Hommage d’Yves Bonnefoy à Kathleen Ferrier, la cantatrice à la « voix mêlée de couleur grise »


Kathleen Ferrier (1912-1953)Kathleen Ferrier (1912-1953)

      Kathleen Mary Ferrier est une extraordinaire contralto anglaise qui a acquis une renommée internationale grâce à la scène, aux concerts et à ses enregistrements. Son répertoire s’étendait de la chanson folklorique et de la ballade populaire aux œuvres classiques de Bach, de Brahms, de Mahler et d’Elgar. Sa mort, le 8 octobre 1953, causée au sommet de sa gloire par un cancer, a consterné le monde de la musique et le grand public, qui ne connaissait pas la nature de la maladie. Voici ce qu’en disait l’artiste photographe Isabelle Françaix, dans une présentation de la chanteuse :

«  Kathleen Ferrier, dont la brève carrière a suffi cependant à marquer profondément les âmes, dont la voix pure, lumineuse et ample rayonne aujourd’hui encore sur ceux qui la découvrent, dont la « présence » bouleversante est plus forte encore que le tragique souvenir de son « destin d’artiste » brisé par un cancer décelé trop tard. »

    Parmi les âmes marquées profondément par cette présence exceptionnelle figurent celles de deux hommes de lettres : le poète Yves Bonnefoy qui lui consacra un poème cinq années après sa mort en 1958 et un jeune auteur de 22 ans, Benoît Mailliet Le Penven qui écrivit en 1997 « la voix de Kathleen Ferrier » un livre qui est un véritable essai amoureux pour celle qu’il avait découvert à l’âge de 15 ans en l’écoutant interpréter Mahler et Brahms :

« Cette découverte fut un choc véritablement physique (frissons par vagues, souffle coupé, yeux brûlants). Je voyais poindre déjà le sens renouvelé du beau, de la pure émotion esthétique. Le chant grégorien, le Clavier bien tempéré, les Variations Goldberg et l’Art de la fugue, les chorals de Buxtehude… tel avait été l’univers musical de mon enfance, qui avait eu cette clarté égale, harmonieuse et méditative que prend la lumière d’une après-midi d’été dans une église romane du Val-de-Loire : la voix de Kathleen Ferrier en modifiait soudain la perspective et la profondeur, y apportant une luminosité nouvelle en même temps qu’une sorte de ténèbres. » et encore : « Je crois aux rencontres, aux intercesseurs : Kathleen Ferrier fut pour moi l’un et l’autre. Après cette rencontre, je m’attachai à mieux connaître l’être dont la voix avait chanté en moi comme un appel de l’autre rive. »

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Kathleen Ferrier – « Ich bin der Welt abhanden gekommen » (Mahler: Rückert-Lieder n°3) – Bruno Walter – Wienr Philharmoniker.

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Les Rückert-Lieder sont cinq chants pour voix et orchestre composés par Gustav Mahler en 1901 et 1902. Ils furent créés à Vienne en 1905. Les poèmes sont extraits d’œuvres de Friedrich Rückert.

Les cinq chants sont (par ordre chronologique de composition) :

  1. Blicke mir nicht in die Lieder
  2. Ich atmet’ einen linden Duft
  3. Ich bin der Welt abhanden gekommen
  4. Um Mitternacht
  5. Liebst du um Schönheit

Ich bin der Welt abhanden gekommen, (Je me suis retiré du monde) – (chant 3)

Pureté et transcendance

   Nous avons trouvé sur un site consacré à Malher  (c’est ICI) une présentation lumineuse  de cette musique de Malher et l’admirable lied de Ruckert en allemand et dans sa traduction française. Nous vous les livrons tels quels :

«  Selon les termes de John Williamson, ce poème est une « peinture étonnamment épurée d’une paix transcendante ». Et c’est bien sur la transcendance de ce monde isolé, paisible et solitaire, inoffensif et tranquille, que Mahler insiste avec une musique extrêmement méditative, bouleversante d’émotions, douée d’une portée quasi métaphysique. La description de cette dimension extra-ordinaire d’un paradis littéralement coupé du monde se fond tout naturellement dans cette suite de sons majestueusement assemblée par le génie créatif de Mahler ; Mahler fait bien plus que transposer des mots en sons, car il y intègre une amplification épique des émotions que délivre le texte de Rückert, surtout dans la partie finale du chant, où « la vision tout entière doit être résumée dans une libération émotionnelle sous les mots ‘In meinem Lieben’, chantés pianissimo : un sommet d’intensité retenue » (Williamson). Là où l’émotion est à son comble se trouve pourtant à mon avis sur la note instable, fragile et très aigüe et surtout très inattendue jouée pianissimo tout à la fin. Cette note surgit de façon extraordinaire, très doucement, et crée la surprise car on se demande vraiment comment une retenue musicale aussi magique est possible. Cette note trouve pourtant sa place dans la suite logique de la mélodie développée par Mahler, mais on se demande vraiment comment il est possible de l’atteindre tellement elle constitue un sommet émotionnel des plus éloignés… »

Ich bin der Welt abhangen gekommen,Me voilà coupé du monde
mir der ich sonst viele Zeit verdorben,dans lequel je n’ai que trop perdu mon temps;
sie hat so lange nichts von mir vernommen,il n’a depuis longtemps plus rien entendu de moi,
sie mag wohl glauben, ich sei gestorben !il peut bien croire que je suis mort !

Es ist mir auch gar nichts daran gelegen,Et peu importe, à vrai dire,
ob sie mich für gestorben hält,si je passe pour mort à ses yeux.
ich kann auch gar nichts sagen dagegen,Et je n’ai rien à y redire,
denn wirklich bin ich gestorben der Welt.car il est vrai que je suis mort au monde.

Ich bin gestorben dem Weltgetümmel,Je suis mort au monde et à son tumulte
und ruh in einem stillen Gebiet.et je repose dans un coin tranquille.
Ich leb allein in meinem HimmelJe vis solitaire dans mon ciel,
in meinem Lieben, in meinem Lieddans mon amour, dans mon chant.

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Kathleen Ferrier -  (1912-1953)

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A la voix de Kathleen Ferrier

Toute douceur toute ironie se rassemblaient
Pour un adieu de cristal et de brume,
Les coups profonds du fer faisaient presque silence,
La lumière du glaive s’était voilée.

Je célèbre la voix mêlée de couleur grise
Qui hésite aux lointains du chant qui s’est perdu
Comme si au delà de toute forme pure
Tremblât un autre chant et le seul absolu.

Ô lumière et néant de lumière, ô larmes
Souriantes plus haut que l’angoisse ou l’espoir,
Ô cygne, lieu réel dans l’irréelle eau sombre,
Ô source, quand ce fut profondément le soir !

Il semble que tu connaisses les deux rives,
L’extrême joie et l’extrême douleur.
Là-bas, parmi ces roseaux gris dans la lumière,
Il semble que tu puises de l’éternel.

Yves Bonnefoy, extrait de Hier régnant désert, Mercure de de France 1959, c1958.

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Yves Bonnefoy (1923)

Yves Bonnefoy

Vincent Vivès dans un chapitre de son Essai-commentaire sur « Poèmes » d’Yves Bonnefoy (Folio-Gallimard, 2010) a analysé ce poème dédié par celui-ci à la cantatrice (Une voix : Kathleen Ferrier, p. 138)

Vincent Vivès

Vincent Vivès

« Coprésence des mots et du corps, la voix est de nature dialectique. Cette nature essentiellement dialectique de la voix, le poète la nomme ironie. Ironie est à prendre ici au sens fort que les romantiques lui donnaient, de Schlegel à Baudelaire : conscience écartelée dans les contraires. Ainsi est le poème « la voix de Kathleene Ferrier », voix où « toute douceur toute ironie se rassemblaient » (Hier, p.159). Voix « mêlée de couleur grise« , c’est-à-dire où le blanc et le noir s’interpénètrent, mais aussi lieu de compénétration de la couleur et du timbre. Voix qui connait « les deux rives » que sont « L’extrême joie et l’extrême douleur ». La voix-cri de Douve n’engageait rien qu’elle-même et se refermait sans avoir touché rien d’autre que l’inanité de toute parole. La voix éthique délaisse l’allégorie stérile et s’incarne dans la personne de la contralto anglaise morte prématurément d’un cancer en 1953 (date, rappelons-le de la publication de Douve). La célèbre cantatrice s’était fait connaître dans une trop courte carrière en interprétant Gluck (Orphée et Eurydice) et Gustav Mahler (Kindertotenlieder, Das Lied der Erde). Il est fort intéressant de comprendre comment la voix de Kathleen Ferrier est caractérisée dans le poème qui lui est dédié : Yves Bonnefoy en effet y indique une esthétique ainsi qu’une éthique qui font fi de la transposition d’art. (…) L’univers musical d’Yves Bonnefoy est fondé sur l’intensité révélée par le rythme et le timbre. Ce sont deux éléments que nous retrouvons dans le poème. Mais chose surprenante au premier abord si l’on se réfère à l’objet qu’est la voix (et particulièrement dans le contexte du chant lyrique de tradition savante), le poète ne s’arrête à aucun moment sur la tessiture de la voix. Rythme et timbre sont pour lui pertinents, mais non la hauteur (quoique l’on puise dire que le timbre lui-même varie en fonction de la hauteur de la note sur laquelle un son est émis). Le timbre est en effet amplement caractérisé (« cristal » et « brume », « voilée », « couleur grise ») au détriment de l’ambigus et de la tessiture spécifiques des contraltos (célébrées depuis l’époque romantique pour leurs voix ambiguës, androgynes – qui avaient remplacé celles des castrats – et leur puissance d’expressivité atteinte dans les notes les plus graves de l’organe féminin). Yves Bonnefoy choisit de privilégier l’un des aspects de la voix, le timbre, dans la mesure où ce dernier fait toujours entendre dans son sillage le langage, lui-même défini comme « un ici qui respire et expire l’ailleurs, méduse aux dimensions d’une mer qui serait le monde » (La longue chaîne de l’ancre) La voix est présence intérieure, s’incarnant tout à la fois et indifféremment dans le grain d’une émission, dans les timbres et le rythme de la matière allitérative du langage. »  –   Vincent Vivès

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Kathleen Ferrier – « Que faire sans Euridyce ? (Acte III) Gluck (Orphée et Eurydice) – (1998 – Remaster;) » de Kathleen Ferrier/Charles Bruck/Netherlands Opera Orchestra

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Kathleen Ferrier – final du Chant de la Terre ( l’Adieu) de Gustave Malher, interprété par Kathleen Ferrier sous la direction de Bruno Walter.

