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William Blake (1757-1827)
Sans contraintes il n’est pas de progrès.
Attraction et Répulsion,
raison et Energie,
Amour et Haine,
sont nécessaires à l’existence de l’homme.
Tyger, tyger Tigre, O Tigre
Tyger tyger, burning bright Tigre O Tigre! Toi qui luis
In the forests of the night, Au fond des forêts de la nuit,
What immortal hand or eye Quel esprit immortel sut faire
Could frame thy fearful symmetry? Ta symétrie meurtrière?
In what distant deeps or skies Sur quels gouffres et sous quels cieux
Burnt the fire of thine eyes? Brûla-t-il le feu de tes yeux?
On what wings dare he aspire? Quelle aile prît un tel essor?
What the hand dare seize the fire? Quel bras saisit ce feu, cet or?
And what shoulder and what art Quelle force de quel sculpteur
Could twist the sinews of thy heart? Tordit les tendons de ton cœur?
And when thy heart began to beat, Et quand ce cœur se mut en toi
What dread hand and what dread feet? Quels pieds, quels bras, et quel effroi !
What the hammer? what the chain? A qui la chaîne, le marteau,
In what furnace was thy brain? La forge où flamba ton cerveau,
What the anvil? What dread grasp L’enclume? Quelle poigne cruelle
Dare its deadly terrors clasp? Crut serrer ses terreurs mortelles?
When the stars threw down their spears, Tout astre a déposé ses armes,
And water’d heaven with their tears, Et trempé le ciel de ses larmes.
Did He smile His work to see? Sourit-il? Te fit-il Celui
Did He who made the lamb make thee? Qui fit l’agneau au temps jadis?
Tyger, tyger, burning bright Tigre O Tigre! Toi qui luis
In the forests of the night, Au fond des forêts de la nuit,
What immortal hand or eye Quel immortel oserait faire
Dare frame thy fearful symmetry? Ta symétrie meurtrière?
William Blake, 1794 Traduction de A.Z. Foreman
De nombreuses traductions ont été réalisées de ce poème. Voici celles de Michel Leyris, de Alain Suied (éditions Arfuyen) et de Pierre Boutang. J’avoue avoir du mal à choisir entre ces trois versions en attendant une quatrième. Peut-être faudrait-il composer un poème qui serait la synthèse de ces différentes traductions en prenant le meilleur de chacune d’elle…
Tigre! Tigre! feu et flamme Tigre, Tigre ! ton éclair luit
Dans les forêts de la nuit, Dans les forêts de la nuit,
Quelle main ou quel œil immortel, Quelle main, quel œil immortels
Put façonner ta formidable symétrie ? Purent fabriquer ton effrayante symétrie ?
Dans quels abîmes, quels cieux lointains Dans quelles profondeurs,quels cieux lointains
Brûla le feu de tes prunelles ? Brûla le feu de tes yeux ?
Quelle aile osa y aspirer ? Aucune aile ne pourrait les atteindre.
Quelle main osa saisir ce feu ? Aucune main ne pourrait forger ton regard.
Quelle épaule, quel savoir-faire Et quelle épaule et quel art
tordirent les fibres de ton cœur ? Purent tordre les fibres de ton cœur ?
Et quand ce cœur se mit à battre, Et quand ce coeur commença de battre,
quelle terrible main? Quels terribles pieds ? Quelle main, quel pied surhumains ?
Quel fut le marteau ? Quelle la chaîne ? Qu’était le marteau ? Que fut la chaîne ?
Dans quel brasier fut ton cerveau ? Quelle fournaise forgea ton cerveau ?
Sur quelle enclume ? Et quelle terrible étreinte Sur quelle enclume ? Quelle effrayante étreinte
Osa enclore ses mortelles terreurs ? Osa fondre en toi ses terreurs de mort ?
