Photographie : le New-York des années 1890-1917, du pictorialisme à la photo-sécession et à l’autonomie

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Alfred Stieglitz (1864-1946)Alfred Stieglitz (1864-1946) et le mouvement de la photo-Secession

    Alfred Stieglitz a étudié la photographie en 1883 à Berlin. De ses photographies, on retiendra les très beaux clichés de New York sous la neige ou dans la brume présentées ci-après comme Winter Fifth avenueThe Flat iron (1902) ou Spring showers (1902) sur laquelle un arbre isolé et penché se détache avec précision sur un paysage flou, ou bien encore Horses (1904). De Paul Strand on retiendra le portrait saisissant d’une femme aveugle Blind(1916), de Gertrude KäsebieSpring, ou d’Edward Steichen The Flat iron(1909), une sublime épreuve à la gomme bichromatée bleu-vert qui confère au cliché la charge poétique d’un tableau impressionniste.

James Whistler; Nocturne in gray and gold — Piccadilly 1881James Whistler – Nocturne in gray and gold — Piccadilly 1881

   Ce type de photographie s’est fortement inspiré, tout au moins à ses débuts, des tableaux du peintre américain James Abbott McNeill Whistler, lui-même fortement influencé après son séjour anglais par Turner et des œuvres des peintres impressionnistes tels que Monet. A l’époque en fait, «la photographie est encore placée sous la coupe de la peinture et de la sculpture qu’elle s’applique à imiter». Ce mouvement appelé pictorialisme milite en faveur de la photographie artistique. Travaillés, retouchés, rehaussés de couleurs pour améliorer leur rendu, les clichés obtiennent alors un rendu qui estompe la réalité saisie lors du simple  déclenchement de l’obturateur.
    Mais Alfred Stieglitz finira par se libérer de cette influence et imposera la photographie comme un art à part entière… De cette volonté naîtra l’impressionnante série dédiée à «la ville de l’ambition», The City of ambition. Le célèbre Steerage («L’entrepont», 1907) est une œuvre charnière: cette photo, prise sur le pont d’un transatlantique où des candidats à l’immigration sont entassés, privilégie les cadrages extrêmement architecturés. C’est l’importance du regard qui l’emporte. 

    La première publication d’Alfred Stieglitz date de 1893 et avait pour nom American Amateur Photographer En 1896, Stieglitz revient au New York Camera Club et transforme son journal en un périodique d’art appelé Camera Work dont l’ambition est de ne publier que des œuvres d’art et non de simples photographie. En 1902, il créé le groupe  « Photo-Secession », pour obliger le monde de l’art à reconnaître la photographie « comme un moyen distinct d’expression individuelle ». Le groupe comptera parmi ses membres les photographes Edward SteichenGertrude KäsebierClarence White et Alvin Langdon Coburn. Dans le premier numéro de camera Work, Stieglitz proclama que : 

Only examples of such work as gives evidence of individuality and artistic worth, regardless of school, or contains some exceptional feature of technical merit, or such as exemplifies some treatment worthy of consideration, will find recognition in these pages.

   Camera Work aura joué un rôle important pour la reconnaissance  des photographes américains et européens d’avant-garde et était connue pour la très grande qualité de ses reproductions. Les images imprimées étaient photogravées à la main à partir des négatifs originaux. Steichen élèvera les héliogravures sur papier Japon au rang de tirages originaux, avec leurs contours veloutés et leurs noirs profonds. Camera Work a également reproduit des travaux d’art moderne comme ceux de Rodin et de Matisse. Il cessa de paraître en 1917.

Edward Steichen (1879-1973)

Edward Steichen (1879-1973)

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Alfred Steiglitz - The Terminal, 1893Alfred Steiglitz – The Terminal, 1892

Alfred Stieglitz - Winter, 1893

Alfred Stieglitz – Winter  Fifth Avenue, 1893

Alfred Stieglitz - Reflections - vers 1896

Alfred Stieglitz – Reflections – vers 1896

Alvin Langdon Coburn - Fifth Avenue

 

Alvin Langdon Coburn – Fifth Avenue

Alvin Langdon Coburn - NightLight

Alvin Langdon Coburn – NightLight

Mulberry Street by Anonymous, 1900

Mulberry Street by Anonymous, 1900 : une expression réaliste et documentaire de la rue new-yorkaise dégagée de toute intention pictorialiste.

Alfred Stieglitz - Flat iron, 1903Alfred Stieglitz – Flat iron, 1903

Steichen - The Flatiron, 1904

Edouard Steichen – The Flatiron, 1904-1905

Edward J. Steichen - the Flatiron, 1904, printed 1905

Edward J. Steichen – the Flatiron, 1904, printed 1905

Alvin Langdon Coburn - Flatiron, 1912

Alvin Langdon Coburn – Flatiron, 1912

Alvin Langdon Coburn - Flatiron building

Alvin Langdon Coburn – Flatiron building

Edward J. Steichen - Trinity Church, 1904

Edward J. Steichen – Trinity Church, 1904

Alfred Stieglitz Photographing on a Bridge by unknown,  1905

Alfred Stieglitz Photographing on a Bridge by unknown,  1905

    De 1902, année où il fonda le groupe Photo-Sécession, jusqu’à 1904, Alfred Stieglitz fut très occupé par la publication de la revue emblématique du groupe, Camera Work, le suivi des contacts avec les photographes étrangers et l’organisation d’expositions à Pittsburgh, Washington DC et à travers toute l’Europe. En 1905, Edward Steichen le persuada que les Sécessionnistes devaient disposer d’un lieu d’exposition permanent à New-York. Un local de trois petites pièces fut trouvé sur la Cinquième avenue et aménagé en lieu d’exposition. Ce local devint un laboratoire où Stieglitz mena les photographes pictorialistes vers le modernisme sous l’influence des nouveautés européennes. A l’occasion de l’inauguration de ce local à la fin de l’année 1905, Steichen créa un poster montrant une silhouette se détachant sur un plan oblique et surmonté d’un cercle doré. La composition d’esprit « fin-de-siècle », montrant un photographe revêtu d’une redingote poursuivi par un clair-de-lune pouvait exprimer l’idée d’une quête vaguement mystique.

Edward Steichen - Photo Secession poster, 1905

   De manière surprenante, dans la réalisation de ce cliché, l’inspiration de Steichen n’était ni pastorale ni crépusculaire – elle provenait d’un cliché de Stieglitz armé d’un Graflex sur un pont (faisant aussi partie de la collection Giman), pris juste avant ou après celui présenté ci-dessus. La disjonction entre les connotations romantiques du poster et celles, urbaines, industrielles du cliché reflète la dichotomie de style entre les œuvres réalisées par Steichen de la fin du XIXe siècle et  du début du vingtième siècle. Comme dans le poster, le photographe est aussi un utopiste, mais dans un langage moderne. Au milieu des piétons, le héros de l’âge de la machine secoué par les bourrasques de vent apparaît perché sur une poutrelle d’acier dans un effort pour boucher la brèche entre l’art, l’individu et la modernité. En saisissant aussi adroitement une attitude et une activité aussi symbolique, l’auteur inconnu du cliché parvient à exprimer les convictions progressistes de Stieglitz, sa croisade pour l’art moderne et sa conception grandissante d’une photographie vue comme spontanée, exprimant de manière instinctive la vie réelle et libérée de tout besoin d’un camouflage de type pictorialiste(Traduction libre Enki d’un article du site : The Metropolitan Museum of Art – [Alfred Stieglitz Photographing on a Bridge] )

Alfred Stieglitz - New-York

Alfred Stieglitz – New-York

The Steerage, 1907

The Steerage, 1907

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Alvin Langdon Coburn (1882-1966)

Alvin Langdon Coburn (1882-1966)

Alvin Langdon Coburn - Brooklyn Bridge, 1900

Alvin Langdon Coburn – Brooklyn Bridge, 1900

Alvin Langdon Coburn - Williamsburg bridge, 1909

Alvin Langdon Coburn – Williamsburg bridge, 1909

Alfred Stieglitz - untitled (hordes, Winter) - 1910

Alfred Stieglitz – untitled (hordes, Winter) – 1910

Alfred Stieglitz - New-York Old New, 1910

Alfred Stieglitz – New-York Old New, 1910

Lower Manhattan, 1911Lower Manhattan, 1911

 

Two Towers New York, 1913

Alfred Stieglitz – Two Towers New York, 1913

Paul Strand - Wall Street à New-York - 1915

Paul Strand – Wall Street à New-York – 1915

Paul Strand - ‘City Hall Park, New York, 1915

Paul Strand – City Hall Park, New York, 1915

Paul Strand - New York, Two cars, 1916

Paul Strand – New York, Two cars, 1916

Paul Strand - Blind, 1916

Paul Strand – Blind, 1916

    Paul Strand avait fait très tôt la connaissance d’Alfred Stieglitz, encore adolescent. A la différence de ses aînés , Il s’intéresse plus aux habitants et à ce qui se passe dans la rue  qu’à l’image elle-même. Il mettra ainsi au point un appareil qui lui permettra de prendre des photos à 90° pour saisir des scènes de rue de manière discrète. C’est avec ce procédé qu’il réalise la célèbre photographie de la femme aveugle. 

