Poésie : Yeats en quête de son Hélène de Troie…

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William Butler Yeats by John Singer Sargent (1908)

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Au bas des jardins de saules

Au bas des jardins de saules je t’ai rencontrée, mon amour,
Tu passais les jardins de saules d’un pied qui est comme neige.
Tu me dis de prendre l’amour simplement, ainsi que poussent les feuilles,
Mais moi j’étais jeune et fou et n’ai pas voulu te comprendre.

Dans un champ près de la rivière nous nous sommes tenus, mon amour,
Et sur mon épaule penchée tu posas ta main qui est comme neige.
Tu me dis de prendre la vie simplement, comme l’herbe pousse sur la levée,
Mais moi j’étais jeune et fou et depuis lors je te pleure.

(dans la Croisée des chemins (1889) –Traduction de Yves Bonnefoy)

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Down by the salley gardens

Down by the salley gardens my love and I did meet;
She passed the salley gardens with little snow-white feet.
She bid me take love easy, as the leaves grow on the tree;
But I, being young and foolish, with her would not agree.

In a field by the river my love and I did stand,
And on my leaning shoulder she laid her snow-white hand.
She bid me take life easy, as the grass grows on the weirs;
But I was young and foolish, and now am full of tears.

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Origine du poème
   Down by the Salley Gardens ( irlandais : Gort na Sailean) est un poème que Yeats a publié dans Les « errances de Oisin » et d’autres poèmes en 1889. Le poète a indiqué dans une note que ce poème constituait «une tentative pour reconstituer une vieille chanson de trois lignes énoncée de manière imparfaite par une vieille paysanne du village de Ballisodare qui les chante souvent à elle-même. « . Cette «vieille chanson » était peut-être la ballade intitulée The Rambling Boys of Pleasure  qui contient un verset proche du premier verset du poème de Yeats.
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Je n’ai pu choisir entre l’interprétation de Maura O’Connell avec Karen Matheson et celle de Loreena McKennit (You Tube) … A vous de faire votre choix.
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« Silly like us » : histrionisme et historicité de W. B. Yeats (par Daniel Jean, Etudes anglaises 2007/4)
    Le jardin des saules est un jardin d’Éden où la consommation du fruit défendu est impossible, malgré les encouragements malicieux d’Ève. Le saule, dans sa forme «  », permet de rappeler « silly ». La sottise inhérente à la jeunesse est thématisée de façon explicite (« I was young and foolish ») sous la forme d’un rendez-vous amoureux raté, raté non pas du fait des dérobades de la jeune fille, mais du fait de l’immaturité de son prétendant. Le poème est en effet l’humiliant récit d’une impuissance, celle de l’innocent qui, malgré les encouragements de sa bien-aimée (« take love easy ») ne parvient pas à surmonter sa maladresse, et se montre incapable d’imposer « a sally », comme le laisse entendre l’homophonie salley / sally (« a thrust forward »), et ne peut verser, en fin de compte, que des larmes. L’entame, « down », est donc représentative du mouvement général du poème, poème de l’abaissement et de la mélancolie, qui trouve dans le saule pleureur le très visuel symbole de la flaccidité sexuelle de « Silly Willie », comme plus tard dans le poème de 1909, « The Withering Boughs » (« The boughs have withered because I have told them my dreams »).<
    Ces premiers chants yeatsiens de l’innocence, caractéristiques des débuts, correspondent à une incapacité à passer à l’acte, sexuellement et historiquement, une incapacité à précipiter l’événement pour devenir acteur de l’histoire.

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Dante Gabriel Rossetti - La Belle Dame sans Mercy,1848

Dante Gabriel Rossetti – La Belle Dame sans Mercy,1848

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Il voudrait avoir les voiles du ciel

Si j’avais les voiles brodés des cieux
Ouvrés de lumières d’or et d’argent
Les voiles bleus, diaphanes et sombres
De la nuit, de la lumière et de la pénombre
J’étendrais ces voiles sous tes pieds :
Mais je suis pauvre et je n’ai que mes rêves ;
J’ai étendu mes rêves sous tes pieds ;
Marche doucement car tu marches sur mes rêves.

(Le vent dans les roseaux (1899) – traduction Jacqueline Genet)

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He wishes for the cloths of Heaven

Had I the heaven’s embroidered cloths,
Enwrought with golden and silver light,
The blue and the dim and the dark cloths
Of night and light and the half-light,
I would spread the cloths under your feet:
But I, being poor, have only my dreams
I have spread my dreams under your feet;
Tread softly because you tread on my dreams.

