L’une des idées maîtresses sur lesquelles est bâtie l’oeuvre de René Girard apparaît dans son premier livre paru en 1961, Mensonge romantique et vérité romanesque,essai de littérature comparée entre les œuvres de cinq romanciers, Cervantès, Stendhal, Flaubert, Dostoïevski et Proust. Dans cet ouvrage, l’auteur fait la constatation que bien que vivant dans des sociétés différentes à des époques différentes, les auteurs de ces romans se rejoignaient dans la conception qu’ils avaient d’un désir sous-tendu par l’imitation : l’homme est incapable de désirer par lui seul, il faut que l’objet de son désir lui soit désigné par un tiers. Ce tiers peut être extérieur à l’action romanesque comme les héros des romans de chevalerie pour Don Quichotte ou des romans d’amour pour Emma Bovary. Il est le plus souvent intérieur à l’action romanesque : l’être qui génère leurs désirs aux héros des romans de Stendhal, de Flaubert, de Proust ou de Dostoïevski devient lui-même un personnage du livre. Ainsi, le rapport n’est pas direct entre le sujet et l’objet : la relation est triangulaire. À travers l’objet, c’est le modèle, que Girard appelle médiateur, qui attire ; c’est l’être du modèle, qui est recherché. Entre le héros et son médiateur se nouent alors des rapports complexes d’admiration, d’envie, de jalousie et de haine.
Don Quichotte sombre dans la folie à la lecture des livres de chevalerie par son identification à ses héros. Gravure de Gustave Doré
Qu’est-ce que le désir ?
L’homme fixe-t-il de manière autonome son désir sur un objet qui posséderait ainsi de manière intrinsèque une valeur susceptible de polariser ce désir où bien est-il attiré par cet objet parce que celui ci est déjà possédé ou susceptible de l’être par un Autre à qui nous avons donné de manière consciente ou inconsciente le statut de modèle ? De là naîtraient les sentiments tels que l’envie et la jalousie, liés au désir. Les techniques publicitaires jouent pleinement sur ce référencement à l‘Autre, possesseur d’un objet dont nous n’éprouvions pas jusqu’alors le besoin et ne connaissions parfois pas même l’existence. Nous sommes envieux du prestige que confère à l’Autre, la possession de l’objet. Dans cette hypothèse, nous tirerions plus de satisfaction au fait que l’Autre soit privé d’objet que dans notre possession de cet objet. Le mécanisme du désir humain ne serait donc par fondé sur les relations découlant du binôme SUJET – OBJET mais sur un celles générées par le schéma triangulaire : SUJET – MODELE (ou MEDIATEUR) – OBJET. Ce désir triangulaire (appelé aussi « désir métaphysique ») est désir « selon l’autre », c’est-à-dire désir d’être l’autre en possédant ce qu’il possède.
René Girard appuie sa réflexion sur l’analyse des grandes œuvres romanesques (Cervantès, Stendhal, Proust et Dostoïevski). Etre envieux d’un modèle, c’est admettre, même inconsciemment, qu’il nous est supérieur; c’est reconnaître notre insuffisance d’Être. Cette antériorité du Modèle sera niée par le sujet car la reconnaître serait par là même accepter son infériorité. Ainsi, même s’il n’en éprouve pas une conscience claire, le sujet envieux du Modèle est quelqu’un qui se méprise profondément. Reconnaître la supériorité du Modèle, son prestige au sein de la société par la qualité de son « Être », c’est reconnaître que cette supériorité est fondée et inaccessible. Mieux vaut vaut mettre cette supériorité sur le compte d’un ou des objets que le Modèle possède et à qui l’on confère la source de cette supériorité. Ainsi le désir qu’a le sujet pour l’Objet n’est rien d’autre que le désir qu’il a du prestige qu’il prête à celui qui possède l’Objet (ou qui s’apprête à désirer en même temps que lui l’Objet).
George Clooney dans la célèbre pub Nespresso
« c’est parce qu’elle montre que les Jones possèdent X que la publicité donne aux Smith l’envie de l’acquérir et, d’ailleurs, il n’y a pas besoin de publicité pour cela, les Smith sont assez torturés par l’envie qu’ils éprouvent pour les Jones pour découvrir tout seuls ce que ces derniers possèdent. » – J.-P. Dupuy dans l’Enfer des Choses (Seuil)
Le triangle du désir mimétique au cinéma : Maurice Roney (Philippe), Alain Delon (Tom) et Marie Laforêt (Marge) dans Plein Soleil
L’illusion romantique
Cette théorie du désir postule que tout désir est une imitation (mimésis) du désir de l’autre. Elle prend le contre-pied de ce que René Girard appelle l’«illusion romantique», selon laquelle le désir que tel Sujet a pour tel Objet serait singulier, unique, inimitable. Le sujet entretient en effet l’illusion que son « propre » désir est suscité par l’objet de son désir (une belle femme, un objet rare); mais en réalité son désir est suscité par un modèle (présent ou absent) que le sujet admire et finit souvent par jalouser. Contrairement à une idée reçue, nous ne savons donc pas ce que nous désirons, nous ne savons donc pas sur quel objet (quelle femme, qu’elle nourriture, quel territoire) porter notre désir. Ce n’est qu’après coup, rétrospectivement, que nous donnons un sens à notre choix en le faisant passer pour un choix délibéré (« je t’ai choisi(e) entre mille »), alors qu’il n’en est rien.
°°°
Que disent les sciences du cerveau à ce sujet ?
« Notre troisième cerveau » de Jean-Michel Oughourlian L’exemple est un classique des situations qui se nouent dans le cas du triangle amoureux : Prenons le cas d’un homme qui a perdu avec le temps tout intérêt pour son épouse. Si un étranger survient et en fait l’objet de son désir, l’intérêt du mari pour son épouse renaît soudainement. Nous ne désirons rien tant que ce que désire l’autre. Pour le meilleur et pour le pire et dès la naissance : notre psyché elle-même est une copie de celle de nos parents ! La découverte des neurones miroirs impose une relecture complète de la psychologie et de la psychiatrie. La particularité de ces neurones tient au fait qu’ils déchargent des potentiels d’action pendant que l’individu exécute un mouvement (c’est le cas pour la plupart des neurones du cortex moteur et prémoteur) mais aussi lorsqu’il est immobile et voit (ou même entend) une action similaire effectuée par un autre individu, voire seulement quand il pense que ce dernier va effectuer cette action. Les neurones miroirs sont donc définis par deux propriétés :
leur caractère « miroir » : le fait qu’ils réagissent aussi bien aux actions de soi qu’à celles d’autrui.
leur sélectivité : chaque neurone ne répond qu’à un seul type d’action, mais ne répond pas (ou peu) quand il s’agit d’un autre geste. Par exemple, un neurone sensible à un mouvement préhension de la main ne réagira pas si l’individu effectue un autre geste (comme une extension des doigts) ou si cet autre geste est effectué par un autre individu.
Ainsi l’étude du cerveau montre que les mêmes zones sont activées si je fais une action ou si je la regarde faire par un autre. Cette altérité nous constitue. Elle peut être vécue comme un apprentissage par imitation du modèle, ou comme une rivalité, ou comme un obstacle à la réalisation du désir que l’autre m’a suggéré. Modèle, rival ou obstacle sont les trois visages de l’autre. Chacun d’eux peut engendrer une personnalité « normale », ou névrotique, ou psychotique. Pour Jean-Michel Oughourlian cette approche jette les bases d’une nouvelle psychologie et une nouvelle psychiatrie et impose une nouvelle gestion de l’altérité, fondée sur la « dialectique des trois cerveaux » : le premier, le cerveau cognitif, le second, le cerveau émotionnel, et le troisième, ou « cerveau mimétique« , qui est donc celui de l’altérité, de l’empathie, de l’amour comme de la haine.
