Mes Deux-Siciles : portraits de femmes par Ferdinando Scianna, photographe sicilien

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Ferdinando Scianna

    « Pour moi, photographier la Sicile, c’est comme une redondance verbale. J’ai commencé à prendre des photographies vers l’âge de 17 ans et la Sicile était là. J’ai commencé à prendre des photos parce que la Sicile était là. Pour la comprendre, pour essayer de comprendre, à travers les photographies, ce que signifiait être Sicilien. C’est la question obsessionnelle que se posent les Siciliens sur eux-mêmes et sur la terre à laquelle ils appartiennent. Question qui perdure, peut-être de façon encore plus obsessionnelle, quand on quitte la Sicile. Et pendant longtemps, partir et être Sicilien c’était, et c’est encore souvent le cas, quasiment la même chose.
     Quand on part, naît l’obsession de la nostalgie, de la transfiguration des souvenirs, des retours d’autant plus rêvés qu’ils sont impossibles. Jusqu’à transformer tout cela en une rancœur, presque une autre fugue. On tente de l’oublier cette Sicile, on interroge et on explore sans cesse le monde pour finalement découvrir que le regard que nous posons sur lui est, sans équivoque aucune, celui de nos yeux de Siciliens. Pour moi, et aussi peut-être pour toute la génération à laquelle j’appartiens, je pense que le thème du souvenir était, quoique de façon tout à fait inconsciente, très présent même quand je vivais en Sicile. »
                                                                  Ferdinando Scianna, 2004
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     Né en 1943 à Bagheria en Sicile, Ferdinando Scianna garde un souvenir ébloui de son enfance « solaire et libre ». Il effectue des études de philosophie et d’histoire de l’art à l’université de Palerme mais est trés tôt été intéressé par la photographie depuis que son père lui a offert un appareil photographique. En 1965, il  publie un premier recueil de photographies, Feste Religiose in Sicilia, en collaboration avec son ami l’écrivain sicilien Leonardo Sciascia qui s’est chargé des textes de l’ouvrage. Ce recueil recevra une mention au Prix Nadar 1966. L’année suivante, Ferdinando Scianna s’installe à Milan puis travaille comme photographe et journaliste pour l’hebdomadaire L’Europeo.
Dans les années 1970, il collabore à des journaux français en écrivant des articles dans Le Monde diplomatique et La Quinzaine littéraire sur divers sujets : la photographie, mais aussi la politique et la culture. En 1977 il publie les Siciliens en France et La Villa dei Mostri en Italie, ouvrage consacré à la Villa Palagonia, une villa légendaire située dans sa ville natale de Bagheria en Sicile. Ami de Cartier-Bresson, il entre en 1982 à l’agence Magnum Photos, dont il deviendra membre en 1989. Il travaille également dans le domaine de la mode et réalise un recueil de portraits de Jorge Luis Borges, des albums sur les enfants du monde, sur les dormeurs (avec un titre inspiré du monologue de Hamlet) et sur sa ville de Bagheria.
En 1987, il retourne en Sicile pour réaliser des photographies de mode pour la marque Dolce & Gabanna « qui cherchaient un photographe qui ne connaisse rien à la mode mais qui soit Sicilien ». De cette équipée sortiront ces fameuses images où l’on voit, contrairement aux photos de mode habituelles qui placent les mannequins dans des décors naturels ou bâtis idylliques, le mannequin néerlandais Marpessa photographiée dans les rues des villages de son enfance parmi les enfants ou les vieilles femmes toutes de noir vêtues.

Ferdinando Scianna, le modèle Marpessa, 1987Ferdinando Scianna, le modèle Marpessa, 1987

Ferdinando Scianna, Marpessa Bagheria-1987

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Marpessa photographiée à Caltagirone dans la province de Catane – 1987

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Deux siciliennes : Aci Trezza en Sicile en 1987, le mannequin néerlandais Marpessa est photographiée par Ferdinando Scianna pour Dolce et Gabanna.