Paul Strand - New-York, 1917

Paul Strand – New-York, 1917

Paul Strand - New-York, 1917

Paul Strand – New-York, 1917

Paul Strand - portrait à Washington Square, 1917

Paul Strand – portrait à Washington Square, 1917

Paul Strand - yawning woman New York, 1917

Paul Strand – yawning woman New York, 1917

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Poser les bonnes questions : où est le Graal ?

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le Graal

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     « Où est le Graal ? »

   Dans son essai Images et symboles, Mircea Elliade cite un épisode de la légende arthurienne qu’il classe parmi les mythes fondamentaux européens. Cet épisode met en scène le chevalier Perceval et le Roi Pêcheur, dernier représentant d’une lignée chargée de veiller sur le Saint Graal. Depuis quelque temps, un mal mystérieux ronge le roi et s’aggrave le condamnant peu à peu à la paralysie. Le mal ne concerne pas seulement la personne royale : par un curieux effet de mimétisme, à mesure qu’augmente sa déchéance son royaume tout entier dépérit lui aussi. Palais, tours, maisons, peu à peu s’effritent et tombent en ruine, les plantes dans les champs et les jardins se fanent et dépérissent, les arbres ne portent plus de fruits, les animaux ne se reproduisent plus et les sources se tarissent, les fleuves s’assèchent… Les nombreux médecins appelés au chevet du Roi Pêcheur sont impuissants et les nobles et les chevaliers du Royaume se succèdent auprès de lui en commençant par lui demander, comme l’étiquette et la courtoisie l’exigent, des nouvelles de sa santé. Arrive alors un chevalier atypique du nom de Perceval inconnu de tous, d’allure pauvre, maladroit et un peu ridicule qui, au mépris du cérémonial courtois, se dirige directement vers le Roi et, sans aucun préambule, lui pose brutalement la question  :

      « Où est le Graal ? »

    A l’instant même où ces paroles sont prononcées, tout se transforme : le Roi se sent guérit et se lève de son lit de souffrance, les rivières et les fontaines recommencent de couler, la végétation renaît instantanément et les bâtiments ruinés se restaurent. Ainsi, les quelques mots prononcés par Parcifal auront suffit pour regénérer la Nature toute entière et la communauté humaine mais, comme le relève Mircea Elliade : 

    « ces quelques mots constituaient la question centrale, le seul problème qui pouvait intéresser non seulement le Roi Pêcheur, mais le Cosmos tout entier : où se trouvait le réel par excellence, le sacré, le Centre de la vie et la source de l’immortalité ? Où se trouvait le Saint-Graal ? Personne n’avait pensé , avant Percifal, à poser cette question centrale – et le monde périssait à cause de cette indifférence métaphysique et religieuse, à cause de ce manque d’imagination et absence du désir du réel.
  Ce petit détail d’un grandiose mythe européen révèle au moins un côté méconnu du symbolisme du Centre : non seulement il existe une solidarité intime entre la vie universelle et le salut de l’homme – mais il suffit de se poser le problème du salut, il suffit de poser le problème central, c’est-à-dire le problème – pour que la vie cosmique se régénère perpétuellement. Car souvent la mort – comme semble le montrer ce fragment mythique – n’est que le résultat de notre indifférence devant l’immortabilité. »

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    Je vois dans dans ce mythe une parabole. Comment ne pas voir dans le mal insidieux qui ronge et détruit le Roi Pêcheur et son royaume, le mal qui ronge actuellement une grande partie de l’Europe et notre pays en particulier : déclin économique et chômage, absence de perspectives d’avenir, naufrage de l’éducation, exode de la jeunesse, rejet du politique, désintérêt pour la chose publique, individualisme forcené, montée de l’extrême-droite et nihilisme. Comme les médecins incompétents et les chevaliers courtisans, les médias nous inondent aujourd’hui d' »informations » qui n’en sont pas. Les débats contradictoires entre « spécialistes » auto-proclamés et politiques manipulateurs ou impuissants se succèdent, n’intéressant plus personne. Il ne faut pas rêver, aucun sauveur providentiel tel un Perceval moderne ne viendra poser la question miracle  qui indiquera le chemin à prendre. C’est à nous tous, après analyse objective de la situation actuelle et des raisons qui nous ont amenés à elle, de tenter de définir et de nous poser la bonne question. Ensuite, on verra bien, comme dit l’adage « une question bien posée contient déjà en elle-même une partie de la réponse… »

     Alors, « où est le Graal ? ».

Enki signature .

le 22 décembre 2013

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imaginaire de la montagne : une photo de Charlotte Perriand

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Charlotte Perriand en montagne en 1930

   J’adore cette photo de Charlotte Perriand bien que ce soit l’une des seules où on ne la voit pas sourire. elle symbolise pour moi la joie de vivre et exprime l’exaltation et le désir puissant de communion avec le cosmos tout entier qu’induisent chez l’être humain les paysages de haute montagne.
   J’ai appris l’existence de Charlotte Perriand à l’occasion d’études sur l’œuvre de Le Corbusier et en particulier sur le mobilier qui accompagnait son architecture (voir l’article de ce blog consacré à ce sujet, c’est ICI). J’appréciais beaucoup son travail et son ouverture d’esprit mais j’ignorais alors qu’elle était très engagée politiquement au parti communiste* et qu’elle pratiquait de manière assidue la randonnée en montagne. C’est la lecture d’une note de présentation du journal La Croix écrite par la journaliste Cécile Jaurès d’une exposition tenue en août et septembre 2011 au Musée des Beaux-Arts de la ville de Paris qui m’a fait connaître cette part de sa personnalité. Je vous reproduit ci-après cette note accompagnée de quelques photos glanées sur Internet.

* Où elle restera jusqu’à la signature du pacte germano-soviétique. Elle a par ailleurs été membre fondatrice en 1930 de l’Union des Artistes Modernes qui prône une vision moderne et revalorisée des arts décoratifs et a adhéré à la même époque à  l’Association des Ecrivains et Artistes Révolutionnaires fondée par Paul Vaillant-Couturier, voyagé en URSS et soutenu activement le Front populaire en France en 1936.

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Charlotte Perriand

   Au Petit Palais, à Paris, une exposition met en lumière le rôle de la photographie dans l’œuvre de la collaboratrice de Le Corbusier, décédée il y a douze ans.
   Un parcours éclaté dans plusieurs salles du musée, qui révèle les mille et une facettes de l’architecte : femme engagée, créatrice aux intuitions brillantes, amoureuse de la nature…

   Torse nu, tournant le dos au photographe pour embrasser du regard un magnifique panorama de montagne, Charlotte Perriand étire les bras vers le ciel. Une posture conquérante, libre, à l’image de sa personnalité audacieuse.
   Cette photographie, prise en 1930 lors d’une des randonnées à skis qu’elle affectionnait, résume le propos de l’exposition que lui consacre le Petit Palais, à Paris.

UNE PASSION POUR LA PHOTOGRAPHIE

   Six ans après la rétrospective organisée par le Centre Georges-Pompidou, il s’agit de dévoiler le versant intime de la créatrice, de plonger dans les arcanes de son œuvre à travers une facette méconnue : sa passion pour la photographie.
   « Utilisant son Rolleiflex 6×6 comme un carnet de notes, Charlotte Perriand se servit de ses innombrables clichés comme d’un laboratoire de formes, un réservoir à idées, mais aussi comme d’un outil de création, intégrant notamment des photographies à ses décorations d’intérieur », explique Jacques Barsac, commissaire de l’exposition et grand spécialiste de son œuvre (1).
    En compagnie de son épouse Pernette Perriand-Barsac, la fille de Charlotte, il a exploré les archives personnelles de l’architecte, pendant plus de trois ans, afin de mettre au jour ces correspondances secrètes à travers 430 photos et 70 meubles.
    Ici, une lampe pivotante inspirée d’une bôme de bateau, là une chaise longue basculante dont la structure métallique évoque celle d’un pont transbordeur photographié à Marseille. Plus loin, une arête de poisson a donné naissance à une banquette baptisée Méandre et un portique japonais s’est transformé en bureau.

TRÉSORS NATURELS

    « Curieuse et douée d’une grande joie de vivre, elle me conseillait souvent d’avoir l’œil en éventail, de prêter attention à tout objet, du plus humble au plus remarquable, du plus petit au plus grand », se souvient Pernette Perriand-Barsac, qui a travaillé à ses côtés pendant près de vingt ans.
    Fascinée, comme son patron Le Corbusier, par la « machine » et les produits industriels jusqu’au choc de la crise de 1929, Charlotte Perriand se passionnera pour les objets trouvés dans la nature.
    Troquant son collier fabriqué avec des roulements à billes contre une parure de coquillages, elle ramasse ses trésors naturels au fil de ses promenades en forêt ou sur les plages normandes, en compagnie de l’architecte Pierre Jeanneret, cousin de Le Corbusier.
    Galets, morceaux de bois, chaussures roulées par la mer… elle hisse au rang d’œuvres d’art ces sculptures poétiques, réinterprétant à sa manière le ready-made de Duchamp.

