A faire pleurer les pierres avec le Facteur Cheval….

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Quand Orphée chantait et jouait de sa lyre, il charmait les hommes, les bêtes et les plantes, arrêtait le cours des fleuves et faisait pleurer les pierres… 

Ferdinand Cheval

Ferdinand Cheval, dit « le facteur Cheval » et sa fameuse pierre d’achoppement

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Découverte de la pierre d’achoppement (lettre de Ferdinand Cheval de 1897 adressée à l’archiviste départemental de la Drôme André Lacroix sur les circonstances de sa découverte de la pierre d’achoppement)

    Un jour du mois d’avril 1879, en faisant ma tournée de facteur rural à un quart de lieue avant d’arriver à Tersanne. Je marchais vite, lorsque mon pied accrocha quelque chose qui m’envoya rouler quelques mètres plus loin. Je voulus en connaître la cause. Je fus très surpris de voir que j’avais fait sortir de terre une pierre à la forme si bizarre, à la fois si pittoresque que je regardais autour de moi. Je vis qu’elle n’était pas seule. Je la pris et l’enveloppait dans mon mouchoir de poche et je l’apportais soigneusement avec moi me promettant bien de profiter des moments que mon service me laisserait libre pour en faire provision.
     Ce n’est que le lendemain, en l’examinant plus attentivement, que je pris la décision qui allait engager le restant de ma vie. J’avais bâti précédemment dans un rêve un palais, un château ou des grottes, je ne peux pas bien l’exprimer… Je ne le disais à personne par crainte d’être tourné en ridicule et je me trouvais ridicule moi-même. Voilà qu’au bout de quinze ans, au moment où j’avais à peu près oublié mon rêve, que je n’y pensais le moins du monde, c’est mon pied qui me le faisait rappeler. Le lendemain, je suis repassé au même endroit . J’en ai encore trouvé de plus belles, je les ai rassemblées sur place et j’en suis resté ravi… C’est une pierre molasse travaillée par les eaux et endurcie par la force des temps. Elle devient aussi dure que les cailloux. Elle représente une sculpture aussi bizarre qu’il est impossible à l’homme de l’imiter, elle représente toute espèce d’animaux, toute espèce de caricatures ».Je me suis dit : « puisque la Nature veut faire la sculpture, moi je ferai la maçonnerie et l’architecture – Voici mon rêve. A l’oeuvre ».
     De ce jour,  je n’eu plus de repos matin et soir. Je partais en chercher ; quelque fois je faisais 5 à 6 kilomètres et quand ma charge était faite je la portais sur mon dos. j’ai parcouru les ravins, les coteaux, les endroits les plus arides ; je trouvais aussi le tuf pétrifié par les eaux, qui est aussi merveilleux. J’ai commencé les charrois dans mon mouchoir de poche ; le tuf se trouvait pointu, en peu de jours j’en ai criblé une douzaine, ce qui ne faisait pas trop plaisir à ma femme. C’est là qu’ont commencé mes déboires. Je transportais des paniers. Je vous dirai aussi que ma tournée de facteur était de plus de 30 kilomètres par jour et que j’en parcourais des douzaines avec mon panier plein de pierres sur le dos, ce qui représentait une quarantaine de kilos chaque fois. Je vous dirai aussi que chaque commune possède son espèce de pierre toujours très dure.
      Je faisais, en parcourant la campagne, des petits tas de ces pierres ; le soir, avec ma brouette, je retournais les chercher. Les plus proches étaient à 4 ou 5 kilomètres, quelques fois jusqu’à 10 kilomètres. Je partais parfois à 2 ou 3 heures du maJe ne puis vous dire tous les détails, les péripéties et la misère que j’ai endurées, ce serait trop long à énumérer, mon instruction restreinte ne me permettant pas de bien m’exprimer.
      Je vous dirai tout simplement que j’ai tout charrié moi-même de la manière indiquée ci-dessus, que, nuit et jour, j’ai travaillé vingt-six ans, sans trêve ni merci.
    Je commençais à creuser un bassin dans lequel je me mis à sculpter avec du ciment toute espèce d’animaux puis à façonner une fontaine, “La source de la vie”, faite de coquillages, d’escargots, d’huîtres et de différentes pierres. . Ensuite avec mes pierres je commençais une cascade. Je mis deux années pour la construire. Une fois terminée, je me trouvais moi même émerveillé de mon travail. Critiqué par les gens du pays, mais encouragé par les visiteurs étrangers, je ne me décourageais pas. J’avais fait de nouvelles découvertes de pierres plus belles les unes que les autres, à Saint-Martin-d’août, à Treigneux, à Saint- Germain, espèce de petites boules rondes. Je me mis à l’oeuvre.
      Je commençais une grotte et une seconde cascade de manière que ma grotte se trouve entre deux. C’est ce qui forme tout le milieu du monument. Je mis encore trois ans pour l’achever. Toujours de plus en plus enchanté de mon travail ; l’idée me vient ensuite qu’avec mes petites boules rondes que j’avais trouvées à St-Germain, à Treigneux, ainsi qu’à St-Martin-d’Août je pourrais me faire un tombeau dont le style serait seul au monde et me faire enterrer dans le rocher à la mode des rois pharaons et dont la forme serait Egyptienne. Je me mis à creuser la terre et dans la terre j’ai formé une espèce de rocher et dans ce rocher j’ai creusé des cercueils. Ces cercueils sont recouverts de dalles qu’on enlève à volonté, fermés eux-mêmes par une porte en pierre avec une seconde en fer. » Puis cette première grotte n’a eu de cesse de se prolonger en excroissances qui ont abouti, vingt ans plus tard, à la façade est, comportant un temple égyptien, trois géants, des tas de petites maisons exotiques… 
      Pour poursuivre la façade ouest de mon œuvre, j’ai du acheter le terrain de son voisin trois fois son prix.

©www.levetchristophe.fr

Le Palais idéal du Facteur Cheval aujourd’hui (photo Christophe Lever)

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