Autres cultures : les tribus de la vallée de l’Omo ou « Avant le stade du miroir » – photographe Hans Silvester

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 « A la bonne distance, ils regardent droit dans l’objectif, dégagent ce qu’ils sont, sans poser, comme ces photos de mes aïeux. »

VALLEE DE L'OMO, PEINTURES CORPORELLES, TRIBUS SURMA ET MURSI

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    L’Omo est une rivière longue de 760 km qui prend sa source en Ethiopie, au sud-ouest de la capitale Addis-Abeba et qui après s’être frayé un chemin tortueux à travers le plateau éthiopien pénètre au Kenya à proximité de la frontière avec le Soudan pour se jeter par l’intermédiaire d’un delta dans le lac Turkana, vaste mer intérieure de 7.500 km2 qui marque l’extrême nord de la Vallée du grand rift et qui est classé au patrimoine mondial de l’humanité.  Les tonalités vertes de ce lac dues aux algues et sa richesse halieutique lui ont aussi valu le surnom de “mer de Jade” ou encore “Anam Kaalakol” qui signifie “la mer aux nombreux poissons”. C’est en bordure de ce lac qu’ont été trouvés en 1967 et en 2009 des fossiles et des traces d’Homo habilis (1,44 millions d’années) et d’Homo erectus (1,55 millions d’années), ce qui confère à cette région le titre de « Berceau de l’humanité ». Ce n’est qu’à la fin du XIXe siècle que cette région reculée a pu être explorée. 80 ethnies vivent sur ce territoire : Dorzé, Konso, Mursis, Turkana, Nyangatom, Dassanetch, Surmas, Bume, Galeba, Karos, Tsemï, Hamers, Hamar, Arboré, Dassanechs, Bérber, Bana, Bodis, Tsemaï… Longtemps isolées du reste du monde, les peuples de l’Omo n’ont Jamais été raflés par les marchands d’esclaves, ni colonisés, ni christianisés, ni islamisés; considérés comme primitifs par le gouvernement d’Addis-Abeba ils vivent de l’élevage du bétail et ont gardé leurs coutumes et leurs modes de vie ancestraux.

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Basse vallée de l’Omo

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Lac Turkana au Kenya

      Les photos des maquillages et peintures extraordinaires réalisées sur eux-même par les ethnies qui habitent ces lieux présentées dans cet article sont du photographe Hans Silvester qui retourne régulièrement sur les rives de la rivière Omo pour réaliser des reportages. Il convient de signaler qu’un projet de barrage hydroélectrique gigantesque du nom de Gibe III prévu en Ethiopie sur le cours de la rivière Omo et fiancé par la Chine risque d’avoir des conséquences désastreuses pour les centaines de milliers de personnes qui vivent sur ses rivages et qui devront quitter leur terre. D’une hauteur de 240 m, il sera le plus élevé du continent africain et risquait d’assécher le lac Turkana, situé en territoire kenyan dans lequel il se jette. Un accord a été passé en 2013 pour la gestion des eaux entre l’Ethiopie et le Kenya.

