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Le Renard et les Raisins
Certain Renard Gascon, d’autres disent Normand,
Mourant presque de faim, vit au haut d’une treille
Des Raisins mûrs apparemment,
Et couverts d’une peau vermeille.
Le galand en eût fait volontiers un repas ;
Mais comme il n’y pouvait atteindre :
« Ils sont trop verts, dit-il, et bons pour des goujats. »
Fit-il pas mieux que de se plaindre ?Jean de La Fontaine
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Ressentiment ou quand le ressenti ment…
Combien de fois, tel le renard de la fable, nous mentons-nous à nous-même lorsque quelque chose que nous avons ardemment désiré nous est refusé. Une demoiselle a dédaigné nos avances ? Elle n’était finalement pas si bien que cela et sur le plan intellectuel laissait à désirer et si elle préfère un goujat à notre auguste personne, grand bien lui fasse, elle ne méritait finalement pas mieux… Notre candidature a un emploi a été refusé ? Le DRH était un imbécile qui n’a rien compris et qui ne sait pas ce que sa société va perdre en nous laissant échapper… Nous avons du mal à assumer nos échecs et notre impuissance et nos mensonges qui constituent une forme de déni de la réalité sont un moyen de retourner la situation à notre profit. Pauvre petite et mesquine victoire dont nous ne serons jamais tout à fait dupes. Au fond de nous-mêmes un sentiment de dépit, de rancœur, de jalousie et parfois même de haine envers les goujats qui nous ont volés ce qui nous était destiné nous dévore et nous brûle, c’est ce sentiment qu’en philosophie ou en psychologie on nomme le ressentiment.
Le ressentiment est chez un individu ou un groupe d’individus le fait de se souvenir avec rancune et animosité de situations ou d’actions dont ils ont ou pensent avoir été victimes comme des mauvais traitements, des injustices, des actes humiliants ou discriminatoires; c’est donc un sentiment éprouvé en retour d’une offense, d’une injure ou d’une blessure préalable. Les victimes de tels actes éprouvent alors un sentiment d’humiliation et de frustration et d’injustice et un profond désir de vengeance.
Le professeur Richard Glauser de l’Université de Neuchâtel a, dans un article publié en 1996 intitulé (Ressentiment et valeurs morales : Max Scheler, critique de Nietzsche) et portant comme son titre l’indique sur les différences d’interprétation de ce sentiment chez les philosophes Nietzche et Scheler, défini le mécanisme de naissance et de développement du ressentiment chez des personnes qui se considèrent comme victimes d’injustices. Son énoncé est si exhaustif et si clair que je ne peux résister à vous le présenter.
« Le «ressentiment» étant un phénomène essentiellement réactif, le désir de vengeance est tout indiqué pour en être la source principale. En effet, le désir de vengeance suppose une croyance, vraie ou fausse, en une offense, une injure ou une blessure préalable contre laquelle le sujet réagit. Il est vrai que le désir de vengeance n’est pas le seul sentiment réactif; il y a aussi, par exemple, la tendance à la riposte et la tendance à la défense, accompagnées ou non d’indignation, de colère, de haine ou de rage. Mais le désir de vengeance n’est pas réductible à une simple tendance à la riposte. En effet, celui qui veut se venger d’une offense ou d’une blessure, ne cherche pas à réagir immédiatement. Au contraire, il retient sa tendance à riposter, ainsi que les émotions de colère ou de haine qui l’accompagnent ; on dit : « la vengeance est un plat qui se mange froid ». Il les retient, les suspend, mais ne les refoule pas; du moins il ne les refoule pas encore. En second lieu, l’acte de riposter est délibérément différé ; il est remis à une occasion plus propice (« tu ne perds rien pour attendre »). En troisième lieu, si la tendance à riposter est retenue, et si l’acte de riposter est différé, c’est parce que le sujet prévoit une issue défavorable à une riposte immédiate. C’est-à-dire, il pense qu’il est impuissant à riposter immédiatement. C’est précisément le sentiment d’impuissance, lié au désir de vengeance, qui fait de ce désir l’origine principale du ressentiment. Or, le désir de vengeance cesserait si le sujet réalisait effectivement l’acte vengeur ajourné. Il pourrait aussi cesser, par exemple, si celui dont on veut se venger était puni par autrui à la satisfaction de l’intéressé, ou si le tort était réparé à la satisfaction de l’intéressé, ou encore, d’une façon morale, par le pardon de l’intéressé. Avec la réalisation d’une de ces éventualités, le désir de vengeance ne donnerait pas lieu au ressentiment. Pour qu’il y ait ressentiment, il faut qu’aucune de ces issues ne se réalise ; il faut que la rancune ou le désir de vengeance subsiste, inassouvi. D’autre part, si après un laps de temps le sujet constate qu’il est toujours incapable de réaliser l’acte différé, et surtout, s’il pense qu’il sera incapable de le faire à l’avenir, alors le sentiment d’impuissance s’intensifie. Il peut aussi s’intensifier si le sujet sait que l’offense subie n’est pas réparable parce que, loin d’avoir été un événement ponctuel, elle est un état de choses permanent et inaltérable. En bref, une autre condition du ressentiment est que le désir de vengeance subsiste alors même que le sujet constate que l’acte vengeur est – ou est devenu – impossible, ce qui a pour effet de prolonger et d’accroître le sentiment d’impuissance.
