illustres illustrateurs : Jeanne Mammen, période Weimar (1914-1933)

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Jeanne Mammen en 1975Jeanne Mammen en 1975

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     Jeanne Mammen (1890-1976) est une peintre et dessinatrice allemande. Ses œuvres s’inscrivent dans les courants de la Nouvelle Objectivité et du symbolisme.

     Née à Berlin, Jeanne Mammen grandit à Paris, où son père Gustav Oskar Mammen  s’était installé avec sa famille quand elle avait cinq ans après qu’il eut acquis une usine de soufflage du verre. La famille s’installe à Passy, dans une villa confortable dotée d’un jardin idyllique. Jeanne fréquente le lycée Molière et s’imprègne de culture française. Dés l’âge de 13 ans, elle dévore les oeuvres de la littérature française contemporaine et s’intéresse aux Beaux-Arts. Elle est particulièrement attirée par la littérature visionnaire de son époque et le livre de Flaubert « La Tentation de saint Antoine » sera l’une de ses lectures favorites. Mais c’est le dessin et la peinture qui l’intéresse. Avec sa sœur aînée, Marie-Louise, elle étudie, dés l’âge de 16 ans, la peinture à l’Académie Julian, un cours privé réputé et poursuit sa formation en 1908 et 1909 à l’Académie Royale des Beaux-Arts de Bruxelles, les écoles d’art française de l’époque n’accueillant pas les femmes. Cette formation se poursuivra également à Rome, à la Scuola Libera Academica de la Villa Medici, jusqu’en 1911.
     De retour à Paris, elle participe au Salon des indépendants de 1912 et à celui de Bruxelles l’année suivante. Ses premiers travaux, d’inspiration symboliste, un mouvement alors important de la scène artistique franco-belge, incluent des aquarelles liées à des œuvres littéraires, par exemple la Tentation de saint Antoine de Gustave Flaubert.

     Mais cette vie insouciante et sans ombrage se terminera brutalement en 1914 avec le déclenchement de la Première Guerre mondiale qui contraint la famille à fuir la France in extremis en prenant le dernier train pour la Hollande, son père étant considéré par la France comme ressortissant ennemi. Tous les biens de la famille ont été saisis à Paris et Jeanne Mammen se retrouve sans ressources en 1916 à Berlin, sa ville natale qui lui est totalement étrangère et où elle doit subvenir à ses besoins. C’est un choc pour cette jeune femme de 25 ans qui a vécu jusque là dans l’insouciance dans un milieu aisé et cultivé. Elle sera choquée par l’ambiance de la capitale allemande où règne un mélange de mégalomanie wilhelminienne, de discipline et de soumission prussienne et un provincialisme étriqué.

   Pour gagner sa vie, elle va utiliser tout naturellement les capacités artistiques acquises lors de sa formation en France et en Belgique et choisit l’illustration. Son style apparaît alors influencé par Toulouse-Lautrec et contraste avec le style graphique alors sobre et sérieux du Berlin de la guerre. Les débuts seront difficiles mais elle finit par décrocher en 1917 une première commande pour des illustrations dans un magazine. Elle travaille également comme dessinatrice de mode et collabore à des journaux. En 1919, elle s’installe avec sa sœur dans un atelier-appartement du Kurfürstendamm, où elle restera jusqu’à sa mort, en 1975.

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L’Alexanderplatz en 1920

Images du Berlin d’avant-guerre : Berlin Before The War – YouTube

Berlin 1920 - Romanisches Café à Berlin

1920 : Flipper au Romanisches Café, lieu de rendez-vous de l’avant-garde berlinoise

spipBerlin des années 20 : le danseur et comédien Valeska Gert révolutionne la danse moderne

Jeanne Mammen - Valeska Gert - vers 1929

la même Valeska Gert peint par Jeanne Mammen vers 1929

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la danseuse Anita Berber

Tiller girls à Berlin - 1920

les Tiller girls à Berlin – 1920

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le cabaret Weisse Maus (la souris blanche) ouvert en 1919 et où se produisait la danseuse nue Anita Berber et ses girls. Les clients pouvaient s’y rendre incognito en portant des masques noirs ou blancs.

07_Mammen_CarnivalinBerlinJeanne Mammen – Carnaval à Berlin

cd118459624c14fdf23983225f1863a9Jeanne Mammen, 1920 – Noctambules

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Jeanne Mammen, 1925 – Au club lesbien Monbijou

le cabaret Le Jockey Bar à Berlin

le cabaret Le Jockey Bar à Berlin, ouvert en 1930 et fréquenté par Erich Kästner, Klaus and Erika Mann, Alfred Kerr, Gustaf Gründgens, Jean Cocteau, Andre Gide, Ernest Hemingway et Marlene Dietrich.

cabaret Eldorado après sa fermeture par les nazis

le cabaret Eldorado dans les années 20 et après sa fermeture par les nazis en 1933. le cabaret était un haut-lieu du milieu homosexuel et travesti et était fréquenté par la haute société berlinoise, les visiteurs étrangers et l’intelligentsia provinciale de passage à Berlin. Il comptait parmi ses habitués Margo Lion, Marlène Dietrich, Claire Waldoff ou la danseuse Anita Berber.

