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Hata no Chitei, Vie illustrée du Prince Shôtoku (Shôtoku taishi eden), milieu du XIe siècle – (Musée national de Tokyo) – On distingue le prince survoler les environs du Fuji sur son petit cheval noir.
Dans le domaine de la peinture, la plus ancienne représentation que l’on connaisse du mont Fuji se trouve dans la Vie illustrée du Prince Shôtoku (Shôtoku taishi eden), qui date du milieu du XIᵉ siècle. On y voit Shôtoku Taishi (574-622), le « père commun » vénéré par les sectes japonaises en train de gravir cette montagne sur un cheval noir que lui avait offert la province de Kai (l’actuelle préfecture de Yamanashi). Cette légende s’est répandue en même temps que les croyances en relation avec le prince Shôtoku et elle figure invariablement dans les nombreux autres rouleaux de peinture qui ont été consacrés par la suite à ce personnage. On peut donc dire qu’elle a contribué à graver l’image du mont Fuji dans la conscience collective du peuple japonais.
On attribue au prince Shōtoku la première utilisation du nom Nihon qui désigne aujourd’hui le Japon. Dans une lettre qu’il aurait écrite au nom de l’impératrice Suiko destinée à l’empereur chinois Yangdi, on peut lire : « L’empereur du pays où le soleil se lève (nihon/hi iduru) envoie une lettre à l’empereur du pays où le soleil se couche. (Hi izuru no tokoro no tenshi. Hi bossuro no tokoro no tenshi. »
Le livre XI du Konjaku-monogatari, « Comment le prince Shötoku commença à propager la Loi du Buddha en ce pays » raconte que Shôtoku-taishi aurait vécu sa dernière existence antérieure au Heng-chan, le « Pic du Sud » de la Chine : il se souvient qu’il possédait là-bas un précieux exemplaire du Sütra du Lotus contenu dans un seul volume et envoie, avec des indications précises, un messager du nom d’Ono no Imoko le lui chercher. Ce dernier lui ayant rapporté un livre qui n’était pas le sien, mais celui d’un ancien disciple, le prince s’enferme durant sept jours et sept nuits dans le Pavillon du Rêve (Yume-dono), à l’issue desquels il annonce qu’il a été lui-même prendre le volume désiré, en envoyant sur place son esprit. On apprendra plus tard de la bouche des gens du Heng-chan qu’ils ont vu venir le prince « foulant le ciel », monté sur un char attelé d’un dragon vert – symbole, pour les chinois, de la région de l’Orient – et accompagné de cinq cents suivants : rien d’étonnant à cela, puisque le prince est une forme assumée par le bodhisattva Avalokitesvara pour convertir à la Loi bouddhique le Japon, ce « petit pays de l’Est », comparé en l’occurrence à ces minuscules Etats de l’Inde qui semblaient autant de grain de millet épars (zokusangoku). Le texte précise qu’après qu’après la mort du prince, cet exemplaire du Sütra qu’il avait ainsi été chercher en esprit, disparut mystérieusement avec lui et que le volume qui fut conservé en ce monde était celui qu’Imoko avait d’abord rapporté du Heng-chan par erreur.
Le même texte décrit également la randonnée merveilleuse, citée précédemment, entreprise par le prince pour aller inspecter les régions limitrophes du mont Fuji – cette fois, âme et corps ensemble – grâce au petit cheval noir de la province de Kai, sur le dos duquel il s’élance dans le ciel.
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Biographie illustrée du moine bouddhiste itinérant Ippen – le mont Fuji – Rouleau VI, section 2, 1299
À l’époque de Kamakura (1192-1333), le mont Fuji apparaît, entre autres, dans le rouleau de peinture intitulé Légende illustrée du moine itinérant Ippen (Yûgyô shônin engi e), qui relate l’histoire du moine Ippen (1239-1289), fondateur de la secte amidiste Jishû, et de ses pérégrinations à travers le pays où il répandit son enseignement, fondé sur la récitation du nom du bouddha Amida (nenbutsu). Toutefois, on notera qu’il existe aussi dès cette époque d’autres peintures exclusivement consacrées au mont Fuji.
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La Pêche Miraculeuse de Konrad Witz avec en arrière-plan les Voirons, le Môle et le mont Salève vus depuis Genève, 1444
Konrad Witz (vers 1400 – 1445/46) est un peintre suisse originaire de Souabe, né sans doute à Rottweil, mort à Bâle pendant l’hiver 1445 ou au printemps 1446. Il s’établit dans cette ville en 1431 durant le premier concile et s’y maria ; il eut cinq enfants. Il compte parmi les peintres importants du courant gothique tardif du Haut-Rhin qui influencèrent la pré-Renaissance au nord des Alpes. Konrad Witz est souvent abordé par les historiens de l’art pour des questions d’attributions, pour lesquelles il convient d’utiliser des outils d’analyse articulés autour de la question de l’excentricité en peinture. En effet, ce peintre est souvent classé parmi les artistes médiévaux, alors que l’on doit souvent se demander à son propos de quelle manière il envisage la modernité et avec quels moyens il y pénètre. Des motifs ironiques ou humoristiques ont même été relevés dans sa peinture, qui impliquent de repenser entièrement sa position dans l’histoire de l’art pour le classer plutôt dans la pré-Renaissance au nord des Alpes. (crédit Wikipedia).
C’est à l’historien d’art bâlois D. Burckhardt que revient le mérite d’avoir tiré Konrad Witz de l’oubli (1901). C’est en effet en trouvant ce panneau de retable dans une cave du Musée archéologique de Genève en 1901, à la lumière d’une bougie, raconte Katharina Georgi, assistante scientifique du Kunstmuseum, que Daniel Burckhardt, premier curateur professionnel des collections publiques de Bâle, a redécouvert le peintre.
