi le mal s’est emparé. / Pas un mot à ma chère femme, / Mais dans trois jours, je rendrai l’âme / Envoûté par la korrigane.
– Comme annoncé, trois jours après / La jeune femme demandait : / – Ma belle-mère, dites-moi / On entend les cloches. Pourquoi? / Et ces prêtres en surplis blanc / Pour qui font-ils monter leurs chants?
– Pour un pauvre qui cette nuit / Est mort. Nous l’avions accueilli. / – Ma belle-mère, dites-moi / Pourquoi Sire Nann n’est pas là! – / Il a fallu qu’il aille en ville. / Bientôt il sera là, ma fille.
– Pour l’église, que vaut-il mieux / La robe rouge ou bien la bleue? / – Mon enfant, la mode est venue / Qu’on aille tout de noir vêtue.
– Or, au cimetière elle vit / La tombe de son cher mari. / – Qui de notre famille est mort? / La terre est meuble et fraîche encor? / – C’est, ma fille, il me faut l’avouer: / Votre époux qu’on vient d’inhumer! –
Sur les genoux elle est tombée, / Pour ne jamais se relever. / Mais, merveilleux signe d’espoir, / Quand on l’eut enterrée, le soir, / Dans la même tombe, on put voir / Deux chênes surgis du tombeau / Dans le ciel unir leurs rameaux. / Ainsi que deux colombes blanches / Alertes et gaies sur leurs branches. / Saluer l’aurore et, toutes deux, / Prendre leur envol vers les cieux.
Traduction: Christian Souchon (c) 2008
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–––– Elves et Elfes dans les légendes nordiques et germaniques ––––––––––––––––––––––––––––––––––
En juin 1836, dans la REVUE BRITANNIQUE, dans la rubrique Littérature, « Poésie populaire des races teutoniques » paraissait un article sur la poésie traditionnelles de l’Islande, de la Scandinavie, du Danemark, de la Suède et de la Norvège.
« Les slaves, et toutes les nations sud-occidentales, ne s’occupent qu’accidentellement, dans leurs poésies populaires, du monde invisible et de ses habitants. L’action exercée par les êtres surnaturels les inquiète assez peu. Au contraire, au fond de toutes les traditions teutoniques, vous apercevez une population sylphidique, une armée d’êtres mystérieux, surhumains, communs à l’Angleterre, à l’Allemagne, aux trois royaumes scandinaves : pygmées malicieux, qui se mêlent à toutes les affaires humaines; génies singuliers, émanés de l’ancien paganisme qui leur prêtait des intentions bienfaisantes; mais sur lesquels le christianisme a jeté un reflet sombre et un voile démoniaque. Le vieux langage septentrional les appelle Alfr, au pluriel Alfar; en vieil allemand, ce sont les Elbes; en allemand moderne, les Elfe; en suédois, les Elfvar, Elfvor, au singulier Elf; en danois les Elve, au singulier Elv; en anglais, ce sont ces Elves si célèbres qui dansent aux rayons de la lune sur les bruyères odorantes; créatures chéries de la poésie shakespearienne, et qui ne laissent pas même sur le gazon l’empreinte de leurs pas légers. Les Irlandais et les Gallois les nommaient Cheffré et Dône-chi « le bon peuple », les Êtres bienfaisants. Les Cheffrô sont mères de nos fées. Une fée n’est ni bonne, ni méchante : c’est l’intrigante du monde poétique; une espèce de Figaro surnaturel et féminin; très variable dans ses goûts, ses actes, et ses désirs.