Louise Elisabeth Vigée Lebrun (1755-1842) – autoportrait de 1782 – détail
Louise Elisabeth Vigée Lebrun (1755-1842) – autoportrait, 1782
°°°
Née en 1755 à Paris, Elisabeth Vigée est la fille de Louis Vigée, pastelliste, et de Jeanne Maissin, coiffeuse. Dés l’enfance elle manifeste des dons hors du commun pour le dessin et la peinture. Elle suivra les leçons des peintres Gabriel Briard et Joseph Vernet, recevra des conseils de Jean-Baptiste Greuze et s’exerce à l’art du portrait. c’est en 1770, à l’âge de 15 ans, qu’elle décide de devenir peintre professionnelle. A partir de 1775, elle fréquente le peintre et marchand d’art Jean-Baptiste Pierre Le Brun qu’elle épousera en 1776 et est admise aux séances publiques de l’Académie. Ayant commencé à travailler pour la famille royale avec une série de portraits du comte de Provence, frère du roi et futur Louis XVIII, elle est admise auprès de la reine Marie-Antoinette dont elle fait le portrait et grâce à laquelle elle sera admise à l’Académie Royale de peinture et sculpture en 1783 à l’âge de 28 ans. Royaliste, elle doit s’exiler durant la période révolutionnaire et parcourt alors l’Europe (Rome, Vienne, Londres et Saint-Pétersbourg) en peignant le portraits de la haute aristocratie. Elle rentrera en France en 1802 sous l’Empire mais ne retrouvera pas la place qui était la sienne sous la royauté et reprendra un moment sa vie errante en Angleterre et en Suisse. Elle meurt en 1842 à Paris à l’âge de 87 ans laissant derrière elle une œuvre considérable de 660 portraits et 200 paysages. Elle aura eu le temps avant sa mort d’écrire ses mémoires qu’elle publie en 1835 sous le nom Souvenirs et qui connaîtront un grand succès et constituent un témoignage précieux sur les événements et les personnages qui ont marqués son époque.
Robert Burns, également appelé Robbie Burns, Scotland’s favourite son (fils préféré de l’Écosse), et également the Bard of Ayrshire (le barde de l’Ayrshire) ou tout simplement, the Bard) était un poète écossais Né à Alloway, South Ayrshire (Écosse) le 25 janvier 1759 fils d’un jardinier et paysan. Destiné au travail de la terre, il ne ne reçut qu’une instruction élémentaire. Il se partage dès l’adolescence entre le travail de la terre et la poèsie. La médiocrité des rendements le plonge dans une gêne dont il ne sortira jamais vraiment et le pousse à publier son premier recueil en 1786. Le succès immédiat, donne lieu à deux rééditions en 1787 et en 1793, qui le consacrent poète national et lui ouvrent les portes de la haute société d’Edimbourg, ville où il s’était installé en 1786. Il y sera d’ailleurs surnommé par les milieux intellectuels et bourgeois le « poète-paysan ». Ce statut ambigu n’alla pas sans un sentiment de malaise chez le poète, dont certains poèmes portent l’empreinte. Grâce à l’éditeur James Johnson, il fera publier entre 1787 et 1803 ‘The Scots Musical Museum’, plus de cent-cinquante chansons populaires écossaises d’origines diverses qu’il a adaptées et retravaillées. Entre 1793 et 1818 furent édités dans la Thomson’s Collection les 6 volumes de ‘A Select Collection Of Scottish Airs for the Voice‘, 114 autres chansons populaires. Inspirés de la vie à la campagne, de la nature et de la culture populaire,mais aussi nourris de nombreuses références à la poésie classique et contemporaine, ses écrits et sa poésie font preuve d’une grande sensibilité et vont contribuer à l’éclosion du romantisme anglo-saxon. Il est le plus connu des poètes écossais qui écrivirent en scots. Il utilisait le dialecte scots de son Carrick natal bien que la plus grande partie de son œuvre soit en anglais et enlight scots, un dialecte plus accessible à un public non-écossais. Il réintroduisit également dans la langue d’anciennes formes françaises, provençales et italiennes importées autrefois par la cour de Marie Stuart. Ses écrits politiques était plus généralement écrits en anglais. Il combattit véhémentement l’Eglise calviniste et l’aristocratie écossaise. En 1786, il publie ‘Poems, Chiefly in the Scottish Dialect‘, son premier recueil de poèmes en écossais. Le succès de l’ouvrage et la mort de sa fiancée Mary Campbell le dissuade d’émigrer à la Jamaïque, comme il projetait de le faire. Il part pour Edimbourg. Le 26 août 1787, il est adoubé chevalier à la tour de Clackmannan par Lady Catherine Bruce, vieille dame de 91 ans et descendante de Robert Bruce. De retour à Mauchline (South Ayrshire), en 1788, il épouse une fille du pays, Jean Armour avec qui il aura neuf enfants et emménage en juin dans une ferme à Ellisland, près de Dumfries. C’est là qu’il écrira les chansons destinées au ‘Scots Musical Museum’ ainsi que son dernier grand poème, Tam o’Shanter, en 1790, qui reste son oeuvre la plus connue. En 1791, Après des expériences malheureuses dans l’agriculture et aussi pour ménager son cœur malade, il occupe un emploi à Dumfries dans l’administration des impôts. C’est à cette époque qu’il s’enthousiasme pour la Révolution française mais sera forcé de se rétracter en 1793. C’est à ce poste qu’il finira sa vie. Considéré comme le plus grand auteur en langue écossaise, il inspira la production de littérature dialectale dans d’autres pays d’Europe. Après sa mort, en 1796, il devint source d’inspiration aussi bien pour les fondateurs du libéralisme que du socialisme. Icône de la culture de l’Écosse et de la diaspora écossaise, sa vie et son œuvre sont devenus l’objet d’un véritable culte au cours des XIXe et XXe siècle et son influence a longtemps marqué la littérature écossaise. Le 25 janvier de chaque année est une fête en Ecosse, c’est le Burn’s Day. Ce soir là, on fête l’anniversaire du poète. le banquet est ponctué de récitations, dont celle de To a Haggis, ode au plat national écossais, composée par Burns. Au moment de servir le haggis, le serveur déclame le poème composé par Burns. Les soirées du 25 Janvier sont souvent ponctuées de nombreux toasts au whisky et de chants accompagnés à la cornemuse. Si Robert Burns est considéré comme un héros national, c’est que sans lui l’Ecosse aurait sans doute perdu une grande partie de son identité culturelle. Son poème (et chant) Auld Lang Syne est souvent entonné dans le monde anglophone lors de Hogmanay (le dernier jour de l’année) et Scots Wha Hae servit longtemps d’hymne national officieux du pays. Les autres poèmes et chansons de Burns qui restent les plus connues dans le monde d’aujourd’hui, sont notamment A Red, Red Rose, A Man’s A Man for A’ That, To a Louse, To a Mouse, The Battle of Sherramuir, Tam o’ Shanter et Ae Fond Kiss. Plusieurs de ses poèmes ont été mis en musique, entre autres par le compositeur allemand Robert Schumann. Jonathan E. Spilman a mis en musique en 1837 Sweet Afton, poème de 1791, sous le titre Flow Gently Sweet Afton. Le compositeur estonien Arvo Pärt a mis en musique My Heart’s in the Highlands(2000).
°°°
––– le poème Tam o’ Shanter et les illustrations d’Alexander Goudie ––––––––––––––––––––––––––––
Édité en 1791, Tam o’ Shanter est un merveilleux poème épique du poète écossais Robert Burns (1759-1796). Il est écrit dans un mélange d’anglais et d’écossais et raconte de manière humoristique et vivante l’histoire de Tam o’ Shanter, un homme resté trop longtemps au pub qui, sur le chemin du retour, est témoin de scènes fantastiques. Burns en profite pour croquer le portraits de plusieurs personnages pittoresques de la vieille ville d’Ayr à la fin du 18ème siècle : Tam lui-même bien sût, Johnnie Souter, son ami le plus proche qui est maréchal ferrand, la Jeannne, ses compagnons de beuverie, et aussi sa femme Kate qui l’accable de conseils et de réprimandes et enfin sa jument Maggie.
Il existe différents types de couvre-chefs, qui diffèrent selon les régions. L’un d’entre eux se nomme le tam o’shanter nommé ainsi d’après le personnage Tam o’Shanter du poème éponyme de Burns. Il est en laine, et muni d’un pompon, appelé toorie, en son centre. Son plus long périmètre est environ deux fois supérieur au tour de tête.
Une copie d’une annonce pour Tam o’Shanter tabac à pipe
(Reproduit de Burns Chronique de 1932)
°°°
La traduction française du texte original qui suit a été effectuée par M. Jean Claude Crapoulet. Les illustrations qui l’accompagnent on été peintes par le peintre figuratif écossais Alexander Goudie (1933-2004) qui avait été fasciné par ce grand poème narratif de Burns qui avait captivé son imagination depuis l’enfance, comme «un conte gothique, parsemé images vives et impressionnant » et sur le thème duquel il avait réalisé un cycle d’illustrations durant de nombreuses années qui s’était achevé en 1996. Au total 54 illustrations ont été produites qui sont dans leur intégralité aujourd’hui exposées à Rozelle House, près de la maison de Burns à Alloway, Ayrshire. Les illustrations présentées ci-après sont pour la plupart tirées d’un ouvrage publié en 2011 par les éditions Birlinn à Edimbourg.
