Existe t’il différentes manières d’appréhender le monde ? le « Qi » chinois …

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« Toute poésie authentique est la traduction d’un souffle. L’inspiration, c’est le souffle qui passe et qui se déchaîne sur un homme, et qui l’exprime en mots. »     André Chouraki.

     Salvador Dali - paysage avec éléments énigmatiques, 1934

Salvador Dali – paysage avec éléments énigmatiques, 1934

     Pour nous occidentaux à l’esprit pétri de pensée grecque rationnelle, le monde qui nous entoure s’apparente à un système d’objets géométriques que nous cherchons à distinguer les uns les autres et pour lesquels nous nous efforçons de faire ressortir les différences, les « formes » spécifiques qui les singularisent, les rendent uniques et que nos écrivains, nos peintres vont s’attacher à décrire, reproduire ou interpréter. Non contents de catégoriser ainsi la nature, nous l’avons organisée de manière rationnelle et mathématique en assignant aux entités qui la composent une localisation selon les lois de la perspective en privilégiant le point de vue de l’observateur lui-même localisé en un point particulier du vaste monde un peu comme le tableau de Dali présenté ci-dessus dans lequel chaque entité du paysage est nettement séparé des autres et s’ordonne géométriquement devant l’œil du peintre ou du spectateur.

    Et si l’on pouvait appréhender le monde de manière totalement différente dans laquelle celui-ci formerait une totalité dont nous ferions partie intégrante, où tous les objets, les entités qui le composent : rochers, montagnes, nuages, rivières, lacs et tous les êtres vivants seraient liés entre eux et emportés par une force, un élan vital, un souffle qui les feraient évoluer, croître, dépérir, se transformer dans un cycle sans fin ? Nous ne distinguerions plus les choses qui nous entoure comme éternelles et figées mais en évolution permanente et nous ressentirions le monde comme un jeu de forces multiples et puissantes avec lesquelles nous devrions composer plutôt que de nous y opposer, à l’instar du navigateur, du nageur, du kayakiste ou du lutteur qui doivent composer avec la force des vents, des courants et de la gravité pour atteindre leurs objectifs. Nous ne nous attacherions alors plus du tout aux objets particuliers, nous nous en détacherions et notre pensée serait toute entière emportée par ce flux universel qui nous charrierait et nous relierait au monde. Le philosophe François Jullien évoque, dans ses écrits, de la difficulté que l’on éprouve à « entrer » dans une pensée qui est fondamentalement différente de la nôtre. Voilà comment j’imagine le « qi » de la pensée chinoise : un bonheur, une volupté de nageur à se laisser emporter par le grand flux universel et à jouer et composer avec cette force vitale et ses multiples courants pour pouvoir exercer notre libre arbitre, continuer à exister en tant qu’homme qui se refuse d’être soumis à la fatalité et ne pas se laisser réduire à une simple feuille morte emportée par le courant…

Cascade, attribué à Wang Wei, Chishaku-in, Kyoto, VIIIe siècle

Cascade, attribué à Wang Wei, Chishaku-in, Kyoto, VIIIe siècle

le qi ou chi
     Le qi (chinois simplifié :  ; chinois traditionnel :  ; (japonais : 気), ou encore chi, est une notion essentielle des cultures chinoise et japonaise qui désigne un principe fondamental formant et animant l’univers et la vie. A partir de l’idée du qi, que l’on traduit en général en français par « souffle », à la fois matière et esprit, les premiers penseurs chinois ont avancé une conception unitaire et organique de l’univers vivant où tout se relie et se tient. Dans cette approche spirituelle, le qi est un principe fondamental et unique, l’unité de base à l’origine de l’univers qui relie les êtres et les choses entre eux, leur donne leur forme tout en les transformant sans cesse, les animent et les relient en permanence en un gigantesque réseau de vie en marche appelé le Tao, la « voie ».
    La notion qi n’a aucun équivalent précis en Occident. Apparaissent toutefois de nombreux liens de convergence avec la notion grecque de πνεῦμα / pneûma (« souffle »), et dans la même optique avec la notion d’esprit (en latin « spiritus » dérivé de spirare, souffler), qui signifie souffle, vent. Plusieurs concepts de la philosophie indienne s’en rapprochent, tels que le prana, le soma ou l’ojas. En hébreu, le mot « ruah » ou arabe « reh » qui est traduit généralement par esprit, veut dire « souffle ».

