Guilherme Marcondes est un réalisateur de film brésilien installé à New York. Son court-métrage Tyger présenté ci-dessus, librement inspiré du poème éponyme de William Blake a remporté plus de 20 prix internationaux.,
Le village de Brion est entré dans l’histoire le 5 octobre 877, lorsque Charles-le-Chauve, petit-fils de Charlemagne, y trouva la mort, de « fièvres contagieuses » ou « empoisonné par son médecin », nul ne sait très bien. Une des curiosités reste sans nul doute le « pont double » qui enjambe de ses arches la rivière « l’Oignin » et le Bras du lac de Nantua, justifiant une devise du pays : « Tant que l’eau coulera sous les ponts ! » Pour ce qui est de l’église St Denis, son histoire mérite d’être contée, telle qu’on la trouve dans les archives de la paroisse : « Brion et Géovreissiat ne formaient primitivement qu’une seule paroisse. En 1750 environ, eut lieu une altercation entre les deux villages. Les habitants de Brion tentèrent de se séparer de Géovreissiat. Ils commencèrent la construction d’une église et l’élevèrent jusqu’au redan et aux fenêtres de l’église actuelle. Les travaux furent interrompus, on ne sait pourquoi. La grande révolution de 1789 leur avait fait abandonner leur projet. Brion, après la tourmente révolutionnaire, fut réuni à Géovreissiat et desservi par le curé de cette paroisse.En 1823, une nouvelle discussion survint entre Brion et Géovreissiat. Brion se plaignait d’être lésé dans ses intérêts par Géovreissiat. Les habitants de Brion demandèrent l’érection d’une église centrale qui serait placée à la Croix-Chalon. Géovreissiat n’eut aucun égard pour les justes réclamations de Brion. Un dimanche, les habitants de Brion, sortant de la messe entendue à l’église de Géovreissiat, se réunissent sur la place de Brion. Ils souscrivent 5000 francs pour la construction d’une église. Immédiatement, on mit la main à l’oeuvre avec un entrain admirable. Les uns vont extraire la pierre et sable, les autres font les charrois. Ceux-ci coupent furtivement les chênes de la montagne, ceux-là les amènent. Un autre fait cuire la pierre qui va se convertir en chaux sur l’emplacement du cimetière actuel, devant la porte de l’église.D’autres servent les maçons. Les habitants de Brion continuèrent l’oeuvre commencée par leurs pères en agrandissant du chœur et du clocher.Comme souvenir précieux, il est à remarquer que la porte et les fenêtres de l’église viennent des ruines de l’Abbaye, ainsi que le bénitier, moins les fenêtres des chapelles. Ainsi que les Samaritains voulaient empêcher les Juifs de relever les murs de Jérusalem et du Temple, de même Géovreissiat fit des efforts inouïs pour empêcher la construction de l’église de Brion. Vains efforts. L’église fut achevée et bénie par Mr Debeley, curé de Nantua, puis évêque de Troyes et aujourd’hui archevêque d’Avignon. Elle n’a pas reçu la consécration épiscopale. » (Crédit : site du diocèse des Pays de l’Ain)
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Quelque chose ne doit pas tourner rond chez moi, peut-être les mêmes fièvres qui avaient frappé Charles le Chauve dans ce lieu cerné par les eaux tout chargé d’humidité. Voilà ce que je n’ai pas trouvé mieux à faire avec mon Iphone de ce paysage bucolique empreint de sérénité. C’est comme la surface limpide des lacs et des mares, je ne peux m’empêcher de la troubler en faisant des ronds dans l’eau… Est-ce grave, Docteur ?
Après la bataille de Clontarf, où l’ennemi norvégien connut la honte de la défaite, le Grand Roi parla ainsi au poète :
Les exploits les plus éclatants perdent leur lustre si on ne les coule pas dans le bronze des mots. Je veux que tu proclames ma victoire et chantes ma louange. Je serai Énée ; tu seras mon Virgile. Te sens-tu capable d’entreprendre cette oeuvre qui nous rendra tous les deux immortels ?