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A l’Eldorado

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Jeanne Mammen, 1926 – Au bar (les filles de l’armée du salut) 

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Marlène Dietrich, au piano F. Holländer.

On ne nous a pas demandé
Lorsque nous n’avions pas de visage
Si nous voulions vivre ou non
Maintenant, je vais seule à travers une grande ville
et je ne sais pas si elle m’aime
Je regarde dans les pièces, par les portes et les fenêtres
Et j’attends, et j’attends
Quelque chose.
Si je devais me souhaiter quelque chose
Je serais bien embarrassée
Car ce que je devrais souhaiter
Serait-ce un temps meilleur ou pire
Si je devais me souhaiter quelque chose
Je souhaiterais être un peu heureuse
Car si j’étais trop heureuse
J’aurais une nostalgie pour la tristesse. »

Marlène DIETRICH.
(Chanson composée par F. Holländer
pendant le tournage de l’Ange Bleu )

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Tauentzienstrasse – Berlin

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Prostituées à Berlin dans les années vingt

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Jeanne Mammen, 1920 : prostituées

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Das Lila Lied était l’hymne des milieux homosexuels de Berlin dans les années 20. Il existait alors une cinquantaine de clubs exclusivement réservés aux femmes

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Jeanne Mammen, vers 1926. Photo Archiv Förderverein der Jeanne-Mammen-Stiftung eV

Jeanne Mammen en 1926

       Sa carrière commerciale commence vraiment en 1920, année à laquelle elle réalise des affiches de films et des couvertures de magazines. Son côté cosmopolite la met en contact avec le milieu de la fête et de la nuit où se côtoient bourgeois, mondaines et demi-mondaines, lesbiennes. Au lendemain de la guerre, la métropole berlinoise est saisie d’un bouillonnement culturel et d’une frénésie de vie et de plaisirs comme si il lui fallait rattraper les années perdues. Les illustrations de Jeanne Mammen, très réalistes, parfois satiriques, constituent une chronique et une critique sociale de la métropole moderne en dépeignant des types humains placés dans toutes sortes de situations, elles évoquent aussi la relation entre les sexes et les ambiguïtés de la « femme nouvelle » dans ses rôles sociaux contradictoires.

     Les années 1920 qui correspondent à une courte période de reprise économique et de stabilité en Allemagne sous la direction du chancelier Stresemann sont des années de renaissance culturelle et de mutation de la condition féminine avec l’extension des droits politiques des femmes (droit de vote en 1919), l’arrivée massive sur le marché du travail de jeunes femmes en majorité célibataire et leur visibilité nouvelle dans les domaines culturels et sociaux; c’est l’époque où apparaissent les « garçonnes », les « flappers » aux cheveux coupés au carré façon Mel Brook influencés par l’«American way of life» qui donne alors le ton, Les gays et les lesbiennes osent se montrer au grand jour et se rencontrent dans des lieux, clubs, bars, cabarets, qui leur sont dédiés. La période d’hyperinflation de 1923 va favoriser le développement de ces clubs et de ces bars, les spéculateurs y dépensant sans compter leurs profits avant qu’ils ne soient dévalués par l’inflation. En même temps la drogue fait son apparition et la prostitution fait des ravages, cocaïne, morphine et opium se vendent à chaque coin de rue et on estime à 120.000 le nombre de femmes de tous âge qui se prostituent à Berlin. Voilà le monde dans lequel évolue Jeanne Mammen et dont elle témoigne sans concession et avec précision dans ses illustrations. En 1927 ses peintures et dessins remplissent les couvertures et les pages d’une multitude de journaux, magazines et revues satiriques comme «Jugend»« Die Dame », « Die Schöne Frau »« Der Junggeselle »« Simplicissimus »« Uhu » et «Ulk». Son travail est  loué par l’écrivain et critique d’art Kurt Tucholsky, elle bénéficie d’une réputation d’illustratrice exceptionnelle et est considérée comme l’égale d’artistes reconnus de la période Weimar tels que George GroszOtto DixRudolf SchlichterRudolf Wilke ou Karl Arnold qui critiquaient eux-aussi la société berlinoise, mais dans un style plus mordant et agressif. Le style de Jeanne Mammen est moins percutant, plus proche de l’expression graphique d’un Théophile Steinlen ou d’un Toulouse-Lautrec, un effet sans doute de sa formation parisienne. les illustrations et les dessins de Jeanne Mammen montrent sans anémosité et ne condamnent pas.

