Héritières des Moires grecques qui présidaient à la naissance, au déroulement de la vie puis à la mort, les trois Parques étaient, dans la religion ou la mythologie romaine, les divinités maîtresses de la destinée humaine, de la naissance à la mort. Représentées le plus souvent sous la forme de trois fileuses aux visages sévères, accablées de vieillesse, elles mesuraient la vie des hommes et tranchaient le destin. L’une, Nona, fabriquait et tenait le fil des destinées humaines, une autre, Decima, le déroulait et le plaçait sur le fuseau et la troisième, Morta, était chargée de couper le fil qui mesurait la durée de la vie de chaque mortel. Elles étaient le symbole de l’évolution de l’univers, du changement nécessaire qui commande aux rythmes de la vie et qui impose l’existence et la fatalité de la mort.
Bon… Certes, on conçoit bien que la mort soit inévitable et qu’une Parque ait pour mission de donner le coup de ciseau fatal… Mais expliquez-moi pour quelle raison, puisque ces vieilles pies sont censées connaitre le destin de chaque humain, lorsqu’elles constataient que le fil qu’elles tenaient entre leurs mains était celui d’un humain vertueux, talentueux qui n’apporterait que des choses positives au genre humain, et qu’un autre fil était tout au contraire celui d’un être monstrueux qui n’apporterait que l’injustice, la barbarie et la souffrance, choisissent-elle de faire périr prématurément le premier et prolonger la vie du second lui permettant ainsi de commettre ses atrocités ?
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–––– mai 1915 : 1ère Guerre mondiale, Front de Fromelles près de Lille –––––––––––––––––––––––
L’armée allemande a été contenue sur une ligne allant de la ville d’Ypres en Belgique à Arras. Les combats vont faire rage durant toute la durée de la guerre sur cette ligne de front. A 12 km de Lille, le village de Fromelles se situe à la limite de la Crête du plateau des Weppes, une éminence de faible altitude qui domine à une altitude de 15 à 20 mètres les deux vallées de la Deûle et de la Lys. Cette éminence est âprement disputée par les combattants. A partir de l’automne 1914 la guerre s’est installée dans les tranchées et le champ de batailles figé. Dans cette guerre de tranchée, l’enjeu ce sont les points hauts. Ainsi la crête d’Aubers et le talus de Fromelles sont occupés par la 1re compagnie du 16e régiment d’infanterie royale de réserve bavarois. Face à cette compagnie, les alliés alignent des combattants de l’Empire Britannique, principalement australiens.
Le champs de bataille de Fromelles vu des lignes allemandes
En mai 1915, le hasard fait que les combattants bavarois comptent dans ses rangs deux peintres : un lieutenant commandant de 37 ans, Albert Weisberger, également graveur et illustrateur, installé à Munich, co-fondateur et premier président, en 1913 du mouvement avant-gardiste Muenchner Neue Secession (la Nouvelle sécession de Munich) et l’un des espoirs de la peinture allemande, le second est un petit caporal autrichien, peintre médiocre, Adolf Hitler qui allait se révéler être l’un des plus grands criminels de l’histoire.
Eh bien les Parques, au mépris de toute logique, ont voulu que le lieutenant Albert Weisgerber tombe sur le front le 10 mai 1915 et que le caporal Hitler soit sain et sauf. Le contraire aurait fait que le peintre de talent Weisberger aurait poursuivi après la guerre sa brillante carrière et que le monde aurait échappé à la vision de vieilles croutes de peintures indigestes mais surtout aurait fait l’économie de 70 millions de morts, 30 millions de déplacés et d’un volume de destruction incommensurable… Nous n’avons pas de précisions sur les circonstances de la mort de Weisgerber; nous savons simplement que son corps, en Juin de la même année a été transféré à Munich et enterré dans le cimetière du Nord, à Nordfriedhof et que Hitler, contrairement à la légende qu’il s’était ensuite forgé, a poursuivi la guerre, pépère, comme estafette entre le commandement allemand et la ligne de front.
le caporal Hitler (assis à gauche) sur le front du Nord de la France. Dans un article de Valeurs actuelles, l’historienne Claire L’Hoër a décrit la réaliste de la guerre menée par Hitler dans le Nord de la France entre 1914 et 1916, c’est ICI
le peintre illustrateur Albert Weisberger (1878-1915)
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Albert Weisberger – auto-portrait à l’Attersee, 1911In Flanders fields the poppies grow
Between the crosses, row on row,
That mark our place: and in the sky
The larks still bravely singing fly
Scarce heard amid the guns below.We are the dead: Short days ago,
We lived, felt dawn, saw sunset glow,
Loved and were loved: and now we lie
In Flanders fields!Poème composé par John McCrae’s le 3 mai 1915 durant la bataille d’Ypres en Belgique.