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DIE KINDERTOTENLIEDER : (Chants sur la mort des enfants) sont un cycle de cinq lieder pour voix et orchestre composé par Gustav Mahler de 1901  à 1904. – Rückert-lieder.

Les cinq chants sont :

  1. Nun will die Sonn’ so hell aufgehn
  2. Nun seh’ ich wohl, warum so dunkle Flammen
  3. Wenn dein Mütterlein
  4. Oft denk’ ich, sie sind nur ausgegangen
  5. In diesem Wetter, in diesem Braus

Nun will die Sonn so hell aufgehn (chant 1)

Nun will die Sonn so hell aufgehn,                 A présent le soleil radieux va se lever
als sei kein Unglück die Nacht geschehn.      comme si, la nuit, nul malheur n’avait frappé.
Das Unglück geschah nur mir allein,             Le malheur n’a frappé que moi seul,
die Sonne, sie scheinet allgemein.                  tandis que le soleil brille à la ronde.

Du musst nicht in dir verschränken,              N’enferme pas la nuit en ton coeur,
musst sie ins ewge Licht versenken.               plonge-là dans la lumière éternelle.
Ein Lämplein verlosch in meinem Zeit,         Une lampe s’est éteinte en ma demeure,
Heil sei Freundenlicht der Welt                       gloire à la lumière, joie du monde !

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Le 13 mai 1952, Kathleen Ferrier arrive à Vienne pour enregistrer Le Chant de la terre de Mahler sous la direction de Bruno Walter. Trois jours en studio ont été prévus pour graver cette œuvre. Kathleen sait déjà depuis une année qu’elle est atteinte d’un cancer. Jérôme Spycket dans sa biographie de la cantatrice écrira que la dernière séance d’enregistrement est dramatique : « Cette séance est dramatique, et laissera à tous ceux qui l’ont vécue, la gorge nouée, le souvenir d’une angoisse insupportable (…) Kathleen lutte désespérément contre elle-même. Souffrant au moindre geste, elle laisse même échapper un cri – qui pétrifie l’orchestre et son chef – en se levant pour se traîner jusqu’au micro  ».  Aussitôt après, Kathleen reprit l’avion pour son Angleterre. Entre deux séances de radiothérapie, elle continuera à donner des concerts. Puis, en février 1953, ce furent les représentations terribles de l’Orphée de Gluck à Covent Garden. A l’issue de la deuxième, il fallut la transporter à l’hôpital où, quelques mois plus tard, elle rendrait son dernier souffle, à quarante et un ans.
Kathleen Ferrier était la plus adorée des antistars. Fille d’un directeur d’école, elle avait perdu sa mère très tôt et c’est sa sœur qui s’était occupée d’elle. Elle avait arrêté ses études à 14 ans pour devenir employée des postes à Blackburn (Lancashire). Sa voix était si grave et originale qu’on n’avait pas voulu d’elle pour l’horloge parlante. Après son mariage, Kathleen Ferrier déménage à Carlisle, ville où était organisé dans le cadre d’un festival un concours de chant et de piano. Elle le gagne en 1937. Elle avait commencé le piano enfant mais avait pris sa première leçon de chant tardivement, à l’âge de 27 ans.

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Eleanor Plunkett de Turlough O’Carolan interprété par Gilles Servat et Clannad

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Gilles Servat

Gilles Servat (1945)

     Gilles Servat est un auteur-compositeur-interprète français, ardent défenseur de la culture bretonne armoricaine et d’expression bretonne et française. C’est aussi un poète, dont le début de carrière a été marqué par la chanson La Blanche Hermine qui est devenue un symbole dans la Bretagne armoricaine. Auteur d’une discographie importante, il a fait partie des artistes qui ont participé à l’Héritage des Celtes de Dan Ar Braz. C’est aussi un romancier qui sait faire revivre l’épopée celte et la réalité de la Bretagne armoricaine. Il est né dans les Pyrénées, d’un père d’origine nantaise et d’une mère originaire du Croisic, presqu’île bretonnante proche de Saint-Nazaire. Son arrière-grand-père ariégois était montreur d’ours.

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–––– le morceau Eleanor de l’album L’Albatros Fou (1991) –––––––––––––––––––––––––––––––––––––––

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    La musique de « Eleanor » a été créée par le harpiste irlandais Turlough O’Carolan (1670-1738). Le morceau interprété par Gilles Servat fait partie de l’album « L’Albatros fou » qui est son le douzième album studio, paru en 1991 chez Keltia Musique. Cet album a été composé et interprété en collaboration avec Triskell, groupe de musique celtique. 

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–––– Origine du morceau Eleanor : le fameux harpiste irlandais O’Carolan (1670-1738) ––––––––––

    Le harpiste irlandais Turlough O’Carolan (Toirdhealbhach Ó Cearbhalláin en gaélique) a vécu en Irlande de 1670 à 173). Il a composé au cours de sa carrière au moins 220 airs, dont beaucoup sont encore joués aujourd’hui. Son œuvre constitue la collection la plus complète de musique issue des plus anciennes traditions harpistes. Employé à l’âge de 14 ans dans la famille McDermott Roe et montrant déjà des talents de poète, le jeune homme fut pris en charge par Mme McDermott qui s’attacha à lui donner une éducation. À 18 ans, il devient aveugle après avoir contracté la variole et malgré son handicap, il entame une carrière de harpiste itinérant, métier qu’il exerçera durant 50 années jusqu’en 1738 où sentant ses jours finir, il choisira de revenir dans la maison de ses premiers maîtres, les McDermott Roe, pour y mourir. En égard à la popularité du mort, la veillée funèbre dura 4 jours. Carolan était un homme réputé joyeux et sociable, aimant les blagues et le backgammon. Comme beaucoup de harpistes, il aimait boire et était colérique. Il se maria avec Mary Maguire, s’établit dans une ferme près de Mohill (comté de Leitrim) et eut avec elle 6 filles et un garçon. On sait peu de chose sur eux. Après sa mort, son fils publia ses œuvres à Dublin en 1747 puis s’établit à Londres comme professeur de harpe. Une section non datée et non titrée de 23 de ses œuvres est conservée à la National Library d’Irlande. Elle est connue sous le nom de « Compositions de Carolan » ou encore « Extrait Carolan-Delaney« .

portrait de Turlough Carolan, 1844

portrait de Turlough Carolan, 1844

     Carolan a composé la musique et la poésie pour certaines des plus grandes familles du pays. Parmi les noms de ceux pour qui il a composé figurent de grandes familles protestantes comme les Coote, Cooper, Crofton, Brabazon, Pratt, O’Hara, Irwin, Betagh, Stafford et Blayney mais il a également composé pour des familles catholiques connues. Étonnamment, Carolan n’a jamais été considéré en Irlande comme un artiste de haut niveau. Sa renommée venait de son don pour la composition musicale et la poésie et dans ses créations, il commençait toujours par composer la mélodie à laquelle il ajoutait par la suite les paroles. Cette manière de faire était à l’opposé de la pratique traditionnelle irlandaise. Bien que la musique a toujours été tenu en haute estime, avant Carolan, la poésie avait toujours la priorité. Au temps de Carolan, l’Irlande connaissait trois traditions musicales – la musique d’art, la musique populaire folklorique, et la tradition de la Harpe. La tradition de la harpe a servi de lien entre l’art et la musique populaire folklorique et a été le principal vecteur de la tradition orale. Carolan a eu le génie de créer un style unique en combinant ces formes d’art, puis en y ajoutant des éléments inspirés par la musique italienne qui était alors à la mode en Irlande. Il était un grand admirateur de Vivaldi et Corelli qu’il avait découvert dans les maisons de ses clients irlandais nobles, et cette admiration se reflète dans la construction et les formes de beaucoup de ses morceaux mélodique. 

     Son poème à la louange de Eleanor Plunkett de Robertstown est en fait un hommage rendu à la lignée renommée des Plunkett d’Ardamagh. Il le considère comme «un ghaoil ​​na bhfear éachtach O Ardamacha Breige » – (un récit des exploits réalisés par les hommes de Ardamagh de Bregia). Eleanor Plunkett de Robertstown du comté de Meath, aurait été la dernière survivante de sa famille. Elle était probablement liée à Christopher Plunkett, dont le nom apparaît dans l’enquête civile menée dans le comté de Meath en 1655 dans laquelle il est considéré comme un « papiste irlandais », et le propriétaire de l’ancien château de Castle Cam dans Ardamagh. . Selon la légende, 30 membres de la famille Plunkett qui s’étaient retranchés dans le château de Castle Cam auraient été « détruits par l’eau bouillante » (O’Sullivan, vol 2, p. 95). L’historien estime que cette histoire aurait été exagérée. Toutefois, il est probable qu’Eleanor Plunkett était la seule survivante de sa famille comme le souligne les deux premières lignes d’un document de l’époque, « Bien qu’il ne survit dans ce pays seulement vous de votre parenté. » Les Plunkett, comme beaucoup d’autres familles catholiques, avaient été dépossédés de leurs terres au moment de l’invasion anglaise de l’Irlande menée par Cromwell.

    Il existe de très nombreuses interprétation de ce morceau de Carolan. Parmi celles que je préfère figure l’interprétation du groupe irlandais Clannad présentée ci après.

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Tomas Tranströmer – Finalement… C’est une poule ou un chapeau ?

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Tomas TranströmerTomas Tranströmer (1931)

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Tête Haute

     Je réussis, dans un moment de concentration, à capturer la poule et la tenais entre mes mains. Chose curieuse, elle ne semblait pas vraiment vivante : raide, sèche, un vieux chapeau de dame, orné de plumes blanches, qui criait des vérités de l’an 1912. L’orage était dans l’air. Un parfum montait des planches, comme lorsqu’on ouvre un album de famille, si vieux qu’on n’arrive plus à en identifier les portraits.
   Je portais la poule jusqu’à l’enclos et la relâchai. Soudain, elle se remit à vivre, retrouva son chemin et se mit à courir selon les règles. Le poulailler abonde de tabous. Mais le terrain qui l’entoure regorge d’amour et de constance. A moitié envahies de verdure, les pierres d’un mur bas. Quand la nuit vient, ces pierres se mettent à luire, faiblement, de la chaleur centenaire des mains qui les dressèrent.
    L’hiver a été difficile, mais c’est l’été maintenant, et la terre nous demande de marcher tête haute. Libres mais attentifs, comme lorsqu’on se redresse dans une pirogue. Un souvenir d’Afrique me revient en mémoire : sur une plage du Chari, une armée de bateaux, une atmosphère très cordiale, ces gens d’un noir presque bleuté qui avaient trois cicatrices parallèles sur chaque joue (la tribu des Sara). Je suis le bienvenu à bord – un canot de bois sombre. Il est étrangement instable, même quand je reste assis sur les talons. Un numéro d’équilibriste. Si le cœur est situé à gauche, il faut pencher un peu la tête à droite, rien dans les poches, pas de grands gestes, toute rhétorique devant rester à terre. C’est cela : la rhétorique n’a rien à faire ici. Le canot s’éloigne en glissant sur le fleuve.                   Tomas Tranströmer – Baltiques.

