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M’étant penché ces derniers temps sur les rapports conflictuels entre la science et l’islam, j’ai été surpris par l’obstination manifestée par de nombreux propagandistes musulmans à nier ce qui apparaît pour des occidentaux comme des acquis scientifiques non contestables. A l’instar de certains intégristes chrétiens créationistes, ils nient la théorie de l’évolution des espèces et refusent certaines évidences comme par exemple la rotation du globe terrestre sous prétexte que cette vérité est contraire ou bien n’a pas été révélée par le Coran… On a encore en tête cet exposé devant des étudiants aux Emirats arabes unis d’un cheikh saoudien leur expliquant doctement avec l’air d’y croire vraiment que la terre ne peut tourner sur elle-même car dans ce cas les avions qui tourneraient dans le même sens qu’elle n’atteindraient jamais leur but…
En fait, au delà de l’anecdote, je pense avoir mieux saisi les raisons de ce qui m’apparaissait au premier abord comme un aveuglement obstiné ou, pire, un effet de mauvaise foi, grâce à la lecture opportune au même moment d’un ouvrage de Georges Gursdorf, « Mythe et Métaphysique » qui traite comme son nom l’indique de la pensée mythique. Dans un passage traitant de la fonction assurée par le mythe, Gusdorf souligne que dans les sociétés premières, la conscience mythique recouvrait les domaines indissociés de la science et de l’histoire. Dans une société figée qui n’évolue pas, l’histoire, connaissance du devenir, présente un horizon ouvert qui ne peut qu’inquiéter car il ouvre sur le changement et risque de mettre en cause la stabilité et l’équilibre du monde. Il convient donc de refuser le changement et de ramener l’insolite et le particulier au coutumier et au normatif. Gursdorf ajoute que cette mentalité mythique s’est projetée bien au-delà des sociétés premières et règne encore aujourd’hui sur une large part de l’humanité.
Jean-Léon Gérôme – Le Général Bonaparte et son état-major en Égypte, 1867
Pour montrer comment cette mentalité mythique s’oppose à l’esprit rationaliste occidental, Gursdorf cite le géographe et ethnographe Emile-Félix Gautier qui, dans son ouvrage « Mœurs et Coutumes des Musulmans », donne un bon exemple de cette opposition entre les mentalités rationaliste et religieuse en citant un évènement qui s’est produit lors de la campagne de Bonaparte en Egypte :
« Les services de propagande de Bonaparte en Egypte, pensant éblouir des populations arriérées, imaginent un jour de lancer une montgolfière. Certains chroniqueurs arabes d’alors nous apprennent que l’effet obtenu fut à peu près nul. Les démons étrangers, rapportent-ils, imaginèrent de lancer contre le ciel une sorte de monstre, qui retomba lamentablement ».
Henry Laurens dans son ouvrage « L’Expédition d’Egypte (1798-1801) » fait également référence à cet évènement :
Bonaparte veut impressionner les Egyptiens en lançant une montgolfière place de l’Azbakiya (30 novembre 1798). L’engin s’élève quelques minutes, mais suite à un incident technique, retombe sur terre. Pour le chroniqueur, historien et savant arabe Abd al-Rahman al-Jabarti, cette merveille annoncée n’est « pas plus qu’un cerf-volant, tel qu’en fabriquent les valets aux jours de fêtes publiques et de divertissement ». L’expérience est reprise le 16 janvier 1799, cette fois le ballon va plus loin mais retombe sur le sol dans le champ de vision des spectateurs. Ce qui inspire à Jabarti ce nouveau commentaire : « Si le vent avait été favorable, il aurait disparu du regard et, le tour étant joué, les français auraient raconté que le ballon était parti pour de lointains pays. » Les français doivent avouer l’échec complet de ces tentatives : « Nous avons été frappés par de l’incuriosité absolue de quelques individus et nous ne sommes pas les seuls qui l’ayons remarqué; on en a vu qui ont traversé la place de l’Esbaquieh, sans daigner tourner les yeux vers le point qui fixait les regards de tout le monde. »
Vol de ballon au-dessus d’Assouan
Le 19 septembre 1783, une montgolfière s’envole depuis la cour de Marbre. C’est une première au château de Versailles. La Cour, le roi, la reine et des ambassadeurs étrangers, invités pour l’occasion, assistent à l’événement et à l’envol des trois passagers ; un mouton surnommé Monte-au-Ciel, un coq et un canard. Au-delà du spectacle, la montgolfière présente un intérêt stratégique et militaire : elle peut être utilisée pour observer le mouvement des troupes. Ce sera le cas lors des guerres révolutionnaires. Le pouvoir favorise également l’éducation scientifique et technique de ses élites en créant différentes écoles : l’École du génie à Mézières (ancêtre de l’École polytechnique), l’École des mines, l’École des ponts-et-chaussées, etc. Une importante mesure rend précisément compte de l’intérêt profond du pouvoir pour la science : la création de charges à la Cour. Ainsi, le Premier médecin du roi, considéré comme le meilleur médecin du royaume, reçoit par exemple une chaire au Jardin du roi. Les officiers de santé et les précepteurs bénéficient également de charges. D’une manière générale, le pouvoir promeut la recherche scientifique pour améliorer le commerce et la santé publique mais aussi la marine et l’art de la guerre.
