« Souvenirs de la vallée de Chamonix » de Samuel Birmann, peintre romantique bâlois (1826)

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Samuel Birmann (suisse, 1793-1847) - autoportrait, 1819

Samuel Birmann (suisse, 1793-1847) – autoportrait, 1819

     Samuel Birmann était un peintre de la période romantique. Il était le fils de Peter Birmann (1758-1844), peintre de paysages réputé, élève de R. Huber le jeune et de L. Aberli, professeur à Bâle mais également éditeur et marchand qui avait fait de bonnes affaires pendant la Révolution française en acquérant à Paris des tableaux de collections particulières, qu’il revendait pour la plupart à des collectionneurs bâlois. Le jeune Birmann reçoit des cours de dessin à Bâle avec un élève de son père, Friedrich Meyer, voyage en Suisse en 1810 avec le géologue Peter Merian puis se rend à Rome en 1815 en compagnie des paysagistes Jakob Christoph Bischoff et Friderich Salath. Il passera deux années et travaillera chez Martin Verstrappen et où il apprendra à apprécier les paysagistes hollandais du XVIIe siècle. Il en profitera pour visiter la Sicile. Durant cette période, il produit des dessins d’horizons lumineux dans une veine romantique, délimité de manière précise, mais avec une économie de détails. En 1817, il revient à Bâle, puis se rend à Paris avec un groupe d’artiste suisses pour travailler sur une édition de Voyage pittoresque en Sicile (Paris, 1822, rév. 1826) et pour terminer sa formation. Il y séjourne de 1822 et 1823  en compagnie de son frère Wilhelm (1794-1830) qui deviendra également paysagiste.
    Il entreprend à son retour une carrière de védudiste* et multiplie, au cours de ses voyages dans les régions de montagne, notamment à Chamonix en 1823 et 1824, les études à l’aquarelle et à l’huile, afin de réaliser les aquatintes* qui vont faire le succès de la maison de commerce Birmann et Fils. Il publie Souvenirs de l’Oberland Bernois et Souvenirs de la Vallée de Chamonix, 25 feuilles en aquatinte* qui passent pour être les plus belles qu’il ait jamais exécutées. Dans certaines d’entre elles, il laisse libre court à son imagination, jouant avec des effets de nuages et de brume à travers lesquels perçent des rayons lumineux, privilégiant un certain sens baroque dans la définition des formes, réagissant de façon personnelle à l’enseignement reçu de son père. Dans ses études d’arbres, ainsi que dans ses grandes paysages des Alpes de 1829 (par exemple scierie dans la vallée Lauterbrunn 1843;. Bâle, Kstmus), on remarque un intérêt croissant dans une vision romantique des forces qui animent la nature. Dans les années 1830 des périodes de dépression ont commencé à entraver sa créativité artistique, ses facultés mentales se troublèrent et le menèrent au suicide. 

Définitions

* védudiste : Le védutisme (de l’italien vedutismo, de veduta qui signifie « vue ») est un genre pictural apparu dans la peinture flamande en Europe du Nord au XVe siècle qui a prospèré en Italie et principalement à Venise au XVIIIe siècle, basé sur la représentation perspective de paysages. La veduta (vedute au pluriel, qui signifie « ce qui se voit » et donc « comment on le voit »), s’apparente à la scénographie (puisque l’artiste met en scène une vue extérieure) et présente des problèmes de recherche spatiale.

* aquatinte : L’aquatinte ou aquateinte est un procédé de gravure à l’eau-forte. Ce procédé consiste à recouvrir une plaque de métal d’une couche de poudre protectrice plus ou moins dense, puis à la plonger dans un bassin d’acide. Elle permet, grâce à l’utilisation de fines particules de résine (colophane ou bitume) saupoudrées puis chauffées, d’obtenir une surface composée de points plutôt que de traits par lesquels on obtient différentes tonalités de couleur   –  (définitions WIKIPEDIA)

