Lorsqu’il peint cette marine nocturne vers 1894-1894, Vallotton a déjà rallié le groupe des Nabis fortement influencés par le symbolisme sous l’influence des peintres Maurice Denis, Ker-Xavier Roussel, Paul Sérusier et Édouard Vuillard. Le formalisme sinueux de la composition, le traitement contrasté des couleurs traitées en aplats et l’utilisation du clair-obscur dans des ambiances nocturnes ou tamisées confèrent à l’ensemble un caractère fantastique qui le rattache au courant symboliste. Ce type de représentation sera par la suite souvent repris par Valloton comme le montrent les toiles suivantes.
La nuit était venue, je suis allé à ma chambre, anxieux de rester maintenant dans l’obscurité sans plus voir le ciel, les champs et la mer rayonner sous le soleil, Mais quand j’ai ouvert la porte, j’ai trouvé la chambre illuminée comme au soleil couchant. Par la fenêtre je voyais la maison, les champs, le ciel et la mer, ou plutôt il me semblait les “revoir” en rêve ; la douce lune me les rappelait plutôt qu’elle ne me les montrait, répandant sur leur silhouette une splendeur pâle qui ne dissipait pas l’obscurité, épaissie comme un oubli sur leur forme. Et j’ai passé des heures à regarder dans la cour le souvenir muet, vague, enchanté et pâli des choses qui, pendant le jour, m’avaient fait plaisir ou m’avaient fait mal, avec leurs cris, leurs voix ou leur bourdonnement.
L’amour s’est éteint, j’ai peur au seuil de l’oubli ; mais apaisés, un peu pâles, tout près de moi et pourtant lointains et déjà vagues, voici, comme à la lumière de la lune, tous mes bonheurs passés et tous mes chagrins guéris qui me regardent et qui se taisent. Leur silence m’attendrit cependant que leur éloignement et leur pâleur indécise m’enivrent de tristesse et de poésie, Et je ne puis cesser de regarder ce clair de lune intérieur.
Marcel Proust, Les Plaisirs et les Jours, chapitre XXIV
Caspar David Friedrich – Deux frères contemplent le coucher du soleil, entre 1830 et 1835
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Coucher de soleil intérieur.
Comme la nature, l’intelligence a ses spectacles. Jamais les levers de soleil, jamais les clairs de lune qui si souvent m’ont fait délirer jusqu’aux larmes, n’ont surpassé pour moi en attendrissement passionné ce vaste embrasement mélancolique qui, durant les promenades à la fin du jour, nuance alors autant de flots dans notre âme que le soleil quand il se couche en fait briller sur la mer, Alors nous précipitons nos pas dans la nuit. Plus qu’un cavalier que la vitesse croissante d’une bête adorée étourdit et enivre, nous nous livrons en tremblant de confiance et de joie aux pensées tumultueuses auxquelles, mieux nous les possédons et les dirigeons, nous nous sentons appartenir de plus en plus irrésistiblement, C’est avec une émotion affectueuse que nous parcourons la campagne obscure et saluons les chênes pleins de nuit, comme le champ solennel, comme les témoins épiques de l’élan qui nous entraîne et qui nous grise, En levant les yeux au ciel, nous ne pouvons reconnaître sans exaltation, dans l’intervalle des nuages encore émus de l’adieu du soleil, le reflet mystérieux de nos pensées :nous nous enfonçons de plus en plus vite dans la campagne, et le chien qui nous suit, le cheval qui nous porte ou l’ami qui s’est tu, moins encore parfois quand nul être vivant n’est auprès de nous, la fleur à notre boutonnière ou la canne qui tourne joyeusement dans nos mains fébriles, reçoit en regards et en larmes le tribut mélancolique de notre délire.
Marcel Proust, Les Plaisirs et les Jours, chapitre XXIII
Sulphur Island, published by John Murray, London – 1828
Planche en couleur issue d’une publication de la célèbre maison d’édition John Murray de Londres représentant Sulphur Island, une île volcanique découverte par le capitaine Basil Hall en 1818 au cours d’un voyage d’exploration sur les cotes ouest de la Corée et des Grandes Îles Liou-Tcheou. La maison d’édition fut fondée en 1768 par l’officier de la Marine royale d’origine écossaise John Murray (1745-1793). Son fils John Murray II qui reprit les rênes de l’affaire est aussi connu pour avoir, avec l’aide de cinq amis de Byron dont il était l’éditeur, d’avoir pris la décision de détruire dans la cheminée de son bureau les journaux manuscrits des deux volumes de mémoires du poète dans le but de protéger sa réputation, ceci contre l’avis du seul Thomas Moore.