Le Retable de Saint-Pierre à Genève a été réalisé en 1444, avant la Réforme. Initialement, il était composé de quatre tableaux posés au recto et au verso de deux volets se refermant sur une pièce centrale. Le retable a été réalisé pour un des autels de la cathédrale dans «un but pédagogique, esthétique et de glorification». Ouvert, il mesurait près de six mètres. Pendant la Réforme, les visages des personnages religieux ont été détruits. Et la pièce centrale a disparu. Il ne subsistent plus aujourd’hui que deux volets, peints sur les deux faces (face extérieure : l’Appel de saint Pierre et la Délivrance de saint Pierre ; face intérieure : l’Adoration des Rois et la Présentation du cardinal de Metz à la Vierge, Genève, musée d’Art et d’Histoire). Ces panneaux sont les chefs-d’œuvre de la maturité de Konrad Witz. Les figures sont toujours massives et sculpturales, mais l’artiste fait cette fois preuve d’un sentiment profond de la nature.
Dans l’Appel de saint Pierre apparaît la première représentation topographiquement correcte d’un paysage réel de la peinture occidentale, celui de la rade de Genève avec en arrière plan le Mont Blanc. En s’approchant du tableau, le spectateur peut découvrir le lac Léman peint depuis Genève, la colline des Voirons sur la gauche, le Môle au centre devant les neiges du Mont-Blanc et le petit Salève sur la droite. La singularité de La pêche miraculeuse réside dans son réalisme. «Les bons Genevois ont dû être frappés lorsqu’ils virent pour la première fois ces hommes simples pêcher dans leur lac et le Christ marcher sur ces eaux familières pour les aider et les réconforter.» (Ernst Gombrich). Dans cette transcription biblique, les pêcheurs relèvent leurs filets et manœuvrent une barque à fond plat, comme on le fait encore aujourd’hui. Les pieux qui surgissent de l’eau sont les pilotis du faubourg du Temple de Genève. Cette peinture permet aussi de donner des informations sur la disposition des bâtiments à cette époque. Konrad Witz a représenté, sur la droite, le Château de l’Ile, l’actuelle place Bel-Air et au premier plan, la transparence de l’eau révèle l’existence d’une « carronerie », une ancienne fabrique de briques. «Une carrière d’argile a réellement existé à cet endroit, mais cette représentation confirme la présence d’une carronerie», précise le pasteur Vincent Schmid. Sur la rive opposée, le coteau de Cologny est dominé par les Voirons, la pointe du Môle, le Petit-Salève et, au fond, le mont Blanc ; au loin, une escorte de cavaliers est précédée de l’étendard aux armes de la maison de Savoie. Le paysage remplit tout le tableau, absorbant en quelque sorte l’action. Le sens de la composition générale s’allie au sentiment de la nature, à l’art de rendre la perspective aérienne. Il y a dans cette œuvre un naturalisme, une vérité historique qui représentaient au milieu du XVe siècle une puissance novatrice et une hardiesse inconnues jusque-là.
Le spectateur sera peut-être surpris par la double représentation de Pierre, sur la barque et dans l’eau. En effet, le tableau combine deux récits évangéliques: l’apparition de Jésus au bord du lac (Jean 21) et Jésus marchant sur les eaux (Matthieu 14) mais c’était une manière courante chez les peintres médiévaux de raconter plusieurs histoires à la fois et de représenter deux fois le même personnage». Si le lac fait partie des deux scènes représentées, c’est «un élément central de la scénographie évangélique. Il se pourrait d’ailleurs que cette omniprésence du lac nous dise quelque chose du «Jésus de l’histoire». Peut-être a-t-il existé une source orale spécifique, un «Evangile du lac» que chaque évangéliste aurait plus tard décliné à sa manière dans son récit. La synthèse géniale de Konrad Witz le laisse imaginer. Ainsi, le lac représenté par Konrad Witz peut symboliser le lac de Génésareth appelé aussi mer de Galilée ou lac de Tibériade dont les rives sont fertiles et les eaux poissonneuses, «comme le lac Léman». Symboliquement, le théologien comprend les eaux du lac comme une représentation du monde des hommes. Un monde précaire, mouvant, ambivalent. L’homme peut s’y noyer ou mourir de faim pendant la traversée. Seule la barque de l’Eglise offre une protection. Les jambes de Pierre, en soutane sombre, représenté deux fois, apparaissent en transparence sous l’eau. «L’utilisation de la diffraction de la lumière est aussi une nouveauté pour l’époque». Il n’est pas indifférent que ce tableau ait été peint pour l’évêque de la cathédrale de Genève, du nom de Saint-Pierre comme le personnage centrale Pierre», relève Vincent Schmid. Il est représenté deux fois mais incarne 3 rôles : Pierre à la pêche, Pierre implorant le salut (Matthieu) et Pierre confessant le Christ (Jean), «donc Pierre dans son humilité».
Au premier plan, le Christ porte un manteau rouge, la couleur de la papauté (les cardinaux, censés donner leur vie et leur sang pour le Christ, étaient entièrement vêtus de rouge à partir du milieu du XIIIe siècle) il offre une impression de puissance inébranlable en contraste avec l’univers mouvant du lac. Le tableau accentue la distance entre la divinité de Dieu et l’humanité de l’homme, aboutissant presque à une forme d’inaccessibilité
(présentation tirée de l’article de Laurence Villoz de l’agence de presse protestante – explication du pasteur Vincent Schmidt)
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