L’esprit des lieux – Edimbourg au XVIIIe siècle : (I) – « Auld Reekie » (la vieille enfumée)

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Edimburgh

Edimbourg – la « Old Town » vue de Carlton Hill (ci-dessus) et de Princes Street (ci-dessous)

Edimbourg - la

Edinburgh_from_Scott_Monument - photo Oliver-Bonjoch

Edimbourg – la « Old Town » vue du sommet du monument à Walter Scott avec le château à droite et Princes Street à gauche. Au premier plan la gare (crédit Wikipedia – Oliver-Bonjoch)

     La semaine qui précède Noël n’est pas la période la plus appropriée pour visiter Edimbourg. Les artères du centre de la grande ville du nord, tout comme celles de ses consœurs du reste de la Grande-Bretagne, apparaissent alors comme investies par des hordes humaines trépidantes qui se ruent à l’assaut des magasins. La meilleure technique pour remonter le flux humain est d’utiliser la technique des kayakistes qui utilisent les contre-courants générés par les tourbillons en bordure des rives des cours d’eau. Effectivement en bordure de chaussée il y a moins de monde et l’on peut se faufiler. Un journal rapportait que durant la journée du samedi précédant Noël, surnommé à bon escient « the panic saturday » un milliard et demi de livres échappées des coffres des banques y étaient revenues après avoir goûté l’air des Mains streets du royaume. Cette journée n’est pourtant que le point d’orgue d’une vague de frénésie d’achats et de consommation dont le coup d’envoi a été donné dés septembre. A Edimbourg, la Main street a pour nom Princes street, cette grande voie rectiligne qui marque la limite entre la Old Town (Auld Toun en dialecte Scots) la ville ancienne qui dresse sa silhouette fantastique sur la ligne de crête de l’ancien volcan au sommet duquel elle est bâtie et la New Town qui est une ville nouvelle bâtie au milieu du XVIIIe pour désengorger la ville ancienne et répondre à la forte expansion économique et démographique qui a suivi la fusion prononcée en 1707 des deux royaumes d’Ecosse et d’Angleterre jusque là séparés. C’est le long de cette voie que se succèdent les grands magasins tels que Jenners, Marks & Spencers, British Home Stores, House of Fraser et Debenhams. Cette voie aurait du primitivement s’appeler Saint Gilles Street, du nom du saint patron de la ville, mais a finalement pris le nom de Princes Street en hommage aux deux fils de George III, le monarque régnant alors sur la Grande Bretagne. La rue s’intégrait à un projet d’urbanisme ambitieux qui projetait de réaliser un nouveau quartier sur les terres jusque là agricoles s’étendant au nord de la ville.

Princes Street à Edimbourg - vue du Scott Monument en 1950 , crédit Norward Inglis and Barbara Simpson

La Princes Street à Edimbourg en 1950 – vue du sommet du monument érigé en l’honneur de Walter Scott. Le bâtiment à colonnade est la National Gallery of Scotland, bâtie sur le « Mound », la colline artificielle créée sur l’ancien Loch Nor avec les déblais provenant des terrassements de la New Town. On distingue sur la gauche au somment de la falaise les fortifications de la Old Town. (crédit photos Norward Inglis and Barbara Simpson).

John Rocque - plan de la Olde Town d'Edimbourg et le North Loch en 1764

John Rocque – plan de la Old Town d’Edimbourg et le North Loch en 1764

edinburgh, 2010 - photo EWA

Edimbourg : l’Old Town avec en arrière plan la colline du Arthur’s Seat décrite par Robert Louis Stevenson comme « une colline pour la hauteur, une montagne pour sa configuration audacieuse ».

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–––– Edimbourg, « l’Auld Reekie » –––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––

     « Auld Reekie » (« la vieille enfumée »), voici comment ses habitants surnommaient affectueusement dans le passé en dialecte scots, la ville d’Edimbourg, capitale de l’Ecosse, pour se plaindre du nuage de fumées noires et malodorantes qui la recouvrait et rendait l’air irrespirable. Cette pollution était générée par l’immense forêt des cheminées des foyers au charbon qui hérissaient les toits de la « Old Town ».

