Regards croisés à Aspergopolis : enfants de la cité Joliot-Curie

––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––

enfants de la cité Joliot-Curie à Argenteuil en

enfants de la cité Joliot-Curie à Argenteuil

     Les deux photos sont prises sur l’un des trois grands espaces verts centraux qui séparaient les quatre barres transversales  les plus hautes (10 étages). La barre longitudinale de 4 étages perpendiculaire aux quatre autres était immensément longue et était appelée pour cela la chenille. Les espaces verts étaient de grands espaces gazonnés parcourus de quelques années goudronnées plantées de rares arbres. Les deux immeubles transversaux les plus longs étaient percés en leur centre d’un passage qui évitaient aux piétons d’avoir à contourner ces immeubles sur toute leur longueur. Je ne me souviens pas qu’à l’époque il y est eu des bancs sauf peut-être aux abords de la chenille où un parc à jeu avait été installé. C’étaient des espaces « ouverts » livrés entièrement à la vue des milliers de fenêtres qui les dominaient que l’on ne faisait que traverser sans qu’aucun aménagement ou équipement incitât à l’arrêt ou au stationnement. la photo de 2010 montre que quelques aménagements ont été réalisés depuis mais de manière très limitée.

      Ce qui me touche en examinant la photo prise en 1959, c’est l’attitude gauche et réservée des enfants face à l’objectif donnant l’impression qu’ils sont mal à l’aise, attitude que l’on retrouve sur toutes les photos scolaires et de colonies de vacances de cette époque. Les enfants de cette époque étaient intimidés, réservés et peu expansifs. Le contraste est fort avec les enfants d’aujourd’hui qui apparaissent sur la photo suivante exubérants et facétieux, pas du tout impressionnés par le photographe et formant un groupe joyeusement désordonné. 

°°°

Enfants de la même cité en mars 2010 - DSC_0373

enfants de la même cité, photographiés à peu près au même endroit un demi siècle plus tard, en mars 2010 (photo personnelle)

°°°

Capture d’écran 2013-09-06 à 22.21.49

Capture d’écran 2013-09-06 à 22.20.56

°°°

      Il est bon ton, aujourd’hui de critiquer les grands ensembles qui sont devenus des ghettos pour populations laissées pour compte. Dans les années cinquante, au lendemain de la guerre, la crise du logement en France et à Argenteuil en particulier était catastrophique.

      La municipalité d’Argenteuil où la crise du logement était aigüe, alors communiste, avait pour Maire un ancien résistant, Victor Dupouy qui réussit à arracher à l’Etat un financement pour construire d’urgence 1000 logements. Ce n’est qu’après l’obtention de ce financement que s’est posé pour la commune le choix du lieu. L’emplacement choisi fut un terrain situé en bordure de la commune d’Epinay, en bordure de la route conduisant à Enghien près d’une importante cité-jardin construite en 1923 entre la ligne de chemin de fer longeant la Seine et la route conduisant à Enghien, la Cité d’Orgemont. La municipalité donnera au nouvel ensemble inauguré en 1958 le nom de Irène et Frédéric Joliot-Curie, deux chercheurs en chimie et physique de renommée mondiale qui obtiendront le prix Nobel de chimie en 1935 pour la découverte de la radioactivité artificielle et seront engagés politiquement du côté du Front populaire (Irène Joliot-Curie sera secrétaire d’état du gouvernement de Front populaire en 1936).

cité jardin d'Orgemont à Argenteuil

Argenteuil : la cité jardin d’Orgemont voisine de la cité Joliot-Curie.

Cité-jardin d'Orgemont à Argenteuil : maison individuelle et immeuble collectif

Cité-jardin d’Orgemont à Argenteuil : maison individuelle et immeuble collectif, 
Photo Conseil général du Val-d’Oise, ARPE / Pierre Gaudin.

       La cité d’Orgemont, édifiée à la limite d’Argenteuil et d’Épinay-sur-Seine par la Société des Cités-jardins de la Région Parisienne, constituait une opération de grande ampleur. Le plan avait été dessiné sous la responsabilité du polytechnicien Raoul Dautry alors administrateur de de la Société d’études générales, urbaines et sociales et de la Régie immobilière de la ville de Paris. C’est la plus vaste opération engagée en application de la loi Loucheur, votée le 13 juillet 1927. L’ensemble, dont l’organisation générale s’apparente plus à celle de certains lotissements qu’aux cités-jardins traditionnelles, comporte 700 logements individuels et 20 immeubles collectifs de 450 appartements, certains avec jardins privatifs. On y trouvait aussi une église, des écoles, un stade, un dispensaire, un établissement de bains-douches. 