Pour l’anecdote on notera que son traitement de la masse noire dans la Auld Kirk, qui contient, comme son ami le chanteur Kenneth MacKellar l’a noté, «plus d’un soupçon de sexe spectral », a conduit un ministre de l’Église libre Wee à protester contre le blasphème de l’image. Les techniques utilisées par le peintre pour certaines illustrations semblent avoir été inspirées par l’énergie qui s’exhale du poème original.
texte original et la version française par Monsieur Jean Claude Crapoulet
°°°
Alexander Goudie – illustration du poème Tom o’Shanter de Robert Burns – 1
But pleasures are like poppies spread, Les plaisirs, comme les coquelicots dans les prés, You seize the flower, its bloom is shed Se fanent si vous les cueillez; Or like the snow falls in the river, Ou comme un blanc flocon qui tombe dans un ru a moment white – then melts for ever; Blanc un instant, puis pour toujours fondu or like the borealis race, ou le chatoiement boréal merveilleux that flit ere you van point their place; Qui fuit dés qu’on y veut poser les yeux Or like the rainbow’s lovely form Ou comme la forme gracieuse de l’arc-en-ciel Evanishing amid the storm – évanescente dans l’orage
°°°
Nae man can tether time nor ride; Nul ne peut arrêter la marée ou le temps That hour, o’ night’s bleach arch the keystone, Triste moment, clé de voûte de l’arche de la nuit. That dreary hour he mounts his beast in; Morne moment, où Tam enfourcha son cheval et partit. And sic a night he taks the road in, Jamais pêcheur ne fut par les chemins As ne’er poor sinner was abroad in. Par une nuit pareille à celle-là.
°°°
Weel mounted on his grey mare, Meg, Bien installé sur Meg, sa jument grise A better never lifted leg, La meilleure jument qui ait jamais trotté, Tam skelpit on thro’ dub and mire, Tam avançait dans les flaques et la mouise, Despising wind, and rain, and fire; Méprisant pluie, tonnerre et vent; Whiles holding fast his guide blue bonnet; Tantôt tenant d’une main son bleu bonnet, Whiles crooning o’er some auld Scots sonnet; Tantôt de son pays chantant d’ancien sonnets. Whiles glowering round wi’ prudent cares, Tantôt jetant autour des regards redoutables, Kirk-Alloway was deawing nigh, Afin de n’être pas surpris par quelque diable. Where ghosts and houlets nightly cry L’église d’Alloway n’était plus très loin, où l’on entend, La nuit, pleurer spectres et chats-huants.
°°°
By this time he was cross the ford, Tam, à ce moment avait déjà franchi le gué, Whare, in the shaw, the chapman smoor’d; Où le colporteur, dans la neige, s’était étouffé; And past the birks and meikle stand, Il avait passé les bouleaux, et l’endroit, près des trois cailloux, Where drunken Charlie brak’s neck-bane; Où Charlie, ivre mort, s’était rompu le cou; And thro’ the whins, and by the cairn, Il avait traversé les joncs et le tas de pierres entassées, And near the thorn, aboon the well, Where Hunters fans the murder’d bairn; Où les chasseurs avaient trouvé l’enfant assassiné; And near the thorn, boon the well, Where Mungo’s mother hang’d herself’. Où la mère de Mungo s’était pendue, une nuit. Before him Doon pours all the floods; Devant lui, le Doon en crue, roulait des eaux toubillonnantes. The lightnings flash from pole to pole; L’orage redoublait de rage dans les branches; Near and more near the thunders roll; Les éclairs encerclaient le monde, When, glimmering thro’ the groaning trees, Le tonnerre se rapprochait de plus en plus,lorsque, à travers les arbres gémissants, étincelante, Kirk-Alloway seem’d in a bleeze; Parut l’église d’Alloway, illuminée, brillante. Thro’ ilka bore the beams were glancing; Par calque trou, des rayons de lumière s’agitaient, And loud resounded mirth and dancing. – Des bruits de réjouissance et de dance résonnaient.
°°°
And, Wow ! Tam saw an unco sight ! Et alors, Tam vit un spectacle étrange ! Warlocks and Witchers in a dance : Des sorcières et des démons menant la dance, Nae cotillon, Bent new frae frae France, Pas un de ces cotillons à la mode de France, But hornpipes, jigs, strathspeys, and reels, Mais gigues, et strathspeys, et ronde, Put life and mettle in their heels. Avec des cornemuses pour faire frapper les talons. A winnock-bunker in the east, Dans un coin de fenêtre, à l’Est, There sat auld Nick, in shape o’ beast. Satan lui-même était assis, changé en bête.
°°°
°°°
But Tam kent what was what fu’ brawl : Mais Tam savait ce qu’il faisait parfaitement, There was as ae winsome wench and waulie Dans le lot s’agitait une belle charmante That night enlisted in the core, Qui, ce soir -là, dansait la sarabande. Lang after ken’d on Carrick shore; On s’en souvint longtemps sur le abords du Carrick ! (For mony a beast to dead the shot, (Elle causa la mort de bien des animaux, And perish’d mony a bonie boat, Envoya par le fond beaucoup de bons bateaux, And shook baith melkie corn and bear, Pourrit les champs de blés et le récolte d’orge, And kept the country-side in fear) Et fit que le pays, longtemps, eut la peur à la gorge.)
Till first ae caper, syne another Enfin, n’y tenant plus, devant une dernière cabriole Tam tint his reason a thegither, Tam perdit ses esprits, sa raison deviant folle, And roars out, « Weel done, Cutty-sark ! » Il s’écria : « Bravo, Courte-chemise ! »
°°°
°°°
And scarcely had he Maggie rallied, A peine Tam avait-il la bride reprise, When out the hellish legion sailed. Que la horde démoniaque se ruait dehors l’église, As bees buzz out wi’ angry fyke, Comme s’élève en grondant les guêpes en colère, When plundering herds assail there bike; Quand quelqu’un s’attaque à leur nid, As open pussie’s mortal foes, Comme l’ennemi mortel du chat soudain bondit, When, pop ! she starts before their nose, Quand celui-ci démarre en trombe sous ses pieds, As eager runs the market-crowd, Comme la foule du marché s’élance de bon cœur When « catch the thiefl » resounds aloud; Dés qu’on entend crie « Au voleur ! » So Maggie runs, the witches follow, Ainsi courut Maggie et les sorcières, Wy mony an eldritch skreich and hollow. Hurlant horriblement, lui couraient au derrière.
°°°
°°°
Ah Tam ! Ah Tam ! Thou’ll get thy fairin Ah, Tam ! Ah, Tam ! Tu l’avais bien cherché ! In Hell, they’ll toast thee like a herrin ! En Enfer, comme un hareng, tu vas être fumé ! In vain thy Kate awaits thy comin ! Kate attendra pour rien près de la cheminée ! Kate soon will be a woefu’ woman ! Kate sera bientôt une veuve éplorée ! Now, do thy speedy-utmost, Meg, Allez ! Vas-y ! Cours, Meg ! Fais de ton mieux ! And Win the key-stone o’ the bridge; Il faut aller au pont, la pierre du milieu ! There, at them thou thy talle may toss, A mi-pont tu pourras leur faire un signe insolent de la queue, A running stream they dare na cross. Car les démons ne peuvent passer l’eau qui coule. But ere the key-stone she could make, Mais avant que du pont elle ait atteint la voûte, The fient a tall she had to shake, Il lui fallut la bouger cette queue, et de façon très leste, For Nannie, far before the rest, Car Nancy, qui avait distancé de loin, le reste, Hard upon noble Maggie’s mettle ! La talonnait de très près. Ae spring brought off her master hale, Elle se jeta sur Tam avec fureur, But left behind her ain gray tall, Mais ne connaissait pas, de Meg, le noble cœur ! The carlin claught her by the ramp, D’un grand bond, elle emporta son maître en zone sûre And left poor Maggie scarce a stump. Mais laissa derrière elle sa queue grise…
Articles liés Sturm und Drang : Gottfried August Bürger, la ballade de Lenore (1773)
Oh! comme à droite, à gauche s’envolaient à leur passage les prés, les bois et les campagnes. Et comme à gauche, à droite, s’envolaient les villages, les bourgs et les villes. — « A-t-elle peur, ma mie ? La lune brille Hurra! les morts vont vite….. A-t-elle peur des morts ? — Ah ! laisse donc les morts en paix. ― » Tiens ! tiens ! vois-tu s’agiter, auprès de ces potences, des fantômes aériens, que la lune argente et rend visibles ? Ils dansent autour de la roue. Çà ! coquins, approchez ; qu’on me suive et qu’on danse le bal des noces….. Nous allons au banquet joyeux. »
poésie et illustrateurs du romantisme allemand : Der Erlköning de Goethe (le roi des aulnes), 1782
Le terme allemand de Erlkönig « le roi des aulnes » serait une erreur de traduction remontant au XVIIIe siècle du danois Ellerkonge ou Elverkonge « le roi des Elfes ». Dans les légendes et les littératures scandinaves et germaniques, il existe une créature féminine séduisante mais maléfique, la Ellerkongens datter « la fille du roi des Elfes » ou ellerkone « femelle elfe » dotée d’une beauté remarquable mais qui entraîne les humains vers le mal et la mort. Cette créature n’est en fait qu’une variante de l’archétype européen commun de la Sirène ou de la fée. Certains rattachent cette créature à l’ancienne déesse grecque de la mort Alphito (la déesse blanche) et même à Lilith , la divinité d’origine assyro-babylonienne sortie des eaux, qui aurait été la première femme d’Adam et serait devenue par la suite un démon.