Nax, commune de montagne (altitude 1.286 m) située au-dessus de Sion dans le Valais (Suisse)
Nax est une commune suisse du canton du Valais, située dans le district d’Herens, On l’appelle également le Balcon du Ciel du fait de son panorama exceptionnel. Village de Nax : l’existence de la commune de Nax s’établit au XIIe siècle grâce à un document de 1298 des archives communales. Une charte fait en effet mention d’un litige entre les communes de Bramois et de Nax au sujet de la forêt située sous les rochers de Nax.
les rochers de Nax ou le Naxard couché
Pour les érudits et chercheurs qui se sont intéressé à l’oronyme Nax ou Nas, cette appellation est une énigme. Voici le texte que les guides touristiques produisent en général pour tenter d’expliquer l’origine de ce toponyme :
Le Naxard couché ! Na, Nas, Nax… nasus, nez ? D’où vient le nom de Nax, que peut-il bien signifier ? C’est une question récurrente sur le « Balcon du ciel. ». L’Armorial valaisan de 1946 nous enseigne que du XIe au XIVe siècle Nax s’écrivait Nas, puis Nax seulement à partir de 1364. Ce qui se vérifie d’ailleurs aisément dans les archives communales qui remontent au XIIIe siècle. En revanche les toponymistes sont peu clairs et ne s’accordent pas sur l’étymologie de ce mot. Henri Jaccard dans son Essai de toponymie (1906) doute que le mot ait son origine dans nardus, nard, graminée dure et piquante des pâturages de montagne. L’Armorial valaisan (1946) y voit peut-être le sens de prairie, de terrain humide, comme les nombreux Nayes, Naies, Nais, Neys… que l’on trouve en Suisse romande. Les abbés A. Gaspoz et J.-E. Tamini, dans Essai d’histoire de la vallée d’Hérens (1935), affirment que Nas (Nax), en celtique, signifie pré, prairie, nom qui, selon eux, convient à ce beau plateau verdoyant. Jules Guex, dans Noms de lieux alpins (Les Alpes de 1929 et 1930) penche plutôt pour nez (promontoire rocheux) du latin nasus. Qui a raison et que sait-on réellement de la langue celte ? Peu nous importe en fait, Nax pour nez nous convient parfaitement. Une chose est certaine, en parcourant la route de Nax on découvre son promontoire rocheux qui offre une bien curieuse silhouette, comme le montrent les photos et leur transcription graphique ci-dessus. La nature a sculpté ici le profil d’une belle tête humaine un peu renversée. En partant de droite à gauche, le rocher fait jaillir un front bombé, qui protège quelques sourcils suggérés subtilement par des arbres ; au-dessous d’un nez bourgeonnant, la bouche esquisse un léger sourire, et le menton enfin est bien avancé ; le visage s’achève par une formidable pomme d’Adam.
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La majeure partie des toponymistes voient effectivement dans ce toponyme le sens de graminée, pré ou prairie (Henri Jaccard (1906), Armorial Valaisan (1946), A. Gaspoz et J.-E. Tamini (1935)). Seul Jules Guex (en 1929/1930) explique ce terme par la forme d’une éminence rocheuse proche du sommet mais en le rattachant au latin nasus qui veut dire nez et effectivement cette forme peut être assimilée à un profil de visage au nez proéminent. Compte tenu de la faiblesse des études consacrées à la langue celtique et au primat donné à l’explication latine de la plupart des noms de lieux dans les régions anciennement colonisées par Rome, ces savants étaient alors dans l’ignorance de l’importance du substrat linguistique celtique qu’on s’accorde aujourd’hui à reconnaître comme ayant marqué la toponymie de nos régions.