Mais il faut ajouter que si le désir de vengeance, le sentiment d’animosité ou de haine, ainsi que le sentiment accru d’impuissance, se prolongent dans le temps, cela ne signifie pas simplement que le sujet se souvient de ces sentiments. Cela signifie que ces sentiments sont constamment ravivés dans la conscience. D’où, d’ailleurs, le terme de ressentiment : « c’est une reviviscence de l’émotion même, un re-sentiment ». Et cette reviviscence continuelle des sentiments permet d’expliquer ce qu’on appelle la rumination, qui est typique du ressentiment. […] nous pensons l’interpréter correctement en disant que le processus global de la formation du ressentiment contient un épisode circulaire : d’abord, le sentiment d’impuissance est une condition nécessaire du désir de vengeance, et l’intensité du désir de vengeance est fonction de l’intensité du sentiment d’impuissance ; ensuite, l’incapacité à réaliser l’acte de vengeance différé ravive et intensifie le sentiment d’impuissance, qui, à son tour, intensifie le désir de vengeance ainsi que le sentiment d’animosité ou de haine, et ainsi de suite. Mais ce mouvement circulaire ne saurait se prolonger indéfiniment. Car le désir de vengeance et le sentiment d’impuissance sont des états conflictuels. Etant sans cesse ravivés, ils rendent d’autant plus intense le conflit émotionnel auquel ils donnent lieu. L’existence de ce conflit intense est essentiel au ressentiment: « C’est […] à la suite d’un conflit intérieur d’une violence particulière qui met aux prises, d’une part la rancune, la haine, l’envie, etc., et leurs modes d’expression, de l’autre l’impuissance, que ces sentiments prennent forme de ressentiment »,
Jusqu’ici, le désir de vengeance, la haine et le sentiment d’impuissance sont conscients. Mais une fois le conflit émotionnel devenu insupportable pour le sujet, il y aura un épisode de refoulement, qui sera une nouvelle étape dans le processus global de la formation du ressentiment. Mais avant de parler du refoulement, il convient de mentionner une dernière condition du désir de vengeance. […] il est de la nature du désir de vengeance « de postuler l’égalité entre l’offensé et l’offenseur ». C’est-à-dire, une des conditions psychologiques du désir de vengeance est que celui qui veut se venger d’autrui croie, à tort ou a raison, qu’il est, sous au moins un rapport, l’égal de l’offenseur. Cette condition est importante parce qu’elle permet de rendre compte du fait que le désir de vengeance, contrairement à la colère, la haine et la rage, qui peuvent accompagner ce désir, est toujours accompagné de la croyance d’avoir raison, comme si l’offensé avait un droit de son côté. Elle permet également de rendre compte du fait que, dans certains cas, la vengeance peut même être considérée comme un devoir.
