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Rimantas Dichavičius est un photographe et illustrateur lituanien reconnu internationalement qui va allègrement vers sa soixante-dix huitième année. Son livre Žiedai bâche žiedų (Fleurs parmi les Fleurs) confronte le corps de la femme avec la Nature. Thème dix mille fois exploité me direz-vous et vous aurez en cela parfaitement raison mais les photos de Dichavičius ont quelque chose de différent de ce que l’on a l’habitude de voir sur le sujet. Le plus souvent le nu photographié dans le paysage apparait comme incongru et artificiel. Cette impression est le plus souvent due au choix des modèles sortis tout droit des studios des photographes et aux poses composées et attitudes peu naturelles qu’on leur demande de prendre. Le fait est que le genre s’est avec le temps fortement déprécié. Dans cette série de clichés tous en noir et blanc où règne une atmosphère surannée, Dichavičius lui redonne ses lettres de noblesse. Les nus apparaissent en totale symbiose avec les sites naturels dans lesquels ils apparaissent. Le choix des modèles et leur comportement naturel y est pour quelque chose.
En contemplant les photos de Dichavičius, j’ai immédiatement pensé aux photos prises un siècle plus tôt par l’américaine Anne Brigman, photographe à l’esprit libre, seule membre à l’ouest du Mississippi du groupe de la Photo-Secession fondé par Alfred Stieglitz, qui photographiait des nus dans les montagnes de la Sierra Nevada de Californie. Il m’a semblé intéressant de confronter les prises de vue de Dichavičius avec quelques unes de celles réalisées par cette photographe un peu oubliée dont la relation symbiotique avec la nature s’exprime pleinement dans la narration de sa rencontre avec un arbre remarquable de la Sierra : « Un jour, au cours d’une de mes pérégrinations, je suis tombé sur un genévrier – le plus merveilleux des genévrier que j’avais rencontré au cours des dix-huit années d’amitié que j’avais entretenu avec eux … C’était comme un grand personnage au même titre que Galilée, Moïse le Législateur, le Bouddha ou Abraham Lincoln … Les violents orages et la dureté du climat de la Sierra Nevada l’avait rendu puissant et magnifique. Je suis monté dessus. C’était l’endroit idéal pour prendre une photo; ici, l’arbre m’offrait l’emplacement parfait pour placer mon bras droit au repos, et même si mes pieds étaient rendus maladroits à cause de mes bottes, je pouvais voir et sentir l’endroit où ils pourraient se caler parfaitement dans la fente qui s’élargissait à sa base. » Pour Anne Brigman, l’homme ou la femme dans ce décor fantastique offert par la Sierra n’était en aucune manière des pièces rapportées que le photographe avait pour tâche « d’intégrer ». Ils faisaient partie, par essence, du décor comme tout être vivant habitué de ces lieux mais à condition d’être débarrassé des oripeaux dont la civilisation les affublait, dans un état de nudité originel. « Au cours de mes années de travail avec l’objectif, écrit-elle, j’ai rêvé et aimé travailler avec la figure humaine – de l’incarner dans les roches et les arbres, afin qu’elle fasse partie intrinsèquement des éléments, qu’elle ne se situe pas en dehors de eux. » Lorsque les personnages qu’elle met en scène dans ses compositions sont habillés ou retouchés, ce qui est rare dans son œuvre, ils le sont pour représenter des personnages ou des créatures mythiques proches de la nature tels que gnomes, faunes ou esprit des arbres. Pour arriver à ce résultat, elle n’hésitait pas à retoucher le négatif en le surchargeant ou le grattant. Il a fallu une grande force de caractère à cette jeune femme pour s’exposer nue en pleine nature et braver la morale puritaine de l’Amérique de ce début du vingtième siècle. Cette construction de la composition qui caractérise l’œuvre de Brigman est ce qui sépare les deux photographes; Dichavičius fait preuve de beaucoup plus de discrétion pour montrer la symbiose du corps humain avec la nature, on sent qu’il n’a aucun « message » à faire passer. L’intégration à la nature s’effectue naturellement et sans aucun artifice par le choix des corps mis en scène – corps sains aux formes pleines – qui rappellent, dans leur physionomie et leur attitude naturelle, les corps des paysannes peints par le peintre suédois Anders Zorn dans ses tableaux de nus. De plus l’espace naturel lituanien fait de vastes plaines cultivées ou boisées à la végétation sage et de bords de mer sableux se prête difficilement à une représentation de type expressionniste de la nature. Le sentiment de sérénité que semble exprimer les modèles mis en scène s’accorde parfaitement avec le décor offert par cette nature calme et apaisée. Je n’ai malheureusement trouvé sur internet aucun texte de Rimantas Dichavičius concernant sa pratique et les principes sur lesquels il s’appuie pour réaliser son œuvre .