Dés l’apparition du christianisme, celui-ci est l’objet d’attaques de la part des religions qu’il cherche à évincer. Ces attaques sont menées sous forme littéraire, dessinée ou théâtrale, souvent sarcastique, voire satirique. Au IIe siècle, Tertullien, un écrivain de la ville de Carthage située en Afrique du Nord converti au catholicisme se plaint du fait que le dieu des chrétiens était représenté par les adversaires païens de la nouvelle religion comme un dieu-âne vêtu d’une toge, porteur d’oreilles d’âne avec un pied en sabot et tenant un livre à la main. Les archéologues ont effectivement retrouvé à Rome un graffiti antique des premiers temps du christianisme représentant un personnage crucifié muni d’une tête d’âne et devant lequel s’affaire un croyant avec cette inscription : « Alexamène adore Dieu ». Pouvait on alors reprocher aux adeptes des religions païennes polythéistes dont les croyances étaient menacées par l’arrivée d’un Dieu unique qui ne souffrait aucune concurrence de manifester par la dérision leur opposition à cette prétention ?
La plus ancienne caricature : Jésus-Âne en Croix, conservée au Musée Kircher à Rome. Découverte sur le Palatin à Rome en 1857, cette caricature tracée au stylet sur le plâtre d’une maison, date du temps des persécutions. Elle représente un personnage à tête d’âne, attaché à la croix, et une autre personne dans l’attitude en usage parmi les païens pour exprimer l’adoration, avec cette inscription : « Alexamène adore son Dieu ». Ce graphite a dû être tracé par quelqu’un qui voulait tourner en ridicule une connaissance accusé d’être chrétien.
Washington (Pentagone) – Manifestation en 1967 contre la Guerre du Vietnam – photographe Marc Riboud
Le drame de Charlie Hebdo m’a saisi en pleine lecture de Gustave Roud (1897-1976), cet écrivain et poète vaudois qui n’est guère sorti durant toute sa vie de la ferme familiale où après la mort de ses parents il vivait solitaire en compagnie de sa sœur dans le petit village de Carrouge dominant Lausanne et à partir de laquelle il sillonnait inlassablement les chemins de la région du Haut-Jorat qu’il aimait tant et qu’il a décrit admirablement dans nombre de ses écrits. Pour m’évader un peu de cette atmosphère déprimante et alors que le froid et la neige venaient de nouveau de faire leur apparition, je me suis un moment replongé dans la lecture de cet écrivain. Que penserait-il de cet événement, lui qui avait vécu comme dans un cocon dans la Suisse rurale, homogène et paisible des années d’avant et après guerre et qui s’intéressait surtout aux paysages, aux plantes, aux travaux des champs et aux hommes, vigoureux et fiers, qui les travaillaient ?
L’ouvrage que j’ai parcouru est un petit recueil de 110 pages qui s’intitule Les Fleurs et les saisonset qui rassemble des textes épars de l’écrivain-poète écrits autour des années 1935 et 1942 et qui a fait l’objet d’une double édition en 1991 et 2003 par les éditions La Dogana à Genève. Quelques photographies prises par l’auteur accompagnent le texte.
Campanule des Alpes
Je vous livre le premier texte du recueil intitulé Langage des fleurs dans lequel l’auteur, en introduction de son ouvrage, nous livre une véritable profession du foi concernant son rapport à la Nature. Pour Gustave Roud les plantes, les fleurs nous parlent… Elles s’expriment, s’adressent à nous par un langage mystérieux et secret que seule la poésie est capable de transcrire et de pouvoir répondre. Séparé des hommes par son homosexualité non assumée qu’il appelait pudiquement sa différence,Gustave Roud, pour compenser ses frustrations, reconstituait la société dont il était privé, avec les éléments du paysage au milieu duquel il vivait : collines, bosquets, arbres, fleurs étaient devenus pour lui des entités dotées d’une certaine forme de vie et d’esprit avec lesquels il pouvait dialoguer et à qui il prêtait des formes et des sentiments humains. Lors de ses longues promenades solitaires, sa sensibilité exacerbée faisait qu’il était constamment à leur écoute et ressentait profondément dans tout son être la présence de ces esprits. Cette forme d’animisme anthropomorphique transparait dans toute son œuvre et nous a donné des pages sublimes dans lesquelles sa communion de nature romantique avec la Nature – au sens où l’entendaient les romantiques allemands qu’il connaissait bien – s’exprime de manière bouleversante. Le plateau du Jorat se trouve à cheval sur la ligne de crête qui correspond à la ligne de partage des eaux entre le bassins fluviaux du Rhin au nord et du Rhône au sud. Ligne de partage des eaux qui est en même temps ligne de partage entre les mondes germanique et latin. On peut considérer à ce titre que l’œuvre littéraire et poétique de Gustave Roud, par la nature des thèmes abordés et la sensibilité exacerbée qui en émane, effectue la synthèse entre les deux cultures.
