–––– Victor Hugo à Bruges en 1837, lettre à Adèle –––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––
Bruges, où j’ai passé un jour avant d’arriver à Ostende, est une superbe ville, moitié allemande, moitié espagnole. On l’appelle Bruges à cause de ses ponts {Brug, en flamand) comme on appelle la ville de ton père Nantes à cause de ses cours d’eau (les cent bras de la Loire) , fiant en celte. T’en souviens-tu, chère amie ? nous avons retrouvé ce mot bas-breton en Suisse. On ne dit pas un torrent, on dit un nant. Les gens de Bruges sont en train de fort malmener leur clocher, qui est un obélisque de brique du quatorzième siècle, du plus grand style par conséquent. Ils ont déjà coupé la pointe qu’ils ont remplacée par un hideux petit toit, rond, plat et bête. Suppose un pape à qui l’on a ôté sa tiare pour lui mettre une casquette. Voilà le clocher de Bruges maintenant. En revanche, la tour du beffroi est complète. Elle est du même temps, et admirable, mi-partie en brique et en pierre. La brique a parfois des tons rouilles qui sont magnifiques. Ils en tirent grand parti en Flandre. Ils font en brique jusqu’à des coquilles, jusqu’à des meneaux d’une délicatesse parfaite. Il faut convenir que les Flamands tripotent mieux la brique que les bretons ne tripotent le granit. Je veux toujours parler des vieux architectes, car à présent on ne tire parti de rien; en brique comme en granit on ne fait que des sottises. Il y a aussi à Bruges force belles maisons à pignons; mais toujours hideusement badigeonnées. Il en est de même de l’intérieur des églises; tout y est blanc dur et noir cru, le tout pour la jubilation des curés, sacristains et vicaires. Il y a longtemps que je l’ai dit, le premier ennemi des églises, c’est le prêtre. Par exemple, ils ont une sublime statue de Michel-Ange, un des prodiges de l’art; ils la cachent derrière un énorme crucifix. Pour trente sous j’ai fait ôter le crucifix, car pour trente sous on fait bien des choses chez ces braves bedeaux belges, et le crucifix n’a peut-être pas d’autre but. C’est un chef-d’œuvre miraculeux que cette statue. La tête de la Vierge est ineffable. Elle regarde son enfant avec une douleur fière que je n’ai vue qu’à cette tête et à ce regard. Quant à l’enfant, avec son grand front, ses yeux profonds et la puissante moue que font ses petites lèvres, c’est bien le plus divin enfant qui soit. Napoléon, qui avait dû ressembler à cet enfant-là, l’avait fait transporter à Paris. On l’a repris en 1815, et dans le trajet on a cassé, je devrais dire déchiré, un coin du voile de la Vierge. Michel-Ange est dans cette église. Rubens, Van Dyck et Porbus y sont aussi. Ils ont laissé là, l’un une Adoration des Mages, l’autre un Mariage mystique de Sainte-Rosalie, le troisième une Sainte-Anne. Je suis resté longtemps comme agenouillé devant ces chefs-d’œuvre. Je crois que c’est là ce que les protestants appellent de l’idolâtrie. Idolâtrie, soit. Ce n’est pas tout, car cette église est riche, et je n’ai pas gardé le moindre pour la fin. Le tombeau de Charles le Téméraire et celui de sa fille Marie de Bourgogne sont là, dans une chapelle. Figure-toi deux monuments en airain doré et en pierre de touche. La pierre de touche ressemble au plus beau marbre noir, avec quelque chose de plus souple à l’œil et de plus harmonieux. Chaque tombeau a sa statue couchée qui paraît toute d’or, et sur les quatre faces des blasons, des figures et des arabesques sans nombre. La tombe de la duchesse Marie est du quinzième siècle, celle de Charles est du seizième. Le corps du duc fut transporté de Nancy à Bruges par Charles-Quint, cet empereur prudent, fils de Jeanne la Folle et petit-neveu de Charles le Téméraire. Rien de plus magnifique que ces deux tombes, celle de Marie surtout. Ce sont d’énormes bijoux. Les blasons sont en émail. Aux pieds du duc il y a un lion, aux pieds de Marie deux chiens dont l’un semble gronder de ce qu’on approche sa maîtresse. C’est une chose surprenante, aux quatre faces du monument, que cette foret d’arabesques d’or sur fond noir avec des anges pour oiseaux et des blasons pour fruits et pour fleurs. Napoléon a visite ces tombes. Il a donné dix mille francs pour les restaurer et mille francs à l’honnête bourgeois qui les avait enterrées et sauvées pendant la Révolution. Il paraît qu’il est resté longtemps, pensif, m’a dit le vieux sacristain, dans cette chapelle. C’était en 1811. Il a pu lire sur le devant du tombeau de Charles de Bourgogne sa devise : « Je l’ai empris, bien en avienne », et au revers, dans l’épitaphe, il a pu lire aussi cette phrase : «Lequel prospéra longtems en haultes entreprises, batailles et victoires… jusques à ce que fortune lui tournant le dos l’oppressa la nuit des Roys 1476, devant Nancy. » L’empereur rêvait alors Moscou. Il n’a pas fait porter ces tombes à Paris. Ces tombeaux sont traités comme Michel-Ange. La fabrique les a fait couvrir d’une ignoble boiserie qui imite le catafalque du Père-Lachaise et dont M. Godde le parisien serait jaloux. Vous voulez voir les tombes, payez. C’est pour l’entretien, c’est-à-dire le badigeonnage de l’église. Pauvre église ! ainsi, ces tombes, son joyau, ces tombes qui devraient la parer magnifiquement, servent à l’enlaidir. — O marguilliers! C’est dans cette église que Philippe le Bon institua la Toison d’or. Ils montrent une ravissante tribune du quinzième siècle, affreusement engluée comme le reste, d’où furent déclarés, disent-ils, les premiers chevaliers. J’en doute, car le style fleuri de cette tribune la fait contemporaine de notre Charles VIII. Et en Flandre ils ont toujours été plutôt en retard qu’en avant. Ils faisaient encore des ogives au temps de Henri IV. Maintenant, chère amie, quand je t’aurai dit que la dorure de chacune des deux tombes a coûté vingt-quatre mille ducats d’or, somme énorme pour le temps, et que le carillon du beffroi passe pour le plus beau carillon de la Belgique, j’aurai épuisé tout ce que j’ai à te dire de Bruges. Il y a encore une vieille abbaye en ruines, mais je n’ai pas eu le temps de la visiter. Ce sera pour le jour où nous verrons tout cela ensemble, mon Adèle. Du reste, à partir du dix-septième siècle, l’architecture et la sculpture prennent en Flandre quelque chose de plus massif que partout ailleurs. Les volutes sont lourdes, les statues ont du ventre, les anges ne sont pas joufflus, ils sont bouffis. Tout cela a bu de la bière.