Etymologie et origine du qi
     Le qi reste difficile à traduire. Son sens a évolué tout au long des époques, au gré de l’influence de différentes écoles de pensée. Une analyse rapide de la graphie (écriture non simplifiée) nous montre  que ce sinogramme traditionnel, qui désigne le qi, illustre le caractère à la fois matériel et immatériel de la notion. Le sinogramme a pour clé le pictogramme  (qi). Utilisé comme clef pour les gaz, il représente un nuage convectif et signifie l’air. La partie inférieure gauche du sinogramme est le pictogramme (), qui représente des grains de riz et signifie riz. Le caractère complet exprime ainsi l’idée du riz qui explose. S’il représentait autrefois le riz pour les invités, il symbolise aujourd’hui le souffle vital, puis également l’esprit et la morale. Il est aussi à associer au prana indien de la médecine ayurvédique dont les concepts demeurent très proches de ceux de la médecine chinoise, et qui possède la même origine étymologique indo-européenne (*ane-, « souffle vital ») que le mot âme en français. Le sinogramme décrit donc le qi comme étant à la fois aussi immatériel et éthéré que la vapeur et aussi dense et matériel que la céréale. Il signifie également que le qi est une substance subtile (vapeur) dérivée d’une substance grossière (céréale).

     Si  le mot âme a des origines étymologiques communes avec le prana, la philosophie chinoise désigne plus précisément par shén () la notion d’âme. La notion qi, désignant alors l’idée d’énergie vitale, manque d’un équivalent précis en Occident. Si aucun terme global ne parvient à retranscrire véritablement la nature du qi, de nombreuses traductions partielles restent possibles selon le contexte : « souffle vital », « énergie », « force vitale », etc.

    Le Chinois moderne n’a retenu que la partie supérieure , et rejoint ainsi dans l’esprit le caractère primitif formé de trois lignes horizontales , symbolisant les courants atmosphériques, similaire au caractère désignant le nombre « trois ». La notion de qi évolue simultanément sur trois plans ; celui des êtres vivants, celui de la structure de l’univers et celui de la spiritualité. Par extension, la notion s’utilise aussi pour rendre compte d’un effet d’harmonie, qu’il soit artistique, architectural ou corporel. L’interprétation du qi en terme d’énergie reste propre à l’Occident, car elle n’apparaît jamais dans les textes chinois qui en restent, eux, à l’idée d’un souffle ou d’une essence.

Yu Jiang - Village dans la brume Song du Sud XIIIe s

Yu Jiang – Village dans la brume Song du Sud XIIIe s

    Tout au long de son histoire, la pensée chinoise désigne le qi comme un souffle vital qui a pour caractéristique d’opérer et de circuler selon le rythme binaire alterné yin/yang, « inspiration-expiration » (Anne Cheng). L’idée s’inspire de l’image de la brume qui se faufile entre les objets de la nature, de la vapeur qui sort des bouches ou émane de la chaleur des marmites, ou encore des nuages qui se forment et se défont. Pour François Cheng, au sein du Tao, le fonctionnement du qi ou « Souffle » est ternaire, en ce sens que le souffle primordial se divise en trois types dont l’intéraction régit l’ensemble des vivants, à savoir le souffle Yin, le souffle Yang et le souffle du Vide médian.  Le souffle Yang incarnant la puissance active et le souffle Yin incarnnat la douceur réceptive ont besoin du souffle du Vide médian – qui, comme son nom l’indique, incarne le nécessaire espace intermédiaire de rencontre et de circulation  – pour entrer dans une interaction efficace et, dans la mesure du possible, harmonieuse. Dans la cosmologie chinoise, le qi pré-existe à l’émergence du Yin et du Yang, deux aspects de ce souffle qui vont en se combinant permettre la formation des dix-milles êtres (wànwù 万物), c’est-à-dire des êtres et des objets de l’univers :