*Les Petits maîtres : Expression désignant d’une part des graveurs européens du XVIe s. qui privilégièrent le petit format et d’autre part des artistes qui réalisèrent entre 1750 et 1850 en Suisse des gravures représentant des vues topographiques, des scènes de genre et des costumes folkloriques, en particulier les auteurs d’eaux-fortes aquarellées de la période 1765-1830. Outre le Bernois Johann Ludwig Aberli, inventeur de cette technique, et son successeur Sigmund Freudenberger, on citera Balthasar Anton Dunker, Heinrich Rieter, Johann Jakob Biedermann et Franz Niklaus König à Berne, Matthias Pfenninger à Zurich, Johann Jakob Aschmann à Thalwil, Heinrich Thomann à Zollikon, Pierre Samuel Louis Joyeux à Vevey et, plus tard, le cartographe Heinrich Keller à Zurich; plus marginalement, on trouve encore Johann Ulrich Schellenberg à Winterthour, maître de l’eau-forte coloriée, et Jean-Antoine Linck à Genève, qui peignait à la gouache. Tous ces artistes réalisaient principalement des vues et des scènes idéalisées de la nature, de divers format (jusqu’à l’in-folio), destinées à être encadrées. Après 1800, l’aquatinte, le plus souvent coloriée, remplaça progressivement la technique précédente. Son chef de file fut Franz Hegi à Zurich. Cette période est marquée par l’apparition de grandes maisons familiales d’édition de livres d’art, comme celles de Gabriel Lory père et fils à Neuchâtel et Berne, de Peter et Samuel Birmann à Bâle, de Johann Heinrich et Johann Ludwig Bleuler à Feuerthalen, Schaffhouse et au château de Laufen, ainsi que de Rudolf et Johann Rudolf Dikenmann à Zurich. Les éditeurs d’art, artistes eux-mêmes, alimentaient un marché répondant aux goûts des riches touristes qui visitaient la Suisse.

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Préface de l’auteur à l’édition des « Souvenirs de la Vallée de Chamonix » (extrait)

    A une distance de cinquante lieues et plus, les Alpes offrent aux regards leurs sommités couvertes de neiges et de glaces éternelles, qui bordent l’horizon comme le rempart crénelé d’une forteresse gigantesque. Une force inconnue attire l’homme vers ces régions élevées; il traverse les plaines, s’enfonce dans les longues vallées, franchit des gorges étroites, et enfin, parvenu au pied de ces colosses, il s’arrête saisi d’un étonnement muet; il contemple avec une sorte de respect religieux ces cimes élancées dans l’azur des cieux, ces formidables rochers coupés à pic, ces cascades écumantes qui battent-le flanc des ravins, ces antiques forêts de sapins et de mélèzes qui tapissent les escarpements des monts, et ces vallons solitaires entourés de tout ce que la nature offre de grand, d’imposant et même de terrible. (…) 
   C’est au revers septentrional de la chaîne du Mont-Blanc que se trouve la vallée de Chamonix, enceinte paisible entourée de belles horreurs. De nos jours elle est visitée par une foule d’étrangers; mais il n’y a guère plus d’un demi-siècle qu’elle étoit inconnue au reste de l’Europe. Les voyageurs ne faisoient que contempler de loin avec effroi les Montagnes Maudites qui la défendent. Les premiers voyageurs qui osèrent pénétrer jusqu’à ces aiguilles menaçantes, entourées d’un effrayant amas de neiges et de glaces, furent deux anglais, Windham et Pockocke. Ils partirent de Genève au mois de Juin 1741, après avoir fait des préparatifs comme s’il se fut agi de reconnoitre une contrée lointaine habitée par un peuple sauvage.  Accompagnés des indigènes, qui les avoient fort bien accueillis, ils gravirent sur le Montanvert, et eurent la satisfaction de contempler la scène admirable que présente la mer de glace.

    En accompagnant mes planches de quelques observations recueillies sur les lieux, je suis bien éloigné de la prétention d’offrir au public un ouvrage littéraire. Comme peintre, j’ai tâché de rendre fidèlement cette nature imposante. J’ai étudié assiduement les formes et le caractère de ces paysages, dont un long séjour dans la vallée m’a permis de faire des études finies ; et j’ai fait plus volontiers le sacrifice de ce qu’on appelle les belles lignes en composition, que celui de la vérité.
   J’ai préféré, pour l’exécution de l’ouvrage, l’aquatinte, comme la manière la plus convenable pour des planches destinées à être coloriées; et dans la crainte que le graveur n’exécutât pas mes dessins à mon gré, j’ai moi-même essayé ce genre de gravure. Ceux qui en connoissent les difficultés, sur-tout pour un novice, comme je l’étois, me pardonneront plus aisément une imperfection difficile à éviter.
  