L’hypothèse du chanoine breton François Falc’h Hun : racine celte cnec, nec’h« hauteur »> nec, mac > neh > nef > né, nay, na
En 1970, paraît à Rennes, aux Editions Armoricaines, un petit fascicule écrit par un linguiste spécialiste de la langue bretonne, le chanoine François Falc’Hun (en collaboration avec Bernard Tanguy). Dans cet essai l’auteur signale une confusion souvent établie en breton pour la prononciation de h, x, r, rh, rx, etc… C’est ainsi que le mot breton êr(air) peut être interprété selon la prononciation comme erh ou erc’h(neige), le mot neh comme nec’h(hauteur) et le mot ler (cuir) comme lec’h (place, lieu). (pages 130-131). Ainsi, ce serait par un processus identique à la transformation du mot baggage en barrage quand il est prononcé par un suédois et du ach allemand de achtung en ar de artiste quand il est prononcé par un français que s’opérerait le glissement phonétique du nec’h ou cnec celtique originel en ner ou neh français.
En Bretagne bretonnante, François Falc’Hun va alors recenser les noms de lieux qui possèdent la racine nec’h au sens de hauteur :
Coat-an-Nec’h, « le bois de la colline », hameau de Cornouaille à Collorec.
Penn-an-Néac’h, « l’extrémité ou le sommet de la colline », plusieurs lieux-dits dans le Finistère.
Coata/ner, « le bois de la colline », hameau à Scaër.
Forêt de Coat-an-Hay, « le bois de la colline » dans les Côtes-du-Nord.
Coat-Nay et Coat-Nec’h, toujours « le bois de la colline » avec disparition de l’article an.
Coues/néhan, hameau et Néant-sur-Yvel dans le Morbihan avec le diminutif an.
Moulin-du-Néhou à Maël-Pestivien dans les Côtes-du-Nord qui serait un « moulin des hauteurs » avec -ou, désinence de pluriel celtique.
Quénéac’h-du et Quénarc’h-Du, « la colline noire », dans le Finistère à partir du moyen-breton Knech.
Quénah-Guen, « la colline blanche », dans le Morbihan.
Quénard (côtes-du-Nord) et Quinard (Île-et-Vilaine)
En Bretagne francisée, il explique de la même manière les noms de lieux suivants :
Penn/ère et Pen/net comme d’anciens Pen-Nech, Pen-Né et Pen-Nay, « l’extrémité ou le sommet de la colline ».
le Néard ou le Niard, village juché sur une colline de Plelan-le-Grand en Île-et-Vilaine par un ancien Néac’h, variante de Nec’h.
Ner/mont à saint-Coulomb en Île-et-Vilaine, un ancien Nerc’h avec rajout du nom mont après que le sens de Ner ait été oublié.
Canac’h à Laniscat et Saint-Nicolas-du-Pelem dans les Côtes-du-Nord correspondant à des anciens Canec’h.
Caner à Brélidy (Côte-du-Nord) correspondant à un ancien Canec’h.
Canard(s) de Lanfains et Le Gouray correspondant à des anciens Canec’h.
Etendant sa recherche au reste du territoire français qui ne l’oublions pas était occupé avant la colonisation romaine par des tribus celtes, il explique de la même manière les noms de lieux suivants dans la mesure où le contexte géographique fait apparaître la présence d’une hauteur :
Barde/nac en Charente-Maritime et à Marquay en Dordogne seraient également des Barr-de-Nec’h, des « sommet de la colline », de même que le Bar-do-necchia italien, dérivé de cnecc-ia.
Cap-de-nac dans le Lot (cap-de-nac-ense en 861), forteresse médiévale sur une impressionnante « extrémité de colline » serait un équivalent hybride des nombreux Pen-Nay et Pen-Nec’h ou Penne-an-Nec’h de Basse-Bretagne.
le Mont alpin Pen/nay, 1371 m, au N-E de Chambéry pourrait être un ancien Pen-Nech ou Pen-Nay, c’est à dire le « sommet de la colline ».
Tall-e-Nay dans le Doubs correspondaient au lieux-dits du Morbihan Tell-e-né et Tal-nay, « front de la colline » avec le préfixe breton Tall : front remplacé par le français Front dans Front-e-nac (Gironde et Lot), Front-e-nard (Seine-et-Loire), Front-e-nay en 1362, Front-e-nas (Rhône), Front-e-naud (Seine-et-Loire), Front-e-nay (Jura, Vienne et Deux-Sèvres), Front-e-nex (Savoie Front-e-nay en 1255), Front-o-nas en Isère, Front-a-nas au IXe siècle)
Seyth-e-nex en Haute-Savoie et Saize/nay dans le Jura qui englobe un bois de Saizenay entourant un piton de 735 m seraient des Coat-an-Nec’h, « bois de la colline ».