«L’univers s’autocrée perpétuellement en une évolution constante (l’une de ses dénominations est « les dix mille transformations »), en perpétuels genèse et devenir, à partir d’un matériau unique, le Souffle (ou énergie) primordial( yuan qi) qui n’est ni matière, ni esprit. […] Dynamisme principiel, ce qi, donc, ni matière, ni esprit, est antérieur au monde, et toute chose n’en est qu’un aspect et un état de plus ou moins grande condensation. Condensé, il est vie; dilué, il est potentiel indéfini. (…) Le Qi est representé comme une force qui se répand et anime le monde en un mouvement tournant, par lequel il se répartit et se distribue dans chacun des secteurs de l’espace et du temps tour à tour. Ce n’est pas une substance qui aurait une existence repérable, en dehors des formes qu’elle prend et de leurs transformations; les « instruments » ou les êtres qui le manifestent ne sont pas autre chose que lui sous une forme particularisée, et, lorsqu’ils disparaissent, ils redeviennent Qi; il ne « demeure » pas derrière ces manifestations : elles sont une des formes qu’il prend, qu’il est. Mais quand elles disparaissent, il passe à une autre forme; principe d’unité et de cohérence qui relie les multiples entre eux, il subsiste comme un potentiel, la force de vie immanente au monde qui n’est connaissable que par les aspects divers et changeants qu’elle revêt. On a ainsi, d’une part, l’énergie qui, sans leur être extérieure, est distincte des formes concrètes, en tant qu’elle en est la source, c’est-à-dire le potentiel indéfini et infini, et en tant qu’elle demeure lorsque ces formes concrètes disparaissent, et, d’autre part, les formes que prend cette énergie, qui ne sont rien d’autre qu’elle. En raison de cette double possibilité de s’arrêter à une forme et de la dépasser, ce Qi « informe (zao ) et transforme ( hua ) toute chose », en une opération à double face ( zao hua ) […] puisqu’il définit la forme arrêtée, mais aussi la change constamment. »   –   Anne Cheng

    Ce souffle animerait et accompagnerait la naissance, l’existence et la mort dans un cycle permanent de renouvellement. La philosophie taoïste et la médecine traditionnelle chinoise en font une sorte d’essence immatérielle, invisible et inodore, qui anime et réchauffe les corps selon un mode de circulation précis. Le fœtus recevrait des deux parents le souffle primordial (yuanqi 元气), de sa vie fœtale le souffle prénatal (jīng 精), à partir desquels va s’élaborer son propre qi grâce à l’activité du dantian situé au bas-ventre. Durant l’existence, le qi se formerait aussi à partir de la digestion et de la respiration, pour alimenter la conscience, la pensée et la spiritualité sous forme de qi spirituel (shén 神). Dans la médecine traditionnelle, l’état pathologique serait engendré par une mauvaise circulation du qi, ou par la circulation d’un qi nocif. Elle désigne alors un qi favorable à la bonne santé, et un qi vicié qui engendre la maladie.

(Travail de synthèse réalisé à partir de textes de François Cheng (Cinq méditations sur la beauté, éd. Albin Michel 2006), d’Anne Cheng (Histoire de la pensée chinoise, éd. « Point » Seuil 2002 et de Wikipedia)

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François et Anne Cheng

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Ma Yuan -face-moon

Ma Yuan – Face à la Lune

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Chine : le paysage vu à travers le prisme du qi  (Un texte de François Jullien : La grande image n’a pas de forme ou du non-objet par la peinture, Seuil 2003)