MILITANTE COMMUNISTE

   Si la nature nourrit l’imaginaire de Charlotte Perriand, ses clichés témoignent de son intérêt pour l’homme : portraits d’anonymes, paysans aux visages burinés, ouvriers en pleine sieste.
  Militante communiste jusqu’au pacte germano-soviétique, cette fille d’artisans accompagnera l’arrivée au pouvoir du Front populaire par d’ambitieux photomontages qui glorifient la politique agricole ou dénoncent la grande misère à Paris.
   Ne considérant pas la pauvreté et l’ignorance comme des fatalités, elle suggère la création de « maisons de la culture » (réunissant théâtre, bibliothèque, studio de radio et de télévision !) et propose de transformer les quais de Seine en zone de loisirs et de sport.

Visionnaire, dans tous les domaines.

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à lire : Charlotte Perriand et la photographie. L’œil en éventail de Jacques Barzac – Ed. 5 continents, 367 p.

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Charlotte Perriand en compagnie de Le Corbusier et son premier mari Percy Scholefield en 1927Charlotte Perriand en compagnie de Le Corbusier et son premier mari Percy Scholefield en 1927

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Charlotte Perriand et Alfred Roth, Paris 1927

Charlotte Perriand et Alfred Roth, Paris 1927

Charlotte Perriang sur la chaise longue qu'elle a crée avec Le Corbusier et Pierre Jeanneret, 1929

Charlotte Perriand sur la chaise longue qu’elle a crée avec Le Corbusier et Pierre Jeanneret, 1929

Charlotte Perriand devant la Mer de Glace à Chamonix en 1927

Devant la Mer de Glace à Chamonix en 1927

Charlotte Perriand au-dessus de Bonneval-sur-Arc, 1928

Au-dessus de Bonneval-sur-Arc, 1928

Charlotte Perriand en montagne en 1928

En montagne en 1928

Charlotte Perriand après la construction du bivouac Schelter au Mont Joly

Charlotte Perriand après la construction du bivouac Schelter au Mont Joly

Charlotte Perriand après la construction du bivouac Schelter au Mont Joly

Charlotte Perriand devant sa maiosn "Case a La Loti" au Plan d'Osier en 1939

Devant sa maison « Case a La Loti » au Plan d’Osier en 1939

Charlotte Perriand au Mont Zao au Japon en 1941

Au Mont Zao au Japon en 1941 où elle s’était rendue en 1940, invitée par le ministère impérial du Commerce en tant que « conseillère de l’art industriel ». Elle a passé toute la durée de la guerre en Extrême-Orient (Indochine, Japon).

Charlotte Perriand, vers 1934  pensive, à la fenêtre… vers 1934

Charlotte Perriand (1903-1999)

Charlotte Perriand (1903-1999)

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Charlotte Perriand : Carnet de montagne

Fille de savoyard, Charlotte Perriand aura entretenu un rapport passionné et aventurier avec la montagne. Elle publiera un petit recueil intitulé « Carnet de Montagne » (Edition Maison des Jeux Olympiques d’Hiver). Ce recueil présente également des éléments de mobilier et de décoration qu’elle réalisa pour la station des Arcs entre 1967 et 1986, station dont elle assurait alors la coordination.

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Sites consacrés à Charlotte Perriand et à son œuvre sur le NET :

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Home, sweet home – maison à Arta par l’agence madrilène Herreros Arquitectos, 2007.

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Juan HerrerosJuan Herreros

  • lieu d’implantation : Artà, ïle de Majorque (Espagne), 2007
  • programme : maison de vacance à la campagne
  • surface : 130 m2 
  • maître d’ouvrage : Pepe Cobo  –  maître d’œuvre: Juan Herreros Arquitectos
  • équipe du projet : Víctor Garzón et Verónica Melendez (projet), Carlos Serra (building process director) – structure : Eduardo Barrón – construction : Rafael Martet.
  • photos : José Hevia (mussanta@telefonica.net)

Herreros Arquitectos – maison à Arta (Majorque), 2007 – photo José Hevia

maison à Arta (Majorque), 2007 – façade N-O – photo José Hevia

    Le programme prévoyait transformer une ancienne étable à moutons en petite résidence de week-en ou de vacances. Le parti architectural adopté a consisté à réutiliser le volume initial et de le reproduire de manière symétrique en prenant soin de préserver et réutiliser les anciennes techniques mises en œuvre pour régler les problèmes posés par l’orientation (ensoleillement et vue), la ventilation et l’alimentation en eau.
   Les façades pignons ont été revêtues de pierres sèches pour s’intégrer à l’environnement et maintenir le langage architectural traditionnel de la région.
   Le traitement des murs extérieurs se veut une réponse aux différents aspects du climat local. Les problèmes du vue, d’éclairage, de ventilation et de chauffage ont été réglés par le choix de mise en œuvre de deux volumes indépendants auxquels le traitement des ouvertures et les toitures confère un effet énigmatique. L’espace intérieur reprend la division fonctionnelle des volumes d’origine (espaces pour les animaux, le berger et l’entreposage du fourrage) en fonction de l’orientation : au nord, la cuisine, les chambres et les salles de bains; au sud, la salle à manger, le séjour et le bureau. Pour chacun des volumes, un équipement particulier a été mis en valeur (table, sofa, bureau, lit et cuisinière) pour définir l’espace et la fonction.
   L’originalité du parti architectural tient à l’importance de la façade principale, la seule qui peut être largement ouverte et bénéficier de la vue et de l’apport solaire. Pour cela la pente des toitures a été accentuée. Le projet reproduit ce traitement sur la façade opposée Nord pour capter la lumière.
L’inversion des toitures permet de bénéficier de l’apport d’une ventilation naturelle ajustable selon les besoins des utilisateurs qui en ouvrant ou fermant les ouvertures pratiquées dans les fenêtres peuvent moduler l’ambiance intérieure en fonction de chaque saison.
   Le projet respecte la simplicité et la pureté de la construction d’origine grâce au maintien de l’utilisation de la pierre et perpétue ainsi l’idée et l’image d’un abri de caractère presque caverneux que l’on aurait dupliqué.
   La construction initiale possédait un système de récupération des eaux de toiture qui était amenées par un système de canalisations vers une citerne de stockage. C’est ce même système qui a été réutilisé et optimisé grâce aux toitures en pentes.

   A l’extérieur, la terrasse, les parois du four et la chaussée existante ont été respectées.  Seule une petite partie de l’espace extérieur a été aménagé en jardin, le reste est maintenu en l’état naturel avec la conservation de la végétation existante, considérée comme un élément essentiel du paysage.

traduction libre parEnki signature

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Texte original

   The project converts an existing vernacular structure that formerly served as a refuge for shepherds into a small residence for occasional use. The approach consisted of replicating the original volume symmetrically to conserve the original conditions and technical function of an apparently innocent construction that was designed intelligently where its orientation, ventilation and water collection facilities, etc. were concerned.
   A dry-constructed outer wall stimulates an open and voluntary dialogue with the different aspects of the local climate. Seeing, lighting, ventilating or heating are various operations associated with two independent systems of openings and shutters that imbue the northern and southern faces with an ambiguous and enigmatic look. The interior reproduces the original and primitive compartments (for animals, shepherds and forage) in two directions: North (kitchen, bedroom and bathroom) and South (dining room, living room and study). Each compartment contains one single major object (table, sofa, writing desk, bath, bed and cooker) which serves to define each space and its use.
    The original typology is based on increasing the main façade, the only one that could be opened and is heated by the sun. In our project, we preserve this condition duplicating the main façade searching for the sun and the North light in the opposite direction, without contradicting the original character.
   Its inverted roof provides the house with highly effective natural cross-ventilation, adjustable by the user who, opening or closing the top and bottom windows, creates a perfect climate according to each season.
   The proposed little house supports the lightweight spirit of the original construction. It preserves the impressive lateral stone wall and supports the idea of the big hollows, which duplicated, become doubly enriching for the house.
   The original house has a gutter that collects rain water and leads to a cistern where it is stored. The proposal maintains this system and further optimizes it. The two slopes of the roof carry the water to the gutter which maintains its original position, and then it leads to the cistern. »