Niels Blommer. Angsälvor (Elfes des prairies) – 1850
A peine le christianisme est-il né, il essaie de repousser parmi les puissances de l’Erèbe, ces pauvres bonnes petites fées que le villageois et le mineur avaient regardées comme leurs amies. Le prêtre chrétien a soin de confondre dans la même malédiction les fées de lumières et les fées de ténèbres, jadis soigneusement distinguées de l’Edda. DE l’influence exercée par la religion nouvelle, naît la nouvelle position des fées : population jusqu’alors inconnue; êtres magiques; amusants, quinteux, capricieux, enfantins, aimables par boutades, bienveillants par accès, dangereux et méchants par saillie; substances impalpables, prenant mille formes; habitants les eaux et les montagnes, les rocs et les vallées; esprits élémentaires, suspendus entre la vie réelle et le monde des songes; valets et femmes de chambre de la fantaisie poétique; utiles à ceux qu’ils aiment; méchants pour ceux qu’ils détestent; d’autant plus amusants qu’ils sont plus irréguliers, et que jamais on n’a pu les soumettre à un système complet. Anges déchus, esprits immatériels, séduits par le mauvais génie, ils se trouvent enchaînés à la terre sans pouvoir ni remonter jusqu’aux domaines de l’éternelle lumière, ni descendre dans les profondeurs criminelles de l’abîme infernal; inquiets de leur avenir, incertains sur leur sort; ils tiennent de l’ange et du démon. Ils essaient de mêler leurs enfants aux enfants des hommes, et de leur faire partager ainsi les avantages dont jouit la race humaine, rachetée par le sang d’un Dieu. Ainsi s’expliquent leur fureur lorsqu’on les confond avec les génies de l’enfer, leur satisfaction lorsqu’on leur permet d’entrer dans l’église et d’y prononcer les paroles chrétiennes. C’est, il faut le dire, la moins raisonnable, mais la plus dramatique de toutes les races connues, imaginées ou rêvées.
Richard Dadd, Puck, 1840 – Harris Museum and Art Gallery
Je ferais volontiers l’histoire de ces petits êtres inconstants et charmants qui ont séduit l’intelligence de plus d’un écrivain. Te voici, bel Ariel de Shakespeare ! Et toi, malin Puck ! Voici le Diable amoureux, et enfin le charmant Trilby de l’ingénieux écrivain français. Heureuse et innocente superstition qui va bientôt s’éteindre au milieu des chemins de fer et des machines à vapeur, étouffée, par ce matérialisme incompatible avec les Sylphides et les Brownies, les Ondines et les Salamandres ? Les Saxons et les Danois importèrent dans la Grande-Bretagne leurs contes antiques, (…) qui s’amalgamèrent avec les mœurs de l’Ecosse pour les modifier, et dont les Sagas islandaises offrent encore les vestiges. Plus vous avancez dans cette étude et plus votre surprise redouble, tant est rapide et lointaine la transmission des idées ! Si l’on veut remonter à l’origine des traditions humaines, on parcourt tout le diamètre du globe terrestre, en suivant le sillon de la même idée : vous partez du pôle arctique et ne vous arrêtez que sous l’équateur. On s’étonne de retrouver dans les écrits du Pundit et du Javanais, la chanson du pâtre d’Ecosse et celle du fermier d’Islande. Ces exploits, confiés par le poète à l’Edda, à l’Heimskringla et aux traditions héroïques de la Germanie, ces actes brillants et terribles que célébraient à la fois dans leurs odes les pirates du nord et les conquérants teutons de l’Italie, les voici inscrits d’avance dans les Pourânas indiens. J’ai compté plus de seize ballades en dialectes différents, consacrés à l’histoire du frère qui parcourt l’univers à la recherche de sa sœur; qui descend, pour retrouver cette sœur perdue, dans les abîmes de la mer, est accueilli par elle dans les grottes éclatantes des gouffres sous-marins, s’y cache afin de se soustraire à la poursuite des monstres de l’abîme, s’y cache afin de se soustraire à la poursuite des monstres de l’abîme et la sauve à son tour. C’est une fiction sanskrite. Le Roi des Aulnes, délicieuse création, nous apparaît à la fois, dans la poésie primitive de l’Ecosse, de la Suède et du Danemark. Notre célèbre Petit Poucet, dont les français se sont emparés, peut se targuer d’une origine aussi noble. (…) La célèbre ballade de Burger : « Les Morts vont vite » n’est que la reproduction artistique d’une narration qui remonte à la dernière antiquité : les paysans la chantent dans le Pays de Galles. Ils savent par cœur la course nocturne de la jeune fiancée, emportée par le spectre de son fiancé, placée sur un cheval-fantôme et disparaissant avec lui. (…) La poésie populaire suédoise se rapproche beaucoup de la poésie populaire danoise. Ces deux zones traditionnelles se distingue par des nuances plutôt que par des diversités saisissables. Les trois quarts des ballades qui composent le trésor des deux nations, leur appartiennent en commun. Souvent la scène d’un chant dramatique suédois se trouve placé en Danemark; souvent le paysan de Danemark chante les héros de la Suède. (…) Peut-être y a-t-il quelque chose de plus complet encore dans les traditions de la Suède, que dans celles du Danemark; les paysans suédois, grands amateurs de musique, ont conservés non-deulemnt les paroles, mais les airs de leurs ballades et leurs vieux refrains, que les Danois ont laissés perdre. Pour ces derniers, le récit, le drame était plus important que la forme lyrique.
