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« Là où naît l’ordre, naît le bien-être. » Le Corbusier (1887-1965)
La villa Savoye est une maison emblématique construite en France de 1929 à 1931 par l’architecte d’origine Suisse Le Corbusier (de son vrai nom Charles-Edouard Jeanneret-Gris), sur la commune de Poissy, dans le département des Yvelines. Elle a contribué à jeter les bases d’une nouvelle architecture domestique et a exercé une influence considérable dans l’histoire de l’architecture.
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Le propriétaire, Pierre Savoye, riche administrateur d’une compagnie de courtage d’assurance et sa femme Eugénie, décrits par Le Corbusier comme comme des clients « dépourvus totalement d’idées préconçues : ni modernes ni anciens », souhaitaient construire une maison de week-end dans un magnifique parc entouré de bois et forêts situé à 30 km de Paris et avaient confié le projet à l’architecte âgé alors de 42 ans. Celui-ci venait alors de relancer son activité théorique et professionnelle en association avec son jeune cousin Pierre Jeanneret en publiant dans une revue d’avant-garde un manifeste architectural anti-académique qui dénonçait le principe du décor qui dégrade la forme pure et promouvait une architecture moderne basée sur la mise en œuvre de cinq principes fondamentaux.
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–––– Les principes architecturaux défendus par Le Corbusier –––––––––––––––––––––––––––––––––––
Le Corbusier a élaboré ses théories et sa pratique architecturale à partir de quatre expériences :
croquis du Parthénon par Le Corbusier
- la période formatrice entre 1909 et 1911 par les divers voyages d’étude qu’il a réalisé à travers l’Europe et l’Orient.
- les expériences de travail notamment à Berlin chez l’architecte Peter Behrens, co-fondateur de la Deutscher Werkbund (Association allemande des artisans) qui s’est fixée pour tâche de concilier l’industrie, la modernité et l’esthétique et où il rencontrera les architectes Ludwig Mies Van Der Rohe et Walter Gropius et en France chez les frères Perret, industriels du bâtiment, et le dernier fils de la fratrie, l’architecte Auguste Perret chez lesquels il se familiarisera avec la technique du béton armé qui permet de libérer les façades des constructions de leur fonction traditionnellement porteuse en assurant le support des planchers par de simples poteaux. Cette avancée technologique offerte par le béton armé alliée à l’utilisation de matériaux nouveaux tels que le verre en grande dimension et les matériaux composites permettra à Le Corbusier d’avancer sa théorie du « plan libre » qui permet une organisation souple des espaces totalement affranchie des impératifs structurels du bâtiment.
- l’aventure artistique du mouvement post-cubiste du Purisme qu’il mène avec le peintre Amédée Ozenfant, le poète Paul Dermée et le dessinateur et peintre théoricien Albert Gleizes qui préconise un retour à l’ordre en s’opposant aux dérives de l’art, stigmatise le cubisme et les excès futuristes. En architecture le mouvement s’oppose au style académique et à l’éclectisme (mélange de styles architecturaux) et prônent les volumes simples qui valorisent l’espace et la lumière et les formes pures dépourvues d’ornementations basées sur l’utilisation du nombre d’or.
- La réflexion menée à partir de en compagnie de Pierre Jeanneret qui lui permettra de définir la théorie des « cinq points en architecture moderne » :
l’architecte-urbaniste et théoricien suisse Bruno Marchand dans son cours a montré que conjointement à l’élaboration de la théorie des cinq points, Le Corbusier a également mené une réflexion sur les différents types de formes extérieures de ses villas qu’il classait en quatre types :
«Le premier type montre chaque organe constitutif de la constuction surgissant à côté de son voisin, suivant une raison organique le “dedans prend ses aises, et pousse le dehors qui forme des saillies diverses.” Ce principe conduit à une composition “pyramidale”, qui peut devenir tourmentée si l’on n’y veille (voir la villa La Roche à Auteuil).
Le second type révèle la compression des organes à l’intérieur d’une enveloppe rigide, absolument pure. Problème difficile qui constitue peut-être une délectation de l’esprit et implique une dépense d’énergie spirituelle au milieu d’entraves qu’on s’est imposées (voir la villa Stein « Les Terrasses » à Garches).
Le troisième type fournit, par l’ossature apparente, une enveloppe simple, claire, transparente comme une résille; il permet, à chaque étage diversement, d’installer les volumes utiles des chambres, en forme et en quantité. Type ingénieux convenant à certains climats; composition très facile, pleine de ressources (villa Baizeau àTunis).
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––––Présentation de la villa Savoye –––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––
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Baptisée « les Heures claires » par ses propriétaires et de « machine à habiter » par son architecte, achevait la période dite des villas blanches de l’architecte. Elle est constituée d’un parallélépipède blanc soutenu par de fins pilotis, couvert de fenêtres en bandeau et surmonté de toits-terrasses.
Compte tenu du caractère isolé de la villa, l’automobile était le seul moyen d’accès à celle-ci aussi Le Corbusier a-t-il privilégié la fonction de desserte de la maison par ce moyen de locomotion. C’est ainsi que la forme du volume du niveau Rez-de-chaussée s’inscrit de manière libre entre les pilotis de support du niveau supérieur et est en partie circulaire selon une courbe définie à partir du rayon de courbure minimum de braquage d’une automobile. L’automobile s’engage donc dans l’espace défini par le volume clos de forme courbe qui abrite les services communs et les pilotis pour conduire les usagers qu’à la porte du vestibule, puis selon les cas, se range dans le garage ou bien poursuit sa route pour le retour.