Herreros Arquitectos – maison à Arta (Majorque), 2007 – plan masseplan masse

Herreros Arquitectos – maison à Arta (Majorque), 2007 – façade Sud – photo José Hevia

façade Sud – photo José Hevia

Herreros Arquitectos – maison à Arta (Majorque), 2007 – façades – photo José Hevia

façades – photo José Hevia

Herreros Arquitectos – maison à Arta (Majorque), 2007 – façades – photo José Hevia

façades – photo José Hevia

Herreros Arquitectos – maison à Arta (Majorque), 2007 – détail façade – photo José Hevia

détail façade – photo José Hevia

Herreros Arquitectos – maison à Arta (Majorque), 2007 – photo José Hevia

Herreros Arquitectos – maison à Arta (Majorque), 2007 – coupe – photo José Hevia

coupe – photo José Hevia

Herreros Arquitectos – maison à Arta (Majorque), 2007 – plan – photo José Hevia

plan – photo José Hevia

Herreros Arquitectos – maison à Arta (Majorque), 2007 – salon – photo José Hevia

salon – photo José Hevia

Herreros Arquitectos – maison à Arta (Majorque), 2007 – façade intérieure – photo José Hevia

façade intérieure – photo José Hevia

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Le point de vue d’Enki

   Ce projet du cabinet Herreros Arquitectos montre que l’on est pas condamné, dans une région où l’architecture vernaculaire est très typée à reproduire celle-ci de manière servile en la dupliquant. L’important est de comprendre l’esprit sous-jacent qui animait dans le passé cette architecture et qui guidait les actes de tous ceux qui la façonnaient. L’esprit était celui d’une recherche de simplicité et d’économie de la construction pour lui faire répondre aux fonctions essentielles qui lui était demandé dans un milieu naturel aux caractéristiques bien définies.
   Les fonctions auxquelles la construction devait répondre étaient simples : protéger hommes et animaux des intempéries dans le meilleur confort possible – ce qui dans un climat méditerranéen impliquait d’assurer une ventilation de l’abri – permettre la vue sur les environs à fin de surveillance et l’éclairement intérieur, assurer les ressources en eau, le tout en utilisant pour la construction les ressources locales, pierres, terre et bois.

     C’est finalement ces mêmes principes sur lesquels se sont appuyés les architectes pour concevoir leur projet, à la différence près que cette maison n’était plus un abri de berger mais une maison de vacance et qu’une partie des fonctions à abriter avait changé. Outre la définition et l’organisation des espaces intérieurs qui étaient totalement différentes, les besoins de vue et d’éclairement étaient fortement augmentés et ne pouvaient être satisfaits par l’architecture d’origine. La réalisation de toitures inversées à pente accentuée qui permet une augmentation de la surface des façades principales a été le moyen choisi  pour résoudre le problème. Est-il judicieux ? On peut considérer que oui dans la mesure où cette « entorse » aux règles de l’architecture traditionnelle est compensée par le maintien et l’affirmation des murs de pierres en pignons et par le fait que cette construction apparaît isolée dans le paysage et ne soit pas confrontée, de ce fait, à d’autres constructions traditionnelles. Le traitement contemporain des façades principales apparaît logique dans la mesure où elle paraît accompagner l’originalité de la toiture inversée mais on ne comprend pas les raisons qui ont motivées la petitesse des ouvertures sur le paysage qui auraient méritées d’être plus importantes pour répondre à la fonction qui leur était demandée.

Enki signature

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    Ce traitement particulier d’une toiture inversée par rapport à la toiture traditionnelle me fait penser aux essais tentés dans les années soixante dans les Alpes françaises par des architectes soucieux de trouver une nouvelle grammaire pour l’agencement des éléments constitutifs de l’architecture traditionnelle des chalets.

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Animalité : comment est né l’élevage industriel (et le travail à la chaîne…)

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basse-cour traditionnelle au début du XXe siècle - Otto ScheuererBasse-cour traditionnelle au début du XXe siècle – crédit Wikipedia

delmarva_enlarged_16    Celia Steele était une ménagère habitant à Oceanview, une petite ville de la presqu’île du Delmarva, ainsi nommée par les américains parce qu’elle se situe à l’intersection de trois états qui sont le Delaware, le Maryland et la Virginie. Son mari était garde-côte et pour améliorer ses revenus elle gérait dans la propriété familiale un petit élevage de poules principalement destiné à la production d’œufs. A l’époque, les élevages de poulets étaient de petites tailles (23 volailles en moyenne par basse-cour) et chaque région du pays possédait sa ou ses variétés de volailles adaptées aux conditions naturelles spécifiques comme les ressources naturelles et le climat. Les volailles vivaient le plus souvent à l’air libre et s’abritait ou allaient pondre dans un poulailler rustique.
  Au cours de l’année 1923, un événement fortuit allait bouleverser sa vie et celle des milliards de volailles qui allaient naître dans les années qui allaient suivre. Ayant commandé par la poste un cinquantaine de poussins, elle eut la surprise s’en voir livré cinq cents par suite d’une erreur. Le renvoi n’était pas possible… Fallait-il les euthanasier ? Celia Steele était une femme entreprenante et aimait relever les défis, elle décida de conserver les poussins et pour assurer leur survie leur fit passer l’hiver, rigoureux dans le Delmarva, dans un espace clos et protégé, une alimentation appropriée et l’apparition de procédés techniques nouveaux fit le reste. A cette époque, l’industrie commençait à fournir pour les élevages d’animaux des compléments alimentaires, en particulier des vitamines A et D et des nurseries de poussins à incubateurs artificiels, les poussins survécurent…  Au printemps, Celia vendit 387 poulets d’un kilo à 134 cents l’unité et renouvela l’expérience l’année suivante avec cette fois 1000 poussins. Le premier élevage pré-industriel était né presque par hasard. La croissance devint exponentielle, en 1925, c’était 10.000 poulets que Celia élevait et en 1935, 250.000. Toute la région se mit alors à exploiter la poule aux œufs d’or, le Delmarva devint la capitale mondiale de la volaille et aujourd’hui encore, le seul comté de Sussex dans le Delaware continue de produire 250 millions de poulets chaque année, le double de la moyenne américaine.

à suivre…

A la suite d’une saine lecture du livre de Jonathan Safran Foer Faut-il manger les animaux ? (Eating Animals) – édition de l’Olivier, 2010.

élevage industriel

élevage industriel aujourd’hui

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Quand l’homme et la femme deviennent eux-mêmes paysage

––––L’Homme-paysage de Hieronymus Bosch –––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––

Hieronymus Bosch - l'homme-paysage - volet gauche du triptyque "la tentation de Saint-ZAntoine", entre 1495 et 1515 - musée de Lisbonne

Hieronymus Bosch – l’homme-paysage – volet gauche du triptyque « la tentation de Saint-Antoine », entre 1495 et 1515 – musée de Lisbonne

L’homme-paysage : texte extrait de Jérôme Bosch, Entre Ciel et Enfer de Chris Will, éditions Stokerkade.

    Dans quelques scènes de Bosch, on remarque, comme ici, des formes hybrides combinant l’être humain et son environnement. Au milieu d’une campagne vallonnée parsemée de bosquets, une figure humaine fusionne avec ce l’entoure. Son étrange position suggère qu’elle est prisonnière du paysage. La pente herbeuse qui lui sert de dos est aussi le toit d’un petit bâtiment appuyé contre sa jambe. L’homme à genoux, penché en avant, ses fesses nues exposées aux regards, est à la fois colline et caverne, toit et bordel ! La tête percée d’une flèche, il crie son désespoir vers le ciel. les signes de folie et d’autodestruction sautent aux yeux. dans et autour de la « façade arrière » de l’homme-paysage, Bosch a multiplié les symboles caractéristiques des auberges louches et des bordels : la femme jetant un coup d’œil par la fenêtre, par exemple, ou le symbole phallique de la lance posée contre la maison. Quand au baril sans bonde et donc percé d’un trou, avec un pichet sur le dessus, c’est une double allusion aux organes sexuels féminins.
   Le bandage qui enserre une des jambes du personnage renvoie aux maladies vénériennes : Bosch a utilisé ce motif dans d’autres œuvres. Les fesses nues et la herse qui les sépare sont une référence à la sodomie.
    Cette scène exceptionnelle déborde donc d’allusions au sexe et à la débauche. L’homme est littéralement piégé dans sa lamentable vie terrestre, son âme pécheresse est prisonnière des tentations terrestres et des désirs charnels.

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–––– Côte escarpée de Degas ou la femme-paysage –––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––

   Dans son tableau Falaise ou côte escarpée peint entre 1880 et 1892 Degas représente un paysage côtier qui cache une femme nue  à la longue chevelure rouge tombant dans la mer.