Basle, Mai 1826.
Samuel Birmann

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Samuel Birmann (suisse, 1793-1847) - Gorge de Cluse, 1830

Samuel Birmann, « Souvenirs de la Vallée de Chamonix » – la Gorge de Cluse

     Je n’ai point pensé devoir commencer ces Souvenirs avant d’être à une certaine proximité du Mont-Blanc, l’objet principal et le centre de mes descriptions et de mes tableaux; d’ailleurs, la route de Genève à Bonneville, et même celle de Bonneville à Cluse, n’offrent pas de sites qui puissent rivaliser avec ceux dont on jouit plus loin.
     Le pays, qui a été assez ouvert jusqu’à Cluse, change tout-à-coup de physionomie et de caractère; et, au passage du pont de l’Arve, la vue perce et se prolonge dans les défilés étroits et sauvages où l’on va bientôt s’enfoncer.
     Au milieu d’une prairie solitaire se fait remarquer une petite maison (appelée Maladieda en langue du pays) entourée de tous côtés de rochers d’une grande hauteur taillés à pic; l’Arve serpente au fond, les aiguilles de Varens s’élèvent dans le lointain. Ce paysage a fourni le motif de la première vue.
    Le matin est le moment du jour le plus favorable pour jouir du charme des effets de lumière dans le paysage.
    On rencontre plus loin le village de Balme, (Banne), qui prend son nom d’une grotte profonde dont on voit l’ouverture à gauche dans les rochers. Elle est à 7oo pieds au-dessus de l’Arve. Sa profondeur est de six à sept cents p a s , et l’accès n’en est pas sans difficulté.
     Avant de quitter Cluse, je dois faire mention du vallon où est située la Chartreuse du Reposoir. On y arrive en deux heures; de Songi le chemin, qui est fort mauvais, monte à travers une gorge tortueuse. Aucun lieu ne peut offrir une retraite plus convenable à un homme qui, fatigué du tumulte du monde, détrompé de ses plaisirs, et désabusé sur le compte de l’humanité, veut enselevir ses ennuis farouches et son amère misanthropie dans un asile où ne pénètrent ni les bruits de la société ni l’œil curieux des mortels. Ce lieu sauvage est fait pour rappeler ce vers d’un, poète :

„ La solitude est douce à qui fuit les méchants. »

Samuel Birmann (suisse, 1793-1847) - Gorge de Cluse colorisée, 1826

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Samuel Birmann (suisse, 1793-1847)  - lac de Chède, 1830

Samuel Birmann, « Souvenirs de la Vallée de Chamonix » – Le lac de Chède – pl. n° 9

     Il n’y a que quelques années qu’on a fait passer la route le long de ce délicieux petit lac; elle passoit par le pont qui se fait voir à son écoulement. Les eaux du Lac de Chède sont d’une limpidité parfaite, et les reflets de la plus grande précision et du plus beau coloris. C’est sur-tout le soir, au soleil couchant, quand le Mont-Blanc se trouve à découvert, que les neiges teintes de pourpre s’y réfléchissent avec cette harmonie profonde et magique, que le pinceau de Claude Lorrain a saisie dans ses plus heureux moments.
   Le lac est alimenté par un petit ruisseau et plusieurs sources, dont l’eau est offerte aux voyageurs par des enfants du lieu. En sortant du lac, le ruisseau fait tourner des moulins, et tombe en cascade pour se joindre à l’Arve. Les personnes qui désirent suivre le sentier du Châtelar et passer le pont des Chèvres, descendent le long d’un ravin d’une hauteur considérable, au fond duquel l’Arve forme plusieurs cascades d’un aspect fort sauvage. Au reste, on ne peut conseiller ce chemin qu’aux personnes qui vont aisément à pied; les mulets y passent plus difficilement.
    Un autre petit étang, nommé Lac de Joux, se trouve dans le voisinage de celui de Chède; il est passager, et n’a de l’eau que pendant l’été, du mois de Mai à celui de Septembre. Les eaux paroissent provenir de la fonte des neiges, et sont aussi d’une grande clarté. Il n’a pas d’écoulement.
    Du Lac de Chède à Servoz on traverse plusieurs torrents. Le Nant noir, qui est le plus remarquable, est quelquefois difficile à passer. Ses eaux bourbeuses, grossies par de longues pluies ou par des orages subits ne forment plus alors qu’une masse confuse de terres mouvantes agglu- tinées entre elles, et capables d’emporter les plus grands quartiers de rochers.