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–––– poèmes de Georges Rodenbach (1855-1898) –––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––
L’écrivain belge d’expression française Georges Rodenbach (1855-1898) écrit en 1892 un roman considéré comme un chef-d’œuvre du symbolisme, « Bruges-la-Morte » qui met en scène la ville de Bruges elle-même, traitée comme un personnage central qui influence et détermine les pensées et les actions des acteurs du roman. Le héros du roman, Hugues Viane a quitté la grande ville cosmopolite où il vivait avec sa jeune épouse après la mort de celle-ci et s’est réfugié à l’écart du monde dans cette petite ville des Flandres, quai du Rosaire, en compagnie de sa vieille et pieuse servante. Il vit dans le culte de son épouse morte dont il vénère une tresse blonde telle une relique. La ville de Bruges qui après l’ensablement du chenal qui la reliait à la Mer du Nord a perdu la prospérité et la magnificence qui étaient les siennes durant tout le Moyen âge et avait alors l’apparence d’une « ville-morte », par son ambiance particulière, semble participer à son chagrin et s’assimile à la jeune femme morte. Hugues Viane fait la rencontre dans la ville d’une jeune femme, danseuse de son état, qui est la personnification de son épouse morte et dont il tombe éperdument amoureux. Cet amour scandaleux se terminera en drame puisque la jeune femme mourra étranglée par son amant à l’aide de le touffe de cheveux de la morte qu’elle avait, sans le savoir, profanée…
Ce roman jouera un rôle important pour la promotion touristique de la ville de Bruges mais ses habitants ne lui pardonneront pas d’avoir présenté la ville sous un aspect nostalgique et passéiste et pour s’être opposé au projet du port de Zeebruges qui devait permettre à la ville de renouer avec un développement économique moderne. Le roman paru dans un premier temps comme feuilleton dans le journal Le Figaro avant d’être publié en volume par l’éditeur Flammarion.
Georges Rodenbach a également composé de nombreux poèmes à la gloire de la ville de son enfance et aux villes de sa Flandre natale.
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Tel canal solitaire, ayant bien renoncé…
Tel canal solitaire, ayant bien renoncé,
Qui rêve au long d’un quai, dans une ville morte,
Où le vent faible à son isolement n’apporte
Qu’un bruit de girouette, en son cristal foncé,
S’exalte d’être seul, ô bonne solitude !
Isolement par quoi son coeur devient meilleur
Quand l’eau s’est peu à peu déprise et se dénude
De tout désir qui lui serait une douleur !
Quiétude où jamais ne descend et ricoche
Que le tintement frêle et doux de quelque cloche,
Frissons contagieux d’un bruit presque divin !
Et qui, plein de mirage, est comme un ciel en marche,
Tout nostalgique en des recherches d’infini !
Qu’importe ! il vit déjà d’éternité. Car ni
Les quais de pierre stricts, ni tel vieux pont d’une arche
N’empêchent la descente en lui du firmament;
Ou la fumée éparse, au doux renoncement,
De le suivre dans l’air en chemin parallèle;
Ou les cygnes royaux sur les bords d’ouvrir l’aile,
Graduel déploiement d’un plumage inégal
Qui mire dans l’eau plane un arpège de plumes !
Ainsi le long du quai rêve le vieux canal
Où les choses se font l’effet d’être posthumes
Parmi cet au-delà de silence et d’oubli…
Mais tout revit quand même en son calme sans pli.
Or s’il reflète ainsi la fumée et les cloches
C’est pour s’être guéri de l’inutile émoi;
Aussi le canal dit : Ah ! vivez comme moi !…
Et son eau pacifique est pleine de reproches.
Le Règne du silence, Rodenbach
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Le long des quais, sous la plaintive mélopée…
Le long des quais, sous la plaintive mélopée
Des cloches, l’Eau déserte est tout inoccupée
Et s’en va sous les ponts, silencieusement,
Pleurant sa peine et son immobile tourment,
Se plaindre de la vie éparse qui l’afflige !
Et la lune a beau choir comme une fleur sans tige
Dans le courant, elle a l’air d’être morte, et rien
Ne fait plus frissonner au souffle aérien
Ce pâle tournesol de lumière figée.
Eau dédaigneuse ! Soeur de mon âme affligée,
Qui se refuse aux vains décalques d’alentour,
Elle qui peut pourtant mirer toute une tour
O taciturne coeur ! Coeur fermé de l’eau noire.
Toute à se souvenir en sa vaste mémoire
D’un ancien temps vécu qui maintenant est mort :
Cadavre qu’elle lave avec son eau qui tord
Des tristesses de linge en pitié quotidienne
O l’eau, soeur de mon âme, empire des noyés,
Se répétant le soir l’une à l’autre : « Voyez
S’il est une douleur comparable à la mienne ! »
Le Règne du silence, Rodenbach
Les quais de Bruges…
« Ces quais de Bruges, combien, dans ma pensive jeunesse, je les ai suivis, confessés, aimés, – avec des coins que j’étais seul à connaître, à consoler, avec des maisons dont les vitres mortes me regardaient !
Et, dans la prison des quais de pierre, l’eau stagnante des canaux où ne passent plus de navires, ni de barques, où rien ne se reflète que l’immobilité des pignons dont les arches décalquées ont l’air d’escaliers de crêpe qui conduisent jusqu’au fond. Et sur les eaux inanimées, des balcons en surplomb, des rampes de bois, des grilles de jardins incultes, des portes mystérieuses, toute une enfilade de choses confuses et déjetées qui sont accroupies au bord de l’eau, avec des airs de mendier, sous des haillons de feuillage et de lierre qui s’effilochent… » – Georges Rodenbach.
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Toute la belle histoire est une souvenance…
Toute la belle histoire est une souvenance !
Les cygnes pleurent sur l’eau où se mirent les toits,
Rien ne se recommence
Et tout n’arrive qu’une fois.
Tout est déjà comme si rien n’avait été;
La ville abdique
Et les cygnes ont un air héraldique
Et les tours sont dans l’air comme un grand cri sculpté.
Les reflets parmi l’eau s’évaporent,
Ainsi le fard d’un visage;
Tout ce vieux décor est sans âge;
L’eau devient incolore.
Toute la belle histoire est finie,
L’ancien faste et la mer baignant le pied des tours;
La mer est partie
Comme un amour…
Déjà le souvenir en est vague;
La ville est une veuve;
Comment recommencer les vagues
Et se remettre aux doigts des bagues neuves ?
La ville rêve au beau passé qui finit mal.
Elle appelle et rien ne répond.
Silence de l’air ! Les vieux ponts
Sont comme un catafalque en deuil sur le canal.