Richard Glauser (Ressentiment et valeurs morales : Max Scheler, critique de Nietzsche) — Pour l’article complet, c’est ICI
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Le ressentiment chez Nietzsche
Nietzsche (1844-1900), dans la Généalogie de la morale aborde le ressentiment dans sa recherche sur le fondement de la morale au-delà de la pratique sociale. Il partira de l’analyse de la révolte des esclaves dans l’Antiquité pour montrer que ce sentiment est à la base de la création des valeurs morale et religieuse du christianisme et de la civilisation occidentale. Nietzsche s’oppose au ressentiment dans la mesure où ce sentiment est induit par un mécanisme psychologique essentiellement réactif donc négateur et constitue l’aveu d’une inaction, d’une impuissance. C’est ce qu’il nomme une « morale d’esclave ». Pour lui, les êtres de ressentiment sont des individus pour qui « la véritable réaction, celle de l’action, est interdite et qui ne se dédommagent qu’au moyen d’une vengeance imaginaire ». Quand le désir de vengeance devient une obsession et ne laisse plus la pensée en repos, il rend ainsi impossible toute extériorisation et dépassement de la situation. Incapable d’admettre son impuissance, l’homme de ressentiment va inventer des justifications à cette impuissance et chercher à s’attribuer une supériorité morale imaginaire que Nietzsche résume ainsi : « ils sont méchants, donc nous sommes bons. » ou « le monde est foncièrement déterminé par le mal, donc nous lui sommes supérieurs. » (phénomène d’hyper-compensation). Dans le christianisme, l’étape ultime du ressentiment est le nihilisme, la volonté d’anéantissement dans laquelle la réaction négative se tourne contre la vie en général au bénéfice d’un idéal ascétique et de la survie dans un arrière-monde (Hinterwelt).
Pour Nietzsche le seul moyen d’échapper au ressentiment est de le dépasser en surmontant le désir de vengeance. En s’engageant dans cette voie, celui qui se considère comme victime rompt le cercle infernal de l’impuissance et place la force de son côté.
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Le ressentiment chez Max Scheler
Max Scheler (1874-1928) reprend la plupart des thèses de Nietzche sur le ressentiment à l’exception de celles qui relient la morale chrétienne à ce sentiment. Le fait qu’il se soit converti au christianisme y est peut-être pour quelque chose… Pour Max Scheler la théorie de Nietzsche contient un mélange de vérités et d’erreurs et il en fait la critique dans un article écrit en 1912, remanié plus tard « Das Ressentiment im Aufbau der Moralen » paru en France en 1958 sous le titre « L’Homme du ressentiment » et dans lequel il donne sa définition du ressentiment :
« Le ressentiment est un autoempoisonnement psychologique, qui a des causes et des effets bien déterminés. C’est une disposition psychologique, d’une certaine permanence, qui, par un refoulement systématique, libère certaines émotions et certains sentiments, de soi normaux et inhérents aux fondements de la nature humaine, et tend à provoquer une déformation plus ou moins permanente du sens des valeurs, comme aussi de la faculté de jugement. Parmi les émotions et les sentiments qui entrent en ligne de compte, il faut placer avant tout la rancune et le désir de se venger, la haine, la méchanceté, la jalousie, l’envie, la malice. ».
Voici comment le professeur Richard Glauser présente la position de Scheler sur les rapports existant entre la théorie du ressentiment et les valeurs morales chrétienne et comment il se différencie de Nietzsche sur ce sujet :
« Selon Scheler, Nietzsche a confondu l’amour et l’altruisme. L’altruiste cherche à être bienfaisant à l’égard des personnes démunies ou faibles à cause d’un ressentiment dirigé contre certaines valeurs qu’il désire secrètement, telles la puissance, la force et la richesse, et à cause d’une haine dirigée spécialement contre lui-même parce qu’il se sait impuissant à les atteindre. Par ses actes bienfaisants à l’égard des malheureux, il multiplie les signes extérieurs de l’amour chrétien. Mais ces actes sont des moyens pour lui de détourner son attention de son impuissance et de la haine qu’il se voue. Toutefois, si Nietzsche a pu confondre amour et altruisme, c’est à cause de leur ressemblance extérieure : « Plus je médite la question, et plus je me convaincs que l’amour chrétien est, dans sa racine, absolument pur de ressentiment ; et cependant, il n’est pas de notion que le ressentiment puisse mieux utiliser à ses propres fins, en lui substituant une autre émotion, grâce à un effet d’illusion si parfait que l’œil le plus exercé ne parvient plus à discerner du véritable amour un ressentiment où l’amour ne serait plus qu’un moyen d’expression »
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Le ressentiment chez Ludwig Klages