Oui, mon Roi, dit le poète. Je suis le grand Ollan. J’ai passé douze hivers à étudier l’art de la métrique. Je sais par coeur les trois cent soixante fables sur lesquelles se fonde la véritable poésie. Les cycles d’Ulster et de Munster sont dans les cordes de ma harpe. Les règles m’autorisent à user des mots les plus archaïques du langage et des métaphores les plus subtiles. Je connais les arcanes de l’écriture secrète qui permet à notre art d’échapper aux indiscrètes investigations de la foule. Je peux célébrer les amours, les vols de bétail, les périples, les guerres. Je connais les ascendances mythologiques de toutes les maisons royales d’Irlande. Je sais les vertus des herbes, l’astrologie justiciaire, les mathématiques et le droit canon. Aux joutes oratoires, j’ai battu mes rivaux. Je me suis exercé à la satire, qui provoque des maladies de peau, et même la lèpre. Je sais manier l’épée, comme je l’ai prouvé en combattant pour toi. Il n’y a qu’une chose que je ne sache faire, c’est te remercier assez du don que tu me fais.
Le Roi, que fatiguaient facilement les longs discours prononcés par d’autres que lui-même, répondit avec soulagement :
Je sais parfaitement tout cela. On vient de m’apprendre que le rossignol a déjà chanté en Angleterre. Quand auront passé les pluies et les neiges, quand le rossignol sera revenu de ses terres du Sud, tu réciteras ton poème à ma louange devant la cour et devant le Collège des Poètes. Je te donne une année entière. Tu cisèleras chaque syllabe et chaque mot. La récompense, tu le sais, ne sera pas indigne de mes façons royales ni de tes veilles inspirées.
O Roi, la meilleure récompense est de contempler ton visage, dit le poète qui était aussi un courtisan.
Il fit ses révérences et s’en fut, ébauchant déjà quelque strophe. Le délai expiré, qui compta épidémies et révoltes, le poète présenta son panégyrique. Il le déclama avec une sûre lenteur, sans un coup d’oeil au manuscrit. Le Roi ponctuait son discours d’un hochement de tête approbateur. Tous imitaient son geste, même ceux qui, massés aux portes, ne pouvaient entendre le moindre mot. Quand le poète se tut, le Roi parla.
Ton œuvre mérite mon suffrage. C’est une autre victoire. Tu as donné à chaque mot son sens véritable et à chaque substantif l’épithète que lui donnèrent les premiers poètes. Il n’y a pas dans tout ce poème une seule image que n’aient employée les classiques. La guerre est un beau tissu d’hommes et le sang l’eau de l’épée. La mer a son dieu et les nuages prédisent l’avenir. Tu as manié avec adresse la rime, l’allitération, l’assonance, les nombres, les artifices de la plus fine rhétorique, la savante alternance des mètres. Si toute la littérature de l’Irlande venait à se perdre –amen absit – on pourrait la reconstituer sans en rien perdre avec ton ode classique. Trente scribes vont la retranscrire douze fois.
Après un silence, il reprit :
Tout cela est bien et pourtant rien ne s’est produit. Dans nos artères le sang ne bat pas plus vite. Nos mains n’ont pas cherché à saisir les arcs. Personne n’a pâli. Personne n’a poussé un cri de guerre, personne n’est allé affronter les Vikings. Dans un délai d’un an nous applaudirons un autre poème à ma louange, ô poète. En témoignage de notre satisfaction, reçois ce miroir qui est d’argent.
Je te rends grâce et je comprends, dit le poète.
Les étoiles du ciel reprirent leurs chemins de lumière. Le rossignol de nouveau chanta dans les forêts saxonnes et le poète revint avec son manuscrit, moins long que le précédent. Il ne le récita pas de mémoire; il le lut avec un manque visible d’assurance, omettant certains passages, comme si lui-même ne les comprenait pas entièrement ou qu’il ne voulût pas les profaner. Le texte était étrange. Ce n’était pas une description de la bataille, c’était la bataille. Dans son désordre belliqueux s’agitaient le Dieu qui est Trois en Un, les divinités païennes d’Irlande et ceux qui devaient guerroyer des siècles plus tard, au début de l’Edda Majeure. La forme n’en était pas moins surprenante. Un substantif au singulier était sujet d’un verbe pluriel. Les prépositions échappaient aux normes habituelles. L’âpreté alternait avec la douceur. Les métaphores étaient arbitraires ou semblaient telles. Le Roi échangea quelques mots avec les hommes de lettres qui l’entouraient et parla ainsi :
De ton premier poème, j’ai dit à juste titre qu’il était une parfaite somme de tout ce qui avait été jusque-là composé en Irlande. Celui-ci dépasse tout ce qui l’a précédé et en même temps l’annule. Il étonne, il émerveille, il éblouit. Il n’est pas fait pour les ignorants mais pour les doctes, en petit nombre. Un coffret d’ivoire en préservera l’unique exemplaire. De la plume qui a produit une oeuvre aussi insigne nous pouvons attendre une oeuvre encore plus sublime. Il ajouta avec un sourire : Nous sommes les personnages d’une fable et n’oublions pas que dans les fables c’est le nombre trois qui fait la loi.