La ville se résigne,
Appareillée avec les quais,
Et prend exemple sur les cygnes
Qui sont un vaste vol cargué.
Les cygnes mi-barque, mi-aile,
Presque redevenus des oiseaux de blason,
Dans ce air de veuvage et d’arrière-saison
Où seul le clair de lune un peu les emmielle !
le Miroir du ciel natal
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Le gris du ciel du Nord dans mon âme est resté…
Le gris du ciel du Nord dans mon âme est resté;
Je l’ai cherché dans l’eau, dans les yeux, dans la perle;
Gris indéfinissable et comme velouté,
Gris pâle d’une mer d’octobre qui déferle,
Gris de pierre d’un vieux cimetière fermé.
D’où venait-il, ce gris par-dessus mon enfance
Qui se mirait dans le ciel inanimé ?
Il était la couleur sensible du silence
Et le prolongement des tours grises dans l’air.
Ce ciel de demi-deuil immuable avait l’air
D’un veuvage qui ne veut pas même une rose
Et dont le crêpe obscur sans cesse s’interpose
Entre la joie humaine et son chagrin sans fin.
Ah ! ces ciels gris, couleur d’une cloche qui tinte,
Dont maintenant et pour toujours ma vie est teinte !
– Et, pour moudre ces ciels, tournait quelque moulin !
Les Vies encloses
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misty Bruges – photo Patrick Gysen
Le brouillard indolent de l’automne est épars…
Le brouillard indolent de l’automne est épars…
Il flotte entre les tours comme l’encens qui rêve
Et s’attarde après la grand-messe dans les nefs;
Et il dort comme un linge sur les remparts.
Il se déplie et se replie. Et c’est une aile
Aux mouvements imperceptibles et sans fin;
Tout s’estompe; tout prend un air un peu divin;
Et, sous ces frôlements pâles, tout se nivelle.
Tout est gris, tout revêt la couleur de la brume :
Le ciel, les vieux pignons, les eaux, les peupliers,
Que la brume aisément a réconciliés
Comme tout ce qui est déjà presque posthume.
Brouillard vainqueur qui, sur le fond pâle de l’air,
A même délayé les tours accoutumées
Dont l’élancement gris s’efface et n’a plus l’air
Qu’un songe de géométrie et de fumées.
le Miroir du ciel natal
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Une surtout, la plus triste des villes grises…
Une surtout, la plus triste des villes grises,
Murmure dans l’absence :« Ah ! mon âme se brise ! »
Murmure avec sa voix d’agonie :« aimez-moi ! »
Et je réponds : »J’ai peur de l’ombre du beffroi,
J’ai peur de l’ombre encor de la tour sur ma vie
Où le cadran est un soleil qu’on crucifie. »
La voix reprend avec tendresse, avec émoi :
« Revenez-moi ! Aimez mes cloches ! Aimez-moi ! »
Et je réplique :« Non ! les cloches que j’écoute
Sont les gouttes d’un goupillon pour une absoute ! »
La voix s’obstine, encor plus tendre :« Aime mes eaux !
Remets ta bouche à la flûte de mes roseaux ! »
Mais je réponds :« Non ! les roseaux dont l’eau s’encombre
Sont des flûtes de mort où ne chante que l’ombre ! »
le Miroir du ciel natal
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Plus qu’ailleurs on y songe au vide de la vie…
Plus qu’ailleurs on y songe au vide de la vie,
A l’inutilité de l’effort qui nous leurre;
Rien par quoi la tristesse un peu se lénifie
Et rien pour désaffliger l’heure !
Toujours les quais connus, les mêmes paysages,
Les vieux canaux pensifs qu’un cygne en deuil affleure;
Sans jamais d’imprévu ni de nouveaux visages
Donnant une autre voix à l’heure !
Et toujours, avec des langueurs équivalentes
A celles de la pluie automnale qui pleure,
Quelque moulin, vers la banlieue, aux ailes lentes,
Qui tourne et semble moudre l’heure !
le Miroir du ciel natal
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Bruges, 1990 – photo Marc Cytera
C’est là qu’il faut aller quand on se sent dépris…
C’est là qu’il faut aller quand on se sent dépris
De la vie et de tout et même de soi-même;
Ville morte où chacun est seul, où tout est gris,
Triste comme une tombe avec des chrysanthèmes.
C’est là qu’il faut aller se guérir de la vie
Et faire enfin le doux geste dont on renonce;
Il en émane on ne sait quoi qui pacifie;
Quel beau cygne est entré dans l’âme qui se fonce ?
On souffrait dans son âme, on souffrait dans sa chair;
Mais il advient qu’un peu de joie encore pleuve
Avec le carillon intermittent dans l’air…
C’est là qu’il faut aller quand on a l’âme veuve !
le Miroir du ciel natal
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La ville est morte, morte, irréparablement…
La ville est morte, morte, irréparablement !
D’une lente anémie et d’un secret tourment,
Est morte jour à jour de l’ennui d’être seule…
Petite ville éteinte et de l’autre temps qui
Conserve on ne sait quoi de vierge et d’alangui
Et semble encor dormir tandis qu’on l’enlinceule;
Car voici qu’à présent, pour embaumer sa mort,
Les canaux, pareils à des étoffes tramées
Dont les points d’or du gaz ont faufilé le bord,
Et le frêle tissu des flottantes fumées
S’enroulent en formant des bandelettes d’eau
Et de brouillard, autour de la pâle endormie
– Tel le cadavre emmailloté d’une momie –
Et la lune à son front ajoute un clair bandeau !
Le Règne du silence.
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Fernand Khnopff – canal à Bruges
O ville d’exemplaire et stricte piété…
O ville d’exemplaire et stricte piété !
Les sombres maisons
– Même dans leurs vitres rien ne s’azure –
Ont l’air d’une communauté
En oraison,
A genoux dans l’eau qui se moire;
Et les reflets des murs sont des cassures
De robe noire…
Les canaux vont se prolongeant comme des nefs.
Les maisons restent prosternées,
Ville entrée en religion;
Pour quels chagrins ou quels griefs ?
Pour avoir vu mourir quels rayons
Ou se rompre quel hyménée ?
Pour avoir subi quel déclin,
Quelle chute du haut de la gloire,
Pour être veuve avec quels orphelins,
Pour s’être vue en deuil dans quels miroirs ?
Ah ! comme le destin est rapide à changer,
Ruine immédiate et déjà quotidienne
Qui lui fit tout de suite, en ce temps-là, songer :
« Est-il une douleur comparable à la mienne ? »
O mélancoliques maisons,
Maintenant sans mémoire,
Qui ont cessé de regarder les horizons !