Les pièces habitables se situent au niveau supérieur.
villa Savoye à Poissy, niveau Rez-de-chaussée : grand vestibule avec escalier et rampe d’accès au niveau 1, buanderie-lingerie, chambres personnel, garage.
l’aire de circulation des automobiles et la grande verrière courbe du vestibule
Cette organisation a pour conséquence que la maison semble posée sur l’herbe comme un objet, sans modifier ou déranger le terrain naturel. De ce fait elle ne possède pas de jardin aménagé directement sur le sol mais un patio situé au niveau 1 qui fait office de jardin sec et une terrasse situées sur la toiture terrasse d’où on pourra jouir d’une vue dégagée sur le paysage mieux qu’au niveau du sol.
La structure de la construction est conforme en tous points aux principes architecturaux définis par l’architecte : poteaux porteurs équidistants portant des chevalets qui supportent eux-mêmes des poutrelles régulières et égales, plan libre et toitures terrasses. Il est à noter que si le plan et les façades des volumes habitables sont libres, la maison est perçue comme un parallélépipède rigide, l’architecte ayant clos son patio dans une seconde façade ajourée. L’éclairage naturel est assuré par des ouvertures linéaires en continu conformément au principe défendu de la fenêtre-bandeau et par quelques ouvertures zénithales.
Départ de l’escalier d’accès au niveau 1 dans le vestibule aux parois vitrées.
arrivée de l’escalier et de la rampe au niveau 1 et escalier d’accès à la toiture terrasse du niveau 2.
villa Savoye à Poissy, plan du niveau 1 avec patios : séjour, cuisine, 3 chambres, 2 salles de bain, un boudoir.
espace séjour et patio
ouverture sur le patio et le paysage
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––– la toiture terrasse aménagée et le patio –––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––
au niveau 2, la toiture terrasse est en partie accessible (solarium)
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–––– conclusions ––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––
Ce dessin exprime les trois grands objectifs qu’il convenait d’atteindre dans la conception de la villa Savoye… On a souvent reproché à Le Corbusier le simplisme de ses théories urbanistiques et architecturales, c’est ainsi que ses théories urbanistiques défendues en 1933 dans la Charte d’Athènes qui prônaient pour l’aménagement des villes une séparation nette des quatre « fonctions » vie, travail, loisirs et circulation ont été par la suite vivement critiquées pour leurs aspects réducteur, rationaliste et techniciste.
Dans le cas particulier de la villa Savoye, comment peut-on considérer que l’acte d’habiter se limite à trois fonctions fondamentales telles que l’économie, la recherche de l’hygiène et la facilité de circuler ? et comment la mise en forme de l’architecture qui l’accompagne peut-elle se fonder sur cette théorie aussi simpliste ? Quid des autres fonctions tout aussi fondamentales que la relation de l’homme avec son acquis culturel – qu’il s’exprime de manière consciente ou inconsciente – avec la nature qui l’entoure ou bien du caractère irrationnel lié à l’imaginaire qui prévaut lorsqu’il bâtit son habitat ? Le Corbusier a eu trop souvent tendance dans sa réflexion théorique à réduire la complexité de la vie humaine à quelques fonctions de base qu’il envisageait séparées alors que dans la réalité vécue elles sont intrinsèquement liées et réagissent les unes avec les autres. A supposer même que l’affirmation de Le Corbusier soit fondée, on ne voit pas en quoi la maison Savoye répondrait, de par sa conception ou ses caractéristiques, aux objectifs proclamés :
- on ne peut considérer en aucune manière que la maison Savoye avec sa base structurelle démesurée par rapport à la faible importance des volumes bâtis et son absence de compacité soit « économique ».
- On se pose également la question de l’aspect « hygiéniste » de cet exemple de l’architecture moderne par rapport à l’architecture traditionnelle. Le caractère hygiéniste ou non d’une construction relève plus des conditions de vie de ses occupants et de la nature et la qualité de son équipement que du fait qu’elle relève d’une architecture traditionnelle ou contemporaine.
- De la même manière, on ne voit pas en quoi, la maison Savoye répond spécifiquement au problème posé par la circulation. Il ne faut pas accorder une importance excessive à la configuration de l’espace du rez-de-chaussée adapté au braquage des roues d’une automobile qui n’est en fait q’un gadget sympathique. Avec toute autre construction d’une architecture différente, l’accès aurait été traité de manière identique. Quant aux circulations verticales à l’intérieur de la villa, elles sont traitées de manière classique.
Limiter le problème de la définition architecturale d’une maison d’habitation à la manière de répondre au mieux à quelques fonctions choisies parmi toutes les autres et privilégiées parce que considérées comme fondamentales dans le cadre d’une théorie formelle contraignante ne peut être que réductrice par excès de simplification. Si l’on est un bon architecte sur le plan formel, on pourra faire dans ce cas un bel objet qui sera agréable à contempler voire génial mais impropre à sa fonction.
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–––– Sites et documentation utiles ––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––
- Au sujet des villas qui ont précédées la Villa Savoye appelées « série des villas blanches » et qui ont permis à Le Corbusier d’expérimenter et forger ses théories, c’est « ICI« .
- Théorie de l’architecture III par le professeur Bruno Marchand – Le Corbusier : ltha.epfl.ch/enseignement_lth/theorie/polycopie_th4/chap_3.pdf
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