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La végétation luxuriante au modelé délicat, les échassiers stylisés au milieu des joncs argentés donnent l’image d’un paradis enchanteur aux dégradés nuancés et d’un grand raffinement – (Découverte est entament de la montagne – Annecy, 1986)

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Samuel Birmann (suisse, 1793-1847)  - le Mont Blanc vu de Servoz, 1830

Samuel Birmann, « Souvenirs de la Vallée de Chamonix » – Le Mont Blanc vu de Servoz

     C’est quand le voyageur arrive à Servoz que le Mont-Blanc se présente à ses regards d’une manière grandiose; c’est aussi de là que l’on commence à saisir d’une manière distincte les détails de cette masse impo- sante : ces rochers sourcilleux, ces tapis de neiges éternelles, ces pics de glace, ces crevasses effrayantes. À son pied l’on distingue les Montées plus bas commence la plaine de Servoz; et le château de Saint-Michel s’élève sur un rocher que baignent les flots de l’Arve, qui semblent avoir renoncé pour un temps à leur impétuosité accoutumée. Si l’on en croit de vieilles traditions, toute cette vallée étoit jadis occupée par les eaux d’un l a c , qui, en s’écoulant, détruisit plusieurs grands villages. L’issue actuelle ayant été obstruée par quelque éboulement, les eaux furent contraintes de refluer vers leur ancien lit dans la vallée du Châtelar; on croit que ce ne fut qu’au 16e siècle qu’elles se firent jour de nouveau à travers les débris.
     Près d’un établissement de mines à demi-ruiné, on remarque le monument que M. d’Eymar, préfet du département du Léman, a fait élever à la mémoire de F. A. Eschen, jeune Danois mort en I800 sur le glacier du Buêt. Cet accident paroît avoir dégoûté les étrangers de gravir sur le Buêt de ce côté, et l’on préfère y monter du côté de la Valorsine; je crois pourtant qu’il vaut mieux entreprendre d’ici cette course. On peut aller coucher aux chalets de Villi, et de là, en trois ou quatre heures, on atteint la cime. On trouve aussi à Servoz des guides qui connoissent bien les localités. La partie du Bréven peut aussi très bien se faire d’ici.
     La Dioza prend sa source au pied du Buêt, et, avant de se jeter dans l ‘ A r v e , elle fait du haut d’un précipice d’une hauteur remarquable et extrêmement resserré, plusieurs chûtes d’un effet agréable; mais l’approche en est assez difficile.
     Les voituriers s’arrêtent ordinairement au Bouchet, pour donner à manger aux chevaux.

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Samuel Birmann (suisse, 1793-1847)  - Aux Montées, 1830

Samuel Birmann, « Souvenirs de la Vallée de Chamonix » – Le Mont Blanc vu des Montées