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–––– poèmes épars –––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––

Union libre

Ma femme à la chevelure de feu de bois
Aux pensées d’éclairs de chaleur
A la taille de sablier
Ma femme à la taille de loutre entre les dents du tigre
Ma femme à la bouche de cocarde et de bouquet d’étoiles de dernière grandeur
Aux dents d’empreintes de souris blanche sur la terre blanche
A la langue d’ambre et de verre frottés
Ma femme à la langue d’hostie poignardée
A la langue de poupée qui ouvre et ferme les yeux
A la langue de pierre incroyable
Ma femme aux cils de bâtons d’écriture d’enfant
Aux sourcils de bord de nid d’hirondelle
Ma femme aux tempes d’ardoise de toit de serre
Et de buée aux vitres
Ma femme aux épaules de champagne
Et de fontaine à têtes de dauphins sous la glace
Ma femme aux poignets d’allumettes
Ma femme aux doigts de hasard et d’as de cœur
Aux doigts de foin coupé
Ma femme aux aisselles de martre et de fênes
De nuit de la Saint-Jean
De troène et de nid de scalares
Aux bras d’écume de mer et d’écluse
Et de mélange du blé et du moulin
Ma femme aux jambes de fusée
Aux mouvements d’horlogerie et de désespoir
Ma femme aux mollets de moelle de sureau
Ma femme aux pieds d’initiales
Aux pieds de trousseaux de clés aux pieds de calfats qui boivent
Ma femme au cou d’orge imperlé
Ma femme à la gorge de Val d’or
De rendez-vous dans le lit même du torrent
Aux seins de nuit
Ma femme aux seins de taupinière marine
Ma femme aux seins de creuset du rubis
Aux seins de spectre de la rose sous la rosée
Ma femme au ventre de dépliement d’éventail des jours
Au ventre de griffe géante
Ma femme au dos d’oiseau qui fuit vertical
Au dos de vif-argent
Au dos de lumière
A la nuque de pierre roulée et de craie mouillée
Et de chute d’un verre dans lequel on vient de boire
Ma femme aux hanches de nacelle
Aux hanches de lustre et de pennes de flèche
Et de tiges de plumes de paon blanc
De balance insensible
Ma femme aux fesses de grès et d’amiante
Ma femme aux fesses de dos de cygne
Ma femme aux fesses de printemps
Au sexe de glaïeul
Ma femme au sexe de placer et d’ornithorynque
Ma femme au sexe d’algue et de bonbons anciens
Ma femme au sexe de miroir
Ma femme aux yeux pleins de larmes
Aux yeux de panoplie violette et d’aiguille aimantée
Ma femme aux yeux de savane
Ma femme aux yeux d’eau pour boire en prison
Ma femme aux yeux de bois toujours sous la hache
Aux yeux de niveau d’eau de niveau d’air de terre et de feu.

André Breton (1931)

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Paysage

Les arbres sont fixés sur le bleu.
Papier glacé, jaune et ensoleillé.
Le vert luit. Le lac danse dans la lumière.

Je me vêts du paysage comme on fait d’un habit.
Les arbres, je les plante sur ma tête,
les prairies, je les étends sur ma poitrine,
Je passe le lac autour de mes hanches,
Le soleil, je le porte sur la main.

Redressant la tête je parcours le monde
et m’enfonce dans l’éther.

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Landschaft

Die Bäume sind in das Blau geheftet.
Gelbes, sonninges Glanzpapier.
Grün leuchtert. Der See tant im Licht.
Ich ziehe die Landscahft an, aie man ein Kleid anzieht.
Die Bäume pflanze ich auf meinen Kopf,
Die Wiesen page ich auf meine Brust,
Um meine Hüften schlinge ich den See,
Sonne targe ich auf der hand.
Ich schreibe erhobnen Hauptes durci die Welt
und durchtosse den Aether.

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Herbert Kühne, poète expressionniste allemand est né en 1895 à Beelitz. Après des études de lettres, il passe son doctorat en 1923 et exercera le métier de professeur en histoire de l’art à Cologne puis à Mayence.

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illustre illustrateur : Regards croisés, le tchèque Hugo Boettinger (1880-1934) et le photographe Frantisek Drtikol (1883-1061)

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Hugo Boettinger (1880-1934)

    Avec le peintre Tavik Frantisek Simon et le sculpteur Bohumil Kafka, Hugo Boettinger (pseudonyme Dr. Desidarius), peintre et dessinateur est l’un des plus importants artistes tchèque de la première moitié du vingtième siècle. Il étudia sous la direction des professeurs E. K. Liška et F. Jenewein à l’Académie des Arts décoratifs de Prague and sous celle de M. Pirner à l’Academy des Arts de la même ville. Il est connu pour ses portraits et caricatures, Durant toute sa vie, il traitera des thèmes figuratifs symbolistes en  relation avec le mythe du Paradis perdu. En 1905, il fait un séjour à Paris en compagnie de son compatriote T. F. Šimon avec lequel il se rend par la suite à Londres pour voir la rétrospective consacrée au peintre J. M. N. Whistler dont le style qui apparaissait comme une synthèse du symbolisme et de l’impressionnisme l’impressionnera vivement et aura une forte et durable influence sur son travail futu en particulier dans le traitement des couleurs et la conception des portraits.

   Il nous a semblé intéressant de présenter les tableaux de Boettinger de manière croisée avec les photos du nus réalisées au même moment et également à Prague par son contemporain, le photographe Frantisek Drtikol.

Frantisek Drticol (1883-1961)     Frantisek Drtikol (1883-1961) était un photographe tchèque de renommée internationale. Dès son plus jeune âge, Frantisek montre un goût prononcé pour le dessin et la peinture. Alors qu’il voulait se lancer dans la peinture, son père le fait entrer en apprentissage chez Antonin Mattas, le photographe local, car il estimait que la peinture n’était pas un revenu sûr. Plus tard, il entre à Lehr-und Versuchanstalt für Photographe dont Il devient le premier de sa promotion. Après ses études, il travaille pour divers studio comme Schumann à Karlsruhe, Albert Böse à Chur, V.E. Gran à Turnov et Josef Faix, en tant qu’assistant. De 1907 à 1910, il travailla à Prague de manière indépendante dans son propre studio et à partir de 1935, dans un important studio spécialiste du portrait. Il réalisa alors de très nombreux portraits de personnalités connues et de nus qui répondaient dans un premier temps aux principes prônés par les mouvements artistiques alors à la mode dans la photographie du picturialisme et du symbolisme puis, par la suite, à des compositions esthétiques  intégrant des motifs géométriques et des ombres projetées comme on pouvait trouver dans les mouvements artistiques d’avant-garde à la même époque notamment le cinéma de Fritz Lang et la recherche de l’expression du mouvement comme le préconisait alors le mouvement futuriste. Il expérimenta également la pratique du papier coupé dans une période qu’il qualifia lui-même de photopurisme. Frantisek s’intéressera à la philosophe orientale, plus précisément le Bhouddisme. Il arrêtera la photographie pour se consacrer à la peinture et à la philosophie. Plus tard, il enseignera la photographie à L’Ecole d’Etat des Arts graphiques. Mais il démissionnera un an plus tard, ses œuvres et cours étant considéré « dépassés ».

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Hugo Boettinger et Tarik F. Simon en 1905 à l'atelier de la rue Daguerre à ParisHugo Boettinger et Tarik F. Simon en 1905 à l’atelier de la rue Daguerre à Paris

Hugo Boettinger - Parisienne au café

Hugo Boettinger – Parisienne au café

Hugo Boettinger - petite fille à la poupée,1907

Hugo Boettinger – petite fille à la poupée,1907

Hugo Boettinger - Rusalka in a birch groove

Rusalka (la nymphe de l’eau) dans un bois de bouleaux

Hugo Boettinger - portrait de Madame Helfert, 1908

Hugo Boettinger – portrait de Madame Helfert, 1908

Hugo Boettinger - Zensky akt

Hugo Boettinger - le bouquet de fleurs, vers 1910

Hugo Boettinger – le bouquet de fleurs, vers 1910

Hugo Boettinger - les deux jeunes filles aux fleurs

les deux jeunes filles aux fleurs

Hugo Boettinger - Baignade, vers 1910

Hugo Boettinger – Baignade, vers 1910

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   Trois baigneuses au bord d’un ruisseau, vers 1910

Hugo Boettinger - jeune fille faisant sa toilette

jeune fille faisant sa toilette

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Nus : Hugo Boettinger (hiver 1914) – Frantisek Drtikol

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6162623_1_l   « Les filles », photo de Frantisek Drtikol, 1933

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Jeune fille, peinture à l’huile peinte en 1918

Frantisek_Drtikol_291  photo de Frantisek Drtikol

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baigneuse sur la plage, 1922

Près d'Ortice - autoportrait avec sa femme Rosa, 1922

Près d’Ortice – autoportrait avec sa femme Rosa, 1922

Hugo Boettinger - V Kavarne, 1926

            Hugo Boettinger – V Kavarne, 1926

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Joséphine Baker, 1926

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Nu allongé sur le ventre, 1926

Hugo Boettinger - Trois femmes et un homme en forêt, 1926Édouard Manet - Le Déjeuner sur l'herbe, 1863

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Trois femmes et un homme en forêt, 1926.

Ce tableau fait penser au célèbre Déjeuner sur l’herbe de Manet peint en 1863

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Hugo Boettinger - jeunes filles, 1927

 jeunes filles, 1927

Hugo Boettinger - Trois Bacchantes, 1932

Trois Bacchantes, 1932

Frantisek Drtikol - Nu, 1927-29 photo de Frantisek Drtikol, 1927-29

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danseuses au châle rouge, 1933

photo de Frantisek Drticol.