Quand les étoiles jetèrent leurs lances Quand les étoiles abandonnèrent leurs lances,
Et baignèrent le ciel de leurs larmes, Et trempèrent le ciel de larmes,
A-t-il souri à la vue de son œuvre ? A-t-il souri de l’œuvre accomplie ?
Celui qui fit l’Agneau, est-ce lui qui te fit ? Celui qui créa l’Agneau a-t-il pu te créer ?
Tigre ! Tigre ! feu et flamme Tigre, Tigre ! ton éclair luit
Dans les forêts de la nuit, Dans les forêts de la nuit,
Quelle main, quel œil immortel Quelle main, quel œil immortel
Osèrent façonner ta formidable symétrie ? Osèrent fabriquer ton effrayante symétrie ?
Traduction de Pierre Leyris Traduction de Alain Suied
Tigre, tigre, flamme claire
Dans les forêts de la nuit,
Quelle main, quel œil immortel,
Purent donc bâtir ton ordre terrible ?
Dans quel abîme, en quels cieux
Brûlait le feu de tes yeux ?
D’où les ailes pour monter ?
Quelle main osa s’emparer du feu ?
Quelle épaule nue, quel art
Nouèrent les fibres de ton cœur ?
Et quand ton cœur se prit à battre,
Quelle effrayante main, quelle marche effrayante ?
Quel le marteau ? quelle chaîne ?
En quelle fournaise ta tête ?
Que fut l’enclume ? Quelle effrayante prise
Osa maîtriser ses terreurs mortelles ?
Quand les astres lancèrent leurs épieux,
Inondèrent de larmes les cieux,
Sourit-il à voir son ouvrage ?
Celui qui fit l’agneau, est-ce lui qui t’a fait ?
Tigre, tigre, flamme claire
Dans les forêts de la nuit,
Quelle main, quel regard, immortels
Osèrent bâtir ton ordre terrible ?
Traduction de Pierre Boutang
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The tiger est l’un des poèmes les plus fameux de la poésie anglaise. William Blake se pose le problème de la création par Dieu du bien et du mal dans le monde. Si l’agneau humble est doux décrit par Blake dans un autre poème est une créature qui symbolise le bien et a pour cette raison été incontestablement créé par un Dieu bienveillant, qu’en est-il du tigre à la beauté sublime mais dont la férocité et la cruauté en font l’incarnation du mal. Serait-ce Satan le créateur de cette machine à tuer aux proportions parfaites qui irradie les sombres forêts. Qui a forgé cette créature aux yeux flamboyants ? A t il été créé au Ciel ou dans les profondeurs infernales ?
L’un des principes de base sur lesquels s’appuie la philosophie de Blake est l’unité des contraires. Plutôt que d’envisager l’existence humaine comme une lutte permanente et une lutte à mort entre le bien et le mal, Blake considère que l’expression des contraires est inhérente à la nature humaine, qu’il faut l’accepter comme un fait incontournable et que le devoir de l’homme est alors de s’attacher à résoudre les conflits de manière synthétique. Ainsi, la création du tigre ne constitue aucunement une erreur ou une violence faite à l’ordre harmonieux du monde, le monde pour être complet doit contenir à la fois l’agneau doux et fragile et le tigre prédateur et cruel.
On s’étonne parfois de l’aspect grotesque donné par Blake au tigre dans les dessins alors que celui-ci est en général célébré pour sa beauté. Certains ont émis l’hypothèse que le peintre-poète aurait ainsi voulu faire preuve d’ironie dans le traitement de son sujet ou bien qu’il aurait utilisé comme modèle une naturalisation ratée de l’animal mais c’est oublier que dans son poème, Blake ne célèbre pas la beauté du tigre, qu’il met au contraire l’accent sur la férocité et le caractère monstrueux de celui-ci. C’est comme si les aspects négatifs du comportement du tigre avaient pour effet de faire disparaître sa beauté. On considère Blake comme un précurseur du romantisme mais sur ce point particulier il apparait très éloigné des préoccupations romantiques futures qui esthétiseront en les sublimant les notions d’horreur et de mal.
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