Ludwig Klages (1872-1956) surtout connu comme caractérologie et pour avoir établi le sfondemenst de la graphologie a été l’une des références majeures du groupe utopiste de Monte Verità dans le Tessin et est l’un des penseurs allemands qui, à l’instar de Scheler, ont approfondi les idées de Nietzsche sur le ressentiment. Klages utilise l’expression Lebensneid (littéralement l’envie de la vie) pour désigner la forme la plus virulente et la plus radicale du ressentiment : l’envie qui porte sur la richesse vitale d’autrui. Lorsque le plaisir de vivre est perverti par le désir absolu de puissance, de l’affirmation de soi et de la domination du monde, les personnes qui ont succombé à cette tentation ont quitté le monde de la qualité pour celui de la quantité, la sphère de la vie pour celle de l’esprit :
« Dès lors que, dans la mobilisation personnelle en vue d’une quelconque performance, à l’intérieur d’un groupe d’êtres humains, d’une classe, d’une profession, d’un peuple, d’un siècle, c’est le pur esprit de compétition qui l’emporte sur l’intérêt pour la chose, l’accent dans les valeurs passe du qualitatif au quantitatif, jusqu’au complet refoulement du sentiment d’accomplissement (de quelque nature qu’il soit) au profit de cette chose contraire à la vie, le record, qui, de par sa nature même, n’est sensible qu’au plus grand chiffre, quelle que soit l’activité en cause : écrire des vers, danser ou… manger.» Chez l’homme du ressentiment, précise Klages, cette réserve vitale est au bord de l’épuisement. «Quand Nietzsche emploie les mots sentiment de fatigue ou sentiment d’épuisement, ce n’est pas au corps qu’il faut penser, mais à une inaptitude au plaisir qui colore tout, une chose bien différente de la dépression organique à la quelle on peut la comparer à une apathie croissante, à une incapacité intérieure de jouir, à une impuissance à vivre tout engagement affectif, en un mot à cette exclusion de la vie que nous avons décrite. »
C’est la haine de la joie inconnue. S’il existe un remède à cette haine, ce remède suppose un absolu détachement en même temps qu’une parfaite lucidité à l’égard de soi-même. Seule la joie d’être dans la vérité peut consoler de la peine d’être hors de la vie.
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Le ressentiment chez Marc Ferro
Marc Ferro, historien, a écrit un livre sur ce thème Le ressentiment dans l’histoire. Voici ce qu’il écrit sur le sujet : « À l’origine du ressentiment chez l’individu comme dans le groupe social, on trouve toujours une blessure, une violence subie, un affront, un traumatisme. Celui qui se sent victime ne peut pas réagir, par impuissance. Il rumine sa vengeance qu’il ne peut mettre à exécution et qui le taraude sans cesse. Jusqu’à finir par exploser. Mais cette attente peut également s’accompagner d’une disqualification des valeurs de l’oppresseur et d’une revalorisation des siennes propres, de celles de sa communauté qui ne les avait pas défendues consciemment jusque-là, ce qui donne une force nouvelle aux opprimés, sécrétant une révolte, une révolution ou encore une régénérescence. C’est alors qu’un nouveau rapport se noue dans le contexte de ce qui a sécrété ces soulèvements ou ce renouveau. » et encore : « La reviviscence de la blessure passée est plus forte que toute volonté d’oubli. L’existence du ressentiment montre ainsi combien est artificielle la coupure entre le passé et le présent, qui vivent ainsi l’un dans l’autre, le passé devenant un présent, plus présent que le présent. Ce dont l’Histoire offre maints témoignages. »
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Le ressentiment chez Marc Angenot
Le québecois Marc Angenot traite de l’« idéologie du ressentiment » qu’il assimile à « revanche des vaincus » étant sur ce point particulier très proche de Nietzsche. le constat est fait qu’aujourd’hui, les « grands récits » idéologiques rassembleurs sont épuisés et remplacés par des « micro-récits » identitaires, nationalistes, communautaires ou tribaux. Ces discours sont véhiculés par des groupuscules qui tendent à se replier sur eux-mêmes et à se « réifier » en idéologie. Ces groupes ethniques ou sociaux « ne se définissent pas pas à l’origine par une identité collective pleine mais par un manque, une infériorisation collectivement éprouvée et les revendications qui en découlent d’une perte commune ». Angenot rapporte à la pensée du ressentiment « Toute idéologie qui paraît raisonner comme suit : je suis enchaîné, pauvre, impuissant, ignorant, servile, vaincu — et c’est ma gloire, c’est ce qui me permet de me rendre immédiatement supérieur, dans ma chimère éthique, aux riches, aux puissants, aux talentueux, aux victorieux. »
Pour Marc Angenot , le ressentiment demeure une composante tant des idéologies de droite (nationalisme, antisémitisme) que de gauche (socialisme, féminisme, militantismes minoritaires, tiers-mondisme). Son essai étayé à partir d’une lecture de Max Scheler et de Nietzsche dérange et a créé une vive polémique dans les journaux en particulier quand elle présente les nationalistes comme des êtres gouvernés par le ressentiment, qui se perçoivent comme des victimes.