Nixen par Charles Edouard Boutibonne-1855
Les deux peuples attribuent les mêmes aventures à des génies d’espèces diverses, attachés à des localités différentes. Le paysage suédois, plus poétique et moins sévère que celui du Danemark, a fourni aux poètes un cadre plus gracieux. La Syrène des Danois et devenu le Troll ou génie séducteur des Suédois. Les anfractuosités des monts, les profondeurs scintillantes des eaux, les secrets des mines d’or et d’argent, le silence mystérieux des bois, ont inspirés aux deux nations les mêmes superstitions singulières. DE petits nains se glissent sous ces ombrages; des Ondines perfides nagent dans le cristal de ces eaux qui murmurent. Les Allemands appellent Nixen ces démons femelles qui habillent les eaux; les Suédois leur attribuent le sexe viril et les nomment Necken. Quand les petits Elves dansent sur le gazon, un beau vieillard à barbe d’argent, nommé Strœmkarle, joue de la harpe pour diriger leur pas. (…) Chaque bosquet possède sa Dryade et chaque ruisseau sa Syrène; le jeune guerrier qui va trouver sa fiancée s’endort sous un arbre qui verdoie, les Elves ne tardent pas à l’entourer; l’une caresse le jeune homme, de sa petite main de Sylphide; l’autre détache doucement la ceinture qui suspend son épée. Heureusement le coq chante; le dormeur s’éveille; toute la farandole des petits êtres, qui compose le bal magique, s’en va en formant des groupes lointains; le jeune homme est sauvé. Il aurait péri sous les perfides mains des petites fées, si le chant de l’oiseau matinal ne l’avait averti de son danger. La dernière mise en œuvre de cette tradition septentrionale se retrouve dans le Rêve d’une nuit d’été du grand Shakespeare. »
Pour lire le texte complet de cet ouvrage, c’est ICI.
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La danse des Elfes, par August Malmstöm (1866)
Xavier Marmier (1808-1892) est un homme de lettres français, voyageur et traducteur des littératures européennes scandinaves et germaniques qu’il aura fait connaître en France. Grand voyageur en Europe du nord, aux Moyen-Orient et aux Amériques, il a écrit des récits de voyages, traduit des poèmes et des romans. En 1839, il est professeur de littérature étrangère à Rennes et publie son « Histoire de la littérature en Danemark et en Suède » juste avant de partir pour le pôle nord.
Dans son écrit la Colline des Elves (1842), c’est encore un coq qui sauve un jeune homme de la perfidie des Elves :
Je reposais ma tête sur la colline des elfes. Mes yeux commençaient à s’assoupir. Deux jeunes filles s’avancent pour causer avec moi. La première me frappe sur la joue. La seconde me murmure à l’oreille : Eveille -toi, beau jeune homme, si tu veux danser avec nous. Mes jeunes compagnes chanteront pour toi le plus doux chant qu’on puisse entendre. L’une d’elle, plus belle que toutes les femmes, commence son chant. L’eau du fleuve rapide s’arrêta pour l’écouter. Les petits poissons agitèrent leur queue dans les flots, et le oiseaux chantèrent dans les bois et dans la vallée. « Ecoute, beau jeune homme, veux-tu rester avec nous ? Je t’apprendrai à lire et à écrire les runes puissantes. Je t’apprendrai à dompter l’ours et le sanglier sauvage. Le dragon qui garde des monceaux d’or te cédera la place. » Et les jeunes filles dansaient d’un côté et de l’autre à la manière des elfes, et moi je les regardais appuyé sur mon épée. – Ecoute, beau jeune homme, si tu ne veux pas nous parler, l’épée et le poignard aigu traverseront ton cœur. Si, par bonheur pour moi, Dieu n’avait pas permis que le coq vînt à chanter, je serais resté parmi ces femmes sur la colline des elfes. Voilà pourquoi je vous le dis, vous qui chevauchez dans la forêt, n’allez pas vous endormir sur la colline des elfes ».
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Galadriel, une gentille Elfe (le seigneur des anneaux)
Théodore Hersart, vicomte de La Villemarqué (1815-1895) est un philologue breton, collecteur de chants dans la partie bretonnante de la Bretagne qu’il publiera en 1839 avec leur traduction en français dans un recueil intitulé le Barzaz Breiz (Bardit, ensemble de poèmes de Bretagne).