     Quand on a passé le pont le Pelissier à une demi-lieue du Bouchet, on se trouve au pied des Montées. Le voyageur, qui a suivi jusqu’ici le cours de l’Arve, la quitte pour ne la rejoindre qu’au pont de la Piralota (Perolata)) éloigné d’une demi-lieue du Prieuré. Les Montées offrent à l’œil une contrée des plus sauvages, armée de rochers, hérissée de sombres forêts. L’Arve, qui, pendant la plus grande partie de la route, se dérobe aux yeux du voyageur, n’avertit de sa présence que par le sourd mugissement de ses eaux au fond du précipice où elle coule invisible. Des sapins et des bouleaux ombragent la route, qui, contrainte de suivre tous les contours des rochers, conduit à chaque pas parmi de nouvelles beautés. L’aiguille et le dôme du Goûté se présentent supérieurement bien; la hauteur prodigieuse dans laquelle ils s’offrent aux regards, surpasse tout ce qu’on a vu jusqu’à ce moment. Arrivé sur la hauteur, on voit tout-à-coup la scène changer; à mesure qu’on avance., la vue se développe et s’étend; la vallée de Chamonix prend un aspect riant; le Mont-Blanc et ses aiguilles paroissent avoir perdu leur caractère sauvage et leur hauteur imposante.
    Au-delà de la Chapelle du Fouilly, le glacier des Bossons frappe les yeux par la blancheur éblouissante de ses glaces, qui descendent jusqu’au fond de la vallée, où on les voit entourées de la plus belle verdure. À droite, on aperçoit le village des Ouches (Houches)v et dans le fond l’aiguille Verte et celle d’Argentière ; plus tard paroît le glacier des Bois.
      Les Ouches sont à-peu-près à mi-chemin de Servoz au Prieuré; mais jusqu’à ce dernier endroit, la route cesse de monter. Un autre chemin part de Servoz, et passe par les mines du Fouilly et le sentier des Trapettes ; mais il est peu pratiqué.

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Samuel Birmann (suisse, 1793-1847)  - Glacier des Bossons, 1830

Samuel Birmann, « Souvenirs de la Vallée de Chamonix » – Le Glacier des Bossons

     Aucun glacier de la vallée de Chamonix ne présente des tours et des pyramides de glace aussi grandes et aussi bien coupées que celui qu’on a sous les yeux. Du temps que les glaciers croissoient considérablement, ces masses étoient prodigieuses; encore à présent elles surpassent en hauteur les clochers. Leurs formes variables ont un caractère fantastique, qui doit frapper à la seule inspection de ce dessin, fidèlement tracé d’après nature.
     Le glacier des Bossons (Buissons) descend presque en ligne droite des plateaux les plus élevés du Mont-Blanc, et la pureté de ses glaces, se conservant jusqu’au bas, forme un contraste frappant avec les teintes foncées des bois de sapins et de mélèzes qui garnissent ses bords. La pente de ce glacier étant très rapide, il est le premier de la vallée à croître et à se retirer. J’ai ouï-dire que, dans l’année 1817, où il augmenta le plus, les glaces s’avançoient de trois ou quatre pieds dans les vingt-quatre heures, ‘ et qu’elles couvrirent pour plus de trois mille francs de bonnes terres cultivées; la moraine s’étendit au-delà de tous les indices qu’on avoit conservés des descentes plus anciennes. Quelque temps après, le glacier s’arrêta, se dégonfla peu-à-peu, et vers l’an 1819 on le vit commencer à reculer; et à cette heure un grand espace de terrain couvert de gravier et de grosses pierres sépare les glaces des terres labourables.
     Les habitants de la vallée de Chamonix prétendent avoir observé que dès l’année 18il les glaciers ont commencé à croître, et qu’ils ont continué à le faire jusqu’en 1817. Dans cette contrée comme dans plusieurs autres du Tyrol et de la Suisse, on trouve accréditée l’opinion que les glaciers augmentent pendant sept ans, et décroissent pendant les sept années suivantes. Mais la vitesse de leur accroissement dépend de plusieurs circonstances: la quantité de neige tombée en est une; et il faut y joindre l’inclinaison du sol que parcourent les glaces, et la distance d’où elles viennent; c’est ainsi que Inexpérience nous apprend que le glacier des Bossons se retire, tandis que celui des Bois augmente encore; et en effet ce dernier avança jusqu’en 1821.
     On passe le glacier des Bossons en trois endroits; en haut, en esca- ladant le Mont-Blanc pour arriver aux grands Malets; en bas, on s’amuse à faire le trajet pour s’en retourner par une autre route au Prieuré.