Edimbourg - Auld Reekie - source : Morton HV

Edimbourg en 1929 – « Auld Reekie » – source : Morton HV « In Search of Scotland »

     Dans la première moitié du XVIIIe siècle, Edimbourg était l’une des villes les plus densément peuplées d’Europe. Daniel Defoe, le futur auteur de Robinson Crusoé, qui avait entrepris en 1707, l’année de la fusion entre les couronnes d’Angleterre et d’Ecosse, un Tour des Îles britanniques décrivait ainsi la situation :  « Il n’existe pas dans le monde de villes dans lesquelles autant de gens ont à leur disposition si peu de place ». La ville ne comptait alors pourtant qu’un peu moins de 60.000 habitants, elle en comptera 70.000   en 1775, 83.000 en 1791 (dont 22.500 dans la vieille ville) et 162.400 en 1831. La ville avait de temps étouffé à l’intérieur de son périmètre défensif hérité du temps de l’indépendance de l’Ecosse et constitué par les Flodden et Telfer Murs, les murailles chargées de la protéger contre une éventuelle invasion anglaise. Les terrains disponibles pour la construction étaient restreints et la ville n’avait comme seule ressource pour se développer que de bâtir en hauteur. C’est ainsi que les bâtiments de 11 étages étaient courants et que certaines bâtisses atteignaient même 14 étages – une version ancienne du gratte-ciel d’aujourd’hui – Ces immenses constructions d’allure moyenâgeuse qui développaient leurs niveaux souvent construits de bric et de de broc en porte-à-faux au-dessus des ruelles étroites donnaient à la ville un caractère fantastique à l’image des cités Golum que le cinéma expressionniste exploitera plus tard.
   Avec la création et l’expansion de la New Town au XVIIIe siècle qui se poursuivra à l’époque victorienne, les immeubles autour du Royal Mile, la voie centrale qui structurait la Old Town, ont été abandonnés par les classes professionnelles aisées et n’ont plus été entretenues, tombant dans un état de décomposition croissante. Régulièrement des immeubles s’effondraient du fait de la mauvaise qualité de la construction et du manque d’entretien, ce fut le cas en  1867 avec l’effondrement d’un immeuble qui provoqua la mort de 35 personnes. et la municipalité avait du prendre un arrêté lui permettant de faire démolir les constructions jugées dangereuses. 
     Sur le plan de l’hygiène publique, la situation était catastrophique, la tuberculose faisait des ravages et les épidémies étaient fréquentes, notamment de choléra comme ce fut le cas en 1832, 1848 et 1868. Les sanitaires étaient à l’époque inexistants et l’une des silhouettes familières qui hantaient la ville était le « Wha’ wants me ? » (qui a besoin de moi ?), celle de l’homme qui portait une cuvette d’aisance accompagné d’une discrète tenture noire pour répondre aux besoins des passants. Pour les habitants des immeubles, le contenu des pots de chambres étaient le plus souvent jeté par les fenêtres dans les rues ou les arrières-cours avec comme seul avertissement préalable pour le passant malchanceux qui passait par là  le cri poussé de « Gardy loo ! », déformation du français « Prenez garde à l’eau ! ».  Les porcs, les moutons et à l’occasion quelques vaches erraient en liberté dans les rues. Le poète Thomas Gray présentait Edimbourg comme étant à la fois « la plus pittoresque et la plus répugnante des capitales »Un article du Builders Journal de 1861 relevait le caractère infâme atteints par certains secteurs d’Edimbourg : «Nous pensons sincèrement qu’il n’y a aucun lieu en Europe ou en Asie dont l’odeur peut égaler la densité, l’intensité, la concentration et la puissance maléfique de l’hydrogène sulfuré que nous ressentons le  soir vers dix heures dans l’endroit appelé Wynd de Todrick »

Edimbourg - maison du West-bow

Edimbourg – une maison dans le West-bow

–––– le grand incendie de la Old Town de 1824 –––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––

     En plus des risques de maladie causés par le manque d’hygiène et d’assainissement et d’effondrement des immeubles, la ville était régulièrement menacée par des incendies que la densité de construction et la présence de bois rendaient difficile à juguler. Cela a été le cas en 1700 et en 1824 où des pans entiers de la vieille ville se sont consumés.