Le poète se risqua à murmurer :
Les trois dons du magicien, les triades et l’indiscutable Trinité.
Le Roi reprit :
Comme témoignage de notre satisfaction, reçois ce masque qui est en or.
Je te rends grâce et j’ai compris, dit le poète.
Une année passa. Au jour fixé, les sentinelles du palais remarquèrent que le poète n’apportait pas de manuscrit. Stupéfait, le Roi le considéra ; il semblait être un autre. Quelque chose, qui n’était pas le temps, avait marqué et transformé ses traits. Ses yeux semblaient regarder très loin ou être devenus aveugles. Le poète le pria de bien vouloir lui accorder un instant d’entretien. Les esclaves quittèrent la pièce.
Tu n’as pas composé l’ode ? demanda le Roi.
Si, dit tristement le poète. Plût au ciel que le Christ Notre-Seigneur m’en eût empêché !
Tu peux la réciter ?
Je n’ose.
Je vais te donner le courage qui te fait défaut, déclara le Roi.
Le poète récita l’ode. Elle consistait en un seul mot.
Sans se risquer à le déclamer à haute voix, le poète et son Roi le murmurèrent comme s’il se fût agi d’une prière secrète ou d’un blasphème. Le Roi n’était pas moins émerveillé ni moins frappé que le poète. Tous deux se regardèrent, très pâles.
Du temps de ma jeunesse, dit le Roi, j’ai navigué vers le Ponant. Dans une île, j’ai vu des lévriers d’argent qui mettaient à mort des sangliers d’or. Dans une autre, nous nous sommes nourris du seul parfum des pommes enchantées. Dans une autre, j’ai vu des murailles de feu. Dans la plus lointaine de toutes un fleuve passant sous des voûtes traversait le ciel et ses eaux étaient sillonnées de poissons et de bateaux. Ce sont là des choses merveilleuses, mais on ne peut les comparer à ton poème, qui en quelque sorte les contient toutes. Quel sortilège te l’inspira ?
A l’aube, dit le poète, je me suis réveillé en prononçant des mots que d’abord je n’ai pas compris. Ces mots sont un poème. J’ai eu l’impression d’avoir commis un péché, celui peut-être que l’Esprit ne pardonne pas.
Celui que désormais nous sommes deux à avoir commis, murmura le Roi. Celui d’avoir connu la Beauté, faveur interdite aux hommes. Maintenant il nous faut l’expier. Je t’ai donné un miroir et un masque d’or ; voici mon troisième présent qui sera le dernier. Il lui mit une dague dans la main droite.
Pour ce qui est du poète nous savons qu’il se donna la mort au sortir du palais ; du Roi nous savons qu’il est aujourd’hui un mendiant parcourant les routes de cette Irlande qui fut son royaume, et qu’il n’a jamais redit le poème.
Giuseppe Castiglione – Ayusi brandissant sa lance anéantit les rebelles – encre et couleur, 1755
Giuseppe Castiglione (1688-1766) est un frère jésuite italien, missionnaire en Chine et peintre. Il fut l’un des artistes préférés des empereurs de la dynastie Qing. En 1716 il prend le nom chinois de Lang Shining (郎世宁 / 郎世寧, láng shìníng, « Homme du monde tranquille »). Entré comme novice-frère dans la Compagnie de Jésus à Gênes en 1707, il commence à peindre des œuvres religieuses (Saint Ignace dans la grotte de Manrèse et L’Apparition du Christ à Saint Ignace). Les jésuites de Chine ayant demandé qu’on leur envoie un artiste-peintre pour la cour impériale de Beijing, Castiglione se porte volontaire et fut accepté. Embarqué pour l’Orient en avril 1714, il atteint Macao en juillet 1715 pour enfin arriver à Pékin le 22 décembre. Introduit par les Jésuites auprès de l’empereur Kangxi, il reçoit une charge comme « peintre de la Cour ». Les empereurs qui succéderont à Kangxi, Yongzheng (1723-1735) et Qianlong (1736-1797) lui garderont leur confiance. Castiglione sera peintre de la cour durant ses 51 ans de vie en Chine, y jouira d’une grande considération et y reçevra des honneurs insignes, comme celui de pouvoir porter l’habit de fonctionnaire impérial. En 1747, aidé par un Jésuite français, il sera le maître d’œuvre pour les 10 années de sa construction du Palais d’été ou Palais des délices de l’harmonie qui sera malheureusement détruit en 1861 par les troupes franco-britanniques lors de la Seconde guerre de l’opium. Les dernières peintures sur soie que l’on connaisse de lui (contenant des chevaux) datent de 1762. Castiglione s’éteint le 16 juillet 1766. Ses funérailles sont financées par l’empereur, ce qui est le signe d’un insigne honneur et l’expression de grande estime. À titre posthume il sera nommé vice-ministre, c’est-à-dire fonctionnaire de premier rang. (crédit Wikipedia)
la scène présentée en tête de l’article fait partie d’un rouleau horizontal (27,1 cm x 104,4 cm) conservé au Musée national du palais à Taipei représentant Ayusi, un chef militaire de l’armée de l’empereur Yongzheng (1723-1735), auteur d’un fait d’arme lors de la rébellion de la tribu Zunghar. Pour le récompenser, l’empereur avait demandé à Castiglione de le représenter sur une peinture.