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photo de Frantisek Drtikol

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Hugo Boettinger - photo de famille

photo de famille

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Pour une présentation plus complète des œuvres du peintre Hugo Boettinger, se reporter au site suivant : c’est ICI

Pour les œuvres du photographes Frantisek Drtikol, voir le site Alafoto, c’est ICI

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Home, sweet home : ma chaumière en hiver… par Aloysius Bertrand, Baudelaire et Henri Bachelin

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Aloysius Bertrand, Gaspard de la nuit. Fantaisies à la manière de Rembrandt et de Callot

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Illustrations et texte extrait de  Gaspard de la nuit. Fantaisies décorées à la manière de Rembrandt et de Callot par Aloysius Bertrand (1807-1841), sixième livre : Silves, pages 125 et 126. – sur site WIKIMEDIA, c’est ICI.

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Gaston Bachelard et l’étude phénoménologique de l’image poétique

Gaston Bachelard à 15.10.16   Pour Gaston Bachelard, une image poétique nouvelle apparait comme un « soudain relief du psychisme » que la psychologie traditionnelle explique mal. Lorsque cette image apparaît, même liée à un archétype enfoui au plus profond de l’inconscient, le rapport qui unit cette image à cet archétype n’est pas d’ordre causal, l’image possède vis à vis de l’archétype une existence et un dynamisme propre, un « retentissement » et une « sonorité » particuliers spécifique à l’état poétique. Pour Bachelard, les raisons formulées par le psychologue et le psychanalyste pour expliquer l’apparition de l’image poétique   ne sont pas suffisantes pour rendre compte de son apparition et de l’effet dynamique qu’elle produit sur le public. L’image poétique apparaît donc moins comme un effet et une résultante qu’un inducteur d’imagination et de conscience :

« Il faut en venir, pour éclairer philosophiquement le problème de l’image poétique, à une phénoménologie de l’imagination. Entendons par là une étude du phénomène de l’image poétique quant l’image émerge dans la conscience comme un produit direct du cœur, de l’âme, de l’être de l’homme saisi dans son actualité« . (La poétique de l’espace).

   Si les images poétiques sont le produit direct de l’âme humaine, comment s’étonner alors si des images semblables émergent en divers lieux et chez divers auteurs pour rendre compte de la même réalité. C’est le cas, pour le texte présenté ci-dessus, de l’image de la chaumière rêvée par un poète sans le sou, décrite comme un cocon protecteur face à la dureté de l’hiver où il fait bon, face à un feu de cheminée odorant, de s’adonner à la lecture ou de jouir du spectacle de l’hiver et de ses rigueurs lorsque l’on est bien protégé. Voici un texte de Baudelaire et un autre d’Henri Bachelin cités par Bachelard dans son essai qui correspond sur plusieurs points au texte écrit par Aloysius Bertrand. A la lecture sous le manteau de la cheminée des Chroniques des preux et des moines répondent la lecture de Kant, les grandes et belles histoires et légendes et à la vision jouissive, par la fenêtre, du cavalier s’amenuisant dans le paysage enneigé et brumeux répond le désir d’un hiver rigoureux (lorsque l’on bénéficie de la protection nécessaire…) et l’assimilation de l’environnement enneigé de la maison à des pays inconnus de chouettes et de loups   :

 » Dans Les paradis artificiels, il (Baudelaire) dit le bonheur de Thomas de Quincey, enfermé dans l’hiver, tandis qu’il lit Kant, aidé par l’idéalisme de l’opium. La scène se passe dans un « cottage » du Pays de Galles. (…) Une jolie habitation ne rend-elle pas l’hiver plus poétique, et l’hiver n’augmente t-il pas la poésie de l’habitation ? Le blanc cottage était assis au fond d’une petite vallée fermée de montagnes suffisamment hautes; il était comme emmailloté d’arbustes. » (…) « Nous nous sentons placés au centre de protection de la maison du vallon , « emmaillotés », nous aussi dans les tissus de l’hiver. Et nous avons bien chaud, parce qu’il fait froid dehors. dans la suite de ce « paradis artificiel » plongé dans l’hiver, Baudelaire dit que le rêveur demande un hiver rude.  « Il demande annuellement au ciel autant de neige, de grêle et de gelée qu’il en peut contenir. il lui faut un hiver canadien, un hiver russe. Son nid en sera plus chaud, plus doux, plus aimé… » 

et plus loin, en référence à un texte d’Henri Bachelin tiré du roman Le serviteur :

« De toutes les saisons, l’hiver est la plus vieille. Elle met de l’âge dans les souvenirs. Elle renvoie à un long passé. Sous la neige la maison est vieille. Il semble que la maison vive en arrière dans les siècles lointains. Ce sentiment est bien évoqué par Bachelin dans les pages où l’hiver a toute son hostilité : « C’étaient des soirs, où, dans de vieilles maisons entourées de neige et de bise, les grandes histoires, les belles légendes que se transmettent les hommes, prennent un sens concret et deviennent susceptibles, pour qui les creuse, d’une application immédiate. Et c’est ainsi que peut-être un de nos ancêtres, expirant en l’an mille, a pu croire à la fin du monde. » Car les histoires ne sont pas ici des contes de la veillée, des histoires de fées contées par des grand’mères; ce sont des histoires d’hommes, des histoires qui méditent des forces et des signes. En ces hivers, dit ailleurs Bachelin, « il me semble que (sous le manteau de la vaste cheminée) les vieilles légendes devaient être alors beaucoup plus vieilles qu’elles  ne le sont aujourd’hui ». elles avaient précisément l’ancienneté du drame des cataclysmes, des cataclysmes qui peuvent annoncer la fin du monde.
     Evoquant ces veillées d’hiver dramatique dans la maison paternelle, Bachelin écrit encore : « lorsque nos compagnons des veillées partirent les pieds dans la neige et la tête dans les rafales, il me semblait qu’ils s’en allassent très loin, dans des pays inconnus de chouettes et de loups. J’étais tenté de leur crier comme je l’avais lu dans mes premiers livres d’histoire : A la grâce de Dieu ! »
    N’est-il pas frappant que dans l’âme d’un enfant, la simple image de la maison familiale sous la neige amoncelée puisse intégrer des images de l’an mille ? »

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Eugene Lavieille - Barbizon sous la neige à l'hiver 1855

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Eugène Lavieille – Barbizon sous la neige à l’hiver 1855

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Habitué de Barbizon, Lavieille s’était fait une spécialité de ces paysages de neige mais ce n’est pas ce tableau, présenté au Salon de 1855 mais un autre présenté au Salon de 1859 qui avait séduit le critique Baudelaire qui écrivait à ce sujet : « Depuis quelques années, les paysagistes ont plus fréquemment appliqué leur esprit aux beautés pittoresques de la saison triste. Mais personne, je crois, ne les sent mieux que M. Lavieille. Quelques uns des effets qu’il a souvent rendus me semblent des extraits du bonheur de l’hiver. dans la tristesse de ce paysage, qui porte la livrée obscurément blanche et rose des beaux jours d’hiver à leur déclin, il y a une volupté élégiaque irrésistible que connaissent tous les amateurs de promenades solitaires ».

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le pictorialisme en photographie : images d’un monde évanoui – (I) le monde rural des années 1904 et 1905.

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L'Epreuve photographique

    Entre 1904-1905, l’une des plus luxueuses publications de photographies par plaques en France et en Europe était L’Épreuve Photographique. Publié à Paris, il ne se satisfaisait pas d’être identifié comme un simple journal photographique et se présentait comme un « portefeuille périodique de grand luxe ». Durant deux années, de nombreuses photographies primées dans les cercles pictorialistes français et européens ont été sélectionnées et présentées en format  surdimensionné (44 x 32 cm), imprimées à la main à la plaque de cuivre (taille-douce ) et héliogravures par l’atelier parisien de Charles Wittmann.

   Between 1904-1905, one of the most luxurious subscription photographic plate publications in France or Europe was L’Épreuve Photographique. (The Photographic Print) Published in Paris, and not satisfied with identifying itself as a mere photographic journal, it billed itself as a “monthly portfolio of luxury” instead. (Portfolio périodique de grand luxe)  Over the course of two years, prize-winning salon photographs from French and European pictorialist circles were selected for inclusion in this oversized publication (44 x 32 cm) as hand-pulled, copper plate (taille-douce) screen photogravures (héliogravures) from the Paris atelier of Charles Wittmann.

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Émile Dacier (1876-1052) était bibliothécaire et historien de l’art français. Il a été secrétaire de rédaction du Bulletin de l’art ancien et moderne (1899-1914) et de la Revue de l’art ancien et moderne (1919-1927) dans laquelle il a publié un grand nombre de chroniques, notes et articles relevant aussi bien de l’art ancien que contemporain, notamment sur la gravure et la photographie. Le texte qui suit est un extrait d’une préface d’un ouvrage consacré à la photographie.

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p style= »text-align:justify;padding-left:90px; »>    « Où es-tu, pauvre petit carré de carton d’autrefois? Tu as perdu cette «finesse» dont tu te montrais si vain, mais tu as gagné cette qualité essentielle de ne pas tout dire et de laisser le spectateur donner libre essor à son imagination.
Où est la gamme invariable de tes tonalités brunes? — Une palette polychrome l’a remplacée : les photographies d’aujourd’hui ne sont plus uniquement des sépias, mais des pastels, des eaux-fortes, des fusains, des sanguines…
Où est ta désolante et monotone impersonnalité ? — Les photographes d’aujourd’hui ont tous leur manière caractérisée : ils sont symbolistes, impressionnistes, luministes, intimistes, photographes de moeurs ou de paysage, de genre ou de portrait…
Où est enfin ta précision sèche, qui n’était pas même de la fidélité parfaite? — Tu méconnaissais l’harmonieux accord des valeurs, et ce sont justement les valeurs qu’on arrive à te faire exprimer…
Voilà ce que tu es devenu, pauvre petit carré de carton d’autrefois!