David Octavius Hill - croquis sur le vif de la High Street en feu avec le clocher de la Cathédrale Saint Giles, 1824

David Octavius Hill – croquis sur le vif de la High Street en feu avec le clocher de la Cathédrale Saint Giles, 1824

    Le Grand Incendie de 1824 a été l’un des incendies les plus destructeurs de l’histoire de la ville. Il a commencé le lundi 15 Novembre 1824, et a duré cinq jours, avec deux grandes phases. la première phase s’est déclarée vers 22 heures le 15 Novembre 1824, dans l’atelier de gravure Kirkwood au deuxième niveau d’un immeuble de la Old Assembly Close, une ruelle étroite juste à côté de la High Street. En raison de l’étroitesse de la ruelle, l’incendie se est propagé rapidement aux bâtiments adjacents, touchant d’abord ceux à l’est de la Fishmarket Close et s’est diffusé ensuite le long des toits de la Royal Mile à cause de braises transportées par une brise sud-ouest. Vers minuit, quatre immeubles étaient en flammes et le feu avançait vers le Cowgate. Le Old Assembly Hall qui se trouvait au centre de l’incendie fut détruit durant la nuit. Le mardi 16 Novembre à midi, la flèche de l’église Tron Kirk a pris feu et du plomb fondu s’est déversé de son toit. À 22 heures, le mardi soir, un foyer secondaire se produisit dans les bâtiments situés au coin de la High Street et de la Parliament Close (rebaptisé Parliament Square après la reconstruction). Cet incendie a commencé au dernier étage d’un immeuble de onze étages surplombant la Cowgate. Cela a conduit certains à avancer l’hypothèse d’une punition divine et ou d’un incendie volontaire criminel. Les bâtiments sur le côté est de la Parliament Close ont commencés à se consumer. Les efforts ont porté sur la sauvegarde des Parliament Hall et Law Courts adjacents, et arrêter le feu bondissant à la cathédrale St Giles. Durant plus de de cinq heures le mercredi 19 Novembre, le feu a été décrit comme « grand et terrible ». Le bâtiment abritant l’Edinburgh Courant s’est effondré et le feu a continué de se étendre vers la Conn Close vers le Cowgate. Avec l’aide providentielle d’une averse de pluie, l’incendie a pu finalement être maîtrisé le mercredi soir, bien que de petites reprises soient apparues à plusieurs reprises jusqu’au vendredi 21 Novembre.

DO Colline (1802-1870) - Le Grand Incendie d'Edimbourg, 1824

DO Colline (1802-1870) – Le Grand Incendie d’Edimbourg, 1824

–––– la Old Town d’Edimbourg vu par les peintres –––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––

    On a peine à imaginer aujourd’hui la promiscuité qui régnaient dans ces immeubles surpeuplés et insalubres dont certains atteignaient 14 étages qui ressemblaient à des tours de Babel. Jusqu’à 15 familles s’entassaient dans ces immeubles dans des logements parfois sans fenêtres.
    Une des spécificités de la ville faisait que toute la société écossaise était représentée dans les immeubles d’habitation et se répartissait dans les étages selon leur rang.

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    In the flats of the lofty houses in wynds or facing the High Street the populace dwelt, who reached their various lodgings by the steep and narrow ‘scale’ staircases [stair-towers] which were really upright streets. On the same building lived families of all grades and classes, each in its flat in the same stair—the sweep and caddie in the cellars, poor mechanics in the garrets, while in the intermediate stories might live a noble, a lord of session, a doctor or city minister, a dowager countess, or writer; higher up, over their heads, lived shopkeepers, dancing masters or clerks. (Graham, H G (1906). The Social Life Of Scotland In The Eighteenth Century)
     Dans les appartements des hauts immeubles des « Wynds », ces venelles étroites, ou de High Street où la population habitait et rejoignait ses quartiers en empruntant des «scales» sorte d’escaliers aussi raides et étroits que  des escaliers de tours. vivaient des familles de toutes classes et conditions sociales qui partageaient le même escalier : ramoneur et valet dans les caves et les celliers, mécaniciens pauvres dans les mansardes, tandis que les étages intermédiaires pouvaient abriter un noble, un juge de la cour de justice , un médecin ou un ministre du culte, une comtesse douairière, ou un écrivain et qu’au-dessus de leurs têtes, vivaient des commerçants, des maîtres de danse ou des commis. (Trad. Enki)

    Un historien a émis l’hypothèse que ces conditions de vie si particulière à Edimbourg qui favorisaient l’interaction culturelle et sociale entre les différentes composantes de la société écossaise avaient pu jouer un rôle l’éclosion du siècle de « the Scottish Enlightenment », les Lumières écossaisesLa plupart de ces anciennes structures ont été démolies sous l’ère victorienne et remplacées par des constructions de plus faibles hauteur.