Une hypothèse veut que La Villemarqué aurait été initié à la littérature scandinave par les ouvrages de Xavier Marmier en particulier le thème de la fée dédaignée, où les elfes et le sire Olaf intervient à la place de la Korrigane bretonne et du seigneur Nann (Francis Gourvil) bien que La Villemarqué ait indiqué comme sources de documentation les « Svenska Folk Visor fran Fortiden » (Airs populaires suédois d’autrefois) parus à Stockolm en 1816 et les ‘Udvalgte Danske Viser (Airs danois choisis) publiés à Copenhague en 1812-1814.
le seigneur des anneaux : le serment
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–––– à l’origine du conte du roi des aulnes : la ballade de Sire Olof ––––––––––––––––––––––––––
le seigneur des anneaux : la forêt des Elfes
On chantait en Suède et au Danemark une chanson intitulée : « Sire Olof dans la danse des Elves » dont il existe près de quinze variantes; voici celle que l’on chante dans le Gothland oriental :
« A l’aube naissante, sire Olof est moulé à cheval ; il a rencontre sur la route la danse brillante, le bal éclatant (des Elves). — Oh! la danse! la danse! Comme on danse bien sous le bosquet ! — « Le roi des Elves tendit la main à sire Olaf : — Sire Olof, dansez avec moi. — Oh ! la danse ! la danse ! Comme on danse bien sous le bosquet ! — — Non ! non ! C’est demain le jour de mes noces. Je ne danserai pas. — Oh! la danse ! Comme on danse bien sous le bosquet ! — « La reine des Elves tendit sa main blanche à sire Olof : — Viens, Olof, viens danser avec moi. — Oh ! la danse ! la danse! Comme on danse bien sous le bosquet ! — — Non ! non, je ne danserai pas. C’est demain le jour de mes noces. — Oh! la danse ! Comme on danse bien sous le bosquet ! — « La sœur des Elves lui tendit sa blanche main. — Viens, sire Olof, danser avec moi. — Oh ! la danse ! Comme on danse bien sous le bosquet ! — — Oh ! non, je ne danserai pas. C’est demain le jour de mes noces. — Oh ! la danse ! Comme on danse bien sous le bosquet ! — « Et la fiancée disait ce jour- là : — Dites-moi ; pourquoi les cloches sonnent-elles ainsi ? — C’est la coutume de notre île que chaque jeune amant sonne en l’honneur de sa fiancée. — Oh ! la danse ! Comme on danse bien sous le bosquet ! — Mais nous ne pouvons plus te le cacher, ton fiancé, sire Olof, est mort. Nous venons de ramener son cadavre. — Oh ! la danse ! la danse ! Comme on danse bien sous la feuillée ! « Le lendemain, quand le jour parut, il y avait trois cadavres dans la maison de sire Olof. — Oh! la danse ! la danse ! Comme on danse bien sous le bosquet ! — « C’étaient sire Olof, sa fiancée, et sa mère, morte de douleur. »
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Une variante de cette ballade a pour nom Frappé par les Elfes. La fille du roi des Elfes invite Sire Olof à danser. Son constant refus lui vaut de recevoir un terrible coupe entre les épaules. A son retour dans le monde des hommes, il meurt; sa fiancée « soulève le manteau d’écarlate, / Sire Olof gisait là, il était mort. / Elle baisa sa bouche rouge / Et tomba morte à l’instant même. / Le lendemain de bonheur, avant qu’il ne fit jour. / Il y avait trois cadavre chez Sire Olof. / L’un, Sire Olof, l’autre, sa fiancée. / La troisième, sa mère, morte de douleur./ – Mais légère la danse tourne au bois – » (Traduction de P. Verrier)
Cette ballade fait référence à une version publiée en 1812, dans les « Udvalgte Danske Viser far Middelalderen » (Florilège d’airs danois du moyen-âge) sous le titre « Elfeskud » (Le coup porté par l’Elfe). Elle avait été publiée précédemment dans le « Samling af danske Kæmperviser » (Recueil de chants héroïques danois) paru en 1695. publications allaient inspirer toute une génération d’écrivains romantiques européens, en particulier Johann Gottfried von Herder qui allait traduire la ballade d’Olaf en allemand en 1778 dans ses « Volkslieder nebst untermischten anderen Stücken » (Chants populaires et autres pièces diverses) et qui sera publié de nouveau en 1807 sous le titre « Stimmen der Völker in Lierdern » (Les chants, cette voix des peuples), et Gœthe qui écrira en 18 le poème Der Erköninger.