   Lentement, patiemment, avec une inlassable ténacité, avec un désintéressement des plus louables, des amateurs ont travaillé à dégager l’art photographique des routines machinales, comme un précieux minerai de sa gangue. Ce que cette consécration, aujourd’hui définitivement admise, leur a coûté d’efforts, nul ne le saura jamais; et qu’importe, après tout, les centaines d’épreuves gâchées, s’il en reste une seule pour témoigner, chez son auteur, d’un idéal de beauté enfin réalisé?
S’il en reste une seule?… Il en reste plus d’une, heureusement; et je n’en veux pour preuve que les images dont se compose cette publication.

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p style= »text-align:justify;padding-left:90px; »>    Aimez-vous les paysages véridiques et pourtant poétisés? Voici la brume verte des premières feuillées, voici la splendeur des soleils qui dorent les champs; voici la rousse toison des forêts automnales, et la neige, et la glace, parures gemmées de l’hiver; voici les plaines, les monts, les mers, le ruban gris des routes, le ruban moiré des fleuves; voici le mystère des nocturnes et l’étrangeté des contre-jour…
Préférez-vous la chaste nudité des belles formes que caresse la lumière, ou l’innombrable diversité du visage humain? Voici des gestes jolis, des attitudes heureuses, des chevelures qui tombent en nappes ou se replient en coques; voici des yeux qui luisent, des lèvres qui s’entr’ouvrent pour un sourire, qui se pincent pour une moue, qui se tendent pour un baiser…
Est-ce enfin la vie, le mouvement, l’impression brève et fugitive qu’il vous plaît d’évoquer? Voici les souvenirs des contrées lointaines; voici les drames et les comédies de la rue dont le hasard est le grand metteur en scène; voici la poussée des foules, la galopade des escadrons, le choc des flots sur les brisants; voici…

Voici des images ! »

Émile DACIER.

 

Paysage, 1904 - photographe Edouard Adelot

Paysage, 1904 – photographe Edouard Adelot

Retour du troupeau, 1905-Augustin Boutique

Retour du troupeau, 1905-Augustin Boutique

Bergère, 1905 - photographe Alex Keighley

Bergère, 1905 – photographe Alex Keighley

Auprès du Moulin, 1905 - Léonard Misonne

Auprès du Moulin, 1905 – Léonard Misonne

La peur du photographe, 1905 - A. Nourrit

La peur du photographe, 1905 – A. Nourrit

Sale Temps, 1904 - photographe Charles Misonne

Sale Temps, 1904 – photographe Charles Misonne

Retour du Travail, 1904 - photographe Antonin Personnaz

Retour du Travail, 1904 – photographe Antonin Personnaz

la Meule, 1905 - photographe Antonin Personnaz

la Meule, 1905 – photographe Antonin Personnaz

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De la cave au grenier, l’esprit caché de l’escalier (au sujet d’un anodin petit poème…)

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La cave et le grenier

Dans ma maison,
j’entends chaque nuit 
la cave monter l’escalier.
Elle s’arrête sur le palier. 
et attend là patiemment
que le grenier descende.
Il est toujours en retard…
Quand le grenier est là,
je les entends chuchoter
derrière la porte close…

Que peuvent-ils bien se dire ?

Enki, Pont-Croix, 2 août 2011
poème dédié à Zoé qui manie avec dextérité le sécateur...

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–––– Textes et images –––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––

Rembrandt - le philosophe

           Rembrandt van Rijn – Philosophe en méditation, 1632

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la maison comme être vertical et la polarité de la cave et du grenier : l’escalier (la poétique de l’espace par Gaston Bachelard)

Gaston Bachelard à 15.10.16

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    La maison est un corps d’images qui donnent à l’homme des raisons ou des illusions de stabilité. Sans cesse on réimagine sa réalité : distinguer toutes ces images serait dire l’âme de la maison ; ce serait développer une véritable psychologie de la maison.
    Pour mettre en ordre ces images, il faut, croyons-nous, envisager deux thèmes principaux de liaison :

  • la maison est imaginée comme un être vertical. Elle s’élève. Elle se différencie dans le sens de la verticalité. elle est un des appels à notre conscience de verticalité;
  • la maison est imaginée comme un être concentré. Elle nous appelle à une conscience de centralité.

    Ces thèmes sont sans doute énoncés bien abstraitement. Mais il n’est pas difficile, sur des exemples, d’en reconnaître le caractère psychologiquement concret.
   La verticalité est assurée par la polarité de la cave et du grenier. Les marques de cette polarité sont si profondes qu’elles ouvrent, en quelque manière, deux axes très différents pour une phénoménologie de l’imagination. En effet, presque sans commentaire, on peut opposer la rationalité du toit à l’irrationalité de la cave. Le toit dit tout de suite sa raison d’être : il met à couvert l’homme qui craint la pluie et le soleil. Les géographes ne cessent de rappeler que dans chaque pays, la pente du toit est un des signes les plus sûrs du climat.  On « comprend » l’inclinaison du toit. le rêveur lui-même rêve rationnellement ; pour lui, le toit aigu tranche les nuées. vers le toit, toutes les pensées sont claires. Dans le grenier, on voit à nu, avec plaisir, la forte ossature des charpentes. On participe à la solide géométrie du charpentier.
    La cave, on lui trouvera sans doute des utilités. On la rationalisera en énumérant ses commodités. Mais elle d’abord l’être obscur de la maison, l’être qui participe aux puissances souterraines. En y rêvant, on s’accorde à l’irrationalité des profondeurs.

    On se rendra sensible à cette double polarité verticale de la maison, si l’on se rend sensible à la fonction d’habiter au point d’en faire une réplique imaginaire de la fonction de construire. Les étages élevés, le grenier, le rêveur les « édifie », il les réédifie bien édifié. Avec les rêves dans la hauteur claire nous sommes, répétons le, dans la zone rationnelle des projets intellectualisés. Mais pour la cave, l’habitant passionné la creuse, la creuse encore, il en rend active la profondeur. Le fait ne suffit pas, la rêverie travaille. Du côté de la terre creusée, les songes n’ont pas de limite. Nous donnerons par la suite des rêveries d’ultra-cave. Restons d’abord dans l’espace polarisé par la cave et le grenier et voyons comment cet espace polarisé peut servir à illustrer les nuances psychologiques les plus fines.
    Voici comment le psychanalyste C.-G. Jung se sert de la double image de la cave et du grenier pour analyser les peurs qui habitent la maison. On trouvera en effet dans le livre de Jung : L’homme à la découverte de son âme, une comparaison qui doit faire comprendre l’espoir qu’a l’être conscient « d’anéantir l’autonomie des complexes en les débaptisant ». L’image est la suivante :  » La conscience se comporte là comme un homme qui, entendant un bruit suspect à la cave, se précipite au grenier pour y constater qu’il n’y a pas de valeurs et que par conséquent, le bruit était pure imagination. En réalité, cet homme prudent n’a pas osé s’aventurer à la cave. »

    Dans la mesure même où l’image explicative employée par Jung nous convainc, nous lecteurs, nous revivons phénoménologiquement les deux peurs : la peur au grenier et la peur dans la cave. Au lieu d’affronter la cave (l’inconscient), « l’homme prudent » de Jung cherche à son courage les alibis du grenier. Au grenier, souris et rats peuvent faire leur tapage. Que le maître survienne, ils rentreront dans le silence de leur trou. A la cave remuent des êtres plus lents, moins trottinants, plus mystérieux. Au grenier les peurs se « rationalisent » aisément. A la cave, même pour un être plus courageux que l’homme évoqué par Jung, la « rationalisation » est moins rapide et moins claire; elle n’est jamais définitive. Au grenier, l’expérience du jour peut toujours effacer les peurs de la nuit. A la cave les ténèbres demeurent jour et nuit. Même avec le bougeoir à la main, l’homme à la cave voit danser les ombres sur la noire muraille.