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    Bon… alors… Etait-ce une poule ou bien un vieux chapeau de dame ? Le fait qu’elle s’est mise à courir dans le poulailler plaide pour la première hypothèse. A t’on jamais vu un chapeau courir ! Sous l’action du vent, peut-être… N’oublions pas que l’orage était dans l’air… Une brusque rafale de vent et hop ! voila le chapeau qui s’envole et traverse d’une trombe le poulailler… – Moi, je penche pour le vieux chapeau, la chose qu’il a ramassé était raide, sèche et évoquait la Belle Epoque, de plus elle libérait une odeur de papier moisi… – Ah oui ! si c’était un chapeau pourquoi lui a t-il fallu le capturer au prix d’une grande concentration ? C’est bien la preuve que ce qu’il a capturé était bien en mouvement… – Eh bien, peut-être était-ce le vent qui le poussait. Ne t’es tu jamais retrouvé dans une situation où tu poursuivais une feuille de papier poursuivie par le vent ? – Mais le fait que la chose était raide et sèche ? – On voit bien que tu n’as jamais attrapé une poule de ta vie… Avant d’être capturée, elle bouge, mais dés qu’elle est solidement tenue par tes mains elle reste immobile, comme tétanisée… Ensuite tu remarqueras qu’il précise que la chose s’est mise à courir selon les règles… Tu auras sans doute remarqué que les poules courent droit devant elles sans réfléchir alors que les objets soufflés par le vent, virevoltent, eux, au hasard des bourrasques; c’est pour cette raison qu’il est si difficile de rattraper une feuille de papier…
   – Et puis pourquoi écrit-il que « le poulailler regorge de tabous ? » et qu’en contre partie, « le terrain qui l’entoure regorge d’amour et de constance » ? – Je n’sais pas moi… un tabou, c’est une interdiction à caractère sacré qu’il ne faut surtout pas transgresser sous peine d’être puni par les esprits ou les dieux ou bien un sujet qu’il est préférable de ne pas évoquer si l’on veut respecter les règles… – Bah, en quoi, un poulailler est-il marqué par des tabous ? – Parce que c’est un endroit clos, patate !, c’est une prison d’où il est interdit pour les poules de sortir et au renard d’entrer, et toi de piquer les œufs pour les gober… ENTREE INTERDITE ! RENARD PAS MANGER POULES ! TOI PAS GOBER ŒUF – Par contre tout autour, chacun est libre de faire ce qu’il veut… – Ouais, je suis pas convaincu… Il est quand même un peu torturé ton poète ! Pouvait pas dire les choses plus clairement et plus simplement ? – Il l’a fait exprès, andouille ! pour exaspérer des individus comme toi, désespérément rationalistes et dénués de toute imagination. A t’écouter, tu sais ce que j’ai envie de faire ? De t’enfermer dans le poulailler…

Enki signature °°

le 24 novembre 2014

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Pays anglo-saxons : origines historiques et folkloriques des Mummers’ plays

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Les « Masques » de cour

   La coutume du déguisement de Noël en Grande-Bretagne qu’on appelle « mumming, » ou « disguising » (déguisement) remonte à des pratiques de la cour anglaise du temps du règne d’Edouard III. Elle dérive de toute évidence de coutumes folkloriques plus anciennes où l’on voyait des groupes de personnages vêtus de têtes et de peaux de bêtes se rendant de maison en maison  pour porter chance. En Angleterre, un vestige de cette coutume subsiste dans les groupes de « guisers » ou « geese-dancers » qui s’arroge le droit à certaines périodes de l’année d’entrer dans les maisons.
    C’est aux XVIe et au début du XVIIe siècles que les fêtes masquées anglaises atteignent leur plus grands développement. Les costumes animaliers initiaux ont alors été remplacés par des vêtements splendides et compliqués et la fête a intégré dans son déroulement des représentations théâtrales   l’idée fondamentale a été ensuite généralement recouverte d’attributs splendides, les robes et les arrangements étaient souvent extrêmement complexe, et l’introduction de la parole a fait ces dialogué « déguisements » représentations théâtrales régulières. Voici ce qu’en dit Arthur Pougin en 1885 dans son Dictionnaire pittoresque et historique du théâtre :

Billet d'entrée à un masqueLe masque était une composition scénique, musicale et chorégraphique, fort en honneur en Angleterre il y a deux et trois siècles. Un écrivain en a parlé en ces termes :
Les masques étaient des jeux dramatiques en grande faveur à la cour des rois et reines d’Angleterre pendant les seizième et dix-septième siècles. Pour en donner une idée, un écrivain les a comparés aux ballets que l’on jouait à la cour de Louis XIV ; mais l’analogie entre ces deux sortes de divertissements est très imparfaite. Le masque anglais était, à l’origine, un spectacle d’une pompe extraordinaire et bizarre, un ensemble de musique, de danses, de festins, de scènes ou parlées ou mimiques entre des personnages allégoriques accoutrés fastueusement ou fantastiquement. Suivant la chronique d’Holinshed, l’un des premiers masques aurait été joué sous Henri VIII en 1510.
Personnage d'un Masque de Campion en 1606    Ce plaisir royal, en se perfectionnant, se renferma dans des proportions plus simples, et , sans jamais constituer un genre dramatique facile à définir (Les masque, dit Hallam, étaient des compositions poétiques et musicales plutôt que dramatique, et destinées à flatter l’imagination par les charmes du chant en même temps que par la variété des tableaux qui passaient sous les yeux de spectateur… Ces sortes de poèmes n’ont pas la prétention de se faire croire, ils ne visent point à l’illusion : l’imagination s’abandonne volontairement à un rêve éveillé ; elle ne demande, et ces poèmes n’exigent que cette possibilité commune ne rejette pas comme incompatibles, et sans laquelle l’imagination du poète ressemblerait à celle du lunatique. ») cependant à prendre place parmi les plus agréables plaisirs d’un temps où les jouissances de la poésie étaient une sorte de nécessité. Les grands génies d’Angleterre ont composé des masques ; il suffit de citer entre eux Shakespeare, Ben Jonson, Beaumont et Fletcher. Les rois et reines avaient coutume d’aller visiter chaque année quelques nobles seigneurs. Ces visites étaient ruineuses pour les hôtes qu’elles honoraient. On mettait en action sur les routes, à l’entrée des villes, dans les châteaux, les inventions poétiques les plus extraordinaires. Le recueil de ces imaginations, qui ressemblent souvent à des rêves, forme une suite d’énormes in-quarto. Les masques étaient au premier rang parmi ces jeux : ils étaient aussi considérés comme des accessoires indispensables à la célébration de certaines fêtes et à celle des mariages dans les familles royales et nobles. Pour composer un masque, il fallait la collaboration d’un poète, d’un peintre, d’un musicien et d’un compositeur de ballet. Parmi les masques de Ben Jonson, on cite le Masque de Reines, joué par la reine et ses dames à White-Hall en 1609 ; le masque d’Obéron, pour le prince Henri ; le Masque Irlandais, le Retour de l’âge d’or (1615), le masque de Noël (1616), la Vision du Plaisir (1617), le Plaisir réconcilié avec la Vertu (1619), Nouvelles du nouveau monde découvert dans la lune (1620), la Métamorphose des Bohémiens (1621), le masque des Augures (1622), le Triomphe de Neptune pour le retour d’Albion (1624), l’Anniversaire de Pan ou la Fête du berger (1625), le masque des Hiboux (à Kenilworth, 1626), les Iles Fortunées et leur union (1626), le Triomphe de l’Amour à Callipolis (1630), Chloridia ou le Culte de Chloris et de ses nymphes, masque représenté par la reine et ses nymphes à Shrove-Tide (1630), etc. Les étudiants des quatre principaux inns (établissements où logeaient les jeunes gens qui étudiaient le droit, la médecine, etc. ) représentaient aussi quelquefois des masques devant la cour, ainsi que le prouve un curieux petit billet d’entrée découvert dans l’étalage d’un colporteur et publié par John Nichols

    A la cour des Tudor et dans les collèges, Inns of Court, est également apparu un personnage que l’on élisait annuellement pour présider les ébats, the “Lord of Misrule.” (Seigneur de l’Anarchie) qui semble avoir été inspiré par l’ancien abbé ou évêque de la fête des fous que l’on élisait au Moyen-Age. Cette coutume était vivement attaquée par les protestants puritains comme comme Stubbes et Prynne qui considéraient que le théâtre détournaient le peuple de son culte et de son travail, et le dépouillaient de ses économies. Le 2 septembre 1642, un décret du Long Parlement ordonne la cessation de toute représentation théâtrale publique. Cette ordonnance contraint tous les théâtres de Londres, publics ou privés, à fermer leurs portes, et toutes les troupes itinérantes de province à cesser leurs activités.

 Les Mummers’ Plays et les Morris Dances

    Dans le milieu du XIXe siècle, les fêtes ou représentations des « Christmas mummers » étaient encore fréquentes dans le monde rural. Leurs noms communs sont « Mummers » et « Guisers » mais ailleurs ils portent des noms différents. Par exemple dans le Sussex, on les appelaient  « tipteerers », peut-être en raison des avantages indirects qu’ils tiraient de leur collectes, en Cornouaille, « Geese-dancers » (sans doute à cause de leur déguisement), dans le Shropshire « Morris-dancers » ou « Merry-dancers ». Tous ces groupes s’invitent dans votre maison sans plus de formalités, y chantent, y dansent ou jouent une représentation le plus souvent grossière.