Née/willer, plusieurs noms de lieux dans le Bas-Rhin qui s’écrivaient aussi Neh/willer seraient issues eux-aussi de la racine celtique cnec, « hauteur » par l’évolution de cette-ci en : cnec > nec > neh > nef > né.
Saint-Jacques-du-Néhaou, dans la Manche, serait un « Saint-Jacques des hauteurs » avec -ou, désinence de pluriel celtique.
Ners dans le Gard qui s’étage au flanc d’un promontoire remarquable (et que ses habitants prononcent (nèh), Ner/ville-la-Forêt qui se dresse en Seine-et-Oise sur une hauteur en bordure de la fortêt de l’Isle-Adam, Nerpol dans l’Isère seraient eux-aussi des « Neh«
les sommets pyrénéens du Pène Nère (2050 m) et du Soum de Nère (2401 m) que l’on explique habituellement par le latin nigrum« noir », pourraient être des cousins gaulois des Pennère et Pen-Nec’h bretons.
De même le Pic d’Anéou (2179 m) qui pourrait-être un ancien Neh-ou et le Pic de Bar/ané (1977 m), un ancien Barr-an-Néh, le « sommet de la montagne »;
les toponymes Conore ou Connore en Peyrilhac en Haute-Vienne et les Conords en Vensat dans le Puy-de-Dôme pourrait être issues de cnoch à partir d’une forme conoch attestée par le Cartulaire de Redon.
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Ainsi, si l’on applique à la commune du Val d’Hérens le raisonnement tenu par François Falc’Hun, l’appellation Nax dériverait d’un ancien Cnec’h celtique, signifiant hauteur ou sommet et qui aurait avec le temps muté en nec’h > nec > nac > nas> nax. Il est à craindre, en l’absence de témoignages écrits antérieurs au XIIe siècle qui auraient permis de connaître les formes anciennes du nom de la commune qu’il ne soit pas possible de trancher entre les trois hypothèses présentées pour expliquer son origine.
Dans sa démonstration, Falc’Hun cite une commune savoyarde du nom de Frontenex, anciennement Front-e-nay en 1255, dont le nom signifierait « le Front de la colline » équivalente à divers lieux-dits que l’on trouve en Bretagne du nom celtique de Tall-e-nay et qui signifie également « le Front de la colline » avec les substantifs celtiques Tall, « Front » et Nay, « hauteur » (Morbihan). Dans le cas des Frontenex de Savoie et de Haute-Savoie, on considère que ces toponymes ont été créés relativement récemment, au moment où la langue française commençaient à s’imposer dans la région avec l’apposition du substantif français « Front » devant un terme dont on ne connaissait plus la signification « Nay« qui signifiait en celte la hauteur.
Hameau de Frontenex à Annecy-le-Vieux en Haute-Savoie
J’ai habité durant plusieurs années la commune d’Annecy-le-Vieux en Haute-Savoie qui est implantée sur le plateau dominant la commune d’Annecy. C’est après la ruine de leur cité Boutae, détruite par les invasions barbares au moment de la chute de l’Empire Romain que les habitants survivants ont reconstruit dans un but défensif une nouvelle bourgade sur le bord du plateau qui dominait l’ancienne cité, le site de plaine ayant abrité jusque là cette dernière étant jugé trop vulnérable. On constate qu’un hameau du nom de Frontenex se situe à proximité immédiate de la rupture de pente entre le plateau (la hauteur) et la plaine. Le lieu où est implanté ce hameau correspond bien au « Front » de la hauteur dont le nom d’origine celtique Nay aurait été conservé. Ajoutons qu’à environ 2 km de ce lieu, il existe un lieu situé sous une falaise du nom de Talabar, Tal-a-bar, lui aussi d’origine celtique puis qu’il signifie « le Front de la barre ». (Voir notre article consacré à ce toponyme, c’est ICI )
It’s four in the morning, the end of December I’m writing you now just to see if you’re better New York is cold, but I like where I’m living There’s music on Clinton Street all through the evening.
I hear that you’re building your little house deep in the desert You’re living for nothing now, I hope you’re keeping some kind of record.
Yes, and Jane came by with a lock of your hair She said that you gave it to her That night that you planned to go clear Did you ever go clear?
