Toponymie : histoires de dol ou naissance d’une passion…

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    La toponymie, (du grec tópos, τόπος, lieu et ónoma, ὄνομα, nom) est la science qui étudie les noms de lieux, ou toponymes en étudiant leur signification, leur étymologie, leur évolution dans le temps. Son champs d’application est vaste puisqu’il recouvre l’ensemble des noms de lieux habités (villes, bourgs, villages, hameaux et écarts) et l’ensemble des noms de lieux attribués aux espaces naturels non habités qu’il concerne le relief (oronymes), l’élément liquide (hydronymes). Il concerne également les noms attribués aux voies de communication  (odonymes, ou hodonymes), que les noms de lieux qui concerne des emplacements de surface restreinte (villa ou Ferme, ensembles immobiliers) : les microtoponymes.
     Avec l’étude des noms de personnes (anthroponymie), elle est l’une des deux branches principales de l’onomastique (étude des noms propres), elle-même branche de la linguistique.

     Mon intérêt pour cette discipline relève du hasard. Sur l’un des chantiers dont je m’occupais en Haute-Savoie, un endroit particulier du terrain connu sous le nom de « La Seigne » posait problème à cause des venues d’eau en provenance du sous-sol. Un géotechnicien avait été appelé à la rescousse et ce dernier, avant même d’entamer ses sondages, avait déclaré : « Avec un tel nom, on pouvait imaginer que le terrain serait chargé d’humidité sans même avoir à se déplacer sur place… » Surpris, je lui avait demandé de s’expliquer et il m’avait alors déclaré qu’en région Rhône-Alpes, les noms de lieux nommés La Seigne ou La Saigne étant souvent des lieux humides ou marécageux. Cette information m’avait vivement intéressé; ainsi donc, on pouvait, en étudiant sur une carte les noms de lieux déterminer certains caractères physiques de ces lieux. J’ignorais que les noms de lieux pouvaient également donner des informations utiles sur l’histoire de ces lieux, des populations s’y étaient succédées, des activités économiques qui y avaient été implantées.

    Quelques temps plus tard, durant mes vacances en Bretagne, je tombe chez un libraire sur un petit fascicule d’une cinquantaine de pages écrit par un certain François Falc’Hun dont le titre était : « Les noms de lieux celtiques – Nouvelle méthode de recherche en toponymie celtique ». En feuilletant l’ouvrage, je constate qu’il ne se limite pas à l’étude des noms de lieux bretons mais qu’il traite des noms de lieux de l’ensemble du territoire français avec un volet important concernant le territoire alpin. J’y relève un certain nombre de noms de lieux que je connaissais bien et pour lesquels je m’étais interrogé sur leur origine et leur signification. Falc’Hun proposait pour expliquer ces noms une origine celtique. Ainsi donc les Celtes que je croyais jusque là circonscrits à l’Europe du nord avaient occupé le massif alpin et auraient laissé de nombreuses traces au niveau de la toponymie. J’achetais le fascicule et deux autres ouvrages de Falc’Hun : « Les noms de lieux celtiques – Problèmes de doctrine et de méthode – Noms de hauteurs » (Editions armoricaines à rennes) et « Les noms de lieux celtiques – Vallées et plaine » (Slatkine). Je ne devais pas regretter ces investissements…

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le chanoine François Falc'Hun (1909-1991)le chanoine François Falc’Hun (1909-1991)

     François Falc’Hun était un prêtre catholique de langue maternelle bretonne, qui par son origine, s’était consacré à l’étude de la linguistique et la phonétique bretonnes. Il a enseigné ces disciplines aux Universités de Rennes et de Brest et écrits sur ces sujets de nombreux ouvrages. Il expliquait sa vocation par son enfance bretonnante :   « Le breton a été la seule langue que j’ai parlée et comprise jusqu’à 8 ou 9 ans, […] je n’ai jamais cessé de la pratiquer et il ne s’est guère passé d’année où elle ne soit redevenue ma langue la plus usuelle durant une période variant de quatre à douze semaines. J’en ai commencé l’étude raisonnée dès l’âge de quinze ans, au collège de Lesneven, sous la direction du chanoine Batany, auteur d’une thèse sur Luzel, à qui je dois sans doute ma vocation de celtisant« .