Naguère elles étaient des reines,
Avec un luxe en fleur de pierres ciselées;
Voici qu’elles ont
Des robes noires,
Choeur de béguines en neuvaines
Pour on ne sait quel Jubilé…
La ville entière a pris le voile,
Priant dans les nefs des canaux;
Et, pour l’oubli de ses misères
(En les touchant des doigts dans l’eau),
Elle égrène une à une les étoiles
Comme les grains intermittents d’un grand rosaire.
Le Règne du silence.
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Pour lire d’autres poèmes de Georges Rodenbach sur Bruges et la Flandre, c’est ICI.
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–––– poèmes de Dante Gabriel Rossetti (1828-1882) –––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––
Dante Gabriel Rossetti
Antwerp and Bruges
I climbed the stair in Antwerp church,
What time the circling thews of sound
At sunset seem to heave it round.
Far up, the carillon did search
The wind, and the birds came to perch
Far under, where the gables wound.
In Antwerp harbour on the Scheldt
I stood along, a certain space
Of night. The mist was near my face;
Deep on, the flow was heard and felt.
The carillon kept pause, and dwelt
In music through the silent place.
John Memmeling and John van Eyck
Hold state at Bruges. In sore shame
I scanned the works that keep their name.
The carillon, which then did strike
Mine ears, was heard of theirs alike:
It set me closer unto them.
I climbed at Bruges all the flight
The belfry has of ancient stone.
For leagues I saw the east wind blown;
The earth was grey, the sky was white.
I stood so near upon the height
That my flesh felt the carillon.
Dante Gabriel Rossetti
On Leaving Bruges En quittant Bruges
The city’s steeple-towers remove away, Les clochers de la cité s’effacent
Each singly; as each vain infatuate Faith Un à un ; comme la Foi vaine du Fidèle
Leaves God in heaven, and passes. A mere breath Laisse Dieu au Ciel et passe. Chacun semble
Each soon appears, so far. Yet that which lay Un souffle, au loin. Le premier qui se dérobe
The first is now scarce further or more grey Est à peine plus lointain, plus estompé
Than the last is. Now all are wholly gone. Que le dernier. Tous ont maintenant disparu.
The sunless sky has not once had the sun Dans le ciel embrumé le soleil n’a paru
Since the first weak beginning of the day. Depuis que le jour s’est timidement levé.
The air falls back as the wind finishes, L’air s’alourdit tandis que le vent tombe
And the clouds stagnate. On the water’s face Sur les nuages inertes. A la surface des eaux,
The current breathes along, but is not stirred. Les vagues frémissent sans tourbillonner.
There is no branch that thrills with any bird. Nulle branche ne vibre d’aucun oiseau.
Winter is to possess the earth a space, L’hiver, c’est la terre possédant un espace
And have its will upon the extreme seas. Et dictant sa loi aux mers déchaînées.
Dante Gabriel Rossetti (Ballads & Sonnets, 1891) traduction de C. Bratzlavsky
–––– poème de Stéphane Mallarmé (1842-1898) ––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––
Remémoration d’amis belges
A des heures et sans que tel souffle l’émeuve
Toute la vétusté presque couleur encens
Comme furtive d’elle et visible je sens
Que se dévêt pli selon pli la pierre veuve
Flotte ou semble par soi n’apporter une preuve
Sinon d’épandre pour baume antique le temps
Nous immémoriaux quelques-uns si contents
Sur la soudaineté de notre amitié neuve
O très chers rencontrés en le jamais banal
Bruges multipliant l’aube au défunt canal
Avec la promenade éparse de maint cygne
Quand solennellement cette cité m’apprit
Lesquels entre ses fils un autre vol désigne
A prompte irradier ainsi qu’aile l’esprit
Excelsior, juillet 1893 – éd. Y.-A. Favre
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Les circonstances de la rédaction du poème
Mallarmé s’était rendu en 1890 à Bruges à l’invitation des poètes belges du cercle Excelsior de la ville pour donner une conférence sur Villiers de l’Isle-Adam. L’universitaire Bertrand Marchal, auteur de nombreuses études sur Mallarmé décrit ainsi le début du poème : « Les quatrains convoquent deux images, celle de la brume et celle de l’encens pour rendre visible la vétusté de la cité. Cette brume de temps dont la ville émerge comme une veuve écartant ses voiles de deuil semble […] donner une caution à une amitié neuve ». Les tercets évoquent une aube naissante sur un canal encore sombre (« défunt »), dont la lueur est comme démultipliée par la présence de cygnes, cette aube renvoie au déploiement de la poésie elle-même, telle que portée par les poètes belges amis.
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––– texte de Joris-Karl Huysmans (1848-1907) ––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––
[Bruges] se prête une allure douce et avenante, oui, mais parcourez-la dans tous ses sens ; au bout d’une heure de marche, vous vous apercevrez que ses rues vous leurrent : vous êtes parti de tel point et vous y voilà revenu ; en somme, vous avez tourné avec elle; elle est bâtie en ressort de montre, en spirale, et constamment elle vous ramène là où elle peut se faire valoir, à ses musées, à ses églises ; elle est cachotière, telle qu’une dévote ; cependant, si l’on y songe, il serait inéquitable de lui reprocher sa double face, car elle subit la loi commune, les extrêmes s’avoisinent et toujours, là où le Seigneur est maître, Satan se glisse.(…) L’on peut dire qu’elle est à la fois mystique et démoniaque, puérile et grave. Mystique par sa réelle piété, par ses musées uniques au point de vue de l’art, par ses nombreux couvents et par son béguinage ; – démoniaque, par sa confrérie secrète de possédés; – puérile, par son goût pour les insupportables verroteries et carillons, – et grave, par l’allure même de ses canaux et de ses places, de ses beffrois et de ses rues.
Mais ce qui domine, en somme, c’est la note mystique ; et elle est comme une ville délicieuse parce qu’elle est dénuée de commerce et que, par conséquent, ses chapelles sont vivantes et que ses rues sont mortes. – «Bruges», dans De Tout, 1902.
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–––– Poèmes d’Emile Verhaeren (1855-1916) ––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––
Emile Verhaeren est né à Saint-Amand, un petit village sur l’Escaut le 21 mai 1855 dans une famille de commerçants aisés francophone mais avec ses camarades de classe et les habitants de Saint-Amand, il utilisera le dialecte local. Son adolescence se passera dans un internat réputé dirigé de main de fer par les Jésuites dans la ville de Gand, le collège Sainte-Barbe. C’est là qu’il achèvera l’apprentissage du français. Ayant choisi d’étudier le droit à l’université de Louvain, il se découvre une âme de poète, participe à plusieurs initiatives littéraires et publie ses premiers textes et poèmes. Les étudiants épris de littérature qu’il côtoie alors seront les futurs animateurs de la revue « La Jeune Belgique ». Après l’obtention de son doctorat en droit, Verhaeren travaille un moment chez un célèbre avocat bruxellois, Edmond Picard, qui tient chaque semaine un salon couru par les l’avant-garde artistique et politique belge des années 1880-1890. C’est à cet occasion que Verhaeren décidera de se consacrer à l’écriture. Il travaillera dans un premier temps comme critique d’art et de littérature pour plusieurs revues belges et étrangères, deviendra rédacteur de la « Jeune Belgique » et de « L’Art Moderne » .