Mummers at Chilworth, Christmas 1864 - A.D. Lucas, 1900

Mummers at Chilworth, Christmas 1864 – A.D. Lucas, 1900
« I am S. George with sword and lance
And this is how I fought in France »

Dans ces représentations, le personnage central est souvent Saint-George (parfois appelé Roi, Sir, ou Prince George) et il souvent question de combats, parfois avec des épées, et de l’arrivée d’un autre personnage, souvent un médecin, qui ramène les morts à la vie. D’autres personnages peuvent également apparaître tels Hector et Nelson en passant par Alexandre et Bonaparte… On a relié ces représentations à des coutumes anciennement répandues en Europe continentale notamment celle des danseurs de sabres. C’est ainsi que Tacite, dans sa « Germania » rapporte déjà qu’une coutume des germains voyait des jeunes gens danser nus avec des épées et des lances (Chambers). Certains ont postulés que rite initial qui sous-tend ces manifestations était la mort, peut-être causée par un sacrifice, suivie d’une régénération.

The Feast of Fools (La fête des fous)

    Au lendemain de Noël, une autre fête était célébrée non plus dans les villages, le saisons et les champs mais dans les murs même des établissements religieux, c’était la « Fête des fous » d’origine païenne. Parmi le bas clergé, des groupes de danseurs (tripudia) portaient des masques et chantaient le Magnificat élisant dans leur rangs des faux « Evêque », « prélat », « archevêque », « cardinal, » ou même « pape ». Voici ce que décrit une lettre adressée en 1445 par la Faculté de théologie de Paris pour les évêques et les chapitres de France : «Les prêtres et les greffiers peuvent être vus portant des masques et visages monstrueux aux heures de bureau. Ils dansent dans le chœur habillés comme des femmes, des panthères ou des ménestrels. Ils chantent des chansons lascives. Ils mangent du boudin à la corne de l’autel tandis que le célébrant dit la messe. Ils jouent aux dés là. Ils encense avec de la fumée chargée de puanteur faite avec des semelles de vieilles chaussures. Ils courent et sautent dans l’église, sans rougir à leur propre honte. Enfin ils conduisent sur ​​la ville et ses théâtres dans des pièges et des chariots minables, et déclenchent le rire de leurs semblables et des spectateurs par des performances infâmes, avec des gestes impudiques et des versets calomnieux et prostitués.  » 

Fête des fous, gravure de Pieter Van der Heyden, en 1559, d'après Brueghel

Fête des fous, gravure de Pieter Van der Heyden, en 1559, d’après Brueghel

    Le pays par excellence de la Fête des fous était la France mais elle peut également être tracée en Allemagne et de Bohême, et dans une moindre mesure en Angleterre. Ses abus ont fait l’objet de dénonciations fréquentes par les réformateurs de l’Eglise du XIIe au XVe siècle. La fête a été interdite à plusieurs reprises, et notamment par le Conseil de Bâle en 1435, mais elle était trop populaire pour être rapidement supprimée, et il a fallu un siècle et demi pour qu’elle disparaisse après cette condamnation par un conseil général de l’Église. Dans la cathédrale d’Amiens, on l’a encore célébrée en1721.

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The Boy Bishop (le garçon Evêque)

Cette fête remonterait aux Xe siècle et avait lieu le jour des Saints-Innocents. Correspondant au « seigneur » de la Fête des Fous, un enfant de chœur était élu par les autres garçons à qui on confiait la mitre et un bâton pastoral pour donner la bénédiction et parodier le véritable évêque. Les autres garçons étaient également vêtus d’habits sacerdotaux. En Angleterre, ces cérémonies étaient beaucoup plus populaires et plus durable que la fête des fous, et, contrairement à cette dernière, elles étaient reconnues et approuvées par les autorités, sans doute parce que les garçons étaient plus disposés à se discipliner que les hommes adultes. Ces festivités ont dû constituer une pause appréciable dans l’année de l’écolier médiéval, pour qui les vacances, par opposition aux jours-saints institués par l’église n’existaient pratiquement pas. La fête n’était nullement confinée dans les murs de l’église; il y avait beaucoup de réjouissances et à l’extérieur. 

19ème siècle représentation d'un garçon évêque médiévale, en présence de ses canons

XIXe siècle, représentation d’un Boy-Bishop, en présence de ses canons

    Le jour de la Saint-Innocent était donné un dîner après une cavalcade qui avait parcourue la ville et l’«évêque» pouvait bénir le peuple.Il pouvait aussi prêcher un sermon, sans doute écrit pour lui. Le parallélisme de la fête du Boy Bishop et la Fête des Fous est évident, et sans doute ils avaient la même origine folklorique.Un point doit être spécialement remarqué : l’élection du Boy Bishop généralement avait le 6 Décembre, la fête de Saint-Nicolas , le patron des enfants, et son autorité durait jusqu’aux Saints Innocents (28 Décembre). Le véritable évêque devait, symboliquement, démissionner à la Deposuit potentes de sede du Magnificat («il a renversé les puissants de leurs trônes»), et le garçon prenait sa place à et exaltavit humiles (« et il a élevé les humbles et doux »). Le Boy-Bishop était souvent appelé l' »évêque Nicolas»

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Mummers

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Loreena McKennitt – The Mummers’ Dance

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Loreena McKennitt - album the Book of Secrets

Loreena McKennitt – album the Book of Secrets

  Loreena Isabel Irene McKennitt, née le 17 février 1957, est un Auteur-compositeur-interprète, harpiste, accordéoniste et pianiste canadienne. Elle trouve l’inspiration de sa musique dans les folklores celtes, méditerranéens, orientaux. The Book of Secrets est son sixième album, sorti en 1997. Cet album reste fidèle à la formule qui a fait le succès de The Visit et The Mask and Mirror qui étaient une ouverture sur d’autres univers musicaux traditionnels et dont pour certains textes elle reprenait des extraits de William Shakespeare et William Butler Yeats. The Book of Secrets a rencontré un succès international grâce à la diffusion sur les radios du titre The Mummer’s Dance remixé en version raccourcie. Il a également présenté sur les albums Live in Paris et Toronto , Nuits de l’Alhambra , l’olivier et le cèdre et la compilation The Journey So Far – Le meilleur de Loreena McKennitt .

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Mummers jouant devant la cathédrale d'Exeter, Devon en 1994

Mummers jouer devant la cathédrale d’Exeter, Devon en 1994

La chanson est la chanson thème de la série TV héritage . Elle a également été utilisée dans le film Ever After, mettant en vedette Drew Barrymore , et dans la bande originale de la telenovela brésilienne  Corpo Dourado . La chanson fait référence aux représentations saisonnières de pièces folkloriques des Mummers Plays (aussi appelées Mummering) jouées dans les Îles britanniques par des groupes d’acteurs connus sous le noms de mimes ou guises (ou plus localement sous le nom de rimeurs, pace-eggers, soulers, tipteerers, galopins, geysers, etc.), dans la rue ou des salles publiques mais le plus souvent de porte-à-porte devant les maisons.

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The Mummers’ Dance

When in the springtime of the year
When the trees are crowned with leaves
When the ash and oak, and the birch and yew
Are dressed in ribbons fair.

When owls call the breathless moon
In the blue veil of the night
When shadows of the trees appear
Amidst the lantern(‘s) light.

We’ve been rambling all the night
And sometime of this day
Now returning back again
We bring a garland gay.

Who will go down to those shady groves
And summon the shadows there
And tie a ribbon on those sheltering arms
In the springtime of the year.

The sounds of birds seem to fill the wood
And when the fiddler plays
All their voices can be heard
Long past their woodland days.

We’ve been rambling all the night
And sometime of this day
Now returning back again
We bring a garland gay.

And so they linked their hands and danced
‘Round in circles and in rows
And so the journey of the night descends
When all the shades are gone.

A garland gay we bring you here
And at your door we stand
Here’s a sprout, well budded out
The work of our Lord’s hand.

We’ve been rambling all the night
And sometime of this day
Now returning back again
We bring a garland gay.

Lorrena Mc Kennitt, album The Book of Secrets, 1997

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W.B. Yeats – Le chagrin de l’amour

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William Butler Yeats (1865-1939)

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Le chagrin de l’amour

Le piaillement d’un moineau sur le toit
La lune étincelante par tout le ciel
Et toute cette harmonie fameuse, les feuillages,
Avaient bien effacé l’image de l’homme, et son cri d’angoisse

Mais une fille surgit, aux lèvres rouges de deuil,
Qui sembla la grandeur du monde en larmes,
Condamnée comme Ulysse et les vaisseaux qui boitent
Au loin, fière comme Priam assassiné.

Surgit, et dans l’instant les gouttières bruyantes,
La lune qui grimpait à un ciel vide
Et toute cette lamentation dans les feuillages
Ne purent qu’être l’image de l’homme, et tout son cri.

W.B. Yeats, octobre 1891 – traduction Yves Bonnafoy

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Maud Gonne     Ce poème est d’octobre 1891. Il fut publié l’année suivante dans The Countess Kathleen. Il fait allusion à l’amour contrarié de Yeats, la militante de la cause irlandaise Maud Gonne, rencontrée deux années plus tôt en 1889 à qui il a proposé une vie commune et s’est vu opposer un refus. La jeune femme continuera à obséder longtemps le poète qui renouvellera  à plusieurs reprises sa proposition. Dans sa préface à l’édition française de Quarante-cinq poèmes de 1993 (NRF/ Gallimard) , Yves Bonnefoy insiste sur la rupture avec le formalisme et l’idéal victorien que représente le style poétique de Yeats :

« Yeats constate rapidement que toute cette « famous harmony of leaves », tout cet effet de tenture aux mille fleurs, dessinée par les Victoriens,
                                Had blotted out man’s image and his cry
et dans ce poème fameux, The Sorrow of loves, c’est par un vers du type nouveau :
                                  A girl arose that had red mournful lips
que l’écriture encore un peu trop artiste se déchire : ces mots étant d’ailleurs une évocation de Maud Gonne, ce qui montre bien de quelle nature contradictoire, paradoxale, à la fois plénitude et mort, est pour Yeats l’expérience de la beauté. En vérité, c’est la fascination pour un être qui lui-même rompait avec l’idéalisation conventionnelle et factice, c’est Maud Gonne qui a permis à sa poésie ses premiers moments de fulguration – c’est elle qui fut le « burning cloud«  qui en dissipa les brumes. Dés No second Troy, en 1912, un éclair de la même sorte :
                                 Was there another Troy for her to burn ?
reconnait ce fait qu’il exprime, révèle que la poésie symboliste, avec ses parapets de mots rares et ses mâchicoulis de symboles, est elle aussi la nouvelle Troie que cette nouvelle Hélène, dotée comme l’antique de la terrible beauté, va mettre en feu et détruire ; et c’est Maud Gonne encore qui permettra à Yeats, par la suite, d’approfondir l’intuition de la finitude qui est au cœur de ces fulgurances : en vieillissant, simplement.