Ah, the last time we saw you you looked so much older Your famous blue raincoat was torn at the shoulder You’d been to the station to meet every train And you came home without Lili Marlene
And you treated my woman to a flake of your life And when she came back she was nobody’s wife.
Well I see you there with the rose in your teeth One more thin gypsy thief Well I see Jane’s awake She sends her regards.
And what can I tell you my brother, my killer What can I possibly say? I guess that I miss you, I guess I forgive you I’m glad you stood in my way.
If you ever come by here, for Jane or for me Your enemy is sleeping, and his woman is free.
Yes, and thanks, for the trouble you took from her eyes I thought it was there for good so I never tried.
And Jane came by with a lock of your hair She said that you gave it to her That night that you planned to go clear
Il est quatre heures du matin, cette fin décembre Je t’écris pour savoir si tu vas bien. New York est glacial mais c’est l’endroit où je vis et je l’aime. Il y a de la musique toute la soirée sur Clinton Street.
On m’a dit que tu te construisais ta petite maison dans le désert. Tu n’as plus de raison de vivre désormais. J’espère que tu gardes de tout cela quelques souvenirs
Oui, et Jane est venue avec une boucle de tes cheveux. Elle a dit que tu la lui avais donnée la nuit où tu as décidé de t’en aller. As-tu réussi à partir ?
La dernière fois que nous t’avons vu, tu semblais si vieux Ton célèbre imperméable bleu était déchiré à l’épaule Tu étais allé à la gare attendre tous les trains Et tu es rentré seul, sans Lili Marlene.
Ensuite tu as offert à ma femme un flocon de ta vie. Et quand elle est revenue, elle n’était l’épouse de personne.
Et je te vois, là-bas, une rose entre les dents Un petit gitan voleur de plus, Tiens, je vois que Jane est réveillée. Elle te transmet son bon souvenir.
Et que puis-je te dire de plus, mon frère, mon assassin ? Que pourrais-je bien te dire ? Je crois que tu me manques, je crois que je te pardonne Je suis content que tu te sois mis sur mon chemin.
Si jamais tu reviens ici pour Jane ou pour moi Sache que ton ennemi dort et que sa femme est libre
Oui, et je te remercie d’avoir ôté la tristesse de ses yeux Je pensais qu’elle était installée pour toujours, alors je n’avais rien tenté.
Et puis Jane est arrivée avec une mèche de tes cheveux Elle a dit que tu le lui avais donnée Cette nuit où tu as décidé de disparaître
Qui est cet ami éloigné exilé dans la désert auquel s’adresse Leonard Cohen avec délicatesse et amitié. cet ami qui semble avoir vécu un drame puisqu’il n’a plus de raison de vivre désormais. Il faut croire que ce qui s’est passé n’était pas entièrement négatif puisque Cohen souhaite que son ami en ait gardé quelques souvenirs… Nostalgie, peut-être, pour Cohen. Quel est cet ami qui, au moment de partir, a donné une mèche de ses cheveux à Jane ? Que s’est-il passé entre toi et Jane, mon ami ? Mon ami abandonné et esseulé au vieil imperméable bleu déchiré à l’épaule qui attendait des trains dont personne ne descendait jamais… Que s’est-il passé entre toi, mon ami, et Jane, ma femme, pour qu’elle ne le soit plus ? Qu’as tu fait, toi mon ami, que je n’avais pas fait, que j’avais été incapable de faire, pour qu’elle retrouve le sourire, pour qu’elle redevienne libre ? Je devrais t’en vouloir, mais je ne t’en veux pas, toi mon ami, mon frère, mon assassin. Je t’ai pardonné depuis longtemps et je béni même les circonstances qui ont fait que tu ais croisé notre chemin. Sache, si tu revenais par ici, toi mon frère, mon assassin, que ce soit pour Jane ou pour moi, que Jane est libre et que je ne réagirai pas. L’important pour moi est que Jane ait grâce à toi chassé la tristesse de ses yeux et retrouvé la joie de vivre. Comment pourrais-je t’en vouloir d’avoir accompli ce que j’avais été incapable de réaliser, moi qui avait perdu tout espoir et renoncé. Tu es à la fois mon frère et mon assassin, ma joie et ma douleur, je t’envie et te déteste toit à la fois, nous sommes Jane, toi et moi indissolublement liés par des forces contraires. Et si le triangle que nous formons devait être brisé, si elle devait me quitter pour toi, je revêtirai mon vieil imperméable bleu déchiré à l’épaule et partirai loin, dans le désert, ressassant mes souvenirs…*