En 1883, il publie son premier recueil, Les Flamandes qui évoque les mœurs anciennes de la Flandre et de ses habitants en s’inspirant des tableaux des grands maîtres flamands. L’expression naturaliste du texte joint à la crudité des esquisses souvent empreintes d’une forte sensualité est plébiscitée par l’avant-garde mais fait scandale dans le milieu catholique traditionnel. Son second recueil, Les Moines (1886) reçoit également un accueil mitigé. La période qui s’ensuit est faite de doute et de crise morale et imprimera une tonalité pessimiste sur les ouvrages qu’il écrira alors : Les Soirs, (1888), Les Débâcles (1888) et Les Flambeaux noirs (1891).
La période qui suit sera au contraire une période d’exaltation. Verhaeren est tombé amoureux d’une jeune artiste, amie de sa sœur, Marthe Massin. Son amour est partagé et le couple se marie en1891, coulant des jours heureux à Bruxelles. Trois essais du poète célébreront l’amour conjugal : Les Heures claires (1896), Les Heures d’Après-midi (1905) et Les Heures du Soir (1911). En même temps Verhaeren s’implique dans le combat contre l’inégalité sociale et le déséquilibre induit par la révolution industrielle avec en particulier le déclin des régions rurales. Ces thèmes seront traités dans quatre ouvrages : Les Campagnes Hallucinées (1893), Les Villes Tentaculaires (1895), Les Villages Illusoires (1895) et dans sa première pièce de théâtre, Les Aubes (1898).
En 1898, Verhaeren quitte Bruxelles et se fixe définitivement à Saint-Cloud, près de Paris. La capitale française est à cette époque pour un écrivain francophone le passage obligé pour acquérir la reconnaissance littéraire. Cette reconnaissance lui sera accordée et sa réputation devient mondiale. En 1911, il rate de peu le prix Nobel de Littérature, qui est attribué à son ami Maurice Maeterlinck.
Lorsque la Première Guerre mondiale éclate, il adopte une attitude profondément pacifiste mais également anti-allemande en publiant des libelles et se produisant dans des conférences. C’est en revenant de l’une de ces conférences qu’il connaîtra une mort stupide le 27 novembre 1916 à Rouen en tentant de monter dans le train pour Paris alors en marche. Il avait 61 ans.
°°°
Texte de Verhaeren au sujet de Rodenbach et de son roman Bruges-la-Morte…
« J’entendais dire : Bruges-la-Morte n’est point le vrai Bruges que les voyageurs rencontrent en débarquant là-bas.
On ne peut, me semble-t-il, blâmer Rodenbach de n’être point photographe à la manière de Joanne et de Baedeker. Si la réalité brutale diffère de la réalité artistique, tant mieux !…
Bruges fut chantée par Rodenbach parce que, parmi toutes les villes de la terre, il la croyait le mieux d’accord avec sa mélancolie. Il lui importait peu d’être exact, il lui importait beaucoup d’être ému. Son livre est une peinture attendrie et pieuse. Des églises, des places, des palais, des canaux, des quais, des étangs, des ponts de Bruges, il avait la nostalgie, il la communiqua au public. (…)
L’histoire d’amour qu’il y développa ne sert que de prétexte à lui rappeler la douce & impérieuse domination du silence, le repos des choses calmantes & vieilles, la vie apaisée & ouatée des béguinages. Bruges est, comme il le dit lui-même, le principal personnage du livre, & rien n’explique mieux le roman & rien ne renseigne mieux sur le poète lui-même.
Étudiée sous cet angle, l’œuvre de Georges Rodenbach apparaît essentiellement subjective. Elle a toutes les qualités du rêve personnel que fait un bel & probe artiste durant son existence. Les génies subjectifs recréent le monde entier à leur image ; les talents subjectifs y découvrent, çà & là, d’inattendus aspects.
Dans Bruges-la-Morte […], on conserve, après lecture, le souvenir d’une Flandre nouvelle, d’une Flandre belle & triste comme un reliquaire, d’une Flandre sur laquelle volaient, comme une nuée d’anges blancs, les esprits de Memling, de Van der Weyden, de Juste de Gand & de Pierre Christus.
Au XVe siècle, cette Flandre vivait de toute son âme, Georges Rodenbach en a recueilli, en notre temps, le dernier soupir. Et la voici morte, à côté de celle qui vit toujours, & de siècle en siècle ressuscite, je veux dire la Flandre de Van Eyck, de Rubens, de Jordaens, de Leys, de Louis Artan & de Constantin Meunier […] » – Emile Verhaeren, Revue encyclopédique, 28 janvier 1899.
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Bruges et ses clochers…
Bruges et ses clochers de pierre
Et Saint-Sauveur et Notre-Dame
Montent, tels des géants, dans l’air.
Mais le plus haut, mais le plus clair,
Celui dont le cadran de flamme,
Comme un soleil luit sur les toits
C’est le beffroi;
Il regarde jusqu’à la mer.
Jour de juin – ciel tranquille.
Toute la ville
N’est que clartés et que rayons:
Les lucarnes de ses pignons
Comme des morceaux d’or scintillent
De Heyst et de Wendune,
On l’aperçoit, du haut des dunes,
Régner sur l’horizon flamand:
Ses tours, l’autre après l’une,
Comme des blocs de diamant,
Sortent de l’ardente poussière
Que lui fait la trop forte et torride lumière.
Elle apparaît ainsi, comme enflammée
Dans l’atmosphère ardente,
Ses toits pliés semblent des tentes
D’une poudreuse et fulgurante armée;
Quand ses cloches et ses bourdons fidèles
Sonnent et sonnent,
Toute la campagne est vibrante d’elle;
Et les chemins et les sentiers des horizons,
Au bruit tonnant des sons profonds,
Et les routes des hameaux
Et des plages et des villages,
Et les eaux même des canaux
Semblent marcher d’accord,
A travers le pays qu’elle s’adjuge,
Vers cette gloire en cendre et or :
Bruges!
Émile Verhaeren, Toute la Flandre
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Un soir
La brume est fauve et nul espoir n’a flamboyé ;
La brume en drapeaux morts pend sur la cité morte ;
Quelque chose s’en va du ciel que l’on emporte
On ne sait où, là-bas, comme un soleil noyé.
Des tours, immensément des tours, avec des glas
Pour ceux du lendemain qui s’en iront en terre,
Lèvent leur vieux grand deuil de granit solitaire
Tragiquement, sur le troupeau des pignons bas.