 

    « Aedh wishes for the cloths of Heaven » a été publié par Yeats en 1899 dans son troisième volume de la poésie, « du vent dans les roseaux ». L’orateur du poème est Aedh, dont le nom est le même que celui d’un Dieu celtique de la mort, l’un des enfants de Lir.
     Yeats semble avoir utilisé ce personnage dans certaines de ses histoires et le décrit comme le feu qui se reflète dans l’eau. Il apparaît dans l’œuvre de Yeats aux côtés de deux autres personnages archétypaux de mythe du poète: Michael Robartes et Red Hanrahan. Les trois sont collectivement connus comme les principes de l’esprit. Robartes représente la puissance de la connaissance et Hanrahan le romantisme primaire. Quand à l’Aedh, il est pâle, languissant, et sous l’emprise de « 
la belle dame sans merci », en référence au poème de John Keats; « Aedh » a été souvent remplacé dans les anthologies de poèmes de Yeats par un plus générique  » il « .

 

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Arc-en-ciel au-dessus le la colline mythique de KnocknareaArc-en-ciel au-dessus le la colline mythique de Knocknarea

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L’appel des Sidhe

La cohorte chevauche du Knocknarea
A la tombe de Clooth-na-Bare,
Caoilte secouant sa chevelure de flammes,
Et Niamh appelant : Là-bas, viens t’en là-bas,
Vide ton cœur de son rêve mortel.
Les vents s’éveillent, les feuilles tournoient,
Nos joues sont pâles, notre chevelure dénouée,
Notre poitrine palpite, nos yeux rayonnent,
Nos bras appellent, nos lèvres s’entrouvrent ;
Et s’il en est un qui contemple notre troupe impétueuse,
Nous nous plaçons entre lui et l’acte de sa main,
Nous nous plaçons entre lui et l’espoir de son cœur.
La cohorte se précipite entre la nuit et le jour,
Et où y a-t-il espoir ou acte aussi beau ?
Caoilte secouant sa chevelure de flammes
Et Niamh appelant : Là-bas, viens t’en là-bas.

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The Hosting of the sidhe

The host is riding from Knocknarea
And over the grave of Clooth-na-Bare;
Caoilte tossing his burning hair,
And Niamh calling Away, come away:
Empty your heart of its mortal dream.
The winds awaken, the leaves whirl round,
Our cheeks are pale, our hair is unbound,
Our breasts are heaving, our eyes are agleam,
Our arms are waving, our lips are apart;
And if any gaze on our rushing band,
We come between him and the deed of his hand,
We come between him and the hope of his heart.
The host is rushing ‘twixt night and day,
And where is there hope or deed as fair?
Caoilte tossing his burning hair,
And Niamh calling Away, come away.

Eclairage :
Ce poème est incompréhensible si on ne le relie pas à certains thèmes de la mythologie irlandaise notamment ceux qui ont trait aux Sidhe

Knocknarea : ( irlandais : Cnoc na Riabh) est une grande colline à l’ouest de Sligo, ville dans le comté de Sligo , en République d’Irlande. Avec ses 327 m de hauteur, elle est très visible du paysage environnant de la péninsule de Cúil Irra entre les baies de Sligo et BallysadareKnocknarea est une anglicisation d’un nom irlandais. L‘étymologie du nom est contestée. La base de données des Noms de lieux de l’Irlande explique le toponyme par le nom irlandais Cnoc na Riabh qui signifie « colline des bandes ». Cependant, PW Joyce préférait pour sa part, l’interprétation Cnoc na Riaghadh« colline des exécutions ». Certains ont suggéré également  Cnoc na Riogha, «  colline des rois » ainsi que Cnoc na Ré« colline de la lune ».  A son sommet se dresse un grand monticule de pierres sèches (cairn) réputé recouvrir l’entrée d’un tombeau néolithique Il mesure environ 55 mètres de large et 10 mètres de hauteur, ce qui en fait l’un des plus grands cairns connus en Irlande. En anglais, il est connu sous les noms de Medb Cairn, le tombeau de Medb, mamelon de Medb ou la tombe de Medb (parfois le nom Medb est anglicisé en Maeve). Il date d’environ 3.000 ans avant J.C., Meabh est une figure de la mythologie irlandaise. Toute la zone autour de la baie de Sligo est riche en vestiges préhistoriques, en monuments semblables et en sites naturels aux formes expressives.

Clooth-na-Bare : Voudrait dire la vieille femme de Bare, mais ce mot serait en fait une corruption de Cailleac Bare, la vieille femme Bare, qui, sous les noms de Bare, Berah, Beri, Verah, Dera et Dhira, apparait dans les légendes irlandaises en beaucoup de lieux. Près de la colline de Knocknarea, les gens du pays disent qu’une grande reine de la Sidhe de l’ouest du nom de Maeve est enterrée sous le cairn situé au sommet. Clooth-na-nu qui souhaitait mettre fin à ses jours, recherchait partout dans le monde, un lac assez profond pour y noyer sa vie de fée, dont elle avait fini par se lasser, en bondissant de colline en colline; elle a fini par le trouver au sommet de la montagne d’oiseau, à Sligo. Les divinités de l’ancienne Irlande sont connues sous les noms aussi variés que  Tuatha Dé Danann, gens de la déesse DanuSidhe (de Aes Sidhe ou Sluagh Sidhe) et créatures des tertres. Les Sidhe  sont également liés au vent en Irlandee t voyagent dans le vent tourbillonnant. Au au Moyen Age, on pensait que les vents étaient générés par la danse des filles de Hérodiade; cette dernière avait sans doute pris la place d’une vieille déesse. En Irlande, lorsque les gens de la campagne voyaient les feuilles tourbillonnent sur le chemin, ils se signaient car ils pensaient qu’un Sidhe passait par là. 