Gustave Roud (1897-1976)
Quel chœur de cuivres, ces pavots de juin où pose un instant mon regard au-dessus du feuillet, au-dessous d’une prairie sournoisement sapée par la faucheuse et deux chevaux de soie ! Et le vent chasse avec des bonds de chien berger tout un troupeau d’odeurs. Je puis toucher une rose, lire hors du verre bleu, dans cette molle mêlée de pétales désunis, le mystérieux langage des formes. Couleurs, parfums, présence formelle, qui ne les sait entendre ? Qui résiste à ce désir humain de leur suggérer un sens, d’en faire la figure et l’écho d’une passion, d’une pensée ? Nous vivons – quelques-uns vivent – depuis toujours de ces « correspondances ». Mais c’est d’un autre langage des fleurs que j’aimerais parler, un langage direct, sans « comme », sans la docilité du symbole, un appel soudain tout proche, déchirant, désespéré comme s’il savait déjà qu’aucune réponse ne peut lui être donnée. Je revois ce petit bosquet au flanc d’une colline desséchée jusqu’à son cœur de roc par une suite de soleils sans merci. Les fenaisons étaient finies ou presque : la terre sous l’herbe rase dure au pieds comme une dalle de ciment. Sur les collines de l’horizon, une chaîne de nuages bruns et roses… Quelle vacance du corps et de l’âme au cœur de ce désert ! Quel morne sentier pas à pas suivi vers cette tache de feuillage où l’ombre tiède, on le devine, ne dispensera nul repos ! Voici les premières branches, et sitôt écartées des poings et des genoux, la saisissante surprise d’une présence. C’est quelqu’un qui est debout sur la frange du sentier, quelqu’un qui attend, qui appelle, qui implore, tourné vers la trouée de jour où le paysage se liquéfie dans la fournaise. C’est une très haute campanule des bois couverte de cloches et de feuilles à demi flétries, la suppliante au nom de cette forêt qui halète de soif, tout près de périr elle-même, guetteur d’un impossible orage, véhément porte-parole au seuil du bois torturé. Porte-parole… J’ai choisi l’appel de cette campanule solitaire comme un cheminement vers quelque chose de plus mystérieux encore. Cet appel avait un objet tout de suite discernable, et si de tout un peuple végétal une plante seule parlait, c’est, avec la sienne, al souffrance de toutes qu’elle s’efforçait de traduire. On pouvait lui répondre, caresser les corolles de cette main même qu’on pose au front des fiévreux… Mais que répondre à l’appel d’autres fleurs ? Au chemin presque chaque matin suivi, mal éveillé de sa rosée et de son ombre fleur-de-lin derrière la tendre muraille de coudriers, de viornes, d’églantines, j’ai vu tout le long de mai les bancs de myosotis, immobiles entre le ruban de poussière et la paroi de feuilles, m’implorer d’un regard vague et poignant peu à peu vaincu par l’herbe grandissante. Toute arrivée humaine dans un jardin d’aube, par exemple, ne peut être qu’une intrusion et rompt aussitôt mille colloques de fleurs, mais là-haut c’était une atmosphère d’attente indubitable où je pénétrais, attente toujours déçue, puisque ma maladresse d’homme ne trouvait pas la parole attendue, et ne la trouvera sans doute jamais. « Eloignement infini du monde des fleurs », dit Novalis, en traduisant avec une netteté, une brièveté singulières une certitude que nous avons tous entrevu. Mais Novalis lui-même, bien avant Baudelaire, ne trouve-t-il point entre cet univers lointain et le nôtre mille précieuses correspondances ? Et cet autre langage des fleurs que nous essayons de faire pressentir, cette imploration timide, cet appel qui est aussi une plainte, s’il exige parfois pour être entendu certaine circonstances définies, une solitude assez profonde, une vacance quasi totale de l’esprit – en un mot : que l’on n’en fasse qu’à son cœur (et ce cœur n’est pas heureux) – je ne puis le croire imaginaire . Pourquoi le myosotis ne serait-il pas la fleur qui « dit son nom » à Rimbaud, au détour du sentier ? Ce nom, ce « ne m’oubliez pas », c’est lui qui l’a dicté aux hommes, depuis des siècles, depuis qu’on a pu lire confusément sa prière à chaque printemps recommencé. Il est difficile de parler de ces découvertes liées à des états de l’être exceptionnels et surtout fugaces, plus difficile encore de les rendre contagieuses. seul le poème, allusivement, y parviendrait, ou mieux encore un groupe de poèmes assez vaste pour qu’un climat poétique ait le temps de naître et de rayonner. Ces poèmes existent. Si la poésie souffrait d’être traduite, avec quelle joie nous tenterions de transcrire ici les lieds de la Belle Meunière, ceux du moins où parait le thème des fleurs – si tragiquement lié au thème de l’amour triomphant et bafoué, puis à celui e la mort ! Comme Schubert, dont la musique a rendu ses vers célèbres, Wilhelm Müller est capable de tout. Il est aussi de ceux qui n’en font qu’à leur cœur, et le cœur ne se tait point au long de ses chansons.
Les Fleurs et les saisons – Edit. La Dogana, 2003 – Langage des fleurs, p. 11 à 15.
Le poète Wilhelm Müller auquel fait allusion Gustave Roud à la fin de son texte est un un poète allemand auteur de nombreux textes à l’époque romantique. Il est surtout connu pour ses textes utilisés par Franz Schubert pour la composition de ses lieder (La Belle Meunière, Voyage d’hiver). Schubert a découvert « La Belle Meunière » en 1823, à l’âge de 26 ans, 5 ans avant sa mort. Il est si enthousiasmé par cette œuvre que l’année même de sa découverte, il choisit 20 des poèmes parmi le cycle de 25 écrit par Müller et les met en musique. Ces poèmes racontent l’histoire d’un jeune meunier qui, ayant terminé son apprentissage, quitte son maître et s’en va chercher sa première place. En descendant le cours d’un ruisseau, il arrive à un moulin et la fille du meunier, « Die schöne Müllerin », retient tout de suite son attention… Par chance, le meunier lui donne du travail auprès de cette aimable figure, et voila notre jeune homme tombant amoureux de la jeune fille. Après les incertitudes et les angoisses propres à l’amoureux, la belle meunière cède à ses avances, mais le bonheur sera de courte durée : un chasseur passant par là va attirer le regard de la jeune fille fille volage qui s’éprendra de lui et abandonnera notre apprenti meunier en proie à la jalousie et à la colère. Malgré cette trahison, le jeune homme ne parviendra pas à la haïre et lui pardonnera comprenant que l’amour éternel est impossible. Désespéré, le meunier va se promener le long le ruisseau devenu son fidèle ami et seul ami et confident.
On comprend, au récit de cette histoire, pourquoi elle a autant séduit Gustave Roud qui y retrouvait les signes de sa propre désespérance et de la consolation que la Nature lui apportait. L’auteur connaissait les romantiques allemands et maîtrisait parfaitement la langue allemande pour avoir réalisé une traduction par ailleurs remarquée de Novalis. Bien que Roud déclare dans son texte que la poésie de Müller est « intraduisible » nous présentons ci-après la traduction française de trois des lieds mis en musique par Schubert dans lesquels il est question de fleurs. Nous ignorons le le nom du traducteur.
Wilhelm Müller (1794-1827) et Franz Schubert (1797-1828)
Die schöne Müllerin
8-Morgengruss (Bonjour du matin)
Bonjour, belle meunière ! Eh ! Pourquoi tourne-tu la tête, Est-ce mon bonjour qui te fâche ? Est-ce mon regard qui te trouble ? Alors, faut-il que je m’en aille ? Ô laisse-moi regarder ta fenêtre De loin, rien que de loin, Pour voir tes cheveux blonds A la porte, comme une étoile du matin Fleurs engourdies par la rosée, Que craigniez-vous du soleil ? La nuit a été si douce que vous en pleuriez ? Levez le voile de vos rêves Et offrez-vous, rieuses, au matin divin. L’alouette grisolle là-haut, Et du fond du coeur jaillissent souffrance et peine
°°°
8-Morgengruss
Guten Morgen, schöne Müllerin! Wo steckst du gleich das Köpfchen hin, Als wär dir was geschehen? Verdrießt dich denn mein Gruß so Schwer? Verstört dich denn mein Blick so sehr? So muß ich wieder gehen.
O laß mich nur von ferne stehn, Nach deinem lieben Fenster sehn, Von Ferne, ganz von ferne! Du blondes Köpfchen, komm hervor! Hervor aus eurem runden Tor, Ihr blauen Morgensterne!
Ihr schlummertrunknen Äugelein, Ihr taubetrübten Blümelein, Was scheuet ihr die Sonne? Hat es die Nacht so gut gemeint, Daß ihr euch schließt und bückt und weint Nach ihrer stillen Wonne?
Nun schüttelt ab der Träume Flor Und hebt euch und Frisch und frei empor In Gottes hellen Morgen! Die Lerche wirbelt in der Luft, Und aus dem tiefen Herzen ruft Die Liebe Leid und Sorgen.
°°°
Morgengruß de Schubert’s (Die schöne Müllerin) – Bariton : Olaf Bär, piano : Geoffrey Parsons, 1986. Ce lied est celui que je préfère parmi ceux de la série composée par Schubert. J’ai choisi l’interprétation du baryton allemand Olaf Bär que je préfère à celle de Dietrich Fisher-Dieskau.
°°°
9- Des Müllers Blumen (Les fleurs du meunier)
Fleurettes aux yeux bleus et brillants Au bord du ruisseau cher au meunier. Vous brillez comme les yeux de ma bien-aimée. Juste sous sa fenêtre, je vous planterai. Dans le calme de la nuit, vous l’appellerez Et dans son rêve, vous lui chuchoterez : «Ne m’oublie pas, ne m’oublie pas !» Et au matin, quand elle ouvrira la fenêtre, Jetez-lui un regard amoureux. La rosée dans vos yeux sera mes larmes.
°°°
10- Tränenregen (Pluie de larmes)
Assis tous les deux au bord du ruisseau, Nous contemplons ses eaux vives. La lune s’est levée,et après elle les étoiles Dans le miroir d’argent, je ne vois ni lune ni étoiles Mais seulement son image et ses yeux. Elle lève la tête et regarde les fleurs bleues Le ciel tout entier sombre dans le ruisseau Et m’appelle dans sa profondeur : «Ami, ami, suis-moi !» Alors mes larmes perlent, et rident le miroir. Elle dit : «Il va pleuvoir ! Adieu ! Je rentre à la maison.»