François Jullien, octobre 2013     La pensée chinoise nous découvre, en effet, que, dans tout le réseau d’organes et de fonctions qui me constitue, et à partir duquel l’homme s’essaie à bâtir de la cohérence, je peux faire un autre choix que celui des Grecs pour orienter mon rapport au monde et définir, à partir de lui, ce qui constitue initialement la réalité. Car il est deux façons dont mon existence se trouve continûment branchée sur un dehors: je respire et je perçois. Or, soit je privilégie le regard et l’activité de perception, et tel est le choix grec qui a conduit à concevoir prioritairement le réel comme un objet de connaissance, l’esprit s’élevant de la sensation visuelle à la construction d’essences et la vision se laissant à la fois rectifier, structurer et dépasser par la raison. Soit je fonde ma conception du monde, non sur l’activité de connaissance, mais sur la respiration, et tel est le choix chinois: de ce que je suis en vie en inspirant-expirant, par entrée-sortie (dedans-dehors), j’en déduis le principe d’une alternance régulatrice dont découle le procès du monde. « L’entre Ciel et Terre n’est-il pas comparable à un grand soufflet? » demande le Laozi. « Vide, il n’est pas aplati » et « plus on le meut, plus il exhale » ; mais « plus on en parle », moins on le saisit… On ne s’étonnera pas, par conséquent, que les Chinois aient conçu la réalité originelle, non selon la catégorie de l’être et à travers le rapport de la forme et de la matière (les Chinois n’ont pas conçu la « matière »), mais en tant que « souffle-énergie », en tant que qi ( devenu ) : selon l’étymologie du terme, de la vapeur s’exhale et s’élève (au-dessus du riz qu’on cuit).

Comment accepter pleinement, en effet, et non seulement sur un mode hyperbolique ou à titre d’image, que le paysage – « montagnes-eaux » – fonde dans ses formes du spirituel, ou que l’homme se découvre en symbiose avec lui, si l’on ne perçoit d’abord l’homme et le paysage comme étant également produits du qi, en tant que souffle-énergie ? Or, pour ce, changeons de « physique » ; un des premiers penseurs des Song, contemporain du grand essor en Chine de la peinture de paysage, a trouvé les termes les plus généraux pour le dire:

Le souffle-énergie se déployant en Grand vide originel
s’élève et s’abaisse, et évolue sans cesse
tel est le ressort du vide et du plein, du mouvement et du repos,
le départ du yin et du yang, du dur et du malléable.
Flottant et montant: telle est la limpidité du yang;
s’abaissant et descendant: telle est la confusion du yin. 
À travers incitation et communication, rassemblement et dispersion, 
se forment le vent et la pluie, le givre et la neige,
à la fois le cours de la multitude des existants
et l’union et la fusion des montagnes et des rivières.
jusqu’à la lie du vin et la cendre du foyer,
il n’est rien de tout cela qui ne soit un enseignement.

    Développé à partir, de l’antique Classique du changement (Yi king), tel est, jusqu’à la pénétration des idées européennes en Chine, l’enseignement de base des Lettrés: tout dans l’univers s’origine dans le même souffle-énergie qui, grâce à la régulation interne à ses deux facteurs constitutifs, yin et yang (tel est le li), aboutit à toutes les manifestations d’existence, ordonnées comme elles sont, aussi bien à la diversité infinie des êtres, l’homme y compris, qu’à leur relation et cohésion au sein d’un paysage. Car, d’une part, dans son évolution incessante, le souffle-énergie se condense et coagule (sous le facteur yin) et, devenant visible par son opacité, forme les êtres constitutifs, « engendrant les hommes comme engendrant les choses », précise le commentateur (Zhu Xi) ; et inversement, mais corrélativement, se désaturant, se décantant et s’aérant (sous le facteur yang), et devenant limpide-invisible, il fait communiquer tout l’existant à travers son vide animant et le délie. Tel est l’ « esprit » ou plutôt, comme il s’agit là de deux modes indissociables d’une même réalité (le qz), telle est la dimension d’esprit – qu’elle soit de l’homme ou du paysage.

