–––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––
Dame Barbara Hepworth (1903-1975) dans son manteau en fourrure habituel, 1970 – photo John Hedgecoe
°°°
Dame Barbara Hepworth, sculptrice britannique (1903-1975) est morte le 20 mai 1975 à Saint Ives, en Cornouailles, dans l’incendie de sa maison. Elle est une représentante majeure de la sculpture abstraite de la première partie du XXe siècle. Son art a été fortement influencé par Mondrian et Giacometti. Elle fait des études en arts plastiques en 1920 à la Leeds College of Art and Design puis au Royal College of Art de 1921 à 1924. Elle épouse le sculpteur John Skeaping puis en secondes noces le peintre Ben Nicholson en 1938. En 1965 elle reçoit l’Ordre de l’Empire britannique.
°°°
« Les bâtiments qui parlent » est le titre d’un chapitre d’un livre écrit par l’écrivain et journaliste suisse Alain de Botton sur l’architecture (l’Architecture du bonheur, Mercure de France, 2007). Dans ce chapitre, l’auteur traite du thème de l’interprétation que nous faisons des formes artistiques et de la légitimité de cette interprétation.
Durant une longue période de l’histoire humaine, le mimétisme a été l’une des manière de représenter les sentiments de l’espèce humaine. Si l’artiste voulait représenter la tendresse d’une mère pour son enfant, il représentait, par la peinture ou la sculpture, une mère au visage souriant berçant tendrement son enfant et pour les spectateur de l’œuvre la valeur de l’artiste dépendait de sa capacité à imiter le plus parfaitement possible ce qui était considéré comme la réalité. L’arrivée de l’abstraction dans les arts de l’occident au XIXe siècle a brouillé les pistes dans la mesure où l’œuvre d’art a la prétention de représenter la réalité ou certains de ses aspects d’une autre manière que par sa copie servile en agissant sur notre raison ou notre inconscient par des formes dont la l’intelligibilité nous échappe.
l’atelier de Henri-Marius Petit avec sa Maternité en 1917
Barbara Hepworth – Deux segments et une sphère, 1936
Botton prend comme exemple pour illustrer son propos d’une sculpture en marbre de l’artiste britannique Barbara Hepworth exposée pour la première fois en 1936 et analysée par le critique psychanalytique Adrian Stokes. L’artiste a donné à son œuvre un titre énigmatique réduisant celle-ci à une composition purement géométrique, elle n’aide en aucune manière le spectateur pour la compréhension de son œuvre or la contemplation de celle-ci nous éloigne de la géométrie pure et provoque chez nous des sentiments et des sensations contradictoires : un sentiment de déséquilibre dans un premier temps, la boule de marbre qui apparaît en position instable au sommet de l’arête inclinée nous semble prête à glisser le long de celle-ci et à chuter. En même temps, la tension exprimée par la boule et la rigidité de l’arête de marbre du support sont contrebalancées par la plénitude des formes courbes de celui-ci qui rassure et qui apparaît confortablement installé sur le socle lui aussi arrondi qui ressemble à un siège. « Plénitude des formes courbes », « confortablement installé », « siège », nous avons glissé imperceptiblement de la perception d’objets géométriques à la la perception d’un corps humain. Pour Botton, « le fragment lui-même exprime une certaine maturité et stabilité : il a l’air de bercer tranquillement l’objet qu’il porte, comme pour calmer sa fougue. En regardant cela, nous sommes témoins d’une relation tendre et enjouée, rendue majestueuse par la noble beauté du marbre blanc poli », et de citer Adrian Stokes qui, dans son analyse, arriva à la conclusion suivante : « Si cette sculpture nous touche, c’est peut-être parce que nous y voyons inconsciemment un portrait familial. L’aspect mobile et la rondeur de la sphère évoquent subtilement un bébé joufflu gigotant, tandis que la forme ample et virtuellement oscillante du fragment fait penser à une mère aux hanches larges, calme et indulgente. Nous percevons confusément dans l’ensemble un thème central de notre vie. Nous devinons une parabole en marbre sur l’amour maternel. »
°°°
L’influence de Giacometti
Giacometti – la balle suspendue, 1930-1931 (version de 1965)
Dans cette sculpture, Giacometti, l’un des meneurs du mouvement surréaliste, a eu recourt au procédé de la « cage » qui lui permet de délimiter un espace onirique de représentation. Cette sculpture qui représente une boule se balançant au-dessus d’un fragment incurvé était l’une des sculptures favorite d’André Breton et aurait influencée Barbara Hepworth pour la création de Deux segments et une sphère.