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Rimantas Dichavičius
Rimantas Dichavičius
Rimantas Dichavičius
Rimantas Dichavičius
Rimantas Dichavičius
Rimantas Dichavičius
Anne Brigman – the water nixie – 1914
Anne Brigman – The bulle, published in Camera Work 1909
Rimantas Dichavičius
Rimantas Dichavičius
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La photo qui précède et celle qui suit de Rimantas Dichavičius qui montrent deux jeunes filles dont les longues mèches de cheveux se répandent sur leur poitrine et flottent au vent font irrésistiblement penser au tableau de Sandro Botticelli « la Naissance de Vénus ». Le photographe avait-il ce tableau en tête avant de prendre ces photos et a t’il été influencé par lui pour sa prise de vue ou bien la similitude est-elle due à un heureux hasard ? Quoi qu’il en soit, la référence à Vénus anadyomène, jaillissant de la mer, pleine d’innocence et de candeur, nue de corps et d’esprit et ouverte à ce monde nouveau qui se découvre à elle nous semble tout à fait correspondre au propos qui était celui de Rimantas Dichavičius pour la réalisation de cette série dont le thème est la femme en harmonie dans la Nature.
Rimantas Dichavičius
photo Anne Brigman
L’une des photos les plus célèbres d’Anne Brigman; il s’agit du genévrier de forme remarquable qu’elle cite dans le texte reproduit ci-dessus. Remarquez le bras droit étendu qui épouse parfaitement la forme de l’une des branches et les jambes qui s’encastrent dans la profonde fissure de l’arbre. Le corps semble jaillir du tronc de l’arbre telle une branche maîtresse et équilibre la branche située à l’autre extrémité du tronc tout en reproduisant la courbe de sa structure. Le corps de la femme est devenu l’une des branches du vénérable genévrier. Pourrait-on imaginer la même scène avec un personnage qui serait habillé ?
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L’objet du premier amour de Phoebus [Apollon] fut Daphné, fille du fleuve Pénée ; cet amour ne naquit pas de l’aveugle hasard, mais de l’implacable colère de Cupidon.
… du carquois contenant ses flèches, Cupidon tira deux traits, destinés à deux besognes tout opposées : l’un met en fuite, l’autre fait naître l’amour.
… une atteignit la nymphe, fille du Péné ; mais du premier, il blessa Apollon, traversant ses os jusqu’aux moelles. Aussitôt, l’un aime ; l’autre fuit le nom d’amante …
A bout de forces, Daphné a pâli et, succombant à la fatigue de cette fuite rapide, tournant les yeux vers les eaux du Pénée : « Secours-moi, mon père, dit-elle, si vous, les fleuves, vous avez un pouvoir divin, et fais-moi perdre, en la transformant, cette apparence qui m’a valu de trop plaire ! ».
Et Daphné se transforma alors en laurier
… Alors le dieu : « Eh bien! puisque tu ne peux être mon épouse, tu seras du moins, dit-il, mon arbre. Toujours c’est de toi que ma chevelure, de toi que ma cithare, ô laurier, de toi que mon carquois s’orneront… » – Les Métamorphoses d’Ovide°°°
Anne Bringman (ci-dessus)
Rimantas Dichavičius
Anne Brigman : The Heart of the Storm (1912) et Nude by tree (1915)
Anne Brigman – The Lone Pine – 1908
Rimantas Dichavičius
Photo Anne Brigman
Rimantas Dichavičius
Anne Brigman – Le Chant du Grillon, 1908
Rimantas Dichavičius
Rimantas Dichavičius
Anne Brigman – The Heart of the Tree, 1926
Rimantas Dichavičius
Anne Brigman – l’aube
Rimantas Dichavičius
Anne Brigman – the Faun, 1921
Anne Bringman – Piping Pan, vers 1915
Rimantas Dichavičius
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En relation avec cet article
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regards croisés photographie et peinture : Anne Brigman (1869-1950) ou la recherche de la symbiose avec la Nature
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Née à Hawaï, Anne Brigman a déménagé en Californie quand elle avait seize ans. Peintre de formation, elle se tourne vers la photographie en 1902, année où Alfred Stieglitz l’invite à rejoindre le mouvement de la Photo-Secession dont elle sera le seul membre féminin. Ses clichés les plus célèbres ont été pris entre 1900 et 1920 et mettent en scène des nus féminins dans un contexte naturaliste. Anne Brigman s’est souvent représentée elle-même dans ses images. Elle retouchait ses négatifs à la peinture et au fusain pour mieux exprimer l’esprit du sujet qu’elle voulait représenter. Plus récemment, ses photographies ont été considérées comme une déclaration de principes féministes, l’expression d’une aspiration à une sorte de liberté inaccessible. A une époque où le modèle de la femme américaine était la femme modeste, s’occupant de la maison et s’épanouissant dans la maternité, Anne Brigman courait la sierra en pantalon et n’hésitait pas se mettre a nu sur ses photographies.
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Anders Zorn, peintre suédois (1860-1920) : les jeux de la lumière sur l’eau et la peau … – (I) Biographie
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Anders Zorn est l’un des artistes suédois les plus connus internationalement. Sa renommée à l’étranger a dans un premier temps été fondée sur sa technique du portrait pour laquelle il faisait preuve d’une grande virtuosité et qui lui permettait de saisir de manière incisive et fidèle les traits physiques, le caractère et la personnalité de la personne représentée, ensuite ses nombreuses études du nu féminin dans lesquelles la nudité des femmes du peuple est représentée de manière naturelle et lumineuse. Il est d’autre part auteur d’une œuvre graphique important dans le domaine de la gravure. « Trop jeune pour être un impressionniste, trop vieux pour être un moderniste, » a dit de lui le conservateur du « Isabella Stewart Gardner museum » de Boston, Olivier Tostmann.
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