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VALLEE DE L'OMO, PEINTURES CORPORELLES, TRIBUS SURMA ET MURSI

La peinture sur soi par Jean-Paul Mari

    Ils ont le génie de la peinture sur soi. Leur corps de deux mètres de haut est une immense toile. Noire ? Non. Bronze noir, avec des reflets rouges qui renvoient la lumière. A leurs pieds, le fleuve de l’Omo, à cheval sur un triangle Ethiopie-Soudan-Kenya,la grande vallée du Rift qui se sépare lentement de l’Afrique, une région volcanique qui fournit une immense palette de pigments, ocre rouge, kaolin blanc, vert cuivré, jaune lumineux ou gris de cendres. La force de leur art tient en trois mots : les doigts, la vitesse et la liberté. Ils dessinent mains ouvertes, du bout des ongles, parfois avec un bout de bois, un roseau, une tige écrasée. Des gestes vifs, rapides, spontanés, au-delà de l’enfance, ce mouvement essentiel que recherchent les grands maîtres contemporains quand ils ont beaucoup appris et tentent de tout oublier. Seulement le désir de se décorer, de séduire, d’être beau, un jeu et un plaisir permanent. Il leur suffit de plonger les doigts dans la glaise et, en deux minutes, sur la poitrine, les seins, le pubis, les jambes, ne naît rien moins qu’un Miro, un Picasso, un Pollock, un Tàpies, un Klee… On reste pantois. Surtout quand, dans un grand rire, le guerrier ou l’adolescente immole aussitôt son chef d’œuvre en plongeant dans l’eau du fleuve. C’est un art libre, éphémère et gratuit. De l’âge de huit ans jusqu’à la quarantaine, les membres d’une dizaine de tribus, – Hammer ou Karo – se peignent le corps et les cheveux, d’un rien, d’une poignée de terre, d’un mélange de beurre liquide et d’ocre, de la poussière de bouse de leurs vaches à longues cornes ou des cendres anthracite de leur feu de camp. Une feuille d’arbuste, des plumes de roseau blanc, une grappe de baies jaunes, un bout de calebasse brisée, tout devient art et parure. Les hommes marchent nus, les femmes jamais, le sexe couvert d’une ceinture de perles de plomb, ni puritains, ni libertins. Ils saignent leurs vaches, en boivent le lait et le sang cru et marchent en poussant leurs bêtes, parfois jusqu’à soixante kilomètres par jour. En sautant les frontières, lance ou Kalachnikov sur l’épaule, une peau de chèvre comme litière, sur un réseau de sentiers à travers une Terra Incognita vaste comme deux fois la Belgique…C’est là, au bord d’une piste, qu’Hans Silvester les a croisés : « Un choc profond… » dit le photographe, « D’où sortaient-ils ? Aussi beaux, avec cette capacité à inventer l’art contemporain ? » Lui est venu en Afrique en quête de reportage et d’un amour ancien, « Lucy » femme ancêtre de six millions d’années, découverte près du lac Turkar, le pays des origines. Où vont toutes ces pistes devant lui ? Bouleversé, Hans Silvester abandonne aussitôt son 4X4 et son projet et s’enfonce dans les terres à la recherche des tribus et leurs tableaux vivants… »  – Jean Paul Mari. La peinture sur soi, novembre 2006.

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VALLEE DE L'OMO, PEINTURES CORPORELLES, TRIBUS SURMA ET MURSI

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VALLEE DE L'OMO, PEINTURES CORPORELLES, TRIBUS SURMA ET MURSI

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Avant le stade du miroir… par Hans Silvester

     L’absence de miroirs, objet inconnu jusque récemment  de  ces tribus, contribue sans doute à cette absolue liberté des peintures  Sans miroir ni même son équivalent naturel – l’eau est toujours trouble dans la vallée – comment se voir autrement qu’à travers la réaction de l’autre? Le reflet, l’image narcissique au sens mythique du terme, n’existe pas. L’image de soi – mais peut-on ici parler d’image de soi ? – se construit exclusivement  à travers le regard de l’autre. Et, d’une certaine manière aussi, à travers l’objectif du photographe. Cette situation ne force-t-elle pas à inventer quelque chose d’un peu fou, d’un peu extrême, pour que l’autre réagisse, alors que le miroir n’est jamais que le miroir ? Pour cette même raison, ces peintures corporelles ne sauraient se pratiquer seul. Leur exécution rend la présence d’une seconde personne indispensable, au moins pour le visage et pour le dos. Mais souvent, ils sont cinq, dix, au bord de l’eau. Ces peintures s’apparentent à des jeux de groupe….
    Au-delà de cet aspect ludique, ces jeunes peintres portent un regard fier sur leur pratique. Ils ont conscience de faire quelque chose d’important, leur expression en témoigne. Quand ils se peignent les uns les autres, ils demeurent très sérieux. Leur attitude fait songer par certains côtés au théâtre nô japonais. Le nô possède cette absence d’expression visible, manifeste. Qu’on ne s’y trompe pas, ces peintures corporelles mursi ou surma n’ont rien de clownesque. Il ne s’agit pas ici d’un travestissement, comme dans la tradition carnavalesque, jouant d’une inversion des apparences et des rôles, mais bien de l’expression d’un savoir-faire, d’une forme d’art indispensable et nécessaire. Le fait d’ail­leurs d’effacer dans l’eau de la rivière une peinture dont le résul­tat n’est pas conforme au désir initial et de recommencer, le confirme : la notion de réussite ou d’échec existe, et donne toute sa valeur à cette tradition héritée des parents. C’est un élément de culture et comme tel, l’acte de se peindre et de se décorer est important, presque religieux, en dépit de son caractère éphémère et apparemment anecdotique. »…   Hans Silvester