Décryptage de la photo par Francesca Serra (2009)

« Découvrir une photographie implique moins de voir ce que montre le photographe, que de regarder ce qu’il cache. Pour reconstituer l’image invisible derrière l’image visible, on mène l’enquête. »

  1. La photographie de Ferdinando Scianna exploite une dualité : 2 femmes, 2 ombres, 2 âges de la vie. Un chiasme de noir et blanc accentue le contraste entre jeunesse et vieillesse : cheveux noirs/cheveux blancs ; châle noir/chemisier blanc ; jupe noire/sac en plastique blanc.
  2. l s’agit d’un traitement symbolique du temps : la femme âgée précède la jeune femme dans la marche, comme dans la vieillesse. La marche imite le passage du temps.
  3. L’éclairage du mur gris en toile de fond évoque une projection cinématographique. A l’écran se déroule une scène de rue. L’attitude de la vieille dame est triviale ; elle rentre du marché. Cette séquence quotidienne est un clin d’œil du photographe à l’esthétique néoréaliste (mouvement né en Italie dans les années 40).
  4. L’ombre fantasmatique de Marpessa occupe le centre de la photographie. Étrange, car cet ombre démesurée semble appartenir à un autre univers, plus onirique, plus proche de l’expressionnisme allemand que du néoréalisme italien.
  5. Si le comportement de la vieille femme est banal, en revanche, celui de Marpessa est solennel. Elle ne rentre pas dans le projet réaliste de la photographie. Il semble soudain anormal qu’elle regarde fixement devant elle, comme si elle ne voyait pas celle qui la précède.
  6. Et si la jeune femme n’existait pas dans la réalité ? Si elle n’était qu’une émanation des souvenirs de la femme âgée ?
  7. Cachez la silhouette de Marpessa et ne conservez que son ombre : on dirait que la vieille dame est rattrapée par son passé, par l’image de celle qu’elle a un jour été. Tandis que sa propre ombre est en train de se fondre dans l’angle obscur de la photographie et de disparaître.
  8. La mémoire est le véritable sujet mis en scène par Ferdinando Scianna, dans cette photographie.

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Deux siciliennes, détail

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Marpessa en Dolce & Gabbana, Villa Palagonia à Bagheria, Italie 1987 – Scianna/Magnum.

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Province de Ragusa, Modica – 1987

Province de Ragusa, Modica – 1987

     « Je ne me souviens avec précision que de très peu de choses quand à ce qui s’est passé ces jours-là entre Caltagirone, Bagheria, Porticello, Palerme, lieux par ailleurs significatifs de mon enfance et de ma prime jeunesse en Sicile. En revanche, j’ai une mémoire tout à fait précise du sentiment qui me hantait pendant que je faisais ces photographies. Ce sentiment, c’était la surprise. J’éprouvais une très forte surprise à l’égard de moi-même, car j’étais en tarin d’accomplir avec passion, avec bonheur, une chose que je n’avais jamais faite auparavant, et que je considérais avec suspicion.
     Un bonheur trouble, toutefois, mêlé d’inquiétude, un sens de culpabilité, comme si je violais, et qui plus est avec joie, une règle, et même la règle, le grand tabou de ce qu’avait été jusque là ma pratique photographique. Car dans mon éthique comme dans mon esthétique de photographe dominait la loi du refus de la mise en scène, de la fiction, de toute intervention dans le déroulement de la vie là, devant moi. Seul changeait le point de vue à travers une danse dans l’espace silencieuse, presque invisible, interrompue aléatoirement par le choix éclair de l’instant, du déclic, fixant un fragment de temps, de vie peut-être, simultanément tuée et sauvée dans les formes qui l’expriment.
     Et maintenant au contraire, j’étais là, dirigeant Marpessa, lui demandant de se déplacer dans un certain espace, cherchant les rapports aux personnes et aux situations, mais aussi à certains objets et certaines lumières…
« 