Argenteuil : Vue aérienne des cités d'Orgemont et Joliot-Curie

Argenteuil : Vues aériennes des cités d’Orgemont et Joliot-Curie

Argenteuil : vue aérienne de la cité d'Orgemont (à gauche) et de la cité Joliot-Curie (à droite)

Au premier plan, la cité d’Orgemont et au second plan la cité Joliot-Curie

     Il fallait construire très vite et au moindre coût. Les éléments de structure en béton étaient préfabriqués en usine et montés en quelques heures. Au total 1041 logements furent construits dans cinq barres d’immeubles. Pour les 1041 familles qui aménagèrent en 1958, c’était tout simplement le paradis. Elles quittaient des logements insalubres et surpeuplés dépourvus d’installations sanitaires et se retrouvaient soudainement dans un vaste appartement lumineux, chauffé par le sol comportant une salle de bains avec baignoire et un WC séparé. Que demander de plus dans l’immédiat ? La pauvreté de l’architecture, la déficience de l’urbanisme, l’absence de relation sensible entre l’homme et son cadre de vie…. Tout cela ne leur importait guère, toutes heureuses qu’elles étaient d’habiter enfin un logement moderne et spacieux.

     La municipalité d’Argenteuil a été dirigée par le parti communiste durant plusieurs décennies jusqu’en 2001 date à laquelle une majorité de droite UMP lui ravit la mairie. Celle-ci envisage alors la démolition de la cité Joliot-Curie malgré l’opposition de ses résidents. Mais en 2008 les élections portent à la mairie une majorité de gauche conduite par les socialistes qui revient sur la décision de l’équipe précédente. 

       En 1996, la cité a été classée en Z.U.S., Zone urbaine sensible qui en fait une cible prioritaire pour la politique de la ville.

°°°

–––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––
–––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––

5 réflexions sur « Regards croisés à Aspergopolis : enfants de la cité Joliot-Curie »

  1. bonjour
    j’aimerais bien savoir qui vous a donné et autorisé à mettre cette photo et ce texte car ce n’est pas vrai cette photo n’a pas été fournie (photo fournie par Pascal Pays). qui est mon petit frère
    je suis la plus grande donc la plus âgée sur cette photo qui d’ailleurs n’a pas été prise en 1959 c’est faux
    (enfants de la cité Joliot-Curie à Argenteuil en 1959 (photo fournie par Pascal Pays). La cité a alors une année d’existence.)

    • Dont acte… J’avoue ne pas me souvenir où j’ai trouvé cette photo lors de la rédaction de cet article, il y a déjà 3 ans. Pouvez-vous SVP me communiquer les cordonnées de son ayant-droit afin que je puisse lui demander l’autorisation de la publier…

      Merci,

      Un ancien habitant de la cité Joliot-Curie de cette époque

  2. Bonjour, votre article et la publication de ces photos m’ont touché, dan la première, j’aperçois, l’appartement familial, ou mes parents ont aménagés en 1958, heureux de commencer une nouvelle vie avec le confort moderne (une salle de bain, des toilettes privées, une chambre pour les 3 enfants). Les premières années furent héroïques, solidaires entre tous ces premiers arrivants, Très peu avaient le téléphone, les automobiles n’ étaient pas nombreuses, mais chacun pouvait compter dessus en cas d’urgence. Le beau marché, qui rappelait le CNIT de La Défense, était un lieu de rencontre très chaleureux, Les années 60 y furent belles, J’y ai vécu de l’age de 6 mois à 19 ans, mes parents jusqu’à leur décès, La vie de la cité avait beaucoup changés, mais c’était leur village et ils étaient reconnus et très attachés.

    Merci pour ce témoignage.
    Florian D’Hokers

    • Alors nous avons vécu au même moment dans le même bâtiment… Seuls ceux qui n’ont pas connu la crise du logement de l’après-guerre ne peuvent comprendre pourquoi une cité autant décriée aujourd’hui qu’est la cité Joliot-Curie était autant appréciée par ses habitants. Pour moi, qui avait 11 ans à l’époque, c’était un cadeau inespéré : un grand séjour, une salle de bain, une chambre pour les enfants… Je me souviens aussi du centre commercial couvert où l’on trouvait tous les commerces. J’y suis retourné il y a quelques années. Mon cœur s’est serré… La cohabitation harmonieuse qui existait alors entre entre les habitants d’origine et de religions diverses a laissé la place à une communautarisation exacerbée. Dommage…

      • Nous étions à l’appartement 1034,8 rue J.R.Bloch. Je me souviens des piques-niques, les dimanches sur la butte d’Orgemont ou au moulin de Sannois.D’une cité reliée pas trop bien au centre ville par les bus CTU, et effectivement des commerces, du chausseur, des 3 alimentations, du disquaire,du quincailler….. Du bois d’acacia près du Paris-Bar. Pardon pour la nostalgie que me provoque votre article, Mais l’époque était simple, pauvre et riche de valeurs, Les banlieusards de Doineau n’étais pas si loin, Dès que j’ai pu m’en échappé, je l’ai fait, la douceur du sud-ouest berce ma vie, mais mon enfance est là pourtant, vous venez de me le rappeler..
        J’ai oublié de vous dire le bien que mérite votre blog que je viens de découvrir, Les archives vont m’occuper un bon bout de temps..
        Bien à vous, Un ex-enfant d’Asperjopolis. !

Laisser un commentaire