Painting showing, on the right, the entrance to Johnnie Dowie's, Libberton's Wynd, tavern which was frequented by Enlightenment figures such as David Hume, vers 1854

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Peinture montrant, sur la droite, l’entrée de la taverne Johnnie Dowie’s, Libberton’s Wynd, qui était fréquentée au XVIIIe siècle par des figures éminentes de l’ « Enlightenment écossais ».      Le tableau a été dessiné par G . Cattermole, et gravé par J.D. Harding vers 1854. La Libberton’s Wynd était une ruelle escarpée qui courait au bas de la colline de Lawnmarket à la Cowgate, à peu pr!s dans l’alignement du côté est de l’actuel pont George IV. La ruelle et le bâtiment disparurent lors de la réalisation du pont en 1834. Le fantôme de l’aubergiste Johnnie Dowie continue de hanter l’endroit qui avait été fréquenté par le poète Robert Burns durant son séjour à Edimbourg en 1786. le peintre Henry Raeburn, les poètes Robert Fergusson and Thomas Campbell, le philosophe David Hume, l’écrivain Christopher North, le collecteur de chansons David Herd et le brasseur Archibald Younger. Après la mort de Dowie en 1817, le nouveau propriétaire donna à la taverne  le nom de « Burns’ Tavern ».

dessins de James Drummond - Fountain Close à Edimbourg, 1877 et 1853

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Les deux illustrations ci-contre ont réalisées respectivement en 1877 (gravée par W. Ballingall) et 1853 par James Drummond, né dans l’ancienne maison de John Knox à Edimbourg, et qui devint curateur de la National Gallery en 1868. Elles représentent Fountain Close, une venelle caractéristiquede la old Town.

View of the Lawnmarket, Edinburgh, 1827 - attributed to Samuel Dukinfield Swarbreck, after drawings by John Wilson Ewbank, 1825

Vue du Lawnmarket à Edimbourg, 1827 – attribué à Samuel Dukinfield Swarbreck d’après un dessin de John Wilson Ewbank, 1825 

Les aquarelles de Louise Rayner (1832-1924)

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     Louise Ingram Rayner est une aquarelliste britannique. Elle est née à Matlock Bath dans le Derbyshire. Ses parents, Samuel et Ann Rayner étaient tous deux des artistes connus. Quatre des sœurs de Louise – Ann (« Nancy »), Margaret, Rose et Frances ainsi que son frère Richard étaient aussi des artistes. La famille déménagea à Londres en 1842 où Louise étudia la peinture tout d’abord avec son père et par la suite avec des artistes amis de la famille reconnus. À partir de 1860, cependant, elle se consacre à l’aquarelle.  On pense que c’est à l’automne 1860 / printemps 1861 qu’elle se rendit pour la première fois à Edimbourg. Elle voyagea beaucoup, peignant des scènes britanniques, durant les étés des années 1870 et 1880. Ses tableaux sont des scènes de rues peuplées détaillées et très pittoresques captant le caractère « olde worlde » des villages et villes britanniques de l’époque victorienne.

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–––– la Old Town d’Edimbourg vu par les photographes –––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––

les photographies de Thomas Keith (1827-1895)

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  Thomas Keith était un chirurgien écossais. Avec son frère aîné George Skene Keith qui avait également embrassé une profession médicale, il s’intéressait vivement aux techniques médicales d’avant-garde et à la photographie. La famille Keith connaissait bien le calotype, un procédé photographique inventé par William Henry Fox Talbot et breveté en 1841. Ce procédé, ancêtre de la photographie argentique moderne, permettait d’obtenir un négatif papier direct et donc la possibilité de reproduire des images positives par simple tirage contact. Il avait été utilisé par David Octavius Hill en 1843 pour un portrait du père de Thomas, le docteur Alexander Keith. Inspiré par les résultats obtenus par le stous premiers photographes qui utilisaient ce procédé tels que Hill et Adamson, Thomas Keith commença à s’intéresser à la photographie en amateur à partir de 1852. Il pratiquait son hobby en fin de journée après son travail médical et s’attachait à effectuer ses prises de vues entre 7 h et 16 h afin de bénéficier d’un maximum de luminosité. A l’été 1855, il se concentra à fixer des scènes de la ville d’Edimbourg et de ses environs immédiats. Trop accaparé par ses obligations médicales, ill interrompit son activité de photographe en 1857.

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