 En rapport avec l’absence de miroir qui prive les jeunes peintres de la possibilité de contempler leur propre image, Jean-Paul Mari cite une anecdote vécu par Hans Silvester :

     Avec lui, Mulu, professeur de géographie au chômage devenu son guide et ami lui suggère d’amener un cuisinier : « Le déclic a eu lieu quand nous avons pu griller des chèvres et les partager avec les hommes de la tribu » dit Hans Silvester. Le sang, la viande, le feu… Inutile de parler pendant ces longs banquets silencieux. Le lendemain Hans Silvester peut approcher son objectif à un mètre cinquante du grain de peau d’une toile de maître : « A la bonne distance, ils regardent droit dans l’objectif, dégagent ce qu’ils sont, sans poser, comme ces photos de mes aïeux. » Un jour, une femme Karo l’a embrassé, il a touché la soie de sa peau et les hommes n’ont rien dit : adopté. Mais depuis son retour, il a peur. Chez les Hammer, la tribu voisine, des visiteurs ont cru bon d’offrir des miroirs de poche. Et ces créateurs noirs, qui ne se voyaient que dans le regard des autres, ont soudain commencé à perdre leur magie.

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––– le photographe et le reporter  ––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––

Hans Silvester

Hans Silvester est un photographe allemand né en 1938. Grand voyageur à travers le monde, il s’est intéressé très tôt à la nature et aux animaux, en particulier en Camargue où il s’est établi. A partir des années 80, il  s’intéresse aux problèmes d’environnement et photographie les parcs naturels d’Europe et l’Amazonie, dénonçant les ravages de la déforestation, publie un long reportage sur la rivière Calavon sous le titre « la rivière assassinée », s’intéresse à l’exploitation de la forêt en Amérique du Nord. Dans les années 90. Il fait ensuite plusieurs voyages au Rajasthan pour en ramener un témoignage sur la vie des femmes du désert indien. C’est en 2006 qu’il  termine un travail de plusieurs années sur les peuples de la vallée de l’Omo. Il est membre de l’agence Rapho depuis 1965.

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Jean-Paul Mari

Jean-Paul Mari est journaliste. Né à Alger en 1950, il entreprend tout d’abord des études de psychologie, est un temps kinésithérapeute avant de devenir animateur de radio aux Antilles Britanniques puis grand-reporter. Il a publié des centaines de reportages dans le monde entier, écrit plusieurs ouvrages et réalisé des documentaires. Les extraits de ses textes présentés ici proviennent de l’aarticle qu’il a consacré à Hans Silvester : « La peinture sur soi ».