     Son intérêt pour la toponymie relevait d’un concours de circonstances : en 1933-1934, il se trouvait en convalescence dans les Alpes-Maritimes dans la commune de Thorenc, sur les rives de la Lane, au pied de la montagne de Bleyne. Il devait y effectuer un nouveau séjour en 1959-1960 pour les mêmes raisons. C’est lors de ces séjours qu’il s’aperçut que de nombreux toponymes alpins, incompréhensibles pour les habitants et les érudits locaux, prenaient sens lorsqu’on les interprétait à partir des langues celtiques. Il devait utiliser la même démarche pour l’étude d’autres toponymes du territoire français et à l’étranger.

     A partir des hypothèses et des conclusions auxquelles François Falc’Hun aboutissait, je me suis amusé durant plusieurs années à rechercher, d’abord sur le territoire rhône-alpin pris au sens large, en intégrant la suisse romande et le Val d’Aoste, et par la suite sur l’ensemble du territoire français, à l’occasion de mes déplacements, des exemples qui corroboraient ses thèses.

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–––– les toponymes établis sur la racine ou la base *dol –––––––––––––––––––––––––––––––––––––

Concernant cette base *dol, Falc’Hun se réfère aux travaux d’un spécialiste de la langue galloise, Sir Ifor Williams (1881-1965) qui dans un petit livre intitulé Enwau Lleoedd (Noms de lieux) explique ainsi le sens de dol ou dolen en gallois :

     « Quand une rivière coule en terrain plat, elle n’est guère pressée, mais erre nonchalamment d’un côté à l’autre en décrivant des boucles, dolennau, ce qu’exprime le verbe gallois ym-ddolennu (qu’on ne saurait bien traduire en français que par le néologisme « se méandrer »). Voilà pourquoi on appelle ces boucles dol-au, « des méandres ». Puis le mot dol s’est appliqué tout naturellement à la terre presque entourée par la boucle de la rivière.(…)
      Tout le monde sait ce qu’est une île (en gallois ynys, en breton entez, enezen) dans la mer, entourée d’eau; on trouve aussi des îles qu’entoure l’eau des rivières ou des marais. mais les dols au bord d’une rivière, les terrains plats au bord de l’eau, on les appelle aussi des îles. En Irlande, unis (prononcer inich) est le mot qui correspond au gallois ynys; on l’emploie dans le même sens et Joyce dit : « le holm ou prairie basse et plane le long d’une rivière est habituellement appelé inch par les anglophones du sud. » On emploie holm en anglais dans le même sens, pour le même type de prairie et aussi pour une île dans la mer. »

Au pays de Galles, une île entre deux bras de la rivière l’Aeron s’appelle Dolau. Au sud de Lampeter, un village situé au milieu de prairies bordant les méandres de la rivière Teifi a pour nom Dolau-gwyrddon, « les méandres verts ». Cette configuration correspond au cas de nombreux lieux portant le nom de dol sur le territoire français.

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  Au Pays de Galles, aux abords de la rivière Teifi, on compte trois lieux-dits en dol situés à proximité immédiate de deux méandres très prononcés de la rivière : le village appelé Dolau-Gwyrddon, « les méandres verts », implanté dans la plaine bordant la rivière et traversé par un ruisseau secondaire et deux hameaux appelés dolgwm : dolgwm Isaf (dolgwm bas) situé au pied d’une colline et dolgwm uchaf (dolgwm haut) sur les pentes supérieures. (A ce propos, quelqu’un pourrait-il me communiquer la signification de gwm ?). A noter l’appellation Cefn Bryn qui signifie « l’éperon du mont » (cefn signifie « colonne vertébrale » en celtique gallois et Bryn, « éminence ») et possède en France des correspondants issus du celtique : les Cévennes, chaîne de montagne composée d’éperons montagneux et Bron ou Bren qui s’appliquent à des lieux avec collines.