* Le morceau semble inspiré d’un histoire vraie bien que Leonard Cohen, cherchant à brouiller le pistes, ait déclaré avoir oublié l’histoire dont il s’agissait. En 1994, interrogé sur la genèse du morceau, il a confié à la BBC :« Le problème, c’est que j’ai oublié le véritable triangle. J’étais dedans, bien sûr. J’ai toujours eu l’impression qu’un homme invisible séduisait la femme avec qui j’étais, mais je ne sais plus si cet homme existait ou s’il était imaginaire. J’ai également toujours eu l’impression d’être cet homme dans ma relation avec d’autres couples, ou qu’il y a toujours un tel personnage dans un mariage. Je ne m’en souviens plus exactement mais j’avais cette impression qu’il y avait toujours une tierce personne, parfois moi, parfois un autre homme, parfois une autre femme. » Mais le mystère de cette chanson, c’est l’identité du narrateur, de l’auteur de cette lettre. Cohen est-il le narrateur éconduit ou le destinataire de la lettre ? Est-il les deux à la fois ? Cette dualité des rôles se confirme quand on sait que, à l’instar du narrateur de la lettre, Cohen vivait au début des années 70 à Clinton Street dans le Lower East Side de New York et que ce « fameux imperméable bleu » lui appartenait et non au « rival » désigné de la chanson. Dans les années 60/70, il prêtait peu d’attention à sa manière de s’habiller et possédait effectivement un vieil imperméable Burberry élimé, déchiré à l’épaule qui aurait été par la suite dérobé dans l’appartement de Marianne, sa compagne au cours des années 60. Mais tout cela n’a en fait aucune importance, il faut, en écoutant cette chanson sublime où comme l’a écrit quelqu’un « la douleur confine à la volupté », s’abandonner à la beauté de la mélodie et du texte et se perdre dans l’ambiguité de la situation.
Ce morceau a dans un premier temps été joué en concert par Judy Collins en 1970, avant l’enregistrement de Cohen. Il a été ensuite maintes fois repris, notamment par Joan Baez, Tori Amos, Jennifer Warnes, AaRON ou encore Saez. Aucun de ces interprètes n’arrivera à se hisser à la hauteur de l’interprétation de Cohen. A mon avis, la plus réussie de ces interprétations est celle de Jennifer Warnes qui à l’inverse de la plupart des autres chanteurs n’a pas craint de se libérer de l’interprétation originale de Cohen et de faire preuve d’originalité.
Né à Salisbury dans le sud de l’Angleterre, Herbert George Ponting débute dans la vie à l’âge de 18 ans en exerçant à Liverpool la profession de son père : banquier. Après quatre années, constatant qu’il n’avait aucune vocation à exercer ce métier et attiré par les mythes de l’Ouest américain, il quitte l’Angleterre pour la Californie où il travaillera dans les mines avant d’acheter un ranch dans les années 1890. C’est en Californie qu’il rencontrera sa femme, Mary Biddle Elliott, avec laquelle il se mariera en 1895 dont il aura une fille Mildred. mais l’exploitation du ranch est un échec et Ponting se reconvertit dans le métier de photographe. Participant à des compétitions, il remportera plusieurs prix et commence à connaître un certain succès avec ses photographies stéréoscopiques. A partir de 1904, répondant à la demande nouvelle de la presse qui commence à imprimer des images photographiques, il débute une activité de reporter freelance en Asie pour des périodiques anglo-saxons couvrant des événements tels que la guerre russo-japonaise et effectuant des reportages en Birmanie, Corée, Indonésie, Chine et Inde. Quatre des plus grands magazines de Londres publieront ses photographies : le Graphic , l’Illustrated London News, le Pearson’s, et le Strand Magazine. En 1905, Ogawa K., un éditeur de Tokyo, lui confiera la réalisation d’un recueil de 25 photographies du Fuji San (3.776 m). Le Fuji San est le nom japonais du volcan que les occidentaux nomment Fuji Yama ce qui est constitue une erreur car Yama signifie déjà montagne, En fait, san est simplement la lecture sino-japonaise du caractère 山 (lecture issue du chinois shan), la lecture proprement japonaise (dite aussi yamato) de ce même caractère étant yama. La lecture Fuji-yama de 富士山 est donc une lecture occidentale fautive de ce que les japonais lisent Fuji-san, le mont Fuji.