Émile Verhaeren, Les Apparus dans mes chemins, 1891
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L’ancienne gloire
Dans le silence et la grandeur des cathédrales,
La cité, riche avait jadis, dressé vers Dieu
De merveilleux autels,, tordus comme des feux
Cuivres, bronzes, argents, cartels, rinceaux, spirales.
Les chefs vainqueurs et leurs soldats
Y suspendaient les vieux drapeaux de guerre ;
Et les autels décorés d’or,
Aux yeux de ceux qui sortaient des combats,
Apparaissaient alors
Comme un arrière immense de galère.
D’entre les hauts piliers, jaillissaient les buccins ;
Des archanges farouches
Y appuyaient leur bouche
Et dans un gonflement de la gorge et des seins
Sonnaient vers les vents de la Gloire
La vie ardente et la victoire.
Sur les marbres des escaliers,
Les bras géants des chandeliers
Dressaient leurs cires enflammées.
Les encensoirs volaient dans les fumées ;
Les ex-votos luisaient comme un fourmillement
D’yeux et de coeurs, dans l’ombre ;
L’orgue, ainsi qu’une marée, immensément
Grondait ; des rafales de voix sans nombre
Sortaient du temple et résonnaient jusqu’au beffroi
Et le prêtre vêtu d’orfroi
Au milieu des pennons brandis et des bombardes,
Levait l’épée et lentement traçait avec la garde
Sur le front des héros, le signe de la croix.
Oh ! ces autels pareils à des brasiers sculptés,
Avec leur flore énorme et leurs feux tourmentés ;
Massifs et violents, exorbitants et fous,
Ils demeurent encor, parmi les villes mortes.
Debout
Alors qu’on n’entend plus les chefs et leurs escortes
Sabres, clairons, soleils, lances, drapeaux, tambours,
Rentrer par les remparts et passer les faubourgs
Et revenir, comme autrefois, au coeur des places,
Planter leur étendard dont s’exalta l’espace.
La gloire est loin et son miracle :
Les Archanges qui couronnent le tabernacle,
Comme autant d’énormes Renommées,
Ne sonnent plus pour les armées.
Avec prudence, on a réfugié
L’emblématique et colossal lion,
Dans le blason de la cité ;
Et, vers midi, le carillon,
Avec ses notes lasses
Ne laisse plus danser
Sur la grand’place
Et s’épuiser,
Qu’un petit air estropié.
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Pauvres vieilles cités
Pauvres vieilles cités par les plaines perdues,
Dites de quel grand plan de gloire,
Vers la vie humble et dérisoire,
Toutes, vous voilà descendues.
Vous ne comprenez plus vos hauts beffrois en deuil,
Ni ce que disent aux nuées
Tant de pierres destituées
De leur ancien et bel orgueil,
Vos carrefours, vos grand’places et votre port,
Tout est muet et léthargique ;
Tout semble aller à pas logiques
Vers l’horizon, où luit la mort.
Seule, quand le marché aligne au jour levé,
Sur le trottoir, ses éventaires,
Un peu de vie hebdomadaire
Se cabre aux joints de vos pavés.
Ou bien, quand la kermesse et ses cortèges d’or
Mènent leur ronde autour des rues,
L’émoi des foules accourues
Vous fait revivre une heure encor.
Vos moeurs sont pareilles à vos petits jardins :
Buissons corrects, calmes verdures,
Mais une odeur de moisissure
Séjourne en leurs recoins malsains.
Vos gestes sont prudents, mesquins et routiniers,
Vous ne penchez sur vos négoces
Que des yeux mornes ou féroces,
Qui ne comptent que par deniers.
Vos cerveaux sans révolte et vos coeurs sans fierté
Se complaisent aux moindres choses,
Et de pauvres apothéoses
Font tressaillir vos vanités.
Vous ne produisez plus ni communiers ni gueux
Et vivez à la dérobée
Des miettes d’ombre et d’or tombées
Du festin rouge des aïeux.
Pourtant, si triste et long que soit votre déclin,
Notre rêve ne veut pas croire
Que plus jamais la belle gloire
Ne bondira de vos tremplins.
Vous vous armez encore de trop d’entêtement,
Damme, Courtrai, Ypres, Termonde,
Pour n’être plus au vent du monde
Que des tombeaux d’orgueil flamand.
Et n’avoir plus aucun remords, aucun sursaut
En ces heures de somnolence
Où le visage du silence
Se mire seul dans vos canaux.
Emile Verhaeren, Toute la Flandre
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Bruges
Les bras des longs canaux que le couchant fait d’or
Serrent près du beffroi, comme autour d’un refuge,
Toute la gloire ancienne et dolente de Bruges,
La ville est fière, et douce, et grande par la mort.
Mais néanmoins, toujours, monte vers la lumière
Le rectiligne élan de sa beauté guerrière,
Et son bourdon réveille un trop vivant écho
Pour éternellement pleurer sur son tombeau.
Emile Verhaeren : Toute la Flandre, t. I., («La guirlande des dunes», Paris, 1907.)
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–– texte de Franz Hellens (1881-1972), l’auteur de « En ville morte » (Gand) sur Rodenbach et « Bruges-la-Morte » ––
Frans Hellens (1881-1972) par Amedeo Modigliani
« Rodenbach semble avoir fixé définitivement aux yeux des étrangers la physionomie de Bruges, en la qualifiant de « morte ». Il y a beaucoup de romantisme dans son portrait, beaucoup de fausseté. Bruges n’a que faire de ce sentimentalisme exacerbé. » – Franz Hellens, L’Esprit des villes flamandes.
°°°
–––– poème de Reiner Maria Rilke (1875-1926) ––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––
Reiner Maria Rilke
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Quai du Rosaire à Bruges
Les rues s’en vont d’un pas prudent ;
(ainsi, parfois, convalescents,
des hommes, marchant, se demandent:
qu’y avait-il autrefois ici?)
Celles qui s’ouvrent sur des places
longtemps attendent qu’une autre rue
franchisse d’un élan l’eau claire
du soir où, plus les choses se modèrent,
plus réel deviendra ce monde inclus
de mirages plus vrais qu’aucun de ces espaces.
Depuis longtemps la ville est-elle évanouie?
Cependant la voici, (docile à quelle loi?)
dans l’image à rebours se réveiller, lucide,
comme si la vie était moins rare là-bas.
Les jardins renversés sont là, entiers et vrais,
et là, soudain, tournoie à la clarté rapide
des fenêtres la danse des estaminets.
Que reste-t-il en haut? Seul le silence:
il goûte lentement, grain après grain
– car rien ne presse, – le doux raisin
du carillon qui dans les cieux se balance.