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Les critiques de la théorie du ressentiment
D’autres philosophes refusent la diabolisation du ressentiment ou faut au moins l’utilisation qui en est faite :
C’est ainsi que Vladimir Jankélévitch répondra à Nietzsche : « S’il n’y a pas d’autre manière de pardonner que le bon-débarras, alors plutôt le ressentiment ! Car c’est le ressentiment qui impliquerait ici le sérieux et la profondeur : dans le ressentiment, du moins, le cœur est engagé, et c’est pourquoi il prélude au pardon cordial. »
Pour sa part, l’écrivain québécois nationaliste André Brochu qui s’est senti mis en cause par l’assimilation du nationalisme à un effet du ressentiment par son compatriote Marc Angenot, écrit : « Mon oeuvre, dès lors, n’a pas toujours l’aseptique bienséance requise. Elle garde souvent l’odeur d’intimes défaites. Celle du ressentiment, peut-être. Oui, du ressentiment. J’aime ce mot de plus en plus. Il fleure tellement la bonne conscience des vainqueurs que je le veux porter comme un stigmate.» (cité par Réginald Martel, « Brochu et Ricard à l’Académie des lettres « , La Presse, 28 septembre 1996).
Dans un ouvrage collectif Le ressentiment, passion sociale, paru aux Pressses Universitaires de Rennes sous la direction d’Antoine Grandjean et Florent Guénard qui prolonge en de nombreux points l’étude de Marc Ferro (Le ressentiment dans l’histoire, 2007), les auteurs visent à revaloriser ce sentiment qui, pour la société, loin d’être une passion négative, peut être dynamique et créative et s’affirmer comme une passion « productrice du politique ». Comme le suggère l’un des auteurs, le ressentiment serait bel et bien, non une pathologie à l’usage des pauvres, des opprimés, des « précarisés » ou des minorités, mais une « passion sociale démocratique » créatrice de valeurs, porteuse d’imaginaires et d’enjeu de justice.
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Rennes – des femmes voilées défilent contre l’islamophobie
Ressentiment et communautarisme
A l’éclairage de la montée des nationalismes et du communautarisme politique ou religieux dans nos sociétés, le problème qui se pose aujourd’hui est celui de la liaison supposée entre le ressentiment et ces mouvements identitaires. En particulier, la montée du communautarisme musulman dans les pays européens est-elle l’expression sincère d’une identité et d’une différence que des musulmans veulent « vivre » pleinement dans ces sociétés ou bien est-elle la résultante, pour des raisons sociales et historiques, d’un phénomène de ressentiment vécu de manière consciente ou inconsciente sous une forme de confrontation absolue avec l’occident.
Manifestation islamiste en Grande-Bretagne
La réflexion que nous avons l’intention de mener sur ce thème comportera quatre volets :
- définition du ressentiment (l’actuel article)
- comment sortir du ressentiment en présentant plusieurs exemples dans le monde où des procédures de réconciliation ont été menés (Commission dialogue, vérité et réconciliation en Afrique du Sud, Commission de vérité et réconciliation du Canada, réconciliation aborigène en Australie)
- le ressentiment croisés dans les pays occidentaux et les pays arabo-musulmans
- le cas français
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