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Illustrations et texte extrait de Gaspard de la nuit. Fantaisies décorées à la manière de Rembrandt et de Callot par Aloysius Bertrand (1807-1841), sixième livre : Silves, pages 125 et 126. – sur site WIKIMEDIA, c’est ICI.
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Gaston Bachelard et l’étude phénoménologique de l’image poétique
Pour Gaston Bachelard, une image poétique nouvelle apparait comme un « soudain relief du psychisme » que la psychologie traditionnelle explique mal. Lorsque cette image apparaît, même liée à un archétype enfoui au plus profond de l’inconscient, le rapport qui unit cette image à cet archétype n’est pas d’ordre causal, l’image possède vis à vis de l’archétype une existence et un dynamisme propre, un « retentissement » et une « sonorité » particuliers spécifique à l’état poétique. Pour Bachelard, les raisons formulées par le psychologue et le psychanalyste pour expliquer l’apparition de l’image poétique ne sont pas suffisantes pour rendre compte de son apparition et de l’effet dynamique qu’elle produit sur le public. L’image poétique apparaît donc moins comme un effet et une résultante qu’un inducteur d’imagination et de conscience :
« Il faut en venir, pour éclairer philosophiquement le problème de l’image poétique, à une phénoménologie de l’imagination. Entendons par là une étude du phénomène de l’image poétique quant l’image émerge dans la conscience comme un produit direct du cœur, de l’âme, de l’être de l’homme saisi dans son actualité« . (La poétique de l’espace).
Si les images poétiques sont le produit direct de l’âme humaine, comment s’étonner alors si des images semblables émergent en divers lieux et chez divers auteurs pour rendre compte de la même réalité. C’est le cas, pour le texte présenté ci-dessus, de l’image de la chaumière rêvée par un poète sans le sou, décrite comme un cocon protecteur face à la dureté de l’hiver où il fait bon, face à un feu de cheminée odorant, de s’adonner à la lecture ou de jouir du spectacle de l’hiver et de ses rigueurs lorsque l’on est bien protégé. Voici un texte de Baudelaire et un autre d’Henri Bachelin cités par Bachelard dans son essai qui correspond sur plusieurs points au texte écrit par Aloysius Bertrand. A la lecture sous le manteau de la cheminée des Chroniques des preux et des moines répondent la lecture de Kant, les grandes et belles histoires et légendes et à la vision jouissive, par la fenêtre, du cavalier s’amenuisant dans le paysage enneigé et brumeux répond le désir d’un hiver rigoureux (lorsque l’on bénéficie de la protection nécessaire…) et l’assimilation de l’environnement enneigé de la maison à des pays inconnus de chouettes et de loups :
» Dans Les paradis artificiels, il (Baudelaire) dit le bonheur de Thomas de Quincey, enfermé dans l’hiver, tandis qu’il lit Kant, aidé par l’idéalisme de l’opium. La scène se passe dans un « cottage » du Pays de Galles. (…) Une jolie habitation ne rend-elle pas l’hiver plus poétique, et l’hiver n’augmente t-il pas la poésie de l’habitation ? Le blanc cottage était assis au fond d’une petite vallée fermée de montagnes suffisamment hautes; il était comme emmailloté d’arbustes. » (…) « Nous nous sentons placés au centre de protection de la maison du vallon , « emmaillotés », nous aussi dans les tissus de l’hiver. Et nous avons bien chaud, parce qu’il fait froid dehors. dans la suite de ce « paradis artificiel » plongé dans l’hiver, Baudelaire dit que le rêveur demande un hiver rude. « Il demande annuellement au ciel autant de neige, de grêle et de gelée qu’il en peut contenir. il lui faut un hiver canadien, un hiver russe. Son nid en sera plus chaud, plus doux, plus aimé… »
et plus loin, en référence à un texte d’Henri Bachelin tiré du roman Le serviteur :
« De toutes les saisons, l’hiver est la plus vieille. Elle met de l’âge dans les souvenirs. Elle renvoie à un long passé. Sous la neige la maison est vieille. Il semble que la maison vive en arrière dans les siècles lointains. Ce sentiment est bien évoqué par Bachelin dans les pages où l’hiver a toute son hostilité : « C’étaient des soirs, où, dans de vieilles maisons entourées de neige et de bise, les grandes histoires, les belles légendes que se transmettent les hommes, prennent un sens concret et deviennent susceptibles, pour qui les creuse, d’une application immédiate. Et c’est ainsi que peut-être un de nos ancêtres, expirant en l’an mille, a pu croire à la fin du monde. » Car les histoires ne sont pas ici des contes de la veillée, des histoires de fées contées par des grand’mères; ce sont des histoires d’hommes, des histoires qui méditent des forces et des signes. En ces hivers, dit ailleurs Bachelin, « il me semble que (sous le manteau de la vaste cheminée) les vieilles légendes devaient être alors beaucoup plus vieilles qu’elles ne le sont aujourd’hui ». elles avaient précisément l’ancienneté du drame des cataclysmes, des cataclysmes qui peuvent annoncer la fin du monde.
Evoquant ces veillées d’hiver dramatique dans la maison paternelle, Bachelin écrit encore : « lorsque nos compagnons des veillées partirent les pieds dans la neige et la tête dans les rafales, il me semblait qu’ils s’en allassent très loin, dans des pays inconnus de chouettes et de loups. J’étais tenté de leur crier comme je l’avais lu dans mes premiers livres d’histoire : A la grâce de Dieu ! »
N’est-il pas frappant que dans l’âme d’un enfant, la simple image de la maison familiale sous la neige amoncelée puisse intégrer des images de l’an mille ? »
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Eugène Lavieille – Barbizon sous la neige à l’hiver 1855
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Habitué de Barbizon, Lavieille s’était fait une spécialité de ces paysages de neige mais ce n’est pas ce tableau, présenté au Salon de 1855 mais un autre présenté au Salon de 1859 qui avait séduit le critique Baudelaire qui écrivait à ce sujet : « Depuis quelques années, les paysagistes ont plus fréquemment appliqué leur esprit aux beautés pittoresques de la saison triste. Mais personne, je crois, ne les sent mieux que M. Lavieille. Quelques uns des effets qu’il a souvent rendus me semblent des extraits du bonheur de l’hiver. dans la tristesse de ce paysage, qui porte la livrée obscurément blanche et rose des beaux jours d’hiver à leur déclin, il y a une volupté élégiaque irrésistible que connaissent tous les amateurs de promenades solitaires ».
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