Sire Oluf chevauche en la plaine au loin A sa noce il veut inviter les siens. La danse tourne si légère au bois !
On danse à quatre, on danse à cinq. La fille du roi des elfes lui tend la main.
« Bienvenue, Sire Oluf. Réduis ton allure! Viens un peu par ici pour danser avec moi » « Je ne dois pas danser, et je ne le veux pas Demain c’est le jour de mon mariage. »
Ecoute, Sire Oluf, viens danser avec moi Je donnerai deux éperons d’or en échange. Je ne dois pas danser, et je ne le veux pas Demain c’est le jour de mon mariage. »
« Ecoute, Sire Oluf, viens danser avec moi, Je te donnerai une chemise de soie. Une chemise de soie si blanche et si fine. Ma mère l’a fait blanchir au clair de lune. » « Je ne dois pas danser, et je ne le veux pas Demain c’est le jour de mon mariage. »
« Ecoute, Sire Oluf, viens danser avec moi. Une tête d’or, c’est ce que je t’offrirai . » « J’accepterai volontiers cette tête d’or; Mais je ne dois ni ne veux danser avec toi. »
« Si tu ne veux pas, Sire Oluf, danser avec moi, Que la peste et la maladie te poursuivent! » Elle lui porta un coup au cœur. Comme il n’en avait jamais ressenti.
Elle mit Sire Oluf, tout blême, sur son cheval. « Retourne chez toi et vers ta demoiselle. »
Et lorsqu’il fut arrivé devant sa porte, Sa mère était là et elle tremblait fort. « Dis-moi, Sire Oluf, mon fils, Pourquoi as-tu tes joues si pâles? » « Comment ne seraient-elles point pâles Alors que j’ai pénétré au pays des elfes? »
« Ecoute, Sire Oluf, mon fils si cher, Que devons-nous répondre à ta fiancée? » « Vous devrez lui dire que je suis dans le bois Que j’entraîne mon cheval et mon chien. »
Le lendemain matin, quand il fit jour, Arrive la jeune mariée avec son cortège. On offre de l’hydromel, on offre du vin. « Où est Sire Oluf, mon fiancé? » « Sire Oluf, Il chevauche en forêt tout seul Il entraîne son cheval et son chien. »
Alors, elle souleva la tenture d’écarlate Sire Oluf gisait là, et il était mort. Le lendemain matin, quand il fit jour, On porta trois corps au jardin de Sire Oluf: Sire Oluf, ainsi que sa fiancée Et la mère qui était aussi morte de chagrin. Et la danse tourne si légère au bois !
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J’ai cherché vainement des illustrations satisfaisantes pour évoquer les elfes. Je suis resté sur ma faim… Finalement la représentation la plus évocatrice est celle donnée par le clip publicitaire du parfum Lolita Lempicka, « Le premier parfum » réalisé par Yoann Lemoine et qui met en scène la jeune actrice américaine Elle Fanning dans un sous-bois… Trois minutes d’envoûtement elfique…
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Si les elfes existaient encore de nos jours, elles ressembleraient peut-être aux créatures « fofolles » du clip tourné par la photographe Ellen von Unwerth avec l’actrice Kirsten Dunst.
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On est tous attaché à un mât qui nous empêche d’aller rejoindre les Sirènes? Certains s’en sont délivrés mais en ont perdu la vie. Mais dans leur mort, ils conservaient sur leur visage la marque d’un émerveillement et d’une extase… Pirates des Caraïbes : le chant des Sirènes.
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Ulysse et les Sirènes, Herbert James Draper, 1909
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Dance of the fairies, Richard Causway
Henri Heine, dans son livre De l’Allemagne, a traduit une version de cette ballade :
Le seigneur Oluf chevauche bien loin Pour inviter les gens de sa noce. Mais la danse va si vite par la forêt.
Et ils dansent là par quatre et par cinq, Et la fille du roi des Elfes étend la main vers lui. Mais la danse va si vite par la forêt.
– Bien venu, seigneur Oluf, laisse aller ton désir Arrête-toi un peu et danse avec moi. Mais la danse va si vite par la forêt.