Troisième jour que le dernier Charlie Hebdo est en vente et toujours impossible à acheter. Les exemplaires livrés s’arrachent dés les premières minutes de la livraison. Hier, j’avais un rendez-vous à 8 h du matin et me suis trouvé en m’y rendant à 7 h 30 devant un bureau de tabac vendeur de journaux et bien même à cette heure matinale celui-ci venait d’être totalement dévalisé ! Il faudra donc encore patienter pour le découvrir… Idem pour le numéro spécial du Courrier International consacré à l’affaire. L’attente est telle que le nouveau Charlie Hebdo sera finalement imprimé à 7 millions d’exemplaires avec livraison étalée sur plusieurs journées. Du jamais vu ! le journal ne tirait avant cela qu’à 30.000 exemplaires. Ces cons voulaient « tuer » Charlie Hebdo, ils n’auront réussi qu’à remplacer une diffusion discrétionnaire par une diffusion massive et planétaire… L’inverse du résultat escompté.
Associated Press et Sipa, photographe Laurent Cipriani
agence Divergence Images, photographe Martin Argyroglo
Eugène Delacroix – la liberté guidant le peuple (LesTrois Glorieuses), 1830
La Liberté guidant le peuple est une huile sur toile d’Eugène Delacroix réalisée en 1830 fait référence au soulèvement populaire des Trois Glorieuses qui au cours des journées des journées des 27, 28 et 29 juillet 1830 a chassé le roi Charles X qui voulait museler les libertés et en particulier celle de la presse. Par son aspect allégorique et sa portée politique, elle a été souvent choisie comme symbole de la République française ou de la démocratie. Elle est exposée au musée du Louvre.
Scarborough Fair est une chanson traditionnelle anglaise qui date de la fin du Moyen Âge. Scarborough était alors un port important (en particulier au xve siècle), et un lieu de rencontre pour les marchands qui y venaient de toute l’Angleterre pour participer à une célèbre foire qui s’y tenait du 15 août au 30 septembre. A l’heure actuelle plus de 1000 versions différentes de la chanson ont été enregistrées. Dans la chanson un homme demande à un autre de dire à une femme qu’il avait aimée autrefois (She was once a true love of mine) de réaliser quantités de choses impossible à faire. Ainsi, on sait qu’il est impossible de réaliser une chemise de batiste sans couture, impossible de trouver un acre de terre situé entre la mer et le sable, puisqu’entre la mer et le sable il n’ y a rien et que l’on ne peut y récolter quelque chose puisque rien ne pousse dans l’eau salée. Si la jeune femme parvenait à réaliser toutes ces taches, cela signifierait qu’elle serait son vrai amour mais comme cela est impossible, elle ne peut l’être. Malgré cela, il ne peut la blâmer car l’amour éternel que les amants souhaitent si ardemment ne peut exister. Dans d’autres versions, c’est la femme qui confie à l’homme des taches impossible à réaliser. Toutes ces versions exprime l’idée que malgré le fait que les amants nourrissent tous deux la même aspiration, la vie ruinera inexorablement leur amour. Il n’en reste pas moins que même si ils ne s’aiment plus, il reste au fond de leur cœur et de leur âme une nostalgie de cet amour passé et une affection l’un pour l’autre.
Dans la chanson, les herbes telles que le persil, la sauge, le romarin et le thym, citées à plusieurs reprises ont une présence symbolique forte et avaient pour les auditeurs de l’époque des significations bien précises, elles symbolisaient les vertus que le chanteur souhaitait avoir et celles qu’il espérait trouver chez sa bien-aimée, des vertus qui leur permettraient de se retrouver.
Le persil : le persil a longtemps été associé à la mort, depuis que les Grecs l’utilisaient lors des cérémonies funéraires, puisqu’ils croyaient que cette plante poussait seulement là où le sang du jeune Archémore fut répandu lorsqu’il fut tué par un serpent.
La sauge : autrefois, on associait la plante avec l’immortalité et la longévité.
Le romarin : au Moyen Âge, les gens plaçaient des tiges sous leur oreiller pour éloigner les mauvais esprits et les mauvais rêves.
Le thym : symbole de courage, d’élégance et de style.
°°°
une belle interprétation de Carly Simon
°°°
Une première version
Are you going to Scarborough Fair? Parsley, sage, rosemary, and thyme, Remember me to one that lives there, For once she was a true love of mine.
Tell her to make me a cambric shirt, Parsley, sage, rosemary, and thyme, Without any seam or needlework, And then she’ll be a true love of mine.
Tell her to wash it in yonder dry well, Parsley, sage, rosemary, and thyme, Where water ne’er sprung, nor drop of rain fell, And then she’ll be a rue love of mine.
Tell her to dry it on yonder thorn, Parsley, sage, rosemary, and thyme, Which never bore blossom since Adam was born, And then she’ll be a true love of mine.
O, will you find me an acre of land, Parsley, sage, rosemary, and thyme, Between the sea foam and the sea sand, Or never be a true lover of mine.
O, will you plough it with a lamb’s horn, Parsley, sage, rosemary, and thyme, And to sow it all over with one peppercorn, Or never be a true lover of mine.
O, will you reap it with a sickle of leather, Parsley, sage, rosemary, and thyme, And tie it all up with a peacock’s feather, Or never be a true lover of mine.
And when you have done and finished your work, Parsley, sage, rosemary, and thyme, Then come to me for your cambric shirt, And you shall be a true love of mine.
°°°
Une seconde version de la chanson et sa traduction
Anglais
Français
Are you going to Scarborough Fair?
Parsley, sage, rosemary and thyme,
Remember me to one who lives there,
She once was a true love of mine.
Tell her to make me a cambric shirt, Parsley, sage, rosemary and thyme, Without no seam nor needle work, Then she’ll be a true love of mine.
Tell her to find me an acre of land, Parsley, sage, rosemary and thyme, Between the salt water and the sea strand, Then she’ll be a true love of mine.
Tell her to reap it with a sickle of leather, Parsley, sage, rosemary and thyme, And to gather it all in a bunch of heather, Then she’ll be a true love of mine.
Are you going to Scarborough fair? Parsley, sage, rosemary and thyme, Remember me to one who lives there, She once was a true love of mine.
Allez-vous à la foire de Scarborough ? Persil, sauge, romarin et thym, Parlez de moi à quelqu’un qui vit là-bas, Elle fut autrefois mon grand amour.
Qu’elle me confectionne une chemise de batiste, Persil, sauge, romarin et thym, Sans couture ni travaux d’aiguille, Et là, elle sera mon grand amour.
Qu’elle me trouve un acre de terre, Persil, sauge, romarin et thym, Entre l’eau salée et le rivage, Et là, elle sera mon grand amour
Qu’elle le moissonne avec une faucille de cuir, Persil, sauge, romarin et thym, Et lie sa moisson d’une brassée de bruyère, Et là, elle sera mon grand amour.
Allez-vous à la foire de Scarborough ? Persil, sauge, romarin et thym, Parlez de moi à quelqu’un qui vit là-bas, Elle fut autrefois mon grand amour.
Are you going to scarborough fair? Parsley, sage, rosemary and thyme remember me to one who lives there for once she was a true love of mine
Have her make me a cambric shirt parsley, sage, rosemary and thyme without no seam nor fine needle work and then she’ll be a true love of mine
Tell her to weave it in a sycamore wood lane parsley, sage, rosemary and thyme and gather it all with a basket of flowers and then she’ll be a true love of mine
Have her wash it in yonder dry well parsley, sage, rosemary and thyme where water ne’er sprung nor drop of rain fell and then she’ll be a true love of mine
Have her find me an acre of land parsley, sage, rosemary and thyme between the sea foam and over the sand and then she’ll be a true love of mine
Plow the land with the horn of a lamb parsley, sage, rosemary and thyme then sow some seeds from north of the dam and then she’ll be a true love of mine
Tell her to reap it with a sickle of leather parsley, sage, rosemary and thyme and gather it all in a bunch of heather and then she’ll be a true love of mine
If she tells me she can’t, i’ll reply parsley, sage, rosemary and thyme let me know that at least she will try and then she’ll be a true love of mine
Love imposes impossible tasks parsley, sage, rosemary and thyme though not more than any heart asks and i must know she’s a true love of mine
>parsley, sage, rosemary and thyme come to me, my hand for to ask for thou then art a true love of mine
Et la version inoubliable interprété par Simon et Garfunkel dans l’album The Graduate (1968) – label Columbia
Are you going to Scarborough Fair Partez-vous pour la foire de Scarborough Parsley, sage, rosemary and thyme Persil, sauge, romarin et thym Remember me to one who lives there Parlez de moi à quelqu’un qui vit là-bas, She once was a true love of mine Elle fut, un temps, mon grand amour.