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Technique et motivation

    Si l’on excepte les cendres dont les bergers s’enduisent parfois le corps pour se protéger du soleil et des mouches, nombreuses à proximité des troupeaux, on serait pourtant en peine de trouver des occasions spécifiques, qu’elles soient utilitaires, festives ou rituelles, à la création de peintures corporelles, même chez les adultes. On se peint comme ça, par hasard, un jour, ou le lendemain…
     La seule trace d’une signification rituelle qu’il m’ait été donné d’observer fut au lendemain d’un orage incroyable, illuminant la nuit d’éclairs. Après ce déluge, qui avait emporté tentes, cabanes, arbres, tout le monde au village arborait trois traits de couleur verte sur le front, tracés succinctement avec trois doigts. Ces signes étaient, aux dires des interprètes, une manière de conjurer le mauvais dieu de l’orage, d’apaiser sa puissance nuisible. Mais le lien semble bien ténu entre peintures corporelles et divinités, même si les tribus se montrent peu loquaces sur ces questions et, en l’occurrence ici, d’une pauvreté expressive – trois simples traits. Toute pratique codée rend il est vrai beaucoup moins libre…
     S’il fallait absolument trouver une référence à ces peintures corporelles, c’est dans l’expression d’un certain mimétisme avec la nature, avec les animaux. L’un va se peindre le visage en s’inspirant manifestement du faciès d’un singe, tel autre tacheter son torse à la manière d’un pelage animal, un autre encore donne à ses jambes l’aspect de pneumatophores, ces racines aériennes. Ce sont des choses observées qu’ils reproduisent, forts de leur proximité avec la nature. Est-ce là l’esprit du chasseur qui pointe, rompu à l’art du camouflage, ou celui du guerrier, capable de se fondre dans la nature face à l’ennemi ? Serait-ce simplement un hom­mage inconscient à la Terre-Mère ?…
    Si l’on demande à ces adolescents le sens d’un dessin vrai­ment magnifique, exceptionnel, qui à nos yeux évoque l’art contemporain, ils n’ont pas de réponse. Ils trouvent ça beau, se réjouissent de l’avoir fait et plus encore qu’on l’apprécie, mais pourquoi, comment ont-ils eu cette idée, les explications font défaut. On aimerait en savoir un peu plus, rationalité oblige, mais ils n’expliquent rien, rient et nous renvoient, par leur silence, à notre propre abîme, à notre culture et à ses interrogations.
    Leur manière de peindre est en revanche pour nous plus bavarde, plus éloquente. Une bonne part de la séduction de ces peintures vient du geste. Ces peintures corporelles se font tou­jours dans l’urgence, le mouvement. Jamais une peinture ne prend plus d’une minute à réaliser. Cette vitesse est un facteur certainement essentiel de notre perception sensible. Un même travail réalisé méticuleusement, avec application, n’aurait pas cet aspect moderne si flatteur pour l’œil. En outre, ces pigments dilués sèchent très vite sur la peau, sous l’effet de la chaleur. Il faut donc intervenir rapidement pour conserver au dessin sa brillance, tracer sans discontinuer les lignes, faute de quoi le résultat est décevant. Les peintres modernes, Picasso, Matisse et d’autres, ont retrouvé, au terme d’un long cheminement, ce geste-là, proche de l’enfance. Celui-là même qu’utilisent ces peuples africains, un geste sans réflexion, sans entrave, un geste commandé par le naturel, l’éphémère et plus encore peut-être par la brièveté : savoir s’arrêter au bon moment. Tout comme les jeunes enfants dessinent une chose, s’interrompent, prennent une autre feuille, dessinent autre chose, et recommencent. Plus âgés, l’emprise de la finition a fait son œuvre. Il faut des tuiles sur la maison, une cheminée, des oiseaux dans le ciel, des nua­ges, et tout un tas de choses. Ils ont un mal fou à arrêter le des­sin. Et plus ils insistent, plus le résultat prend la forme d’un bric-à-brac, d’un inventaire maniaque…  – Hans Sivester.

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Et quelques dernières photos, en vrac…

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6 réflexions sur « Autres cultures : les tribus de la vallée de l’Omo ou « Avant le stade du miroir » – photographe Hans Silvester »

  1. ce peuple de la vallée de l’OMO est fascinant , une merveille , doté d’un sens artistique peu commun ; prenons en de la graine , celle qui pousse vite, haut et beau
    grand merci

  2. Bonjour,
    Dramaturge, je souhaiterai utiliser quelques photos exceptionnelle de ce peuple fascinant en projection derrière un tulle, dans le cadre d’une création théâtrale contemporaine « FRACTALES# TRYPTIC. MARCEL MARCEAU » en octobre 2017.
    Quelles sont les conditions ?
    Bien cordialement
    ANNE SICCO

    • Les photos ne m’appartiennent pas, dans le cadre d’une utilisation non commerciale et limitée, je les ai pillées, selon mon habitude, sur le Net, Elles ont pour la plupart été prises par un photographe allemand du nom de Hans Sivester. Dans le cadre d’une activités culturelle officielle ou commerciale, il convient, il me semble, de vous rapprocher de ce photographe pour connaître les conditions de leur utilisation…

      Bien cordialement, Enki

  3. Ping : L'Art et la décoration font la paire - mlaviedeco

  4. Magnifiques, mais pourquoi ne peut-on pas les aider pour supprimer ce barrage, il y va de leur existence ? Ils vivaient heureux et vont devoir fuir et se plier aux chinois.

  5. Ping : Omo Valley – Tribal Body painting – Lizzie Rigby

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