Caoilte (prononcer : Kweelteh). Il était un guerrier celtique mythique qui vivait au  IIIe siècle après J.C. sous le nom de impers Rónáin Caílte , qui était un membre de la Fianna et neveu de Fionn mac Cumhaill. Selon la légende, il a vécu assez longtemps pour être baptisé par Saint-Patrick. Ses formes anglicisées sont Kielty, Kealty, Keelty, Keilty, Kelty, Kilty, et Quilty (avec ou sans O ‘ou Mc ou Mac) en anglais. Les variantes les plus courantes sont Kielty et Quilty James Joyce (1882-1941) dans le chapitre douze de son chef-d’œuvre, Ulysse, (1922) présente « La tribu de Caolte » comme l’une des douze tribus d’Irlande dans un parallèle biblique avec les douze tribus d’Israël.

Oisin and NiamhOisin and Niamh

Niamh est une figure mythique irlandaise, elle est la fille de Manannàn mac Lir, le dieu de la mer. Son nom signifie « brillant ».  Elle règne sur Tir na nÓg, l’autre monde, lieu magique hors du temps et de l’espace où règne l’immortalité. Elle traverse la mer de l’Ouest sur le fabuleux cheval Enbarr, et demande à Fionn mac Cumhail si son fils Oisín peut la rejoindre à Tír na nÓg. les versions anglicisées et phonétiques de son nom sont Niav Neve, Neave, Neeve et Nieve

 
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L’os de lièvre

Albrechtb Durer - jeune lièvre, 1502

Je voudrais pouvoir lancer un navire sur les eaux
Sur lesquelles plus d’un roi s’en est allé
Et plus d’une fille de roi,
Et aborder près des arbres magnifiques et de la pelouse
Là où l’on joue du pipeau, où l’on danse,
Et apprendre que le meilleur
Est de changer d’amour avec chaque nouvelle danse
Et de rendre baiser pour baiser.

Je voudrais trouver au bord de ces eaux
Un os de lièvre plat et mince
Rendu plus mince encore par le va-et-vient des eaux,
Et le percer avec une vrille pour regarder au travers
Le vieux monde amer où l’on se marie dans les églises,
Et me moquer par-dessus les eaux limpides
De tous ceux qui se marient dans les églises,
A travers un os de lièvre mince et blanc.

(Les cygnes sauvages à Coole, 1917 – traduction Jean-Yves Masson)

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The collar-bone of a hare

Would I could cast a sail on the water
Where many a king has gone
And many a king’s daughter,
And alight at the comely trees and the lawn,
The playing upon pipes and the dancing,
And learn that the best thing is
To change my loves while dancing
And pay but a kiss for a kiss.

I would fine by the edge of that water
The collar-bone of a hare
Worn thin by the lapping of a water,
And pierce it through with a gimlet and stare
At the old bitter world where they marry in churches,
And laugh over the untroubled water
At all who marry in churches,
Through the white thin bone of a hare.

éclairage
Une légende celtique raconte qu’à travers le trou percé dans un os de lièvre, on peut contempler le royaume des Fées. Yeats inverse le phénomène et à travers le trou percé veut voir le monde réel à partir du royaume des Fées… Ce poème a été inspiré à Yeats par l’histoire de « The three O’Byrnes and the Evil Fairies » qu’il raconte dans the Celtic Twilight. Un paysan, dit-il, trouva « sur l’herbe le tibia d’un lièvre. Il le ramassa, il était percé ». En regardant par le trou, il découvrit un trésor enfoui sous ses pieds… Le lièvre est un animal magique par excellence, « compagnon des clairs de lune de l’imaginaire », il hante mythologies et folklores, associé à la divinité de la Terre-Mère, il est en général symbole du renouvellement de la vie. Yeats l’a utiliser à plusieurs reprises pour représenter la femme poursuivie par l’homme ou la meute; « Two Songs of a Fool »  représente Iseult Gonne sous l’aspect du lièvre menacé par les chiens.  (la poétique de W.B. Yeats par Jacqueline Genet)

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Une méditation en temps de guerre

D’un seul élancement dans mes artères
Comme j’étais assis sur cette pierre grise
Sous le vieil arbre brisé par le vent,
J’appris que l’Un seul est vivant,
Et l’humanité un fantasme sans vie.

(Michael Robartes et la danseuse, 1921 – traduction Jean-Yves Masson)

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A meditation in time of war

For one throb of the artery,
While on that old grey stone I sat
Under the old wind-broken tree,
I knew that One is animate,
Mankind inanimate phantasy.

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