Tell her to make me a cambric shirt Qu’elle me confectionne une chemise de batiste (On the side of a hill in the deep forest green) (au flanc d’une colline, dans vert profond de la forêt) Parsley, sage, rosemary and thyme Persil, sauge, romarin et thym (tracing of sparrow on snow-crested ground) (traces de passereau sur le sol étoilé de neige) Without no seams nor needle work Sans couture ni travaux d’aiguilles, (blankets and bedclothes the child of mountain) (couvertures et draps, l’enfant de la montagne) Then she’ll be a true love of mine Et là, elle sera mon grand amour (sleeps unaware of the clarion call) (dort en ignorant l’appel du clairon)
Tell her to find me an acre of land Qu’elle me trouve un acre de terre, (On the side of a hill in the deep forest green) (au flanc d’une colline, une cascade de feuillage) Parsley, sage, rosemary and thyme Persil, sauge, romarin et thym (Washes the grave with silvery tears) (lave la terre de tant de larmes) Between the salt water and the sea strand Entre l’eau salée et le rivage (A soldier cleans and polishes a gun) (Un soldat nettoie et polit un fusil) Then she’ll be a true love of mine Et là, elle sera mon grand amour
Tell her to reap it with a sickle of leather Qu’elle le moissonne avec une faucille de cuir, (War bellows lazing in scarlet battalions) les clameurs de guerre flamboient en bataillons écarlates) Parsley, sage, rosemary and thyme Persil, sauge, romarin et thym (Generals order their soldiers to kill) (les généraux ordonnent aux soldats de tuer) And to gather it all in a bunch of heather Et lie sa moisson d’une brassée de bruyère (And to fight for a cause they’ve long ago forgotten) Et de se battre pour une cause depuis longtemps oubliée Then she’ll be a true love of mine Et là, elle sera mon grand amour
Are you going to Scarborough Fair Partez-vous pour la foire de Scarborough Parsley, sage, rosemary and thyme Persil, sauge, romarin et thym Remember me to one who lives there Parlez de moi à quelqu’un qui vit là-bas, She once was a true love of mine Elle fut, un temps, mon grand amour.
°°°
Et une étonnante interprétation A Capella de Peter Hollens
photo Gustave Roud. Monnéaz à Palézieux, ferme d’André Ramseyer
°°°
Orphée bleu par Maurice Chappaz
Il ne bougeait pas. Il est sentinelle dans la pénombre d’une ferme, les pieds enfoncés dans le verger, les yeux creusés et tendres, frissonnant de pensées comme des fourmis qui montent le long des cuisses. Tu appelles des fleurs, des bêtes, tu cries comme l’agneau quand le boucher, le tueur des petits villages lui perce la gorge et toute la nature sent que tu as pitié d’elle : les biches viennent, les martres, les belettes, toute la lyre (1) sauvage, la longue racine de cris et de plaintes qui part de dessous les aiguilles de sapins; les collines ont leurs plaies, des ravins s’élance une supplication, tu est là; ils t’écoutent le mulot écrasé, les papillons veloutés et pâles, miettes nocturnes qui s’effacent dans les arbres et se cognent à la lampe du carrefour, les marguerites blanches de sang humain, de ton agonie quand l’esprit est désespéré; tous les êtres s’assemblent, les campanules folles de vent, la chevêche (2) de minuit, la jaillissante alouette chère aux crucifiés (3). Moi aussi je suis venu. J’ai rencontré les hauts platanes aveugles qui balbutient au-dessus des cimetières. Harassé, brisé. Combien de fois ne me suis-je pas rassasié dans la demeure de Carrouge (4) des quatre gâteaux au vin, au fromage, aux pommes et aux épices de cumin et n’ai-je pas laissé mon cigare s’éteindre dans la nuit. On a la foi et puis on ne l’a plus et puis on l’a encore. Des chats à la queue grise ou brasillés (5)d’orange guettaient les miettes. Il m’a donné une pipe en terre Gambier (6), au bout du tuyau une griffe de coq serre un œuf. Je l’ai vue roussir en la fumant. Il accueille la mordante adolescence des poètes. Il est entouré de jeunes cavaliers et des larges et pensifs valets de ferme. Sur sa cheminée, il y a leurs photos torses nus. Hommes qui ont des bustes comme des fontaines, qui ont une source dans la poitrine. on dit qu’il les aime (7). Mais dans les paysans sous le hâle vous découvrez le flux insaisissable, votre vraie présence, notée, résine et larme des gris cerisiers; tenez-les pour picorer une étoile comme un grain de raisin vert. Le vent rase les grandes sapinières. Les muets hommes du monde dorment. Cet ami soupire après les forts et gras meuniers, aux moustaches mélancoliques, au cou enfariné, le bouvreuils d’hiver, les mendiants des passades plus faibles, plus tristes que les animaux estropiés. Il est leur messager non à cause des soucis quotidiens mais parce qu’il pense à leur mort. Chez les laboureurs au lourd soc qui raclent les terres sous les nuages et chez les bûcherons, chapeaux tachés de poix, saouls de jonquilles, il part travailler, il part errer. Ceux-ci ont au au poing le râteau ou ont cueilli un orchis pareil à la toison d’une femme; voyez les chars-à-bancs bleus voyageant, le vent du pays vous attrape aux épaules, le vent qui jaunit les blés et sort du Mont Jorat. Il fait ses emplettes la nuit. Il n’a pas voulu de famille : un cigare songe à lui dans les auberges rempli de salive amère, et les faux pendues dans les granges qui attendent, luisantes et fraîches, Messieurs les coupeurs de froment et sa tête qui étudié trop vorace d’absolu, le cou nimbé par la lampe durant le long, nocturne hiver. Hostie. Soleil surgi. O maître des villages du rosier-mousse, je tente de percer ton secret. Ma propre différence m’a perdu; je me suis réfugié en vain chez les géomètres, j’ai connu une autre solitude. Je renifle la neige et le fumier et les creux pleins de froid de ces collines. Les prés verts sucent les forêts noires. Je sens la folie de l’âme. Voilà cet ami que j’ai été voir, il y a vingt ans. Il est dans l’ombre en train de faire semblant d’être un homme. Il a l’abeille du langage à son front. Il se redresse sous l’auvent, près de la batteuse et de la fontaine, renonçant à sa propre existence, modeste d’une façon très rusée. Il appuie ses yeux gris sur nous. Toujours s’effacent les strates de notre randonnée; qui sait encore les distinguer un jour après l’autre ? Il le retrouve de ses yeux pourris de nuit. Il descends dans le sommeil d’autrui. Il va au fond des ténèbres. Il cherche. Temps de carême couleur d’anémones. Les fermes naviguent à travers le plateau des vents. Les domestiques du dimanche regardent les froments commençant de boucler, leurs cils très frais. Des colporteurs ivres sont couchés contre un talus; d’une fumée de broussailles un petite rousserolle a fui apeurée. Nous vivons révoltés et paisibles sans l’offrande intérieure. Pourquoi souffrons-nous ? Il murmure la grande litanie fraternelle, ses mains portent les stigmates d’une sauge. La grande fièvre, le paradis, par delà nos misères la vieille vérité de la campagne, sa sainteté naturelle : il l’a crié et c’est tellement ces villages que ce n’est plus eux. Ainsi il répond à toutes les créatures qui gémissent leur rapide printemps au bord des routes dallées entre le Jura bleu et la blanche Savoie.