Wu Zhen (1280-1354) Yuan dynastie - Pêcheurs d'après Jing-Hao, vers 1341

Wu Zhen (1280-1354) Yuan dynastie – Pêcheurs d’après Jing-Hao, vers 1341

     Quand il considère l’être constitutif de la montagne, c’est à cette pulsationn énergétique aboutissant aux configurations du relief que lé peintre chinois est attentif: le souffle-énergie circule sans discontinuer à travers les lignes de force du paysage, que repère le géomancien, comme à travers les circuits énergétiques que décèle l’acupuncteur à l’intérieur du corps humain (le terme est le même : qi-mo). Selon les alternances qui lui sont propres, en s’élevant et s’abaissant, en s’élançant ou s’asseyant, la montagne fait apparaître la grande respiration du monde ; et le peintre, communiquant avec elle à partir de son souffle vital, s’en saisit par le mouvement alternant de son pinceau – grâce à la variation du vide et du plein, la peinture aussi respire. Jing Hao définit d’une formule décisive, à cet égard, non pas ce qui fait l’essence, mais d’où naît la consistance et à quoi tient le dynamisme du paysage : toutes les formes étant traversées, à l’intérieur d’elles-mêmes, du même souffle-énergie, l’« image-phénomène » de « montagnes-eaux » se conçoit comme « un engendrement réciproque », celui de tensions énergétiques parcourant les formes et les animant.

Li Tang - Sans fin, les ravins, les pins, le vent, 1124 - encre et couleur sur soie

Li Tang – Sans fin, les ravins, les pins, le vent, 1124 – encre et couleur sur soie

    Un rocher, un nuage : même entre le rocher et le nuage, entre la compacité de l’un et le caractère aérien et évanescent de l’autre, il n’y a pas deux matérialités différentes mais seulement une différence de concrétion. « Les nuages émanent des vallons enfouis au sein des montagnes et c’est pourquoi on appelle les rochers racines de nuage » ; de même, quand on voit, l’été, les nuages s’amonceler autour des cimes aux formes étranges, « c’est que les nuages naissent des rochers » : « de l’humidité de la roche s’exhale une buée légère qui, en se condensant, forme des vapeurs et ces vapeurs, en s’accumulant, forment des nuages » (Tang Dai, C. K). Que le rocher soit appelé « racine de nuage » n’est donc pas une figure de rhétorique, ni même une image poétique, mais traduit l’osmose qui, par la circulation du souffle vital, fait communiquer tous les existants entre eux et les relie de l’intérieur. Ce que nous avons rendu précédemment par résonance spirituelle (qi-yun) est précisément la résonance interne à ce souffle-énergie : émanant de la diversité des formes et les déployant de l’intérieur, elle dégage leur dimension limpide-invisible et les ouvre sur le fond indifférencié du qi.

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3 réflexions sur « Existe t’il différentes manières d’appréhender le monde ? le « Qi » chinois … »

  1. Bonjour Enki Dou, j’aimerai savoir si les analyses de tableaux de Wu Zhen et Li Tang sont tirés de l’ouvrage de François Jullien, ou alors il s’agit de votre composition ? De plus, pouvez vous préciser la source suivante. « c’est que les nuages naissent des rochers » : « de l’humidité de la roche s’exhale une buée légère qui, en se condensant, forme des vapeurs et ces vapeurs, en s’accumulant, forment des nuages » (Tang Dai, C. K)
    Merci pour votre article qui m’a permis d’avancer dans mon mémoire sur la peinture chinoise.