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The Sorrow of Love

The brawling of a sparrow in the eaves,
The brilliant moon and all the milky sky,
And all that famous harmony of leaves,
Had blotted out man’s image and his cry.

A girl arose that had red mournful lips
And seemed the greatness of the world in tears,
Doomed like Odysseus and the labouring ships
And proud as Priam murdered with his peers;

Arose, and on the instant clamorous eaves,
A climbing moon upon an empty sky,
And all that lamentation of the leaves,
Could but compose man’s image and his cry.

W.B. Yeats

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A propos d’une vieille photo – Hommage à Rino della Negra et aux membres du groupe Manouchian


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Mon oncle Jean, footballeur amateur sur le terrain de sport situé devant l’école Volembert à Argenteuil, vers 1940.

    Lorsque j’ai montré cette photo à ma sœur Eliane, elle m’a raconté que l’un des joueurs de football avec lequel mon oncle s’entraînait à l’époque s’appelait Rino della Negra, lui aussi fils d’immigrés italiens, arrivé en France en 1926 à l’âge de 3 ans. La famille Della Negra habitait à Argenteuil, dans le quartier de Mazagran, la même rue que mes grands parents.

    Ce nom Rino della Negra me disait quelque chose… Effectuant des recherches, je découvris qu’il était l’un des résistants fusillés par les nazis au mont Valérien le 21 février 1944 avec les 10 résistants mis en scène par l’Affiche rouge dont Aragon a fait un poème et que Léo Ferré a mis en musique et interprété.

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Rino della Negra, footballeur au Red Star

   A l’âge de 14 ans, Rino travaille aux usines Chausson d’Asnières et entre au club de football du Red Star où il sera considéré comme un joueur exceptionnel. En février 1943, sous l’occupation, comme des milliers de jeunes français, Rino reçoit l’ordre de partir en Allemagne dans le cadre du STO (Service du Travail Obligatoire). Pour y échapper, il se cache puis s’engage dans la résistance au sein de la section Main d’œuvre Immigrée des Francs Tireurs et Partisans du 3ème détachement italien des FTP-MOI commandé par Missak Manouchian. Aux côtés de Hongrois, d’Arméniens, d’Italiens, Rino Della Negra participe à plusieurs actions militaires contre l’armée occupante. 

  • Le 7 juin 1943 il participe à l’exécution du général Von Apt au 4 rue Maspéro
  • Le 10 juin 1943 attaque du siège central du parti fasciste italien, rue Sédillot
  • Le 23 juin 1943 attaque de la caserne Guynemer à Rueil-Malmaison.
  • le 12 novembre 1943, au 56 rue La Fayette il attaque avec Robert Witchitz des convoyeurs de fonds allemands, mais c’est un échec, Rino blessé et Robert sont arrêtés.

   A partir de ce jour, le groupe est peu à peu démantelé par les services collaborationnistes français de la Brigade Spéciale 2 et la Gestapo

  • Le 13 novembre 1943 Spartaco Fontano et Roger Rouxel sont arrêtés par Brigade Spéciale 2 des Renseignements généraux.
  • Le 15 novembre Missak Manouchian et Joseph Epstein tombent entre les mains de la BS2 en gare d’Évry-Petit-Bourg
  • Le 16 novembre Olga Bancic et Marcel Rajman sont également capturés.

   Au total dix-sept résistants MOI seront appréhendés par la Brigade Spéciale 2. Après un procès qui se déroule devant le tribunal militaire allemand du Grand-Paris du 17 au 21 février 1944. Les 23 membres communistes du réseau Manouchian (dont 20 étrangers : espagnols, italiens, arméniens et juifs d’Europe centrale et de l’est) sont condamnés à mort. 22 seront fusillés au fort du mont Valérien le 21 février 1944 y compris Rino della NegraOlga Bancic, la seule femme du groupe, sera décapitée le 10 mai.

      les 23 suppliciés


L’affiche rouge

    Dix des fusillés figureront sur une affiche rouge réalisée par les services de propagande allemands et le régime de Vichy et imprimée à 15.000 exemplaires qui seront placardés à Paris et dans certaines villes de en France. 

l'affiche rouge

     L’image est organisée en trois parties. Barrant le haut et le bas de l’affiche, la question et la réponse Des libérateurs? La libération par l’armée du crime ! délivrent explicitement le message que veulent faire passer ses auteurs.
    A l’intérieur d’un triangle rouge, figurent les photos, les noms, les origines et les actions menées par dix résistants du groupe Manouchian (Grzywacz – Juif polonais, 2 attentats, Elek – Juif hongrois, 8 déraillements, Wasjbrot – Juif polonais, 1 attentat, 3 déraillements, Witchitz – Juif polonais, 15 attentats , Fingerweig – Juif polonais, 3 attentats, 5 déraillements, Boczov – Juif hongrois, chef dérailleur, 20 attentats , Fontanot – Communiste italien, 12 attentats, Alfonso – Espagnol rouge, 7 attentats, Rayman – Juif polonais, 13 attentats, Manouchian – Arménien, chef de bande, 56 attentats, 150 morts, 600 blessés).
    Six photos (attentats, armes ou destructions) représentent enfin la menace qu’ils constituent à travers certains des attentats qui leur sont reprochées.  (auteur : Alexandre Sumpf)

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––– la lettre d’adieu de Michel Manouchian –––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––

Michel Manouchian

     Missak Manouchain responsable des FTP-MOI de Paris (été 1943), est né le 1er septembre 1906 dans une famille de paysans arméniens du petit village d’Adyaman, en Turquie. Il a huit ans lorsque son père trouvera la mort au cours d’un massacre par des militaires turcs. Sa mère mourra de maladie, aggravée par la famine qui frappait la population arménienne. Agé de neuf ans, témoin de ces atrocités qu’on qualifie aujourd’hui de génocide par référence à celui des Juifs durant la Seconde Guerre mondiale Missak Manouchian en restera marqué pour la vie. De nature renfermée, il deviendra encore plus taciturne ce qui le conduira, vers l’âge de douze ou treize ans, à exprimer ses états d’âme en vers : « Un charmant petit enfant /A songé toute une nuit durant/ Qu’il fera à l’aube pourpre et douce / Des bouquets de roses« . Recueilli comme des centaines d’autres orphelins par une institution chrétienne après avoir été hébergé dans une famille kurde, Missak gardera toujours le souvenir du martyre arménien mais aussi de la gentillesse des familles kurdes. Arrivé en 1924 avec son jeune frère à Marseille, Missak apprendra la menuiserie et s’adonnera à des métiers de circonstance. Il consacrera les journées de chômage aux études, fréquentant les « universités ouvrières » créées par les syndicats ouvriers (CGT). Il fonde successivement deux revues littéraires, Tchank (Effort) puis Machagouyt (Culture). Dès 1937, on le trouvera en même temps à la tête du Comité de secours à l’Arménie, et rédacteur de son journal, Zangou (nom d’un fleuve en Arménie).

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      Ma Chère Mélinée, ma petite orpheline bien-aimée,

     Dans quelques heures, je ne serai plus de ce monde. Nous allons être fusillés cet après-midi à 15 heures. Cela m’arrive comme un accident dans ma vie, je n’y crois pas mais pourtant je sais que je ne te verrai plus jamais.
    Que puis-je t’écrire ? Tout est confus en moi et bien clair en même temps.

    Je m’étais engagé dans l’Armée de Libération en soldat volontaire et je meurs à deux doigts de la Victoire et du but. Bonheur à ceux qui vont nous survivre et goûter la douceur de la Liberté et de la Paix de demain. Je suis sûr que le peuple français et tous les combattants de la Liberté sauront honorer notre mémoire dignement. Au moment de mourir, je proclame que je n’ai aucune haine contre le peuple allemand et contre qui que ce soit, chacun aura ce qu’il méritera comme châtiment et comme récompense.

     Le peuple allemand et tous les autres peuples vivront en paix et en fraternité après la guerre qui ne durera plus longtemps. Bonheur à tous… J’ai un regret profond de ne t’avoir pas rendue heureuse, j’aurais bien voulu avoir un enfant de toi, comme tu le voulais toujours. Je te prie donc de te marier après la guerre, sans faute, et d’avoir un enfant pour mon bonheur, et pour accomplir ma dernière volonté, marie-toi avec quelqu’un qui puisse te rendre heureuse. Tous mes biens et toutes mes affaires je les lègue à toi à ta sœur et à mes neveux. Après la guerre tu pourras faire valoir ton droit de pension de guerre en tant que ma femme, car je meurs en soldat régulier de l’armée française de la libération.

     Avec l’aide des amis qui voudront bien m’honorer, tu feras éditer mes poèmes et mes écrits qui valent d’être lus. Tu apporteras mes souvenirs si possible à mes parents en Arménie. Je mourrai avec mes 23 camarades tout à l’heure avec le courage et la sérénité d’un homme qui a la conscience bien tranquille, car personnellement, je n’ai fait de mal à personne et si je l’ai fait, je l’ai fait sans haine. Aujourd’hui, il y a du soleil. C’est en regardant le soleil et la belle nature que j’ai tant aimée que je dirai adieu à la vie et à vous tous, ma bien chère femme et mes bien chers amis. Je pardonne à tous ceux qui m’ont fait du mal ou qui ont voulu me faire du mal sauf à celui qui nous a trahis pour racheter sa peau et ceux qui nous ont vendus. Je t’embrasse bien fort ainsi que ta sœur et tous les amis qui me connaissent de loin ou de près, je vous serre tous sur mon cœur. Adieu. Ton ami, ton camarade, ton mari.

Manouchian Michel.