Maurice Chappaz : Préface au recueil de Gustave Roud, « Halte en juin » – édit. FATA MORGANA
°°°
Gustave Roud sur un chemin du Jorat
Gustave Roud et Maurice Chappaz étaient tous deux des solitaires, mais alors que Maurice Chappaz, fringant et passionné, meublait sa solitude par de ses nombreuses occupations professionnelles, ses multiples voyages à travers le monde et son amour des femmes, Gustave Roud, son aîné, le cœur taciturne, s’est accroché telle une huitre sur le rocher de la ferme familiale, dans le petit village de Carrouge, situé sur le plateau du Jorat au-dessus de Lausanne où il s’est attaché à décrire avec amour et sensibilité les paysages, ses amis paysans et les travaux des champs. Ses seuls voyages étaient les longues promenades qu’ils menait sur les sentier du Jorat et ses seuls amours étaient ceux qu’il portait, sans espérance de partage et de retour, à certains de ses amis paysans qu’il photographiait, torses nus et brillants de sueur, les muscles saillants sous le soleil des moissons. C’était à une époque ou l’homosexualité était considérée, dans ce milieu rural protestant bien-pensant qu’était alors le pays de Vaud, comme un péché, une perversion ou une maladie. Il aura porté toute sa vie ce qu’il appelait sa « différence » comme une croix. Le texte ci-dessus a été écrit par Maurice Chappaz en préface au recueil réunissant des textes de Roud écrits dans les années 30/40 « Halte en Juin » dans lesquels l’écrivain nous fait part de son expérience poétique et métaphysique de marcheur des « campagnes perdues ».
Gustave Roud et Maurice Chappaz lors d’une séance de signature chez Payot en mars 1968
Gérard Brocholier dans la Nouvelle Revue Française, n° 583 en décembre 1994 apporte un éclairage sur la nature des liens qui unissaient les deux poètes avec la région du Jorat et sur l’ambivalence de Chappaz chez qui il relève une double aspiration au vagabondage et à l’enracinement.
« C’est bien la solitude, en définitive, qui fait que Roud et Chappaz se reconnaissent l’un en l’autre, son goût de cendre et d’absence qui pousse Roud à garder la maison et Chappaz à tenter toujours de nouveaux départs. Maurice Chappaz trouve sa joie dans un paradis à la dimension des paysages du Jorat qu’il parcourt à pied le plus souvent. (…) Le lieu qu’il recherche est sans doute inaccessible, de nature et de poésie, vierge et peuplé de paysans tout à la fois. Roud est attaché à Aimé, l’être unique, moissonneur sublime, peut-être réel, peut-être idéal. Chappaz, lui, rêve d’un monde fraternel où les paysans l’accueilleraient comme l’un des leurs ».
photo Gustave Roud, vers 1940
Quand au style magnifique de Chappaz dont cette préface est un exemple, la meilleure description que j’ai pu trouver est l’éloge que le poète Alain Bosquet en a fait dans la revue Ecriture 27 en 1986.
« Des mots qui se chamaillent, des verbes qui font des trous dans le poème, des phrases qui roulent et puis s’arrêtent net, des soupirs qui explosent, des dictons qui mettent la logique en rang d’oignon mais lui donnent le coup de pied de l’âne, des syllabes minérales, des caresses dans chaque voyelle prête pour la gifle, des consonnes à blesser l’âme et la peau, des images comme on cuit du pain jusqu’à la brûlure, des litotes à trébucher, des échos à fendre l’azur, des refrains à rebrousse-poil et dans chaque jambage comme la vérité toute nue sur le sein de la femme en gésine : c’est une humanité que je trouve chez Maurice Chappaz ».
Maurice Chappaz est un écrivain et poète suisse né en décembre 1916 à Lausanne. Issu d’une famille d’avocats, de notaires et de responsables politiques, il passe son enfance entre Martigny et l’abbaye du Châble grandissant au sein d’une communauté rurale (le Valais d’avant-guerre) fruste mais heureuse figée dans le temps. Après des études gymnasiales au collège de Saint-Maurice, il s’inscrit en faculté de droit à l’Université de Lausanne (1938-1940) et fréquente dans le même temps les cours de Marcel Raymond à la Faculté de lettres de l’Université de Genève. Maurice Chappaz publie son premier texte, Un homme qui vivait couché sur un banc, en décembre 1939 mais la guerre l’oblige à arrêter ses études et, en 1947, il épouse Corinna Bille, elle-même écrivain et fille du peintre suisse Edmond Bille avec laquelle il mènera longtemps une vie de bohème. Trois enfants naîtront de cette union. la famille s’établira à Veyras, près de Sierre, jusqu’à la mort de Corinna Bille en 1979. Maurice Chappaz reviendra alors au Châble où il s’installera dans un manoir rustique. Sans profession régulière et désireux de se consacrer à l’écriture, Chappaz sera correspondant occasionnel de presse, gestionnaire du domaine viticole de son oncle en Valais. Très tôt il fait connaissance de Gustave Roud et de Charles-Ferdinand Ramuz. Alpiniste, vigneron, grand voyageur, il aura passé sa vie à concilier nature et littérature, errance et attachement au terroir avec les accents de la pastorale antique (on lui doit une magnifique traduction de Virgile). Poète des montagnes, à la fois un homme hostile au progrès et un ardent défenseur de la nature, il a écrit deux livres violents : Le match Valais-Judée (1968) et le pamphlet Les maquereaux des cimes blanches (1976) où il dénonce la civilisation des affairistes. Des textes accusateurs qui provoquent une campagne de presse d’une violence inouïe et l’hostilité à son égard d’une partie des valaisans. Il écrira également Le Valais au gosier de grive (1960), le Chant de la Grande Dixence (écrit dès 1959, publié en 1965), Le portrait des Valaisans (1965), Office des Morts (écrit en 1963, publié en 1966), Tendres Campagnes (écrit en 1962, publié en 1966), L’aventure de Chandolin (1983), Évangile selon Judas (2001)… En 1985, l’Etat du Valais lui décerne son Grand Prix en «reconnaissance pour les avertissements précieux». Il reçoit également le Grand Prix Schiller en 1997 pour l’ensemble de son oeuvre.Il s’éteint à Martigny en 2009
la lyre sauvage : Orphée savait par les accents de sa lyre charmer les animaux sauvages et parvenait à émouvoir les êtres inanimés
la chevêche : La Chevêche d’Athéna ou Chouette chevêche (Athene noctua) est une espèce d’oiseau de la famille des strigidés de petite taille à l’aspect trapu. C’est la plus diurne des strigidés, malgré son nom latin (Athene noctua). Dans l’Antiquité grecque, la Chevêche d’Athéna était l’attribut d’Athéna, déesse de la Sagesse.
la jaillissante alouette chère aux crucifiés: par sa façon de s’élever très rapidement dans le ciel, tel un « jaillissement », puis au contraire de se laisser tomber comme une pierre, l’alouette symbolise l’union du terrestre et du céleste. Les théologiens mystiques son chant évoque la prière claire et joyeuse qui monte vers les cieux. Dans l’Amour de Dieu, St François de Sales décrit l’alouette ravie dans les airs par l’éclat du soleil élevant à la fois son vol et sa voix qui s’épure et se développe au fur et à mesure qu’elle monte jusqu’au moment où, reconnaissant l’essence divine, elle descend petit à petit de ton et de corps avant de reprendre son chant et son ascension.
Carrouge : petit village du Jorat, dans le canton de Vaud, situé au-dessus de lausanne où le poète Gustave Roud a vécu en solitaire toute sa vie dans la ferme familiale.
maison du poète vaudois Gustave Roud à Carrouge (VD)
brasiller : faire griller sur la braise – scintiller, resplendir comme de la braise.
pipes Gambier : La Maison Gambier est une fabrique de pipes en terre moulée, située à Givet, dans les Ardennes fondée à la fin du XVIIIe siècle et fermée en 1926. De 1826 à 1926, on estime que 2 milliards de pipes auraient été produite par cette société.
photos de Gustave Roud : Indissociable de son œuvre poétique, les photographies de Gustave Roud traitent de l’histoire quotidienne du Canton de Vaud entre 1915 et 1970 : Travaux des champs et vie rurale; paysages du Jorat et de la Broye ainsi que les photos de ses amis intellectuels qui lui rendaient visite (René Auberjonois, Georges Borgeaud, Maurice Chappaz, Jacques Chessex, Philippe Jaccottet, C.F. Ramuz, Steven-Pal Robert). De nombreuses photos montrent ses amis paysans torses nus. Gustave Roud faisait pudiquement allusion à son homosexualité non assumée en la qualifiant de « différence » qui le séparait des autres hommes.
photo Gustave Roud, vers 1945
« Sur sa cheminée, il y a leurs photos torses nus. Hommes qui ont des bustes comme des fontaines, qui ont une source dans la poitrine. »
Gustave Roud – Les foins, Terre d’ombres, 1915-1965 itinéraire photographique de G. Roud , éditions Slatkine (2002) – détail