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On n’est jamais trop prudent ! Si vous avez l’intention prochaine de faire partie d’une société secrète ou d’un groupe terroriste, que vous souhaitez, pour des raisons de sécurité, rester dans l’ombre et maintenir un total incognito, il vaut mieux pour vous de n’entretenir aucune attache sentimentale avec quelques êtres vivants que ce soit : amis, épouse, petite amie et même animal. Dans le cas contraire, vous risquez d’être trahi par ceux-là mêmes qui auraient dû vous protéger; l’histoire qui va suivre en est la triste illustration… Pour vos amis, la rupture sera aisée, il suffira qu’à chaque fois que vous rencontrez l’un d’entre eux de le supplier de vous prêter une forte somme d’argent; si par malheur c’est un ami véritable et qu’il consent à vous la prêter, dites lui ensuite que jamais vous ne pourrez le rembourser… Vous constaterez que le désert va vite s’étendre autour de vous. Pour votre femme ou vos petites amies, c’est encore plus facile, il suffit simplement d’être vous-même, de suivre votre instinct naturel et de ne faire aucun effort : achetez la paire de charentaises fourrées que vous n’aviez jamais osé acheter, levez-vous le matin le plus tard possible et rejoignez en traînant les pieds la table du petit déjeuner, hirsute, l’œil glauque et non rasé, dans la robe de chambre la plus laide de votre garde-robe, lisez le journal en prenant le petit-déjeuner et engagez la conversation sur l’article qui rend compte des atrocités commises la veille par DAECH sans omettre un seul détail. Vous verrez que vous retrouverez très rapidement le célibat. Pour ce qui concerne vos animaux de compagnie, si vous possédez un chien ou un chat, déposez le à la fourrière; si c’est un lapin ou un serpent que vous possédez et que la fourrière les refuse, dans ce cas, tuez le lapin, écorchez le et faites le mijoter longtemps à petit feu dans une sauce à l’oignon avec des petites patates et des carottes, vous verrez, c’est délicieux et avec de la moutarde, c’est encore meilleur, quant au serpent, laissez lui une chance de s’en sortir, s’il n’est pas trop gros, placez le dans la cuvette des WC et tirez la chasse d’eau…
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La trahison de Rascal
La résurgence du Ku Klux Klan en 1920 est un phénomène que personne n’a totalement expliqué. Tout à coup, les villes du Middle West se sont retrouvées sous l’emprise de cette société secrète qui avait pour objectif d’éliminer de la société les Noirs et les Juifs. Dans le cas de ville comme Broken Bow, au Nebraska, qui ne comptait que deux familles noires et une juive, c’étaient les catholiques qui étaient visés. Les membres du Klan chuchotaient que le pape se préparait à prendre le pouvoir en Amérique, que les sous-sols des églises servaient d’arsenaux et qu’après la messe, nonnes et prêtres se livraient à des orgies. A présent que la Première Guerre mondiale était terminée et qu’on avait vaincu les Huns, les gens qui avaient besoin de quelqu’un à haïr trouvaient là une cible nouvelle. A Broken Bow et dans Custer County, le message était embelli par la mystique de la société secrète masculine qui flattait le réflexe « nous contre eux » apparemment universel chez les hommes. Deux des individus qui prirent position contre le Klan étaient les banquiers de la ville : John Richardson et mon père Y.B. Huffman. Quand un appel téléphonique leur recommanda de boycotter les catholiques, tous deux l’ignorèrent. Dans la mesure où les deux banques résistaient, les efforts du Klan n’aboutirent pas, mais ma mère Martha, en paya le prix lorsque arriva l’élection au conseil d’administration de l’école. Elle subit une défaite décisive à la suite de commérage lui prêtant une aventure avec le principal pharmacien.
Marche du Ku Klux Klan à Madison,1924
Arriva le moment de la parade annuelle du Ku Klux Klan autour de la grand-place. Ses membres choisissaient toujours un samedi, quand la ville était encombrée d’éleveurs et de fermiers. Vêtus de robes blanches et masqués de leurs bonnets coniques avec des trous pour les yeux, ils défilaient afin de rappeler aux citoyens leur dignité et leur puissance, menés par un personnage impressionnant mais anonyme, le Grand Kleagle. Tout au long des trottoirs était alignée la foule, qui s’interrogeait sur les marcheurs et évoquait en chuchotant leurs ouvroirs mystérieux. Alors sorti en bondissant d’une ruelle un petit chien blanc à tâche noires. Il va sans dire qu’exactement comme ils connaissaient tout le monde en ville, les gens de Broken Bow connaissaient aussi les chiens, en tous cas le plus notables. Notre berger allemand, Hilda, et le labrador d’Art Melville étaient des personnages célèbres.
Le chien tacheté courut joyeusement vers le Grand Kleagle et sauta autour de lui en réclamant à grands cris une caresse de cette main bien-aimée. « Rascal », le mots se mit à circuler, « c’est Rascal, le chien de Doc Jensen« . Pendant ce temps, le majestueux Grand Kleagle agitait ses longues jambes sous sa robe en essayant de chasser à coups de pied ce qui était manifestement son chien : « File, Rascal, à la maison !« Le mot courait désormais au long du trottoir, précédant la procession. Les gens ne chuchotaient plus, ils parlaient à voix haute afin de bien montrer combien ils étaient au courant. On poussait du coude ses voisins, des petits rires parcouraient la file, tels des froissements de feuilles devant un coup de vent baladeur. Et puis le gamin du Dr. Jensen apparut et appela son chien : « Ici, Rascal ! Ici ! »
Cela rompit la tension. Quelqu’un répéta l’appel : « Ici, Rascal !« C’est alors que les petits rires se transformèrent en rigolade, et une longue rafale d’hilarité balaya la grand-place. Le Dr. Jensen arrêta de donner des coups de pied à son chien et reprit sa marche solennelle, mais les spectateurs n’étaient plus d’humeur à se laisser impressionner : « Ici, Rascal ! Ici, Rascal !« Telle fut la fin du Ku Klux Klan à Broken Bow. Doc Jensen était un vétérinaire passable et avait une bonne clientèle parmi les éleveurs et le fermiers. peut-être ceux-ci l’appelaient-ils volontiers car il représentait un sujet de conversation avec le voisins, mais rares étaient ceux qui se moquaient de lui. une fois de temps en temps, un gamin voulant faire le malin hurlait, en voyant passer Doc Jensen : « Ici, Rascal ! »
Et le petit chien blanc au tâches noires resta consigné chez lui, après cela.
Yale Huffman – Denver, Colorado (Tiré de l’anthologie Je pensais que mon père était Dieu – Actes Sud – traduit par Christine Le Bœuf)
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On n’est jamais trahi que par les chiens…
Je suis jaloux de ne pas avoir trouvé ce jeu de mot… Puis-je vous le voler ?
Je vous en prie !
Merci…