     Sa première exposition à la galerie Gurlitt en 1930 signe sa reconnaissance sur la scène artistique berlinoise.  Elle crée des lithographies, en particulier le cycle « Les Chansons de Bilitis », un hommage à l’amour lesbien illustrant des poèmes de Pierre Louÿs. En 1931, elle réalise des illustrations pour les deux tomes d l’ouvrage « histoire morale de l’après-guerre » du sexologue Magnus Hirschfeld, défenseur de la cause homosexuelle et de celui du sociologue Curt Moreck, « Guide du Berlin interdit » pour lequel elle reproduit des scènes de club de femmes, de club de gays et travestis.

     Préoccupée par l’imminence du danger fasciste, Jeanne Mammen avait, au début des années 30,  rejoint les communistes. En 1932, elle se rend avec le peintre Hans Uhlmann à Moscou où elle sera collaborera au «journal allemand du centre de Moscou».
     En 1933, cependant, l’arrivée au pouvoir des nazis met un terme à sa reconnaissance publique. Ses représentations, celles des femmes en particulier, sont critiquées. Après sa participation à l’exposition de printemps du «Verein der Künstlerinnen zu Berlin» [Association des artistes féminins de Berlin] les premières attaques diffamatoires paraissent dans la presse nazie, dénonçant sa manière de représentation et les motifs représentés et les sujets comme étant juif. Les lithographies pour Les Chansons de Bilitis sont interdits de publication. Se refusant de collaborer, et, privée de ses sources de revenus dans les journaux, elle se réfugiera comme d’autres intellectuels hostile au régime dans « l’Innere Emigration » (émigration intérieure) selon l’expression de Frank Thiess pour qualifier les intellectuels allemands qui ont pris leur distance avec le régime nazi sans s’y opposer ouvertement. À cette époque, ses peintures deviennent plus abstraites et sont influencées par Picasso; elle s’oppose en cela au régime nazi qui considère l’art abstrait comme dégénéré. Elle a continué à produire durant toute la guerre un travail de manière solitaire et a survécu en vendant des magazines et des gravures à des antiquaires qu’elle transportait dans une charrette dans les rues de Berlin

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 ▶ Berlin – Metropolis of Vice: Part 1 – YouTube   (en anglais)

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Jeanne Mammen, Ursa Major, la Grande Ourse, 1920Jeanne Mammen, Ursa Major, la Grande Ourse, 1920

Jeanne Mammen - la femme au chat - 1920

Jeanne Mammen – la femme au chat – 1920

Jeanne Mammen, dans le café, 1920

Jeanne Mammen, dans le café, 1920

Jeanne Mammen - la Garçonne - 1927

Jeanne Mammen  –  Sie repräsentiert (Faschingsszene) –  (1927-1928).

La garçonne nous provoque en nous fixant droit dans les yeux; chapeau haut de forme sur la tête, cigarette au coin de sa bouche, une jeune femme à la remorque. « En représentation » est le titre sous lequel cette aquarelle par Jeanne Mammen est publié dans Simplicissimus en 1928. Cette héroïne androgyne semble en effet représenter un «nouveau type de femme », si bien que cette image est souvent utilisée pour illustrer le «décadente Berlin » des années de Weimar. Les aquarelles et les dessins de ce typei, publié en Simplicissimus, Jugend, ou Ulk , apportent à Jeanne Mammen une grande renommée en tant que chroniqueuse de la vie citadine de Berlin. « Gracieuses et austères», voilà comment Kurt Tucholsky décrit ses personnages féminins en 1930. Les illustrations de Mammen doivent leur succès au fait que ses divas et les filles de cabaret sont représentées sans animosité et trouvent ainsi grâce devant les hommes et les femmes.

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Jeanne Mammen, 1928 – Jeunes femmes d’une revue

Jeanne Mammen, A Kranzler de 1929

Jeanne Mammen, A Kranzler de 1929

Jeanne Mammen - Scène de rue à Berlin - vers 1929 - aquarelle et encre

Jeanne Mammen – Scène de rue à Berlin – vers 1929 – aquarelle et encre

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Jeanne Mammen (Allemagne, 1890-1970) - THe Redhead - 1930

Jeanne Mammen (Allemagne, 1890-1970) – La rousse – 1928/1930 – aquarelle et crayon sur papier

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Jeanne Mammen, vers 1930

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Jeanne Mammen, 1930 – Au balcon

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Jeanne Mammen, vers 1930-1932 – Femme et jeune fille. On trouvait à l’époque à Berlin des prostituées mère-fille opérant en tandem.

Jeanne Mammen - Brüderstraße ("Zimmer frei")

Jeanne Mammen – Brüderstraße (« Zimmer frei »)

Jeanne Mammen - Auto-portrait - 1932

Jeanne Mammen – Auto-portrait – 1932

Jeanne Mammen - Portrait de Max Delbrück - vers 1937

Jeanne Mammen – Portrait de Max Delbrück – vers 1937 (période abstraite)

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Pour visualiser la première période créatrice parisienne et belge de Jeanne Mammen, la période symboliste, c’est ICI :

Jeanne Mammen - »Tod« (»Hl. Antonius«)

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