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–––– le poème d’Aragon –––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––

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Exécution de Celestino Alfonso, Wolf Josef Boczor, Emeric Glasz et Marcel Rajman – photo prise par un soldat allemand

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L’affiche rouge

Vous n’avez réclamé ni gloire ni les larmes
Ni l’orgue ni la prière aux agonisants
Onze ans déjà que cela passe vite onze ans
Vous vous étiez servis simplement de vos armes
La mort n’éblouit pas les yeux des Partisans

Vous aviez vos portraits sur les murs de nos villes
Noirs de barbe et de nuit hirsutes menaçants
L’affiche qui semblait une tache de sang
Parce qu’à prononcer vos noms sont difficiles
Y cherchait un effet de peur sur les passants

Nul ne semblait vous voir Français de préférence
Les gens allaient sans yeux pour vous le jour durant
Mais à l’heure du couvre-feu des doigts errants
Avaient écrit sous vos photos MORTS POUR LA FRANCE

Et les mornes matins en étaient différents
Tout avait la couleur uniforme du givre
A la fin février pour vos derniers moments
Et c’est alors que l’un de vous dit calmement
Bonheur à tous Bonheur à ceux qui vont survivre
Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand

Adieu la peine et le plaisir Adieu les roses
Adieu la vie adieu la lumière et le vent
Marie-toi sois heureuse et pense à moi souvent
Toi qui vas demeurer dans la beauté des choses
Quand tout sera fini plus tard en Erivan

Un grand soleil d’hiver éclaire la colline
Que la nature est belle et que le coeur me fend
La justice viendra sur nos pas triomphants
Ma Mélinée ô mon amour mon orpheline
Et je te dis de vivre et d’avoir un enfant

Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent
Vingt et trois qui donnaient le coeur avant le temps
Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant
Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir
Vingt et trois qui criaient la France en s’abattant

Aragon, 1955

    Ce poème a été d’abord publié sous le titre Groupe Manouchian dans le journal communiste L’Humanité, à l’occasion de l’inauguration de la « rue du Groupe-Manouchian », située dans le 20e arrondissement de Paris. Pour écrire ce poème, Louis Aragon s’est inspiré de la dernière lettre écrite par Missak Manouchian, le chef du groupe, à sa femme avant d’être fusillé d’une balle entre les deux yeux, ainsi que de l’affiche rouge placardée par les nazis afin d’annoncer l’exécution des membres du groupe Manouchian.
     Constitué de sept quintils en alexandrins, le poème est publié sous le titre Strophes pour se souvenir en 1956, dans le recueil Le Roman inachevé. Ce nouveau titre annonce plus clairement la nature du projet d’Aragon ici : utiliser la forme poétique (« Strophes ») pour lutter contre l’oubli de tous les étrangers morts pour la France et contre la banalisation du mal (« pour se souvenir »). Ce poème s’inscrit en effet dans la grande tradition littéraire des oraisons funèbres2.
      Sa très grande popularité vient de la mise en musique qu’en a fait Léo Ferré en 1959 sous le titre L’Affiche rouge. Cette chanson est officialisée sur l’album Les Chansons d’Aragon en 1961. C’est sous ce titre que le poème est désormais le plus célèbre.  (crédit Wikipedia)

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La mise en musique du poème d’Aragon avec l’interprétation inoubliable de Léo Ferré


Article lié

  • Rubrique sports (1941), émission « Le roman noir de l’histoire » de France Culture sur Rino Della Negra, texte de Didier Daeninckx tiré de son recueil Cités Perdues (2005)

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2 peintres à la bataille de Fromelles (1915) : Albert Weisberger et Adolph Hitler ou la stupidité des Parques


Les Parques

    Héritières des Moires grecques qui présidaient à la naissance, au déroulement de la vie puis à la mort, les trois Parques étaient, dans la religion ou la mythologie romaine, les divinités maîtresses de la destinée humaine, de la naissance à la mort. Représentées le plus souvent sous la forme de trois fileuses aux visages sévères, accablées de vieillesse, elles mesuraient la vie des hommes et tranchaient le destin. L’une, Nona, fabriquait et tenait le fil des destinées humaines, une autre, Decima, le déroulait et le plaçait sur le fuseau et la troisième, Morta, était chargée de couper le fil qui mesurait la durée de la vie de chaque mortel. Elles étaient le symbole de l’évolution de l’univers, du changement nécessaire qui commande aux rythmes de la vie et qui impose l’existence et la fatalité de la mort.

    Bon… Certes, on conçoit bien que la mort soit inévitable et qu’une Parque ait pour mission de donner le coup de ciseau fatal… Mais expliquez-moi pour quelle raison, puisque ces vieilles pies sont censées connaitre le destin de chaque humain, lorsqu’elles constataient que le fil qu’elles tenaient entre leurs mains était celui d’un humain vertueux, talentueux qui n’apporterait que des choses positives au genre humain, et qu’un autre fil était tout au contraire celui d’un être monstrueux qui n’apporterait que l’injustice, la barbarie et la souffrance, choisissent-elle de faire périr prématurément le premier et prolonger la vie du second lui permettant ainsi de commettre ses atrocités ?

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–––– mai 1915 : 1ère Guerre mondiale, Front de Fromelles près de Lille –––––––––––––––––––––––

     L’armée allemande a été contenue sur une ligne allant de la ville d’Ypres en Belgique à Arras. Les combats vont faire rage durant toute la durée de la guerre sur cette ligne de front. A 12 km de Lille, le village de Fromelles se situe à la limite de la Crête du plateau des Weppes, une éminence de faible altitude qui domine à une altitude de 15 à 20 mètres les deux vallées de la Deûle et de la Lys. Cette éminence est âprement disputée par les combattants. A partir de l’automne 1914 la guerre s’est installée dans les tranchées et le champ de batailles figé. Dans cette guerre de tranchée, l’enjeu ce sont les points hauts. Ainsi la crête d’Aubers et le talus de Fromelles sont occupés par la 1re compagnie du 16e régiment d’infanterie royale de réserve bavarois. Face à cette compagnie, les alliés alignent des combattants de l’Empire Britannique, principalement australiens.

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Le champs de bataille de Fromelles vu des lignes allemandes

     En mai 1915,  le hasard fait que les combattants bavarois comptent dans ses rangs deux peintres : un lieutenant commandant de 37 ans, Albert Weisberger, également graveur et illustrateur, installé à Munich, co-fondateur et premier président, en 1913 du mouvement avant-gardiste Muenchner Neue Secession (la Nouvelle sécession de Munich) et l’un des espoirs de la peinture allemande, le second est un petit caporal autrichien, peintre médiocre, Adolf Hitler qui allait se révéler être l’un des plus grands criminels de l’histoire.

      Eh bien les Parques, au mépris de toute logique, ont voulu que le lieutenant Albert Weisgerber tombe sur le front le 10 mai 1915 et que le caporal Hitler soit sain et sauf. Le contraire aurait fait que le peintre de talent Weisberger aurait poursuivi après la guerre sa brillante carrière et que le monde aurait échappé à la vision de vieilles croutes de peintures indigestes mais surtout aurait fait l’économie de 70 millions de morts, 30 millions de déplacés et d’un volume de destruction incommensurable… Nous n’avons pas de précisions sur les circonstances de la mort de Weisgerber; nous savons simplement que son corps, en Juin de la même année a été transféré à Munich et enterré dans le cimetière du Nord, à Nordfriedhof et que Hitler, contrairement à la légende qu’il s’était ensuite forgé, a poursuivi la guerre, pépère, comme estafette entre le commandement allemand et la ligne de front.

le caporal Hitler (assis à gauche) sur le front du Nord de la France. Dans un article de Valeurs actuelles, l’historienne Claire L’Hoër a décrit la réaliste de la guerre menée par Hitler dans le Nord de la France entre 1914 et 1916, c’est ICI


le peintre illustrateur Albert Weisberger (1878-1915)

MCM20027

°
Albert Weisberger – auto-portrait à l’Attersee, 1911

In Flanders fields the poppies grow
Between the crosses, row on row,
That mark our place: and in the sky
The larks still bravely singing fly
Scarce heard amid the guns below.

We are the dead: Short days ago,
We lived, felt dawn, saw sunset glow,
Loved and were loved: and now we lie
In Flanders fields!

Poème composé par John McCrae’s le 3 mai 1915 durant la bataille d’Ypres en Belgique.

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     Albert Weisberger est né en 1878 à Saint-Ingbert, une petite ville de la Sarre, proche de la frontière française. Son père était l’aubergiste et le boulanger de la commune. En 1894, il débute une formation de peintre décorateur à Francfort puis, de 1897 à 1901, étudie à l’académie des arts de Munich ou il aura comme professeurs Gabriel Hacki et plus tard Franz von Stuck. Il se lie d’amitié pendant ces années à Hans Purrmann, Paul Klee, Wassily Kandinsky, Max Slevogt et Karl Arnold. En 1898, il créé le cercle d’artistes Sturmfackel avec son ami Alfred Kubin. Durant la période qui va suivre, il collaborera au magazine Die Jugend pour lequel il réalisera de nombreuses illustrations. Il maintient des liens avec sa ville natale, St. Ingbert où il a créé une série d’images du jardin de la bière. En 1906, il effectue son premier voyage à Paris pour le compte de Die Jungend, fréquente le Café du Dôme où il se confronte aux impressionnistes français, fait la connaissance de Matisse et sera fortement influencé dans ses productions par Henri de Toulouse-Lautrec, Paul Cézanne, Édouard Manet, ce qui se manifestera clairement par l’évolution de son style de peinture. La même année, il visite l’exposition Hodler à Munich. En 1904 il a fait la connaissance à Munich de Margarete Pohl, artiste peintre et fille de banquiers juifs, qu’il épousera en 1907, année de son second voyage à paris. En 1909, il entreprend un voyage en Italie A partir de 1911, il rencontre enfin le succès lors d’expositions d’art à Munich et à Dresde, Berlin, Cologne et Zurich.

Supra

Weisgerber, Purrmann et Matisse à Munich

   En 1913, Weissgerber est le président fondateur du collectif d’artistes Münchner Neue Secession, qui allie des peintres tels qu’Alexej von Jawlensky, Paul Klee et Alexander KanoldtLa première exposition de la Sécession à l’automne de 1914 alors que l’Allemagne vient de déclarer la guerre début août à la Russie, la France et la Belgique. L’artiste n’a plus que quelques mois de répit avant sa mobilisation et son départ pour le front où il trouvera la mort.

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–––– quelques  illustrations parues dans la revue de Munich, Die Jungend –––––––––––––––––––––

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Albert Weisgerber – revue Jugend, la gazelle, 1904

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Albert Weisgerber – revue Jugend – Sirènes, 1904

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     La revue Jugend, créée en 1896 par l’éditeur munichois Georg Hirth, fédérait tous les mouvements artistique d’avant-garde de Munich et jouissait d’une grande notoriété dans toute l’Europe, elle s’était attirée la collaboration de nombreux artistes, Albert Weisgerber en était l’un des principaux. Il a collaboré activement à la revue de 1903 à 1906.