Ainsi l’indifférence affichée de la foule arabe contraste avec l’enthousiasme manifestée quinze années plus tôt en France par les foules lors des premiers vols de montgolfières. Comme l’écrit Gusdorf la conscience mythique des musulmans avait « facilement neutralisé l’événement insolite » qui risquait, s’il était appréhendé dans toute son importance, sa signification et ses implications, de remettre en cause les certitudes et les dogmes de la religion musulmane et du Coran. Reconnaître le pouvoir tout-puissant de la raison humaine et de la science et leur capacité de créer des merveilles, c’était confronter le pouvoir de l’homme au pouvoir d’Allah et cela était dans le conditions du moment inenvisageable. Déjà, un peu plus tôt, à l’occasion d’une discussion de l’Institut d’Egypte créé par les français sur le thème des poissons du Nil, le shaykh Al-Madhi était intervenu dans le débat pour relativiser les recherches des savants français en rappelant « que le Prophète avait (déjà) déclaré qu’il y avait 30.000 espèces d’animaux créés, 10.000 sur la terre et dans les airs, et 20.000 dans les eaux ». En fait, on pense aujourd’hui que la Terre abriterait entre 7,4 et 10 millions d’espèces dont 6,5 millions vivent sur terre et 2,2 millions dans les mers et océans (revue PLoS Biology).
Pour un homme des sociétés premières qui vit au sens propre dans un monde mythique et pour un croyant fervent d’une religion révélée comme l’islam, le monde ne peut être en aucun cas différent de celui décrit par le mythe ou les textes sacrés. La moindre exception met en cause l’entière légitimité des dogmes qui fondent la croyance. De là découlent ces comportements irrationnels et empreints de scepticisme.
Statistiques
En ce qui concerne l’attitude du monde musulman vis à vis de la théorie de l’évolution, une enquête récente sur l’acceptation de l’évolution par la population dans 34 pays incluant un pays musulman laïc, la Turquie, a révélé qu’environ 25 % des Turcs sont d’accord avec l’énoncé « Les êtres humains comme on les connaît se sont développés à partir d’espèces animales antérieures », résultat bien inférieur au chiffre de 40 % atteint aux États-Unis. En 2008, des groupes créationnistes turcs étaient parvenus à faire bloquer légalement l’accès au site Internet de l’évolutionniste britannique Richard Dawkins et l’année suivante, le vice-président du Conseil de la recherche scientifique et technologique turc, qui édite le magazine Science et Technique, avait demandé la suppression d’un article de 16 pages consacré à Darwin.
Une autre étude sociologique analysant les comportements religieux dans des pays musulmans comme l’Indonésie, le Pakistan, l’Égypte, la Malaisie, la Turquie, et le Kazakhstan comportait une question sur l’évolution comme un exemple d’idée qui contredit une « conviction religieuse fondamentale largement partagée par les musulmans ». Les personnes interrogées devaient répondre à la question : « Êtes-vous d’accord ou non avec la théorie de l’évolution établie par Darwin ? » Seuls 16 % des Indonésiens, 14 % des Pakistanais, 8 % des Égyptiens, 11 % des Malaisiens, et 22 % des Turcs pensent que la théorie de Darwin est vraie ou probablement vraie. Seule, parmi ces pays, l’ancienne république soviétique du Kazakhstan, montrait de grandes différences de comportements religieux par rapport aux autres pays de l’étude avec 28 % de ses habitants qui pensaient que la théorie de l’évolution était fausse, pourcentage encore plus bas que celui de la population américaine (40 %).
Au Pakistan, où il n’existe pas de séparation entre religion et État, le but du programme national de biologie des classes de 3e à la terminale est de « rendre les élèves capables de reconnaître que Dieu … est le Créateur et le Gardien de l’Univers », et les manuels scolaires contiennent les versets du Coran relatifs à l’origine et à la création de la vie. Les manuels de biologie contiennent un chapitre sur l’évolution, et la théorie évolutionniste y est présentée comme un fait de science. Néanmoins, dans le manuel de biologie destiné aux classes terminales, l’épigraphe du chapitre sur l’évolution est le verset coranique « c’est Lui qui vous a créés à partir d’un être unique ». Sur 18 professeurs de science dans des écoles pakistanaises situées à Karashi et Lahore, la plupart soit 14 sur 18 acceptaient, ou du moins tenaient pour possible, l’évolution des organismes ; mais en même temps, 15 sur 18 rejetaient l’évolution des êtres humains. Tous s’accordaient sur le point qu’il n’existe aucune contradiction entre islam et science.