Ce jour-là, l’Empereur fit visiter son palais au poète. Ils laissèrent derrière eux, en vaste perspective, les premières terrasses occidentales qui, comme les gradins d’un amphithéâtre difficile à limiter, descendaient doucement vers un paradis ou un jardin. Les miroirs de métal et le réseau de haies de genévriers préfiguraient déjà le labyrinthe. Au début, ils s’y perdirent avec plaisir, comme si ils s’abandonnaient à quelque jeu, ensuite non sans inquiétude, parce que les avenues rectilignes étaient affectées d’une courbure insensible, quoique continue, en sorte qu’elles étaient secrètement circulaires. vers minuit, l’observation des planètes et l’opportun sacrifice d’une tortue, permirent aux promeneurs de se délivrer d’une région qui paraissait ensorcelée, mais non du sentiment d’être égarés, lequel les accompagna jusqu’à la fin. Ils parcoururent des antichambres, des cours, des bibliothèques, une salle hexagonale avec une clepsydre. Un matin, ils aperçurent du haut d’une tour un homme de pierre qu’ils ne revirent jamais plus. Ils traversèrent, dans des barques de bois de santal, de nombreux fleuves resplendissants ou nombre de fois un même fleuve. le cortège impérial passait et les gens se prosternaient. Un jour ils abordèrent dans une île où un homme ne se prosterna pas car il n’avait jamais vu le Fils du Ciel. Le bourreau dut le décapiter. Leurs yeux virent avec indifférence de noires chevelures, des danses noires, des masques d’or compliqués. La réalité se confondait avec le rêve. Mieux dit, le réel était une des virtualités du rêve. Il paraissait impossible que la terre fût autre chose que jardins, eaux, architectures et aspects de la magnificence. Tous les cent pas, une tour coupait le ciel. Pour les yeux, leurs couleurs étaient identiques, mais la première de toutes était jaune et la dernière écarlate, tellement la gradation était délicate et longue la série.
C’est au pied de l’avant-dernière tour que le poète (qui demeurait comme étranger aux spectacles qui émerveillait les autres) récita la brève composition qui est aujourd’hui indissolublement liée à son nom et qui, comme le répètent les historiens le plus subtils, lui procura en même temps l’immortalité et la mort. Le texte en est perdu. Plusieurs tiennent pour assuré qu’il se composait d’un seul vers, d’autres d’un seul mot. Le certain, l’incroyable est que le poème contenait, entier et minutieux, l’immense palais avec toutes ses célèbres porcelaines, chaque dessin de chaque porcelaine, les ombrera et les lumières des crépuscules et chaque instant malheureux ou heureux des glorieuses dynasties de mortels, de dieux et de dragons qui y vécurent depuis l’interminable passé. Les assistants se turent, mais l’Empereur s’écria : « Tu m’as volé mon palais », et l’épée de fer du bourreau moissonna la vie du poète. D’autres racontent l’histoire autrement. Dans le monde, il ne saurait y avoir deux choses égales. Il a suffit, disent-ils, que le poète prononce le poème pour que palais disparaisse, comme aboli et foudroyé par la dernière syllabe. Il est clair que semblables légendes ne sont rien que fictions littéraires. Le poète était l’esclave de l’Empereur et mourut comme tel. Sa composition fut oubliée, parce qu’elle méritait l’oubli. Ses descendants cherchent encore, mais ne trouveront pas le Mot qui résume l’univers.
Pour l’interprétation de ce conte de Borges, lire le beau texte de Mercedes Blanco, professeur à l’Université de Paris-Sorbonne : La parabole et les paradoxes, paradoxes mathématiques dans un conte de Borges dans la revue Poétique, n° 55 de septembre 1983, Seuil. C’est ICI.