Axis mundi selon Philippe Jaccottet

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l’Axis mundi …

Chaque microcosme, chaque région habité, possède un centre ; c’est-à-dire, un lieu sacré au-dessus de tout […]
un lieu sacré qui constitue une rupture dans l’homogénéité de l’espace; cette rupture est symbolisée par une ouverture, au moyen de laquelle est rendu possible le passage d’une région cosmique à une autre (du Ciel à la Terre et vice versa : de la Terre dans le monde inférieur) ; la communication avec le Ciel est exprimée indifféremment par un certain nombre d’images se référant toutes à l’Axis muni… autour de cet axe cosmique s’étend le « Monde » ( « Monde », par conséquent l’axe se trouve « au milieu », dans le  « nombril de la Terre », il est le Centre du Monde    –  Mircea Eliade.

Caspar David Friedrich - Temple de Junon à Agrigente, vers 1828-1830

Caspar David Friedrich – Temple de Junon à Agrigente, vers 1828-1830

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Les lieux…

    Nous rencontrons, nous traversons souvent des lieux, alors qu’ailleurs il n’y en a plus. Qu’est-ce qu’un lieu ? Une sorte de centre mis au monde avec un ensemble.  […]. Dans les lieux, il y a communication entre les mondes, entre le haut et le bas…

Philippe Jaccottet, La seconde semaison (Carnet 1980-1994 paru en 1996)

   Plus particulièrement : qu’est ce qu’un lieu ?
     Qu’est-ce qui fait qu’en un lieu […] on ait dressé un temple, transformé en chapelle plus tard : sinon la présence d’une source, et le sentiment obscur d’y avoir trouvé un « centre » ? Delphes était dit « l’ombilic du monde » en ce sens, et dans les années de son égarement visionnaire, Hölderlin s’est souvenu de ces mots pour les appliquer à Francfort, où il avait aimé Diotima. Une figure se crée dans ces lieux, expression d’une ordonnance. On cesse, enfin, d’être désorienté. Sans pouvoir l’expliquer entièrement, ou le prouver, on éprouve une impression semblable à celle que donnent les grandes architectures; il y a de nouveau communication, équilibre, entre la gauche et la droite, la périphérie et le centre, le haut et le bas. Murmurante plutôt qu’éclatante, une harmonie se laisse percevoir. Alors, on a plus envie de quitter cet endroit, de faire le moindre mouvement : on est contraint, ou plutôt porté au recueillement.

Philippe Jaccottet, Paysages avec figures absentes (1970 puis 1976).

    […] je comprends que je suis encore dans un temps où les outils de fer, les bêtes, les plantes et le mouvement des constellations se lient par des attaches simples et fortes; et je me dis que ces temples dont je ne vois plus que les ruines, encore si grandes, ont été les demeures réservées au nouement et au renouement de ces liens, aujourd’hui rompus pour notre désespoir et, peut-être, notre perte. Nous ne pourrions éprouver tant de déférence devant leurs débris s’ils n’avaient pas accomplis un travail essentiel d’écoute et de filtrage des messages  le plus lointains, de transformation de ces ondes en parole humaine […]
    […] Pour moi, ces temples ne peuvent être que des rappels, destinés à rester de toute façon lointains, les preuves superbes d’une chance d’harmonie, donc une espèce d’issue que tout nie aujourd’hui, mais qui n’intéresse plus nos enchaînements de négations, nos nuages d’encre noire, la délectation du déchet.

Philippe Jaccottet, Cristal et fumée (1993).

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Philippe Jaccottet

Philippe Jaccottet, né le 30 juin 1925 à Moudon, est un écrivain, poète, critique littéraire et traducteur suisse vaudois. Très tôt intéressé  par la poésie et l’écriture, il sera très lié au poète vaudois Gustave Roud qui l’initiera au romantisme allemand (Novalis et Hölderlin) et éveillera son intérêt et sa sensibilité à la beauté de la nature et des paysages. Après un séjour à Paris, de 1946 à 1953, il s’installe avec sa femme, artiste peintre à Grignan dans la Drôme. La découverte de ce lieu qu’il qualifiera de « lieu avant tous les autres » influencera profondément le poète. Il a écrit de nombreux ouvrages et fait œuvre de traducteur en traduisant des auteurs allemands tels que Goethe, Hölderlin, Musil, Rilke, Thomas Mann mais aussi les italiens Leopardi et Ungaretti ainsi que l’Odyssée d’Homère.

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