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En mars 1979, le poète suédois Tomas Tranströmer quitte le monde bruyant de ceux qui parlent pour ne rien dire pour une île couverte de neige où règne le silence. Sur l’immensité du sol immaculé, se profilent les traces du passage d’une bête… Pas un bruit mais un langage muet, celui de la nature et de la vie…
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Las de tous ceux qui viennent avec des mots,
des mots mais pas de langage,
je partis pour l’île recouverte de neige.
L’indomptable n’a pas de mots.
Ses pages blanches s’étalent dans tous les sens !
Je tombe sur les traces de pattes d’un cerf dans la neige.
Pas des mots, mais un langage.
Tranströmer – En mars – 79, Baltiques
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Dans son essai Requiem, le poète vaudois Gustave Roud est lui aussi mis en présence, une nuit, de traces d’animaux dans la neige. Elles aussi lui parlent mais l’âme inquiète et tourmentée du poète y voit le signe de la cruauté implacable de la nature avec ses traques, ses combats sanglants, ses famines, actions et comportements pareils à ceux des hommes. Ces hommes dont il a fui la société pour vivre dans le refuge d’une solitude qu’il a magnifié et idéalisé. Cette solitude qu’il veut parfaite, il l’assimile à cette neige pure et immaculée qui vient de tomber et que nul animal mu par ses besoins sanguinaires n’a encore foulé. Neige vierge qui peut être parfois marquée par le simple frôlement d’une aile d’oiseau. Pour le poète, l’oiseau, cet envoyé du ciel, n’a pas vocation à fouler le sol terrestre; la marque que son battement d’aile a laissé sur la neige vierge est comme une blessure, un stigmate, le signe d’une révélation possible qu’il appelle de ses vœux. Langage muet des signes : celui du dépassement de soi et de la transfiguration.
Non pas cette neige d’une nuit sous le pâle soleil rose, où le regard au lacs de mille signes déchiffre avec ennui les feintes, les chasses, les famines de tant de bêtes glacées ! Qu’ai-je à faire de ces traces trop pareilles à celles des hommes ? Elles s’en vont toute vers la tanière et vers le sang.
La neige a d’autres signes. Son épaule la plus pure, des oiseaux la blessent parfois d’un seul battement de plume. Je tremble devant ce sceau d’un autre monde. Ecoute-moi. Ma solitude est parfaite et pure comme la neige. Blesse-la des mêmes blessures. un battement de cœur, un sombre, et ce regard fermé se rouvrira peut-être sur ton ailleurs.
Gustave Roud, Requiem
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no language…?
Après avoir découvert un court extrait de Gustave Roud..;
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je viens d’élaborer cette « réponse », qui passe elle aussi par une sensation poétique…
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Tu peux voir le pays se dissoudre,
et se refermer une page blanche,
C’est comme si rien n’avait existé :
il neige de l’autre côté du monde…
Ce sont des papillons de silence ;
regarde comme ils abondent.
s’accumulent en épaisse poudre.
– Peut-être sont-ils morts d’avoir été -,
Ils reposent en un lit
de blancheur infinie :
Une nouvelle virginité
recouvre tout de sa chatoyante épaisseur .
détachés d’un ciel gris,
ils absorbent tous les bruits
et nous feraient presque regretter
la sensation même , de la douleur.
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RC fev 2016
Bravo !
Belle synthèse poétique des deux poèmes si différents mais en même temps qui se complètent…
Bien à vous,
Enki
PS : je prends connaissance avec plaisir de votre blog
merci bien….
vous aurez de quoi lire ( plus de 2000 publications …) !