   Capture d’écran 2013-09-21 à 23.39.58Falc’Hun relève que toujours au Pays de Galles, on trouve un Dolau-Cothi le long de la rivière Afon Cothi et un Ynysau-ganol, « les îles du milieu », puis Ynau-isaf, « les îles d’en bas ». Au confluent de la même rivière avec l’un de ses affluents, l’Afon Marlais, on trouve un Ynys-dywell, « l’île sombre » et un  Dolau-gleision, « les méandres verts ». les villages bâtis près de ce confluent occupent les dernières pentes d’une butte surplombant celui-ci pour se mettre à l’abri des inondations. C’est une situation identique que l’on trouve en France pour le village de Bardouville perché sur un promontoire dominant les boucles de la Seine ou voisine pour le site des Iles-Bardel dans le Calvados voisin de deux hameaux appelés La Bardellière. Bardouville signifierait donc « le village du mont du dol »… par ajout au Moyen Âge à la suite d’une implantation du mot ville au nom de lieu existant déjà et d’origine celtique *Bardol, « le mont du dol » qui désignait la hauteur dominant le méandre de la Seine.

     Dans la même logique Falc’Hun relève également que l’on trouve dans toute la Haute-bretagne des lieux dominant une vallée basse en forme de fer à cheval portant les noms de Le Bardoux, le Bardoul, le Bardol, le Bardel, le Bardeau, la Bardouère, la Bardoulais, la Bardolière, la Bardelière, la Bardoulière, la Bardoullière, la Bardouillère qui logiquement, compte tenu de la configuration des lieux devraient être des barr-dol, c’est à dire des « sommet du méandre ». Ailleurs en Bretagne, Dol est bâti sur un socle rocheux qu’enserre à moitié une rive du Guioult. Mont-Dol serait une traduction d’un ancien Menez-Dol, « la montagne de Dol » (Menez en breton signifie « mont, sommet ») car le lieu domine le marais situé à proximité de la ville de Dol. Dans le Jura, la ville de Dole est située dans un méandre du Doubs qui se divise en amont et en aval en plusieurs bras.

Falc’Hun explique encore le nom des communes de Douillet (Sarthe), Deuillet (Aisne), Duilhac (Aude), Douilly (Somme), Andouillé en Mayenne (Andoliaco en 802) et Andouillé (Ile-et Vilaine) par un ancien adjectif gaulois doliacos qualifiant un site où il y avait un dol affublé dans certain cas du préfixe an- qui serait l’article gaulois identique à celui de l’irlandais et du breton. Doulaize (Doubs) s’expliquerait par un ancien dol-ia, « endroit où il y a un dol » de la même manière que Planaise (Savoie) et Planèzes (Pyrénées Orientales) seraient des anciens plan-ia, « endroit où il y a un plan, une plaine ». Doullens (Somme), Dollendorf en Rhénanie allemande, Dollon (Sarthe), Doulon (Loire-Atlantique), Dolancourt (Aube) serait la version continentale du gallois dolen et sa variante dolan, de même que Piolenc dans le Vaucluse (Poiodolen en 998).

Une variante dal de dol (anglais dal et allemand Tal) expliquerait les noms de lieux en dal : Dallon (Aisne), Dallet (Puy-de-Dôme), Daluis (Alpes-Maritimes), Dalou (Ariège) et Andalo (Lac de Côme) accompagné de l’article gaulois.

Enfin le radical dol servirait également à nommer les rivières qui serpentent de la même manière que celles-ci sont parfois nommées la Serpentine (Jura), la Couloubre (couleuvre), les rivières à dol sont nommées Dolon (affluent du Rhône entre Vienne et Tournon), la Doulonne (petit affluent du Doubs), la Dolive (Saône-et-Loire), la Deule (Nord), l‘Eau d’Olle (Isère), le Doulou (petit affluent du Lot).

La Doulonne qui serpente - crédit Michel photosLa Doulonne qui serpente – crédit Michel photos

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3 réflexions sur « Toponymie : histoires de dol ou naissance d’une passion… »

    • Comme il est précisé au début du texte, l’auteur est l’auteur de ce blog, pseudo Enki, toponymiste amateur passionné à ses heures perdues… Vous pouvez le contacter de la même manière que vous venez d’envoyer ce message…
      Bien à vous, Enki

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