Autres illustrations réalisées par Weisgerber pour la revue Die Jungend

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–––– Weisgerber peintre ––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––

Albert Weisgerber - Biergarten, 1904

Albert Weisgerber – Biergarten, 1904

Weisgerber - Procession à St Ingbert, 1907

Albert Weisgerber – Procession à St Ingbert, 1907

Weisgerber - Autoportrait, 1908

Albert Weisgerber – Autoportrait, 1908

Weisgerber - promenade dans le jardin anglais, 1910

Albert Weisgerber – promenade dans le jardin anglais, 1910

Albert Weisgerber - Gefesselter Sebastian im Walde, 1910

Albert Weisgerber – Gefesselter Sebastian im Walde, 1910

Albert Weisgerber - Schlafender Knabe im Wald, 1912

Albert Weisgerber – Schlafender Knabe im Wald, 1912

Albert Weisgerber - Absalom, 1912

Albert Weisgerber – Absalom, 1912

Weiblicher - Akt auf rotem Diwan, 1914

Albert Weißgerber – Weiblicher Akt auf rotem Diwan, 1914

Albert Weisgerber - David et Goliath, 1914

Albert Weisgerber – David et Goliath, 1914

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–––– illustration des contes des Frères Grimm ––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––

Weisgerber - illustration du conte Die Fieben Raben des Frères Grimm

Weisgerber – illustration du conte Die Sieben Raben (les sept corbeaux) des Frères Grimm

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D’autres illustrations des contes des Frères Grimm réalisées par Weisgerber

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––– articles et documentation liés ––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––

Sur ce blog : 
. Poèsie de l’expressionnisme allemand (I) : de mortelle amertume à l’apocalypse : c’est ICI
. pessimisme, cynisme et ambiguïté : Gottfried Benn, poète expressionniste et dermatologue – c’est ICI
. illustres illustrateurs : Jeanne Mammen, période Weimar (1914-1933) : c’est ICI
Peter Behrens (1868-1940), pionnier de l’architecture moderne et du design – (I) 1885-1907 : les années de formation – c’est ICI


 

Ted Hugues et Sylvia Plath ou quand la poésie se fait tragédie : 2 poèmes croisés

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 Ted Hugues (1930-1998)Ted Hugues (1930-1998)

     Ted Hughes (Edward James Hughes) est considéré comme l’un des plus grands poètes de sa génération. Au Royaume-Uni, il a été Poet Laureate (c’est-à-dire poète officiel de la Reine) de 1984 jusqu’à sa mort en 1998. Il est né en 1930 dans un village du comté anglais du West Yorkshire. cadet d’une fratrie de trois enfants (son frère Gerald est de dix ans son aîné, et sa sœur Olwyn a deux ans de plus que lui). Il passe donc les premières années de sa vie en milieu rural, au milieu des fermes dans un paysage de landes arides balayées par les vents et cela aura une influence capitale sur la tournure de son œuvre. Il a été profondément marqué dans sa petite enfance disant plus tard qu’il ne pouvait : « jamais échapper à l’impression que toute la région [était] en deuil de la Première Guerre mondiale ». En 1937, sa famille déménage à Mexborough (en), petit bourg du Yorkshire, où ses parents s’établissent comme buralistes et marchands de journaux. Cet ancrage dans le prolétariat britannique des années 1930 s’avérera également déterminant. C’est là, à l’âge de onze ans qu’il commence à écrire ses premiers poèmes. Après deux années de service dans la Royal Air Force, il s’inscrit au Pembroke College, à l’Université de Cambridge pour étudier la littérature anglaise mais  se tournera bientôt vers les disciplines de l’anthropologie et de l’archéologie. C’est là qu’il rencontre une jeune poétesse américaine, Sylvia Plath, qu’il épouse en 1956 et dont il aura deux enfants, Frieda et Nicholas mais ils se sépareront six ans plus tard, à l’automne 1962.
     Ces premières œuvres sont très nettement inspirées par la nature et, en particulier, l’innocente sauvagerie des animaux. Plus tard, sa poésie s’ancrera dans le maniement des mythes et dans la tradition des bardes gaéliques. Le premier recueil de Ted Hughes, Hawk in the Rain, publié en 1957, reçoit un accueil critique enthousiaste. Dès 1959, il a obtenu le prestigieux Prix Galbraith, puis le Prix Somerset Maugham en 1960 et le Prix Hawthornden en 1961. Son œuvre la plus remarquable est sans doute Crow (1970). Le recueil Tales from Ovid (1997) contient une sélection de traductions libres de vers tirés des Métamorphoses d’Ovidé. Outre de la poésie, Ted Hughes a écrit des livrets d’opéra (entre autres The Story of Vasco de Gordon Crosse d’après la pièce Histoire de Vasco de Georges Schehadé) et des livres pour enfants, notamment The Iron Man, qui a servi de base à l’opéra rock du même nom réalisé par Pete Townshend, le guitariste leader des Who, ainsi qu’au film d’animation Le Géant de fer (The Iron Giant). L’anthologie définitive de tous ses poèmes, riche de 1333 pages, est parue sous le titre de Collected Poems en 2003.

Sylvia Plath et Ted Hughes avec leur fille Frieda

Sylvia Plath et Ted Hughes avec leur fille Frieda

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l’archétype du poète maudit

   Ted Hugues  a été référencé à l’archétype du poète maudit par excellence. En 1963, une année après leur séparation qui aurait été causée par des infidélités supposées de Hugues avec Assia Wevill, une jeune femme juive originaire d’Allemagne qui en était à son troisième mariage, Sylvia Plath, après avoir préparé le repas de ses deux enfants calfeutre les ouvertures de sa cuisine et se suicide en plaçant sa tête dans la gazière. Hugues a été mis en cause par certaines féministes et admirateurs de Sylvia Plath pour son rôle supposé dans ce suicide l’accusant notamment d’avoir été un homme égoïste et impitoyable, un amant sauvage et un tyran domestique. Il aurait écrit, à la mort de Plath : « Voilà la fin de ma vie. Le reste est posthume ». Il rompra le silence sur la mort de Sylvia dans Birthday Letters, son dernier ouvrage publié avant sa mort, revenant sous la forme de lettres-poèmes sur des aspects de leur vie commune et sur son comportement de l’époque. L’illustration de la couverture de l’édition originale a été réalisée par la fille du couple, Frieda Hughes.

Ted Hughes, Assia Wevill and Frieda

Ted Hughes, Assia Wevill and Frieda

   Six années après la mort de Sylvia, c’est au tour de sa maîtresse Assia Wevill de se suicider de la même façon, non sans avoir tué la petite fille qu’elle avait eu avec Hugues, Alexandra Tatiana Elise surnommé Shura.
   Enfin, en 2009, ce sera le tour du fils aîné de Hugues et Sylvia, Nicholas, de se suicider à son tour par pendaison à l’issue d’une longue période de dépression à son domicile en Alaska où il exerçait le métier de professeur des sciences de la mer à l’Université de Fairbanks et où il vivait seul.

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Ted Hugues et Sylvia Plath - Photographies par The Times et London Evening Standard

Ted Hugues et Sylvia Plath – Photographies par The Times et London Evening Standard

« Il a déchiré la bande de cheveux roux de sa tête et son ravi avec une telle force que ses boucles d’oreilles en argent sont venus écrêté de ses oreilles. »

25 février 1956: la rencontre de Sylvia Plath et de Ted Hughes  par Maria Popova, blog brain pickings – New York (traduction Enki)

    Le 25 février 1956, Sylvia Plath  entra dans une salle pleine à craquer et a immédiatement repéré ce qu’elle a décrit plus tard dans son journal comme un « une grosse pointure » Elle a demandé à ses compagnons, si quelqu’un connaissait le nom de ce jeune homme mais n’a reçu aucune réponse. La fête battait son plein et les rythmes débridés du jazz, la syncopée insistante du piano, le chant séducteur de sirènes de la trompette, rendait difficile la conversation. Sylvia qui étudiait à Cambridge grâce sur une bourse Fulbright, avait bu toute la nuit : une envoyée mortelle de « red-gold » Whisky Mac dans un pub de la ville avec sa compagnon pour cette nuit, Hamish Stewart. Le puissante cocktail de scotch et le vin au gingembre l’avait privé de ses sensations et donnait l’impression qu’elle pouvait presque marcher dans l’air. En fait, l’alcool avait eu un effet opposé; lorsqu’elle s’était rendue à la fête, elle s’était trouvée elle-même si ivre qu’elle s’était gardée de heurter les arbres .

   (…)  Quand la musique s’est un moment arrêtée, elle vit du coin de l’œil quelqu’un approcher. C’était la même « grosse pointure » , celle tournant autour des femmes qu’elle avait vu plus tôt. Il se présenta comme étant Ted Hughes. Elle s’est alors souvenue des trois poèmes qu’il avait publié dans la St Botolph’s Revue, et dans le but de l’éblouir par sa vivacité d’esprit, elle se mit immédiatement à en réciter quelques extraits. Rétrospectivement, il est ironique de constater que l’un des poèmes déclamés “Law in the Country of the Cats”, traitait de la violence, sentiment irrationnel de l’inimitié et de la rivalité qui peut exister entre les individus souvent, même étrangers.
    Lors de cette première rencontre, l’attraction entre Hughes – qui avait obtenu son diplôme de Cambridge en 1954 et avait un emploi à Londres en tant que lecteur pour la J. Arthur Rank film company – et Plath, a été instantanée. Mais Sylvia a aussi senti quelque chose de plus diffus. « C’est une panthère qui me traque / Un jour, il me tuera…», écrirat-elle dans « Pursuit », un poème qu’elle a composa deux jours plus tard.
     Plath a décrit cette rencontre – aujourd’hui l’une des plus célèbres de toute l’histoire littéraire – dans son journal le lendemain. Souffrant d’une gueule de bois – elle plaisanta en disant qu’elle souffrait peut-être de DTS – elle décrit la tension sexuelle qui qui s’exerçait entre eux. Après qu’elle eut cité quelques lignes de son poème “The Casualty”, Hughes lui avait crié par-dessus la musique, d’une voix qui lui fit penser qu’il pourrait être polonais, « Vous aimez? » et lui avait demandé si elle désirait du Brandy. « Oui, » avait-elle crié en arrière,alors qu’il la conduisait dans une autre pièce. Hughes a alors claqué la porte et commencé à remplir les verres d’eau de vie que Plath a essayé de boire,  mais vainement ne parvenant pas à trouver sa bouche. Presque immédiatement, ils ont commencé à discuter de la critique de Huws sur sa poésie. Hughes a plaisanté en disant que son ami savait que Plath était belle, qu’elle ne pouvait accepter une telle critique, et qu’il ne se serait jamais attaqué à elle si elle avait été une «nulle». Il lui a dit qu’il avait «obligations» dans la chambre d’à côté – en effet, un autre étudiant de Cambridge, nommé Shirley – et qu’il travaillait à Londres et gagner 10 £ par semaine. Puis, soudain, Hughes se pencha vers elle et l’embrassa «violemment en écrasant sa bouche. » Aussitôt fait, il arracha le ruban rouge de ses cheveux avec une telle force que ses boucles d’oreilles en argent furent arrachées de ses oreilles. Ensuite il se baissa pour embrasser son cou, et Plath l’a alors mordu « profondément » sur la joue; lorsque le couple a émergé de la chambre, le sang coulait sur son visage. Au moment où Plath l’avait mordu profondément dans sa chair, elle avait pensé à la bataille à la mort que Hughes avait décrit dans“Law in the Country of the Cats”  et l’admission du criminel: « je l’ai fait, Moi. » Hughes a alors porté les « marques de dents  » sur son visage durant tout le mois suivant, alors qu’il a admis que la rencontre et la femme sont restés marqués sur sa personne  » pour de bon « .