 

Samuel Birmann (suisse, 1793-1847)  - Glacier des Bossons, 1826

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Samuel Birmann (suisse, 1793-1847)  - Le Prieuré et le Mont Blanc, 1830

Samuel Birmann, « Souvenirs de la Vallée de Chamonix » – Le Prieuré et le Mont Blanc

En se promenant le long de l’Arve, entre le village des Prats (des prés ou prairies) et le Prieuré, le voyageur ne peut détacher ses regards du Mont-Blanc, qui se présente à lui avec tous ses détails. L’œil étonné s’arrête avec respect sur les éblouissants espaces qu’étale le Dôme du Goûté, il se tourne avec une sorte d’effroi sur les tours de glace et les crevasses profondes du glacier des Bossons, il suit les sinuosités du grand plateau, et atteint le grand rocher rouge, d’où il semble qu’il n’y ait plus qu’un pas à faire pour arriver à la cime de cette fameuse montagne. Cette ascension est possible, pourvu qu’on ait la tête et la poitrine bonnes, et qu’on ne redoute pas les fatigues, les privations et les dangers attachés à cette entreprise. C’est alors qu’il faut, s’abandonner entièrement à l’expérience des guides. On compte dix-huit heures de marche suivie du Prieuré à la cime; la descente se fait en dix ou douze heures.
Les premières personnes qui parvinrent à la cime furent Jacques Balmat, surnommé depuis lors le Mont-Blanc et M. le docteur Paccard, tous deux indigènes, et encore vivants. Le premier servit de guide, l’année suivante, à M. de Saussure.

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Samuel Birmann (suisse, 1793-1847)  - La Mer de Glace vue de Montanvert, 1830

Samuel Birmann, « Souvenirs de la Vallée de Chamonix » – La Mer de Glace vue du Montanvert

    Les scènes qui attendent le voyageur sur le Col de Balme, sur le Bréven, à la Flégère, sont grandes et imposantes, bien que surpassées peut-être par celles du Col de la Seigne et de l’Allée blanche; mais aucune ne s’élève à la majestueuse grandeur de la vue dont on jouit sur le Montanvert (ou Mont=Envers). Toutes les personnes qu’émeuvent les beautés de la nature, se rappelleront avec plaisir ces vers de Delille où respire une admiration si bien sentie :

Salut aux voyageurs dont l’active pensée
„ Brûle de contempler cette mer courroucée
„ Dont les solides flots couvrent le Mont-Envers,
„ Où Phœbus et sans force et Neptune est aux fers.
„ Non, jamais, au milieu de ces grands phénomènes,
„ De ces tableaux touchants, de ces terribles scènes,
„ L’imagination ne laisse dans ces lieux
„ Ou languir la pensée, ou reposer les yeux. »

   La mer de glace prend son origine à la réunion des trois grands glaciers du Tâcul, de Léchaud et du Talèfre, au pied des Périades. Les glaces du Talèfre étant plus sales, forment ce qu’on appelle la veine noire, et celles du Tâcul la veine blanche; plus bas, à l’endroit où une partie de ses glaces se précipite des rochers des Mottets, elle reçoit le nom de glacier des Bois.
    On ne doit pas négliger de descendre à la mer de glace pour contempler de près le beau bleu-verdâtre (cœrulewn) des crevasses, et les autres phénomènes qu’offrent les glaciers.
    Les pâturages du Montanvert nourrissent à peine trois ou quatre vaches et quelques chèvres. On n’apprendra pas sans étonnement que les bestiaux qui passent vis-àvis, au Bayer, situé au pied de l’aiguille du Dru, sont obligés de passer et repasser la mer de glace. Quand les glaces augmentent, le passage est plus difficile.

Samuel Birmann (suisse, 1793-1847)  - La Mer de Glace vue de Montanvert coloriés, 1826°°°