Témoignage intéressant et comment ne pas s’en déclarer persuadé, quitte à le relire. La Sicile de l’enfance et de la jeunesse c’est cela qui est violé avec jouissance dans l’accouplement professionnel du photographe et de la modèle du Nord, d’où découlent cette inquiétude, ce sens de culpabilité, tandis que la transgression permet dans le registre technique une découverte bouleversante : la mise en scène photographique. la sortie hors du réalisme a été déconcertante. Marpessa semblait destinée à entrer dans la réalité du jeune Scianna et elle se sicilianise effectivement, alors que le photographe est comme vampirisé par la réalité sicilienne – sa réalité à lui. Il avait, jusqu’à ce moment, cru la tenir à distance, ne faisant varier que le point de vue qui l’ont accompagné sur le terrain…Marpessa signifie implicitement à Scianna  mais que celle-ci

L’entre-deux de la mode, Franca Franchi et Frédéric Monneyron – édition L’Harmattan.

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Marpessa et sa sœur à Amsterdam, Hollande – Scianna/Magnum

Marpessa et sa sœur à Amsterdam, Hollande – Scianna/Magnum

Femmes gitanes sur la plage

Femmes gitanes sur la plage, Saintes-Marie-de-la-mer 1968

Décryptage par Claude Tuduri (2010)
Implorer un songe, vénérer des Tziganes d’opérette pour oublier tous ceux qui frappent à la porte des villes et des villages ? Pour tout accueil, une ravine interlope, la terre desséchée de quelque Styx communal et un carnet de cir­culation criblé de salamalecs et d’horions.
En amont de l’image, quatre Gitanes résistent à l’écrasement d’un cadrage en très légère plon­gée. Face à la mer irrésolue, elles font, d’un pas décidé, irruption dans le paysage pour mieux le dissiper : une explosion de boucles, de ner­vures et de vrilles froissant et fronçant la grève de leur inadaptation fatale. Elles y forment un cortège uni autant que solitaire, montrant de l’objectif du photographe une docte ignorance.
L’intransigeance des formes est un luxe qui ré­siste aux commérages, leur assurant la gloire avec la misère : il n’y a pas jusqu’aux boules de coton nichées sur leurs lainages qui ne vien­nent parachever la splendeur somptuaire de leur mise et de leur mine.
Rien de moins troupier que ces apparitions à la beauté disparate, aussi retirée que la barque au loin sur le rivage : l’une au chandail pelucheux, porte, la main sur le ventre, un ruban chiffonné sur un visage en berne ; l’autre, au chignon serré, moque le gris du ciel par sa coquetterie propre à braver tous les crédits sur gage. La dernière, à droite, affiche une face à la finesse inaperçue là où la tyrannie des mesures et des modes la somme déjà de disparaître. Au centre, les mains jointes sur une cigarette, flamme sombre aux lèvres braisillantes, la plus fluette établit une en­tente muette entre ses compagnes avec elles libres de tout destin. Fumer, marcher, recueillir enfin l’aura du soleil et de la brise : leur visage incliné, tout entier à leur antique noblesse devant l’immensité, boit en secret l’hysope infaillible de l’errance et de l’éternité.
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Ferdinando Scianna

Défilé de mode, Paris, 1989 – photo Scianna/Magnum

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l'actrice espagnole Inès Sastre

l’actrice espagnole Inès Sastre – photos Scianna/magnum

l'actrice espagnole Inès Sastre à Milan - Scianna/Magnum

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La liseuse aux ongles rouges

La liseuse aux ongles rouges

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Monica Belluci – photo Scianna/Magnum

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Carmen Sammartin

l’actrice espagnole Carmen Sammartin

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Ferdinando Scianna,

Le Regard des hommes

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Ferdinando Scianna, Donna

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