– Je ne le dois nullement, je ne le puis nullement, car c’est demain mon jour de noces. Mais la danse va si vite par la forêt.
– Ecoute, seigneur Oluf, viens danser avec moi : je te donnerai deux bottes de peau de bélier. Mais la danse va si vite par la forêt.
Deux bottes de peau de bélier vont si bien à la jambe : Les éperons dorés s’y attachent bien joliment. Mais la danse va si vite par la forêt.
Ecoute, seigneur Oluf, viens danser avec moi : Je te donnerai une chemise de soie. Mais la danse va si vite par la forêt.
Une chemise de soie, si blanche et si fine ! Ma mère l’a blanchie avec du clair de lune. Mais la danse va si vite par la forêt.
– Je ne le dois nullement, je ne le puis nullement, Car c’est demain mon jour de noces. Mais la danse va si vite par la forêt.
Ecoute, seigneur Oluf, viens danser avec moi : Je te donnerai une écharpe d’or. Mais la danse va si vite par la forêt.
Une écharpe d’or, je la prendrais volontiers; Mais je ne dois point danser avec toi. Mais la danse va si vite par la forêt.
– Et si tu ne veux pas danser avec moi, La maladie et la peste te suivront désormais. Mais la danse va si vite par la forêt.
Et elle lui donna au milieu du cœur un coup Comme il en avait jamais ressenti. Mais la danse va si vite par la forêt.
Elle l’éleva sur son cheval rouge : – Maintenant, chevauche vers ta fiancée. Mais la danse va si vite par la forêt.
Et quand il arriva à la porte du château, Sa mère y était, elle y était appuyée. Mais la danse va si vite par la forêt.
– Ecoute donc, seigneur Oluf, mon fils chéri, Pourquoi ta joue est-elle si pâle ? Mais la danse va si vite par la forêt.
– Et je puis avoir la joue aussi pâle : j’ai été à la danse du roi des Elfes. Mais la danse va si vite par la forêt.
– Ecoutes, mon fils, toi qui es bien prudent : Ta jeune fiancée, que vais-je lui dire ? Mais la danse va si vite par la forêt.
– Dis-lui que je suis au bois à cette heure Pour essayer mon cheval et mes chiens. Mais la danse va si vite par la forêt.
Le lendemain, quand il fut jour, La fiancée vint avec le cortège de noces. Mais la danse va si vite par la forêt.
Ils versèrent de l’hydromel, ils versèrent du vin : – Où est le seigneur Oluf, mon fiancé ? Mais la danse va si vite par la forêt.
– Le seigneur Oluf vient de chevaucher dans les bois cette heure. Pour essayer son cheval et ses chiens. Mais la danse va si vite par la forêt.
La fiancée leva le drap écarlate : Le seigneur Oluf était étendu et mort. Mais la danse va si vite par la forêt.
Le lendemain, de grand matin, au petit jour. Trois cadavres étaient emportés hors du château. Mais la danse va si vite par la forêt
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Henri Matisse, La Danse, 1908 – Saint-Pétersbourg, Ermitage
la danse macabre
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la danse des Elfes par Moritz von Schwind
C’est de cette version de la ballade écrit par Heine que Leconte de Lisle s’est inspiré pour écrire son poème : il transforme le jeune seigneur en héros romantique chevauchant un cheval noir aux éperons d’or brillant dans la nuit et au casque d’argent resplendir sous la lune… A un tel héros déjà comblé de richesses, ce n’est pas des bottes en peau de bélier, une chemise de soie, ni même de l’or que les Elfes, couronnées de marjolaine, offrent en présent mais l’opale magique, l’anneau doré.
Couronnés de thym et de marjolaine, Les Elfes joyeux dansent sur la plaine.
Du sentier des bois aux daims familier, Sur un noir cheval, sort un chevalier. Son éperon d’or brille en la nuit brune ; Et, quand il traverse un ravon de lune, On voit resplendir, d’un reflet changeant, Sur sa chevelure un casque d’argent.
Couronnés de thym et de marjolaine, Les Elfes joyeux dansent sur la plaine.
Ils l’entourent tous d’un essaim léger Qui dans l’air muet semble voltiger. – Hardi chevalier, par la nuit sereine, Où vas-tu si tard ? dit la jeune Reine. De mauvais esprits hantent les forêts Viens danser plutôt sur les gazons frais
Couronnés de thym et de marjolaine, Les Elfes joyeux dansent sur la plaine.
