Regards croisés : l’alpiniste et le pin au sommet de la montagne

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Gaston Rébuffat photographié par Lionel Terray sur le gendarme du Pic du Roc

Arbre_perché_-_HuangShan

   L’arbre seul, dans la nature, pour une raison typifique, est vertical, avec l’homme. Mais un homme se tient debout dans son propre équilibre, et les deux bras qui pendent, dociles, au long de son corps, sont extérieurs à son unité. L’arbre s’exhausse par un effort, et cependant qu’il s’attache à la terre par la prise collective de ses racines, les membres multiples et divergents, atténués jusqu’au tissu fragile et sensible des feuilles, par où il va chercher dans l’air même et la lumière son point d’appui, constituent non seulement son geste, mais son acte essentiel et la condition de sa stature. (Le Pin – Connaissance de l’Est, Paul Claudel, 1920 – crédit Wikisource)

– Mais toi, Zarathoustra,
tu aimes aussi l’abîme, semblable au pin ?
Le pin agrippe ses racines,
là où le rocher lui-même
regarde dans les profondeurs en frémissant…
(Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra)

    L’Homme et l’arbre ont toujours été sujets à comparaison; le tronc de l’arbre qui s’élève en direction du ciel s’apparente au corps de l’homme dans sa stature verticale, ses racines qui l’arriment solidement au sol et ses branches qui se déploient à l’extérieur du tronc aux membres humains : jambes, pieds, bras et mains. L’imagination humaine va jusqu’à envisager la métamorphose de l’une des espèce en l’autre. Dans les contes, les légendes et le mythes, les arbres se déplacent et sont animés de sentiments humains et ces derniers se transforment et se figent en végétaux. Comme l’on comprend les mécanismes mentaux qui induisent cette imagination lorsque l’on contemple ces deux images mises côte à côte : D’un côté, l’homme debout, en équilibre précaire sur une minuscule plateforme rocheuse surplombant un abîme qui paraît sans fond… de l’autre un arbre isolé, un pin perché au sommet d’un monolithe de pierre où la terre est inexistante, où l’eau s’enfuit aussi vite que l’orage l’a amené, exposé sans protection aux brûlures du soleil et aux vents desséchants et glacés… Même sensation de vulnérabilité et d’admiration pour les efforts et  les qualités que chacun d’entre eux doit mettre en œuvre pour se préserver dans cet environnement hostile et l’on prête tout naturellement à l’arbre les mêmes qualités que l’on attribue à l’homme…

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     Première photo : Gaston Rébuffat au sommet de l’aiguille du Roc

Gaston Rébuffat photographié par Lionel Terray sur le gendarme du Pic du Roc

« Celui qui sait respirer l’atmosphère qui remplit mon œuvre sait que c’est une atmosphère des hauteurs, que l’air y est vif. Il faut être créé pour cette atmosphère, autrement l’on risque beaucoup d’y prendre froid. La glace est proche, la solitude est énorme – mais voyez avec quelle tranquillité tout repose dans la lumière ! Voyez comme l’on respire librement ! Que de choses on sent au-dessous de soi ! » (Friedrich Nietzsche, Ecce homo)

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Gaston Rébuffat (1921-1985)    La première photo représente Gaston Rébuffat, le célèbre alpiniste et écrivain français, auteur de nombreux ouvrages consacrés à la montagne, au sommet de l’une des aiguilles de Chamonix dans le massif du Mont-Blanc, l’aiguille du Roc (3.409 m) dont il a réalisé la première ascension en 1944. L’aiguille du Roc est en fait un pinacle détaché de l’arête Sud-Est de l’aiguille du Grépon (3.482 m). Elle est parfaitement visible de la station du Montenvers et du col des Montets. On distingue en arrière-plan sur la gauche l’aiguille du Géant, sur la frontière italienne. La photo a été prise par le photographe George Tairraz et a servie à illustrer la couverture de l’ouvrage de Gaston Rébuffat « La montagne est mon domaine ». Elle est l’une des photos choisies par la NASA pour être embarquées dans les sondes du programme Voyager, afin d’illustrer les réalisations humaines. J’ai découvert une autre photo de Gaston Rébuffat, apparemment sur le même sommet avec en arrière-plan sur la droite l’aiguille de la Tour Ronde.

Gaston-Rébuffat

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Deuxième photo : un pic des monts  Huang en Chine

Arbre_perché_-_HuangShan

  « Le picéa n’a plus les grandes ailes du sapin blanc. Il sacrifie les branches, et s’enrichit en feuilles. Il en met tout autour du rameau qui dardent et aspirent de tous côtés, qui l’alimentent, le fortifient. Tout son souci, c’est de se dresser en colonne, d’être un puissant mât de navire, qui brave aujourd’hui la tempête de la montagne, et demain l’Océan. Ces vaillants arbres ne font nul frais pour eux. Point de luxe. Nul ornement. Ils ont bien autre chose à faire aux pentes dangereuses où ils montent à l’assaut. Vent glacé, rocher nu. Ils montent, ils étendent, ils attachent, comme ils peuvent, leurs maigres racines et tiennent à peine au sol. C’est en se pressant, en serrant leurs rangs, leurs légions, qu’ils se soutiennent entre eux et soutiennent aussi la montagne. » (Jules Michelet, La montagne)

     La deuxième photo représente l’un des sommets du massif des monts Huang, (ou Huang Shan) (sinogrammes simplifiés 黄山  ; hanyu pinyin huángshān, littéralement « la montagne jaune ») qui est un massif montagneux granitique de la province de l’Anhui méridional, à l’est de la Chine. La région est connue pour la magnificence de ses paysages à l’aspect changeant formés d’une multitude de pics piquetés de pins aux formes tourmentées émergeant de mers de nuages et de bruines. Ces montagnes mythiques ont toujours constituées un sujet privilégié pour la peinture et la littérature chinoises traditionnelles et sont aujourd’hui une destination touristique prisée. Un million de visiteurs les visitent chaque année. 

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Pic_-_HuangShan

黄海树石_渐江

Pic dans la brume Huang Shan

Pic dans la brume, Huang Shan

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