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Albert Weisberger est né en 1878 à Saint-Ingbert, une petite ville de la Sarre, proche de la frontière française. Son père était l’aubergiste et le boulanger de la commune. En 1894, il débute une formation de peintre décorateur à Francfort puis, de 1897 à 1901, étudie à l’académie des arts de Munich ou il aura comme professeurs Gabriel Hacki et plus tard Franz von Stuck. Il se lie d’amitié pendant ces années à Hans Purrmann, Paul Klee, Wassily Kandinsky, Max Slevogt et Karl Arnold. En 1898, il créé le cercle d’artistes Sturmfackel avec son ami Alfred Kubin. Durant la période qui va suivre, il collaborera au magazine Die Jugend pour lequel il réalisera de nombreuses illustrations. Il maintient des liens avec sa ville natale, St. Ingbert où il a créé une série d’images du jardin de la bière. En 1906, il effectue son premier voyage à Paris pour le compte de Die Jungend, fréquente le Café du Dôme où il se confronte aux impressionnistes français, fait la connaissance de Matisse et sera fortement influencé dans ses productions par Henri de Toulouse-Lautrec, Paul Cézanne, Édouard Manet, ce qui se manifestera clairement par l’évolution de son style de peinture. La même année, il visite l’exposition Hodler à Munich. En 1904 il a fait la connaissance à Munich de Margarete Pohl, artiste peintre et fille de banquiers juifs, qu’il épousera en 1907, année de son second voyage à paris. En 1909, il entreprend un voyage en Italie A partir de 1911, il rencontre enfin le succès lors d’expositions d’art à Munich et à Dresde, Berlin, Cologne et Zurich.
Weisgerber, Purrmann et Matisse à Munich
En 1913, Weissgerber est le président fondateur du collectif d’artistes Münchner Neue Secession, qui allie des peintres tels qu’Alexej von Jawlensky, Paul Klee et Alexander Kanoldt. La première exposition de la Sécession à l’automne de 1914 alors que l’Allemagne vient de déclarer la guerre début août à la Russie, la France et la Belgique. L’artiste n’a plus que quelques mois de répit avant sa mobilisation et son départ pour le front où il trouvera la mort.
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–––– quelques illustrations parues dans la revue de Munich, Die Jungend –––––––––––––––––––––
Albert Weisgerber – revue Jugend, la gazelle, 1904
Albert Weisgerber – revue Jugend – Sirènes, 1904
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La revue Jugend, créée en 1896 par l’éditeur munichois Georg Hirth, fédérait tous les mouvements artistique d’avant-garde de Munich et jouissait d’une grande notoriété dans toute l’Europe, elle s’était attirée la collaboration de nombreux artistes, Albert Weisgerber en était l’un des principaux. Il a collaboré activement à la revue de 1903 à 1906.
Autres illustrations réalisées par Weisgerber pour la revue Die Jungend
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–––– Weisgerber peintre ––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––
Albert Weisgerber – Biergarten, 1904
Albert Weisgerber – Procession à St Ingbert, 1907
Albert Weisgerber – Autoportrait, 1908
Albert Weisgerber – promenade dans le jardin anglais, 1910
Albert Weisgerber – Gefesselter Sebastian im Walde, 1910
Albert Weisgerber – Schlafender Knabe im Wald, 1912
Albert Weisgerber – Absalom, 1912
Albert Weißgerber – Weiblicher Akt auf rotem Diwan, 1914
Albert Weisgerber – David et Goliath, 1914
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–––– illustration des contes des Frères Grimm ––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––
Weisgerber – illustration du conte Die Sieben Raben (les sept corbeaux) des Frères Grimm
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D’autres illustrations des contes des Frères Grimm réalisées par Weisgerber
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––– articles et documentation liés ––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––
Sur ce blog :
. Poèsie de l’expressionnisme allemand (I) : de mortelle amertume à l’apocalypse : c’est ICI
. pessimisme, cynisme et ambiguïté : Gottfried Benn, poète expressionniste et dermatologue – c’est ICI
. illustres illustrateurs : Jeanne Mammen, période Weimar (1914-1933) : c’est ICI
. Peter Behrens (1868-1940), pionnier de l’architecture moderne et du design – (I) 1885-1907 : les années de formation – c’est ICI
N’est-ce pas plutôt Albert Weisgerber, notre peintre illustrateur talentueux, hélas trop tôt disparu ?
M. Cointe
Une coquille vicieuse s’était glissée dans le texte à l’insu de mon plein gré… On lui a réglé son compte…
Merci !