– Non ! ma fiancée aux yeux clairs et doux M’attend, et demain nous serons époux. Laissez-moi passer, Elfes des prairies, Qui foulez en rond les mousses fleuries ; Ne m’attardez pas loin de mon amour, Car voici déjà les lueurs du jour.
Couronnés de thym et de marjolaine, Les Elfes joyeux dansent sur la plaine.
Reste, chevalier. Je te donnerai L’opale magique et l’anneau doré Et, ce qui vaut mieux que gloire et fortune Ma robe filée au clair de lune – Non, dit-il. – Va donc ! – Et de son doigt blanc Elle touche au cœur le guerrier tremblant.
Couronnés de thym et de marjolaine, Les Elfes joyeux dansent sur la plaine.
Et sous l’éperon le noir cheval part. Il court, il bondit et va sans retard; Mais le chevalier frissonne et se penche; Il voit sur la route une forme blanche Qui marche sans bruit et lui tend les bars : – Elfe, esprit, démon, ne m’arrête pas !
Couronnés de thym et de marjolaine, Les Elfes joyeux dansent sur la plaine.
Ne m’arrête pas, fantôme odieux ! Je vais épouser ma belle aux doux yeux. – Ô mon cher époux, la tombe éternelle sera notre lit de noce, dit-elle. Je suis morte ! Et lui, la voyant ainsi, D’angoisse et d’amour tombe mort aussi.
Couronnés de thym et de marjolaine, Les Elfes joyeux dansent sur la plaine.
la danse des Elfes par Moritz von Schwind
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–––– Serbie : La ballade de Marko Kraljevic et de la fée ––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––
Marko et Saratz par Olive Carleton-Smyth
Marko et la fée gardienne du gué
C’est, par les monts, Marko, fils de roi qui chevauche, Et, tout en chevauchant, ces monts il les maudit: « Montagne ensorcelée, pourquoi n’as-tu d’ombrages Si tu n’as pas d’eaux où l’on peut se rafraîchir! Pas d’eau fraîche en ces lieux. Ni de pansues bouteilles Et dans mon outre, hélas, il n’y a plus de vin. Si cette soif sur moi encore un peu s’acharne. Il me faudra bientôt abattre mon cheval Et m’abreuver du sang de ce pauvre animal! » La fée lui dit alors, du haut de sa montagne : « N’abats point ton cheval, Marko le fils de roi! N’abats point ton cheval, et fais taire ta hargne, Ne bois point de ce sang, ne souille point ce corps, Car tu n’as qu’à poursuivre encore un peu ta route, Tu trouveras un lac avec de fraîches eaux, Et sur ses eaux la fée, la gardienne du gué, Laquelle alors sera sur ces eaux, endormie. Toi, tu prendras bien soin que la fée ne s’éveille: Le péage qu’elle réclame est effrayant. » Marko poursuivit donc son chemin, patiemment Et parvint, en effet, au lac aux eaux si fraîches Il y trouva la fée qui dormait sur les eaux. Marko but tout son saoul, abreuva sa monture Puis reprit son chemin par le mont verdoyant. Mais voilà que la fée du sommeil est tirée Elle voit que l’on s’est abreuvé sur les rives Et se hâte à son tour vers les monts ombragés. Elle harnache son cerf, animal de trois ans : C’est un serpent qui va lui tenir lieu de rênes, Puis un second serpent servira de montant, Elle le sangle enfin au moyen d’un troisième. Elle a bientôt rejoint le fils de roi, Marko. Ainsi parla la fée gardienne des rivières: « Arrête-toi, Marko: tu dois payer les droits! » Marko le fils de roi s’enquiert avec patience: « Que te faut-il, dis-moi, des liards ou des ducats? » La fée des eaux alors lui fit cette réponse: « Tes liards ou tes ducats, Marko, je n’en veux pas. Ce qu’il me faut ce sont tes yeux qui me ravissent, Et de Sarac les pattes jusqu’aux paturons.« En entendant cela, il prit sa masse d’armes Aux six pointes. Bien vite il la fit tournoyer Et il en a frappé la cupide gardienne. L’atteindre fut chose bien facile, ma foi: Et sur la terre noire, il l’avait renversée. En chantant, il reprend le chemin des montagnes, Et laisse là la fée qui reste à trépigner.
Chants populaires serbes tirés des manuscrits non publiés de Vuk Stéfanovic Karadžic. Traduction de Christian Souchon (c) 2008
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