Nouvelles Poésies [1905-1908])– trad. Maurice Betz.
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––– Texte d’Henri Miller (1891-1980) –––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––
Après trois jours et trois nuits, je ne sais encore si je rêve ou si je suis bien éveillé. Si c’est dans une ville morte que je me promène, alors j’ai un avant-goût de la vie d’outre-tombe.
Mais je ne suis pas mort, comme rien n’est d’ailleurs mort, même pas le passé. Ce que je ressens, c’est la simultanéité – • passé, présent et avenir se mêlant et se réfléchissant devant mes yeux comme des miroirs irisés. Je suis sorti du labyrinthe stérile et rectiligne de la ville américaine, échiquier du progrès et de l’ajournement. [151] J’erre dans un rêve plus réel, plus tangible que le cauchemar mugissant et climatisé que les Américains prennent pour la vie.
En me promenant dans les rues de Bruges, je pense souvent à mon pays natal. Je me demande combien de temps sa course folle va continuer. Je m’interroge sur «la fin», car cette folie doit avoir une fin, tout comme Babylone et Ninive.
(…)
Je sais que je ne suis pas mort, et que je ne rêve pas.
Les cloches, le carillon, le cri des marchands ambulants, le rire sonore des enfants flamands évoquent un monde dont je fus brutalement arraché, un monde qui me réclame toujours.
Ce monde qui fut si familier, si réel, si vivant, il me semblait l’avoir perdu depuis des siècles. Maintenant, ici, à Bruges, je me rends compte une fois de plus que rien n’est jamais perdu, pas même un soupir. Nous ne vivons pas au milieu de ruines, mais au coeur même de l’éternité.
Nous écrivons Le Livre des mutations* dans la langue indélébile de l’esprit. Nos bibles sont faites de pierre, de parchemin, de sang.
Le miracle et le mystère de Bruges, je m’en rends compte maintenant, résident dans le lien jamais rompu, la correspondance mélodieuse entre l’âme et la matière.
Le théâtre de la vie n’est ni le champ de bataille, ni l’usine, ni la place du marché, ni le musée, ni l’église. Si nous voulons un monde humain, il nous faudra apprendre la leçon que nous donne la vie et consentir. Vérité et certitude engloutissent toutes les contradictions et les anomalies de l’existence. Ce qui est sacré restera sacré ; ce qui est durable ne peut être détruit. – Henri Miller : Impressions of Bruges, 1953. (traduction de C. Berg).
* Corpus de divination de la Chine antique.
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––– Texte de Michel de Ghelderode (1898-1962) ––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––
Michel de Ghelderode
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Hans Memling, Triptyque Moreel, 1484, Musée Groeninge, Bruges
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[Bruges] est, en fait, la plus pathétique cité mémoriale du continent, dans cette lumière du septentrion qui valorise le toc même et verse une inexprimable euphorie, voire l’oubli des tristes démocraties.
Oui, Bruges possède ce don hypnotique et dispense de singulières absences. Quand on revient à soi, on est chez Memling: le panneau sent l’huile, vient d’être achevé. Il y a en Bruges quelque chose qui finit dans quelque chose qui commence: le Songe. On le flaire: il tient en odeurs et parfums; parfums de mort, odeurs de sainteté. La Mort, ce qui s’effrite et se défait en plein soleil, on la ressent, avec une puissante désolation, à Damme dans les sables, où l’on cherche les vagues et les carènes – La Flandre est un songe, 1953.
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––– Poème de Maurice Carême (1899-1978) ––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––
Glissez, glissez sans heurt, mes cygnes,
Avec des lenteurs de béguines.
Ici rien ne luit, ne s’agrège.
Les quais mêmes semblent de neige.
Dans l’ombre verdâtre des ruines,
La mort montre à nu ses racines.
On entend le pas du silence
Longer une muraille blanche,
Un pas qui sourdement ricoche
Et jamais, jamais ne s’approche.
Pourtant, au loin, des cloches sonnent…
Mais il ne vient jamais personne.
Bruges. 1963
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––– Texte de Marguerite Yourcenar (1903-1987) ––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––
Marguerite Yourcenar
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Beffroi de Bruges : le tambour en cuivre qui
commande les carillons – photo Enki
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Naguère encore, en retrouvant son chemin dans le lacis des venelles de Bruges, [Zenon] avait cru que cette halte à l’écart des grandes routes de l’ambition et du savoir lui procurerait quelque repos après les agitations de trente-cinq ans. Il comptait éprouver l’inquiète sécurité d’un animal rassuré par l’étroitesse et l’obscurité du gîte où il a choisi de vivre. Il s’était trompé. Cette existence immobile bouillonnait sur place; le sentiment d’une activité presque terrible grondait comme une rivière souterraine. L’angoisse qui l’étreignait était autre que celle d’un philosophe persécuté pour ses livres. Le temps, qu’il avait imaginé devoir peser entre ses mains comme un lingot de plomb, fuyait et se subdivisait comme les grains du mercure. Les heures, les jours et les mois, avaient cessé de s’accorder aux signes des horloges, et même au mouvement des astres. Il lui semblait parfois être resté toute sa vie à Bruges, et parfois y être entré de la veille. (…)
Ce Zenon qui marchait d’un pas précipité sur le pavé gras de Bruges sentait passer à travers lui, comme à travers ses vêtements usés, le vent venu du large, le flot des milliers d’êtres qui s’étaient déjà tenus sur ce point de la sphère, ou y viendraient jusqu’à cette catastrophe que nous appelons la fin du monde ; ces fantômes traversaient sans le voir le corps de cet homme qui de leur vivant n’était pas encore, ou lorsqu’ils seraient n’existerait plus. Les quidams rencontrés l’instant plus tôt dans la rue, perçus d’un coup d’oeil, puis rejetés aussitôt dans la masse informe de ce qui est passé, grossissaient incessamment cette bande de larves. Le temps, le lieu, la substance perdaient ces attributs qui sont pour nous leurs frontières; la forme n’était plus que l’écorce déchiquetée de la substance; la substance s’égouttait dans un vide qui n’était pas son contraire ; le temps et l’éternité n’étaient qu’une même chose, comme une eau noire qui coule dans une immuable nappe d’eau noire. Zenon s’abîmait dans ces visions comme un chrétien dans une. méditation sur Dieu – L’Œuvre au noir, 1968. – Éditions Gallimard, Paris.