L’opposition à la thèse de Darwin se manifeste même chez les étudiants musulmans d’Europe. C’est ainsi qu’une étude sur 25 élèves d’universités musulmanes venus de Turquie ou du Maroc et qui étudiaient différentes disciplines aux Pays-Bas a montré que la plupart d’entre eux acceptaient la microévolution, mais que presque tous contestaient la macroévolution. Ils reliaient en effet cette idée à des inclinations athéistes mais aussi au fait qu’il serait peu probable que des espèces complexes apparaissent simplement sous l’effet de mutations au hasard. (Salman Hameed, La Recherche L’actualité des sciences, mai 2009)
la marche de l’évolution de Manara revue et corrigée par les islamistes (et par Enki…)
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L’astrophysicien algérien Nidhal Guessoum est un ardent militant de la réintroduction de la méthodologie scientifique dans la culture musulmane et œuvre pour diffuser la connaissance scientifique moderne dans la société arabo-musulmane : « la science relève d’une méthode, et non pas de la religion ». . En 2010, il a écrit un ouvrage « Quantum question de l’islam : Concilier tradition musulmane et la science moderne ». Dans ce livre, il fait valoir que la science moderne doit être intégrée dans la vision du monde islamique, y compris la théorie de l’évolution biologique et humaine, dont il maintient qu’elle ne contredit en rien les principes et l’éthique islamiques. Il a insisté pour que le monde musulman doit appréhender « les questions scientifiques et quantiques avec le plus grand sérieux si elle veut retrouver son véritable héritage et toute son intégrité ». S’opposant aux thèses du penseur négationiste turc Harun Yahya, ardent défenseur du créationnisme, il maintient que le rejet des faits scientifiques établis est contre-productif et n’augure rien de bon pour les musulmans, que ce soit à l’égard de la science ou de la modernité : « La question de savoir comment la science moderne doit être comprise afin qu’elle puisse être adaptée à la vision islamique du monde est un enjeu important de notre temps si nous ne voulons pas laisser des cultures entières s’aliéner de la modernité, et si nous ne voulons pas aboutir à un « choc des civilisations » (entre le monde traditionnel islamique et l’occident moderne). De sérieux efforts doivent être accomplis afin de combler l’espace (voire le gouffre) entre ces deux mondes: le naturalisme de la science et la laïcité de la modernité d’une part, et le théisme et la tradition du monde musulman… ». En 2013 il a écrit un commentaire dans la revue Nature dénonçant le contraste existant entre l’état actuel de l’astronomie dans le monde arabe et celui de l’âge d’or de la civilisation islamique en critiquant les pays arabes de ne pas investir plus d’argent dans la recherche astronomique « qui est négligée à cause de l’approche arabo-musulmane fortement utilitariste de la science. «
A la question d’un journaliste sur le niveau des universités des pays arabes et musulmans, il dresse un portrait sans concession de leur état :
« Il ne fait aucun doute que les universités des pays arabes et musulmans sont peu performantes, pour employer un euphémisme. Ce n’est pas une opinion que j’émets là, ce sont les données objectives qui l’affirment, comme les chiffres présentés dans les rapports du PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement) ou de la Banque Mondiale. Ces chiffres et rapports montrent, par exemple : – Sur environ 2000 universités du monde musulman, seules quelques-unes se situent dans le Top 500 à l’échelle internationale. – Le nombre de publications scientifiques produites par les universitaires des pays musulmans représente environ 1.1% de la production mondiale. – En 1999, seules 134 inventions ont été brevetées dans tout le monde musulman, comparé aux 3076 en Israël. – Le nombre d’articles scientifiques fréquemment cités par million d’habitants est de : 0.02 en Egypte, 0.01 en Algérie, 0.53 au Koweït, comparé aux 38 en Israël, 43 aux USA, 80 en Suisse… Il y a de nombreuses raisons complexes à cet état de fait. Il me faudrait plus d’un entretien pour tenter de les exposer et de les analyser. Mais ce qui me choque le plus, ce sont deux choses : – La gestion catastrophique de bon nombre de ces universités – La disparition des standards, voire même de l’éthique, académique au sein même de ces universités. (…)
Si nous projetons de nous remettre au rythme du progrès, au diapason de la science et de la recherche contemporaine, en harmonie avec les principes de l’Islam et les méthodes adoptées et suivies par nos illustres prédécesseurs (Ibn Sina, Al-Biruni, Ibn Al-Haythem, Ibn Rushd – de vrais savants), nous devons impérativement revoir toutes ces approches de la science aujourd’hui, tout le monde est concerné : aussi bien les scientifiques, les oulémas, les étudiants ainsi que le grand public. » – Nidhal Guessoum
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