Samuel Birmann (suisse, 1793-1847)  - vue prise du Jardin, 1830

Samuel Birmann, « Souvenirs de la Vallée de Chamonix » – Le Jardin – pl. n°19

    Ceux qui sont dans l’intention de visiter le Jardin (Courtil en langue du pays) font bien de passer la nuit au Montanvert, de peur de se fatiguer trop et de ne pouvoir jouir à loisir, pressés par le temps. Il faut partir par un temps parfaitement beau, et de plus avoir la tête bonne pour passer les ponts et ensuite les crevasses de la mer de glace. Au Couvercle, il y a aussi de mauvais pas.
     On ne négligera pas de s’approcher pour examiner ce que les habitants appellent moulins. On en trouve plusieurs très-grands en s’avançant vers la jonction des trois glaciers. Ce sont des ruisseaux qui, ayant creusé leur lit dans la surface, s’enfoncent tout-à-coup dans le glacier. L’homme le plus courageux ne peut se défendre d’une sorte de terreur en s’approchant de ces abymes.
    Vers le fond, la mer de glace devient unie; et l’on se promène sur cet immense amas de glace et de neige avec un singulier plaisir, auquel contribue sans doute l’air frais et délicieux qu’on y respire. L’aiguille du Géant présente une coupe extrêmement hardie et une élévation de 21 74 toises.
    Pour varier la route, je conseille de monter le long de la moraine du Bérenger, et de descendre par le Couvercle, ou vice-versa. Arrivé au haut, on a sous les yeux un nouveau bassin d’une grande étendue. Vers le fond, au pied de l’Aiguille Verte et des Courtes, on voit le Jardin, rocher aplati de forme triangulaire, qui se revêt pendant la belle saison d’un peu de gazon, de mousse et de quelques fleurs alpines, derniers signes de vie d’une nature qui n’étale que la mort aussi loin qu’on porte les regards. Un silence profond règne dans ces lieux; il n’est interrompu de loin à loin que par le bruit sourd des avalanches, et le cri de quelque marmotte solitaire.
    Le Mont-Blanc, vu d’ici, présente les formes les plus grandioses. A sa gauche on découvre l’aiguille marbrée, qui forme l’extrémité du Col du Géant, caché plus à gauche derrière la Noire et les Périades, par-dessus lesquelles l’aiguille du Géant s’élance vers les nues. À droite du Mont-Blanc se fait voir le Mont-Blanc du Tâcul, et à leur pied le glacier de ce nom, et, tout-à-fait au bord, les rochers prolongés des Charmoz. Sur le devant à gauche une arête de rocs descend au Bérenger, ainsi que le glacier du Talèfre, à droite est une partie du Jardin même, dont l’élévation au-dessus de la mer est de 14U toises.
     En descendant le Couvercle, on paissent en été une centaine de moutons, on est frappé de l’aspect du Talèfre. Ce glacier n’est pas remarquable par de hautes tours de glaces, comme ceux des Bossons et des Bois, mais par des crevasses profondes, dont l’ensemble forme le plus effrayant chaos.
    Sur les différentes moraines de la mer de glace on rencontre souvent des chercheurs de cristaux, et plus rarement quelque chasseur de chamois.

 

Samuel Birmann (suisse, 1793-1847)  - vue prise du Jardin, 1826°°°

Samuel Birmann (suisse, 1793-1847)  - Le Chamonix vu du col de Balme, 1826

Samuel Birmann, « Souvenirs de la Vallée de Chamonix » – La vallée de Chamonix et le Mont Blanc vu du col de Balme

     Le voyageur qui pénètre par cette route dans la vallée de Chamonix, oublie les fatigues du voyage à l’aspect imprévu du paysage qui se déroule devant ses yeux; et en ressortant de ce même côté., il emporte avec lui un profond souvenir du point d’adieu de cette intéressante vallée.
    La vue, qui est très-belle du côté de la Savoye est bornée du côté de la Suisse par la Forclaz et les hauteurs qui l’avoisinent. Pour embrasser un plus vaste horizon, il nous faut monter sur la hauteur à gauche du Col (en venant de Chamonix). Quinze ou vingt minutes nous suffiront pour atteindre ce point de vue, d’où va s’offrir à l’œil un nouvel horizon, formé du Buet, d’une chaîne de rochers qui se prolonge jusqu’à la dent du Midi, de la dent de Mordes à large face, et de la chaîne des Alpes qui séparent le Vallais du Canton de Berne; du côté opposé, Pierre-à-Vue se fait remarquer. La Forclaz et les rochers de la croix de fer interdisent aux regards la plaine du Vallais.  C’est du haut de ces rochers que se précipita un jeune Zuricois, Escher von Berg, en 1791. Le petit lac de Cotogne s’étend à nos pieds, du côté de la Valorsine.
   Les pâturages de Balme (en patois les Bannies, ce qui signifie les abris) et ceux de Charamillan, passent pour les meilleurs de la vallée. Les premiers nourrissent 160, les seconds 70 vaches.

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Fourre-tout : les autres vues du recueil de Birmann

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