°°°
–––– article du site « Encyclopédie sur la mort » sur le roman Bruges-la-Morte ––––––––––
Extrait du texte de Christian Berg sur Bruges-la-Morte (1986)
«Gaston Bachelard parlera d’une ophélisation d’une ville entière à propos du roman de Georges Rodenbach Bruges-la-Morte. L’auteur a choisi de projeter ses états d’âme sur Bruges car Bruges, selon lui, est le prototype même de la ville morte, jadis si brillante, mais qui connaît une fin de vie abandonnée. Elle est donc à l’image du héros : elle est demi-fantôme et survit par une illusion : seuls demeurent ses monuments pour attester de son antique richesse, comme demeure seule pour Hugues Viane les cheveux de la morte. Cette idée de la Ville-Narcisse va être soulignée par le jeu de reflets que Rodenbach met en place tout au long du récit. Il n’est pas non plus innocent d’avoir choisi une ville d’eau. L’auteur va jouer sur les valeurs métaphoriques de la noyade, du naufrage et du côté mortifère de ces eaux croupies. Thèmes mélancoliques propres au symbolisme. Gaston Bachelard analyse ce qu’il appelle le complexe d’Ophélie*, il constate que, même s’ils n’ont rien de réaliste, certains éléments sont indissociablement liés, dans l’imaginaire, au mythe d’Ophélie : elle est toujours représentée au clair de Lune, avec des fleurs, sa chevelure et sa robe étalées autour d’elle, flottant sur l’onde, paisible, semblant plus endormie que morte.»
Ce que Gaston Bachelard a appelé l’«ophélisation de l’eau» dans Bruges-la Morte, recouvre en fait un processus beaucoup plus complexe qui relie non seulement l’eau à la mort, mais qui transforme aussi peu à peu l’épouse morte en mère terrible qui invite le fils perdu à partager sa tombe d’eau et de vase. Viane est possédé par la hantise de s’«enliser» ou de «s’ensabler» (ch.VI) ; il «marche» littéralement «dans la mort» (ch.XI). Par le biais du culte marial, la sacralisation progressive de l’épouse disparue mène à l’identification de celle-ci avec le corps interdit, le corps de pierre intangible de la Mère. Celui-ci est d’abord figuré par le gisant de Marie de Bourgogne, «tout rigide sur l’entablement du sarcophage» (ch.II) à côté duquel Hugues rêve de «s’allonger». Mais terreur et fascination augmentent lorsque le corps de pierre grandit au point de s’investir dans les murs d’une ville entière. C’est alors que la montée hypnagogique s’accélère, et que les efforts déployés par Viane afin de «masquer» la morte par la vivante s’avèrent vraiment dérisoires, même s’ils ont permis au veuf de retrouver un instant la joie de vivre, d’oublier son effroi, de conjurer sa peur, d’imposer silence à la voix de bronze qui continue pourtant à l’appeler.»
Pour lire le texte en entier, c’est ICI > Christian Berg. « Bruges-la-Morte » de G. Rodenbach (Lecture)
Dans l’atmosphère muette des eaux et des rues inanimées, Hugues avait moins senti la souffrance de son coeur, il avait pensé plus doucement à la morte. Il l’avait mieux revue, mieux entendue; retrouvant au fil des canaux son visage d’Ophélie en allée, écoutant sa voix dans la chanson grêle et lointaine des carillons.
La ville, elle aussi, aimée et belle jadis, incarnait de la sorte ses regrets. Et sa morte était Bruges. Tout s’unifiait en une destinée pareille. C’était Bruges-la-Morte, elle-même mise au tombeau de ses quais de pierre, avec les artères froides de ses canaux, quand avait cessé d’y battre la grande pulsation de la mer.
Ce soir-là, plus que jamais, tandis qu’il cheminait au hasard, le noir souvenir le hanta, l’émergea de dessous les ponts où pleurent les visages de sources invisibles. Une impression mortuaire émanait des logis clos, des vitres comme des yeux brouillés d’agonie, des pignons calquant dans l’eau des escaliers de crêpe. Il longea le Quai Vert, le Quai du Miroir, s’éloigna vers le Pont du Moulin, les banlieues tristes bordées de peupliers. Et partout, sur sa tête, l’égouttement froid, les petites notes salées des cloches de paroisse, projetées comme d’un goupillon pour quelque absoute.
Dans cette solitude du soir et de l’automne, où le vent balayait les dernières feuilles, il éprouva plus que jamais le désir d’avoir fini sa vie et l’impatience du tombeau. Il semblait qu’une ombre s’allongeât des tours sur son âme; qu’un conseil vînt des vieux murs jusqu’à lui; qu’une voix chuchotante montât de l’eau – l’eau s’en venant au-devant de lui, comme elle vint au-devant d’Ophélie, ainsi que le racontent les fossoyeurs de Shakespeare*.
[…]
Hugues garda de cette rencontre un grand trouble. Maintenant, quand il songeait à sa femme, c’était l’inconnue de l’autre soir qu’il revoyait; elle était son souvenir vivant, précisé. Elle lui apparaissait comme la morte plus ressemblante.
Lorsqu’il allait, en de muettes dévotions, baiser la relique de la chevelure conservée ou s’attendrir devant quelque portrait, ce n’est plus avec la morte qu’il confrontait l’image, mais avec la vivante qui lui ressemblait. Mystérieuse identification de deux visages. Ç’avait été comme une pitié du sort offrant des points de repère à sa mémoire, se mettant de connivence avec lui contre l’oubli, substituant une estampe fraîche à celle qui pâlissait, déjà jaunie et piquée par le temps.
[…]
Hugues, les jours suivants, se trouva tout hanté. Donc une femme existait, absolument pareille à celle qu’il avait perdue. Pour l’avoir vue passer, il avait fait, une minute, le rêve cruel que celle-ci allait revenir, était revenue et s’avançait vers lui, comme naguère. Les mêmes cheveux – toute semblable et adéquate. Caprice bizarre de la Nature et de la Destinée!
[…]
Hugues se trouva sans force, tout l’être attiré, entraîné dans le sillage de cette apparition. La morte était là devant lui; elle cheminait; elle s’en allait. Il fallait marcher derrière elle, s’approcher, la regarder, boire ses yeux retrouvés, rallumer sa vie à ses cheveux qui étaient de la lumière. Il fallait la suivre, sans discuter, simplement, jusqu’au bout de la ville et jusqu’au bout du monde.
Il n’avait pas raisonné; mais, machinalement, s’était remis à marcher derrière elle, tout près cette fois, avec la peur haletante de la perdre encore, à travers cette vieille ville aux rues en circuits et en méandres.
Certes, il n’avait pas songé une minute à cette action anormale de sa part: suivre une femme. Eh non! c’est sa femme qu’il suivait, qu’il accompagnait dans cette crépusculaire promenade et qu’il allait reconduire jusqu’à son tombeau.
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et d’autres sites sur INTERNET :
- Bruges-la-Morte | Bruges-la-Morte : un conte initiatique par Joël Goffin.
- bruges-la-morte.net/wp-content/uploads/Esoterisme_symbolisme_belge.pdf par Sébastien Clerbois (Ed. Pandora, Braschaat)
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