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–––– Ted Hugues et Sylvia Plath : 2 poèmes croisés ––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––

Lovesong

Il l’aimait, elle l’aimait
Il suçait de ses baisers tout son passé son futur du moins l’essayait-il
Il n’avait d’appétit que pour elle
Elle le mordait le rongeait le suçait
Elle le voulait intégralement en elle
Bien à l’abri au chaud à jamais pour toujours
Leurs cris voltigeaient petits oiseaux dans les rideaux

Ses yeux à elle n’avaient besoin d’aucune distraction
Elle lui clouait mains poignets coudes avec ses regards
Lui l’agrippait très fort pour que la vie
Ne la sépare pas de l’instant
Il voulait que le futur cesse
Il voulait basculer, bras lui entourant la taille,
Depuis le bord même de l’instant, tomber avec elle au néant,
Dans l’infini ou autre chose qui existât
Elle avait l’étreinte pareille à une immense presse
A l’imprimer en elle
Lui, sourires pareils aux mansardes d’un château de fée
Où le monde réel n’entrait jamais
Elle, sourires comme morsures d’araignée
Qui le paralysaient jusqu’à ce qu’elle ait faim
Ses mots à lui étaient armés d’occupation
Ses rires à elle, tentatives d’assassinat
Lui ses regards, balles et dagues de vengeance
Elle ses regards, fantômes dans les coins avec d’horribles secrets
Lui ses murmures, fouets et bottes militaires,
Elle ses baisers, juristes écrivant sans interruption,
Lui ses caresses, hameçons ultimes du naufragé
Elle ses ruses d’amour, grincements de serrures
Leurs cris à tous les deux se traînaient sur les parquets
Comme animal tirant derrière lui un grand piège

Ses promesses à lui étaient bâillons de chirurgien
Ses promesses à elle lui décalottaient le crâne
Elle en faisait une broche
De ses serments il lui arrachait tous ses muscles à elle
Il lui montrait comment faire un noeud d’amour
De ses serments elle plongeait ses yeux dans le formol
Tout au fond d’un tiroir secret
Leurs hurlements collaient aux murs
Leurs têtes tombaient séparément dans le sommeil comme deux moitiés
D’un melon tranché, mais l’amour ne s’arrête pas facilement

Dans le pêle-mêle de leur sommeil ils s’échangeaient bras et jambes
Leurs cerveaux se prenaient l’un l’autre en otage dans leurs rêves

Au matin chacun arborait le visage de l’autre

Ted Hugues

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Sylvia Plath

Mad Girl’s Love Song

Je ferme les yeux et tout le monde tombe raide mort;
J’ouvre les paupières et tout renait.
(Je pense que je t’ai inventé dans ma tête.)

Les étoiles vont valser dans le bleu et le rouge,
Et l’arbitraire noirceur arrive au galop :
Je ferme les yeux et tout le monde tombe raide mort; 

J’ai rêvé que tu m’avais ensorcelé pour me conduire dans ton lit
m’enchanter, me sidérer, et m’embrasser jusqu’à me rendre folle
(Je pense que je t’ai inventé à l’intérieur de ma tête.)

Dieu tombe du ciel, les feux de l’enfer s’estompent :
partis les séraphins et serviteurs de Satan: 
Je ferme les yeux et tout le monde tombe raide mort; 

J’ai cru que tu reviendrais comme tu l’avais dit,
Mais je vieillis et ton nom nom m’échappe.
(Je pense que je t’ai inventé à l’intérieur de ma tête.)

J’aurais mieux fait d’aimer un oiseau de tonnerre ;
Au moins, quand le printemps arrive, ils rugissent à nouveau.
J’ai fermé les yeux et tout le monde est tombé mort.
(Je pense que je t’ai inventé à l’intérieur de ma tête.) »

Sylvia Plath

traduit par Schuch, le 20/11/2014

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–––– Versions originales anglaises –––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––

Homage to Ted Hughes by Reginald Gray. Held by Bankfield Museum, Yorkshire

Homage to Ted Hughes by Reginald Gray

 Lovesong

He loved her and she loved him
His kisses sucked out her whole past and future or tried to
He had no other appetite
She bit him she gnawed him she sucked
She wanted him complete inside her
Safe and sure forever and ever
Their little cries fluttered into the curtains

Her eyes wanted nothing to get away
Her looks nailed down his hands his wrists his elbows
He gripped her hard so that life
Should not drag her from that moment
He wanted all future to cease
He wanted to topple with his arms round her
Off that moment’s brink and into nothing
Or everlasting or whatever there was

Her embrace was an immense press
To print him into her bones
His smiles were the garrets of a fairy palace
Where the real world would never come
Her smiles were spider bites
So he would lie still till she felt hungry
His words were occupying armies
Her laughs were an assassin’s attempts
His looks were bullets daggers of revenge
His glances were ghosts in the corner with horrible secrets
His whispers were whips and jackboots
Her kisses were lawyers steadily writing
His caresses were the last hooks of a castaway
Her love-tricks were the grinding of locks
And their deep cries crawled over the floors
Like an animal dragging a great trap
His promises were the surgeon’s gag
Her promises took the top off his skull
She would get a brooch made of it
His vows pulled out all her sinews
He showed her how to make a love-knot
Her vows put his eyes in formalin
At the back of her secret drawer
Their screams stuck in the wall

Their heads fell apart into sleep like the two halves
Of a lopped melon, but love is hard to stop

In their entwined sleep they exchanged arms and legs
In their dreams their brains took each other hostage

In the morning they wore each other’s face

Ted Hugues

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Sylvia Plath (1932-1963)

Sylvia Plath (1932-1963)

Mad Girl’s Love Song

« I shut my eyes and all the world drops dead ;
I lift my lids and all is born again.
(I think I made you up inside my head.)

The stars go waltzing out in blue and red ,
And arbitrary blackness gallops in :
I shut my eyes and all the world drops dead.

I dreamed that you bewitched me into bed
And sung me moon-struck, kissed me quite insane.
(I think I made you up inside my head.)

God topples from the sky, hell’s fires fade :
Exit seraphim and Satan’s men:
I shut my eyes and all the world drops dead.

I fancied you’d return the way you said ,
But I grow old and I forget your name.
(I think I made you up inside my head.)

I should have loved a thunderbird instead ;
At least when spring comes they roar back again.
I shut my eyes and all the world drops dead.
(I think I made you up inside my head.) »

                                                      Sylvia Plath

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–––– Pour en savoir plus –––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––

  • une émission canadienne en français consacrée à Sylvia Plath avec des poèmes récités dans leur traduction française : c’est ICI 
  • le poème de Sylvia Plath « Daddy » récité par elle-même : c’est ICI

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Il faut séduire pour mieux détruire – Hubert Félix Thiéfaine : Les Ombres du Soir

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en cas de blocage, appuyer sur le sigle YouTube en bas à droite de la vidéo…

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Paroles de Les Ombres Du Soir

elle dort au milieu des serpents
sous la tonnelle près des marais
les yeux au-delà des diamants
qu’elle a incrustés dans ses plaies
elle dit c’est pas St Augustin
qui joue du violon dans les bois
et Paganini encore moins
ça semble étrange mais je la crois
j’ai rien entendu par ici
depuis des siècles et ma mémoire
au fil des brouillards et des nuits
se perd dans les ombres du soir

là-bas, plus loin coule une rivière
qui nous sert de démarcation
enfin j’veux dire pendant les guerres
quand on a une occupation
les spectres des morts lumineux
se promènent la nuit sous les saules
et ceux qu’oublient de faire un voeux
en perdent soudain leur self contrôle
on les r’trouve collés à la pluie
depuis des siècles et ma mémoire
au fil des brouillards et des nuits
se perd dans les ombres du soir

J’ai vu pas mal de filles tomber
souvent là-bas du haut du pont
et faire semblant de se noyer
en chevauchant leurs illusions
elle, elle me fixe tendrement
elle caresse un aspic et dit
rien vu de tel depuis longtemps
oh non, rien de tel, mon ami
pas vu de telles orgies ici
depuis des siècles et ma mémoire
au fil des brouillards et des nuits
se perd dans les ombres du soir

Au souffle brumeux des vipères
elle me montre du doigt la sphaigne
où tritons, salamandres en guerre
se battent au milieu des châtaignes
tu sais déjà, me murmure-t-elle,
qu’il faut séduire pour mieux détruire
et dans un geste et des bruits d’ailes
elle disparaît dans un sourire
puis elle revient et me poursuit
depuis des siècles et ma mémoire
au fil des brouillards et des nuits
se perd dans les ombres du soir

hm… elle joue avec ses serpents
sous la tonnelle près de marais
mais ses visions ne durent qu’un temps
et le temps lui–même disparaît
les heures se courbent dans l’espace
et tournent autour d’un monde ancien
où les lunes s’estompent et s’effacent
en glissant sur un flux sans fin
d’aucuns en cherchent la sortie
depuis des siècles et ma mémoire
au fil des brouillards et des nuits
se perd dans les ombres du soir

Paroles et musique : H.F. Thiéfaine (album Suppléments de mensonge)

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