Certains la voient comme un symbole de la frustration érotique (???). D’autres, sans doute, y verront la représentation d’une orange posée sur une banane… ou le jeu improbable, à travers une fenêtre, de sphères célestes : clair de lune et lune pleine… Le fait que la boule soit suspendue à un fil fait que l’esprit du spectateur imagine naturellement le mouvement de balancier de celle-ci autour de point de fixation du fil sur le cadre, tel celui d’un bélier, mais dans ce cas, compte tenu de la position du tronçon courbe, celui-ci sera heurté sur sa partie supérieure et basculera sous la pression du choc. A moins que le tronçon soit fixé à la sphère et non pas sur le plan de forme pyramidale sur lequel on l’imaginait jusque là posé… Comme dans un tableau du peintre surréaliste Magritte, la raison est prise au dépourvu par l’ambiguïté et le caractère improbable de la représentation et, pour se rassurer, essaie désespérément de relier l’œuvre à une expérience visuelle connue. N’y parvenant pas, son échec nous laisse dans un état de questionnement inconfortable et un peu inquiet. Nous aimons que les choses et les formes qui nous entourent soient conformes à ce que nous connaissons habituellement du monde et cette conformité nous rassure. L’étrangeté, la différence nous inquiètent, de là vient la difficulté pour tout créateur d’avant-garde de faire accepter ses œuvres par le grand public. Ce n’est qu’après un long travail d’explication, d’acclimatation et de persuasion que l’œuvre nouvelle sera acceptée par celui-ci et entrera dans son système référentiel de représentation et de valeur.
°°°
le monument du Plateau des Glières d’Emile Gilioli, 1973
Ce monument qui célèbre le sacrifice des maquisards du Plateau des Glières ne se veut pas être un monument aux morts mais un symbole d’espérance. Le sculpteur Emile Gilioli (1911-1977), a voulu réaliser une œuvre qui soit à la fois architecturale et sculpturale et exprimerait, en fusion avec le site, l’engagement et le sacrifice des combattants des Glières. Les lignes anguleuses ou courbes du monument font écho aux lignes escarpées ou douces des crêtes environnantes et les prolongent. Le monument de béton clair semble jaillir du sol tel un roc et s’élancer vers le ciel tel un V de la victoire. L’une des deux flèches semble viser le ciel comme un signe d’émancipation et d’espérance. L’autre flèche est tronquée, comme si elle avait été cassée net dans son élan, elle rappelle le prix payé par les résistants dans leur lutte pour la liberté. Sur le flanc de la flèche jaillissante, un disque solaire, symbole de vie et de renaissance, celle de la liberté est en équilibre instable, figé dans son mouvement, il rappelle que la liberté, toujours menacée, est un bien essentiel et fragile qui doit être défendu à tous les instants. Le monument a été conçu comme un tout avec le mât et les Pleureuses qui marquent l’entrée de cette plate-forme.
Comme dans les deux œuvres de Giacometti et de Barbara Hepworth présentées ci-dessus l’architecture-sculpture de Gilioli agit sur notre esprit et nos sens de manière invisible. De la même que le choix de certains mots et leur ordonnancement particulier dans un poème transcendent leur banalité et possède le pouvoir de nous bouleverser, cet assemblage de béton est devenu sculpture et émet une vibration mystérieuse qui éveille en nous quelque chose qui nous touche dont nous ne saisissons pas tout de suite la signification. L’art nous apparaît mystérieux parce qu’il utilise pour nous parler un langage secret dont notre esprit ne maîtrise ni les signes ni la syntaxe. A la manière du rêve et de l’intuition, l’art fait l’économie du passage par la conscience et la raison, ces « bureaucraties de l’âme », utiles à l’homme, certes, mais étouffantes par leur lourdeur et leur complexité.
°°°
–––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––
–––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––