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Yggdrasil, peinture attribuée à Oluf BaggeYggdrasil, peinture attribuée à Oluf Bagge

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le symbolisme de l’ascension, l’assimilation symbolique de l’habitation au « Centre du Monde », le symbolisme de l’escalier ( images et symboles, Mircea Eliade)

 Mircea Eliade   Nous reviendrons (…) sur cette assimilation symbolique de l’habitation au « Centre du Monde », car elle trahit un des comportements les plus instructifs de l’homme religieux archaïque. pour l’instant, arrêtons-nous sur les rites d’ascension qui ont lieu dans un « centre ». (…) Nous avons vu que le chaman tatar ou sibérien grimpe à un arbre et que le sacrificateur védique monte à une échelle. Les deux rites poursuivent le même but : l’ascension au ciel. Un nombre considérable de mythes parlent d’un arbre, d’une liane, d’une corde, d’un fil d’araignée ou d’une échelle qui relient la Terre au Ciel, et par le truchement desquels certains êtres privilégiés montent effectivement au ciel. Ces mythes ont, bien entendu, des correspondances rituelles – comme, par exemple, l’arbre chamanisme ou le poteau du sacrificateur védique. L’escalier cérémoniel joue également un rôle important. Contentons-nous  de quelques exemples : Polyaenus (Stratagematon, VII, 22) nous parle de Kosingas, prêtre-roi de quelques populations de Thrace, qui menaçaient ses sujets de les quitter, en montant sur une échelle de bois jusqu’à la déesse Hera; ce qui prouve qu’une telle échelle rituelle existait et qu’elle était censée pouvoir conduire le prêtre-roi jusqu’au ciel. L’ascension céleste par la montée cérémonielle d’une échelle faisait probablement partie d’une initiation orphique. En tout cas, nous la retrouvons dans l’initiation mythique. Dans les mystères de Mythra, l’échelle (climax) cérémonielle avait sept échelons, chaque échelon étant fait d’un métal différent. D’après Celse, le premier échelon était de plomb et correspondait au « ciel » de la planète Saturne, le deuxième d’étain (Vénus), le troisième de bronze (Jupiter), le quatrième de fer (Mercure), le cinquième d' »alliage monétaire » (Mars), le sixième d’argent (Lune), le septième d’or (le soleil). Le huitième échelon, nous dit Celse, représente la sphère des étoiles fixes. En gravissant cette échelle cérémonielle, l’initié parcourait effectivement les sept cieux , s’élevant ainsi jusqu’à l’Empyrée. Tout comme on montait au dernier ciel en gravissant les sept étages de la Ziggurat babylonienne ou qu’on traversait les différentes régions cosmiques en escaladant les terrasses du temple Barabudur, qui constituait en lui-même (…) une Montagne Cosmique ou une Imago Mundi.

Ziggurat de Ur par PurpleSkercher 92Ziggurat de Ur

    On comprend facilement que l’escalier de l’initiation mythique était un Axe du Monde et se trouvait au Centre de l’Univers; autrement, la rupture des niveaux n’aurait pas été possible. « Initiation » veut dire, on le sait, mort et résurrection du néophyte, ou, dans d’autres contextes, descente aux Enfers suivie d’ascension au Ciel. La mort – initiaque ou non – est la rupture du niveau pas excellence. C’est pour cela qu’elle est symbolisée par une escalade, et maintes fois les rituels funéraires utilisent des échelles ou des escaliers. L’âme du mort gravit les sentiers d’une montagne, ou grimpe sur un arbre, ou une liane, jusqu’aux cieux. Cette conception se retrouve un peu partout dans le monde, de l’Egypte ancienne à l’Australie. L’expression habituelle, en assyrien, pour le verbe « mourir » est : « s’accrocher à la montagne ». De même, en égyptien, myny, « s’accrocher », est un euphémisme pour « mourir ». Dans la tradition mythique indienne, Yama, le premier mort, a grimpé sur la montagne et a parcouru « les hauts défilés » pour montrer « le chemin à beaucoup d’hommes »; ainsi s’exprime me Rig Veda (X, 14, 1). Le chemin des morts dans les croyances populaires ouralo-altaïques gravit les monts; Bolot, héros Kara-Kirghiz, de même que Kesar, roi légendaire des Mongols, pénètre dans le monde de l’au-delà, en guise d’épreuve initiatique, par une grotte située au sommet des montagnes; la descente du chaman aux Enfers s’effectue également par le truchement d’une grotte. Les Egyptiens ont conservé dans leurs textes funéraires l’expression basket pet (asket = « marche ») pour indiquer que l’échelle dont dispose Rê est une échelle réelle, qui relie la Terre au Ciel. « Est installée pour moi l’échelle pour voir les Dieux« , dit le Livre des Morts. « Les Dieux lui font une  échelle pour que, se servant d’elle, il monte au Ciel« , dit toujours le Livre des Morts. Dans nombre de tombeaux du temps des dynasties archaïques et médiévales, on a trouvé des amulettes figurant une échelle (maquet) ou un escalier. L’usage de l’échelle funéraire a survécu d’ailleurs jusqu’à nos jours : plusieurs populations asiatiques primitives – comme, par exemple, les Lolos, les Karens, etc. – dressent sur les tombeaux des échelles rituelles, qui servent aux défunts pour monter aux Cieux.

     Comme nous venons de le voir, l’escalier est porteur d’un symbolisme extrêmement riche sans cesser d’être parfaitement cohérent : il figure plastiquement à la rupture de niveau qui rend possible le passage d’un mode d’être à un autre; ou en nous plaçant sur le plan cosmologique, qui rend possible la communication entre Ciel, Terre et Enfer. C’est pour cela que l’escalier et l’escalade jouent un rôle considérable aussi bien dans les rites et les mythes d’initiation  que dans les rites funéraires, pour ne rien dire des rites d’intronisation royale ou sacerdotale, ou des rites de mariage. or, l’on sait que le symbolisme de l’escalade et des marches se rencontre assez souvent dans la littérature psychanalytique, ce qui précise que nous avons affaire à un comportement archaïque  de la psyché humaine, et non pas à une création « historique », à une innovation  due à un certain moment historique. (…)

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les symboles ascensionnels (Les Structures Anthropologiques de l’imaginaire – 2ème partie : le sceptre et le glaive) –Dunod 1969, 1992 – Gilbert Durand.

Gilbert Durand    le schème de l’élévation et les symboles verticalisants sont par excellence des « métaphores axiomatiques », elle sont celles qui plus que tout autre « engagent », dit Bachelard, le psychisme tout entier. « Toute valorisation n’est-elle pas verticalisation ? » Pour confirmer l’importance axiomatique du vecteur vertical, le philosophe des éléments se plait à voir converger la pensée du romantique Schelling et du « prudent » Wallon. Le premier magnifiant la verticalité ascendante comme seule direction ayant une signification « active, spirituelle », le second formulant l’hypothèse, que nous développons ici, que « peut-être la notion de verticalité comme axe stable des choses est-elle en rapport avec la station redressée de l’homme, dont l’apprentissage lui coûte tant ». C’est sur ceta xe fondamental de la représentation humaine, sur cette bipartition première de l’horizon imaginaire que Desoille a établi toute une thérapeutique d’élévation psychique, sinon morale, fort proche de ce qu’avait pressenti le poète romantique Jean-Paul dans son essai Coup d’œil sur le monde des rêves. Cette thérapeutique est à même de nous faire saisir la liaison directe entre les attitudes morales et métaphysiques et les suggestions naturelles de l’imagination. Desoille se refuse, à raison, de séparer le symbole ascensionnel de l’idéal moral et et de la complétude métaphysique. C’est un catharisme et un don-quichottisme provoqué et thérapeutique auquel nous sommes tous conviés et qui prouve d’efficiente façon que les concepts de vérités et de valeurs « élevées » et les conduites pratiques qui accompagnent leur apparition dans la conscience sont motivées par les images dynamiques de l’ascension. Koffka, utilisant de tout autres méthodes que celles des réflexologues ou des psychanalystes, met en relief la primauté du schéma verticalisant, ou ce qui revient au même, du « niveau » horizontal, niveau dominant dans les perceptions visuelles puisqu’il est d’emblée rétabli lorsqu’une situation accidentelle vient le troubler : l’impression de perception « penchée » que l’on ressent en regardant à travers la fenêtre d’un chemin de fer de montagne à pente rapide est immédiatement dissipée si l’on met la tête à la portière. Il existe donc chez l’homme une constante orthogonale qui ordonne la perception purement visuelle. C’est ce qu’implique la réaction « dominante » du nouveau-né qui répond au brusque passage de la verticale à l’horizontale, ou vice-versa, par l’inhibition de tous les mouvements spontanés. ce problème de la dominance verticale a été méthodiquement étudié par J. Gibson et O. H. Maurer. Ces auteurs rattachent ce « réflexe de la gravitation » non seulement aux excitations qui partent des canaux semi-circulaires, mais encore à des variations bilatérales de la pression tactiles sur la plante des pieds, sur les fesses, les coudes et probablement aussi aux pressions « internes et viscérales ». C’est sur ce canevas kinésique et coenesthésique que vient broder la seconde classe de facteurs, et comme par conditionnement, les facteurs visuels. La hiérarchie de ces deux motivations, la verticalisation étant la dominante à laquelle se subordonne la vision, est constatée sur le fait que « des lignes rétinales penchées peuvent produire des lignes phénoménalement perçues comme droites lorsque la tête est penchée ». Enfin la psychologie génétique vient confirmer cet accent axiomatique et dominant porté par la verticalité, lorsqu’elle décèle chez l’enfant des « groupes » sorte d’a priori nécessaires à l’interprétation des mouvements – qui structurent l’espace postural.

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