  2. Bonjour
    Heureux d’avoir pu être utile pour votre mémoire. L’article ayant été écrit en 2014 je ne me souviens plus des conditions de sa rédaction. Ce qui est sûr, c’est que n’étant aucunement spécialiste de la peinture chinoise, j’ai puisé de nombreuses phrases et notice explicative dans l’ouvrage de François Jullien. Pour le reste, je ne me souviens plus d’où j’ai tiré la citation relative à la buée et les nuages. Si j’ai noté Tang Dai à la fin de la citation, cela signifie que ce peintre en est l’auteur. Sur le thème de la buée et des nuages, je vous recommande l’analyse « Nuages, brumes et vapeurs : le souffle cosmique dans la peinture et la philosophie chinoises » de Yolaine Escande : https://books.openedition.org/pur/38584

    Voici un texte de François Cheng sur le même thème :

    « Brumes et nuages du mont Lu », si célèbres qu’ils s’étaient mués en proverbe pour désigner son mystère insaisissable, une beauté cachée mais ensorcelante. Par leurs mouvements capricieux, imprévisibles, par leurs teintes instables, rose ou pourpre, vert jade ou gris argent, ils transformaient la montagne en magie. Ils évoluaient au milieu des multiples pics et collines du mont Lu, s’attardant dans les vallées, s’élevant dans les hauteurs, maintenant ainsi un constant état de mystère. De temps à autre, subitement ils s’effaçaient, révélant alors au regard des hommes toute la splendeur de la montagne. Avec leurs corps soyeux et leur parfum de santal mouillé, ces brumes et ces nuées paraissaient tel un être à la fois charnel et irréel, un messager venu d’ailleurs pour dialoguer un instant ou longuement, selon ses humeurs, avec la terre. Certains matins clairs, elles pénétraient par les volets, en silence, chez les hommes, les caressaient, les enveloppaient de leur douceur intime. Pour peu qu’on veuille les saisir, elles s’éloignaient tout aussi silencieusement, hors de portée. Certains soirs, les brumes denses qui montaient, rencontrant les nuages en mouvement, provoquaient une précipitation et amenaient des ondées, qui déversaient leur eau pure dans les pots et les bocaux déposés par les habitants du village au pied des murs. C’est avec cette eau que ces derniers faisaient le meilleur thé du coin. Une fois les averses passées, rapidement, les nuages se déchiraient et, le temps d’une éclaircie, laissaient voir le plus haut mont. Entouré de collines, ce dernier ne conservait pas moins tout le mystère de son altière beauté, avec ses rochers fantastiques dangereusement dressés, qu’auréolait une végétation elle aussi fantastique, réverbérant sans entrave la lumière indécise du soir. Pendant ce temps, les nuages regroupés à l’ouest formaient une immense mer étale dont les flots portaient le soleil couchant comme un vaisseau de rêve scintillant de mille feux multicolores. Un instant après, le sommet se drapait de brume mauve, devenait à nouveau invisible. Comme il se doit, d’ailleurs, puisque c’est l’heure où le mont Lu effectue sa randonnée quotidienne en direction de l’ouest, pour rendre hommage à la Dame de l’Ouest des taoïstes ou pour saluer Bouddha. A ce moment, l’univers avait l’air de se révéler dans sa réalité cachée ; il était en perpétuelle transformation. Ce qui était apparemment stable se fondait dans le mouvant ; ce qui était apparemment fini se noyait dans l’infini. Point d’état fixe ni définitif. N’est-ce pas ce qu’il y a de plus vrai, puisque toutes choses vivantes ne sont que « condensation du souffle » ? – (tiré de son livre « Le Dit de Tianyi »)

    Et aussi : « 78 poèmes chinois » sur le thème des nuages : http://www.ventdusoir-poesie.fr/nuages.htm

    Bien à vous,

    Enki

  3. Bonjour et merci pour cet article sur le ki, cette notion, ce quelque chose qu’il est difficile de définir et que j’ai découvert par le yoga sous le nom de prana. Il existe dans le monde entier et même en occident mais de façon plus masqué comme l’esprit saint ou la grâce. C’est le mana des polynésiens ou la baraka des arabes, le ka des égyptiens. Je me demande parfois si ce ne serait pas simplement ce que l’on recouvre du mot dieu. En tout cas, cela mene le monde semble-t-il. Ce quelque chose a effectivement un lien avec la digestion et la respiration qui le bloquent ou le libérent selon l’état.

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