couverture du livre publié par K. Ogawa, 1905 et préface (en anglais) de Herbert G. Ponding
Dans le pays de Yamato, Il est notre trésor, notre dieu tutélaire. Nos yeux ne se lassent jamais de regarder Le pic élevé du Mont Fuji
Manyoshu (premier recueil de poésie du Japon, au VIIIe siècle)
photo du Fuji San et du lac Shoji publiée K. Ogawa – photographe Herbert Ponting, 1905.
photo du Fuji San et du lac Shoji publiée K. Ogawa – vue par stéréogramme par le photographe T. Enami, vers 1907.
Ces deux photographies prises par deux photographes différents à deux années d’intervalles et selon un cadrage différent représentent la même vue, prise rigoureusement du même endroit, du Fuji San, 3.776 m (Fuji Yama).
C’est en 1905 que Ogawa K., un éditeur de Tokyo, publie un livre présentant vingt-cinq photos du Fuji San prises par un photographe britannique, Herbert G. Ponting. Si l’édition était de qualité irréprochable et rencontra un grand succès, les japonais critiquaient la manière dont Herbert G. Ponting avait photographié leur montagne sacrée en particulier au niveau du cadrage. Selon eux, seul un japonais avait la faculté de représenter, selon l’esprit et l’âme japonaise, le Fuji San. C’est ainsi que quelques années plus tard, en 1912, Ogawa K. rééditera le même titre mais avec vingt-quatre photos réalisées par trois photographes cette fois japonais dont il faisait partie lui-même. Les deux autres photographes étaientt son ami K. Tamamura et son ancien élève et assistant T. Enami.
Le photographe japonais Okinawa Soba qui a comparé le deux éditions regrette que les photographes japonais aient repris pour la plupart de leurs photos (sans doute par la volonté de leur éditeur) les vues initiales choisies par Herbert G. Ponting. Il aurait préféré qu’ils choisissent leurs thèmes en toute liberté. Pour la vue représentée ci-dessus du Fuji San en arrière-plan du lac Shoji, ildéclare préférer la version de la photographie réalisée par son compatriote Enami car celui-ci a ménagé dans son cadrage un écart suffisamment important entre le sommet de la montagne et la branche d’arbre qui le coiffe, ce qui permet une meilleure visibilité du Fuji San en le détachant de son décor. Il aurait pu également ajouter que la part plus importante prise par le plan d’eau dans la photographie d’Ennemi (elle occupe 37 % de la hauteur de la photo contre 21% dans la photo de Ponting) a pour effet de mettre en valeur la montagne et que le choix d’un cadrage vertical pour la photo a pour effet d’accentuer le sentiment d’élévation que l’on ressent à la vue de celle-ci.
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Pour voirlecontenucompletetinéditdel’éditionjaponaise de 1905, c’est ICI.
Pour voirlecontenucompletetinéditdel’éditionjaponaise de 1912, c’est ICI .
Pour la présentation de vues comparatives des deux éditions sur flickr, c’est ICI .
Autres comparaisons de photos entre Herbert G. Ponting et les photographes japonais
Ponting n’a pas eu de chance car, au moment de sa prise de vue, e sommet du Fuji était caché par un nuage, la montagne sacrée des japonais n’apparaît ainsi pas dans toute sa splendeur mais en dehors de cette malencontreuse circonstance le photographe japonais Enami me semble avoir fait un meilleur choix que le photographe anglais en privilégiant la représentation verticale du paysage qui a pour effet ramener le Fuji au centre de la photo et de lui conférer de cette manière l’importance qu’il mérite. De la même manière les deux personnages n’apparaissent pas, comme dans la prise de vue de Ponting, « noyés » dans l’horizontalité de l’espace mais voient leur présence renforcée. Enfin, le fait de présenter la photo en mode verticale permet d’affirmer l’axe vertical de symétrie qui relie le sommet du Fuji au personnage qui se tient debout sur l’embarcation, effet accentué par le reflet de celui-ci dans l’eau du lac. On remarquera aussi que la structure verticale de l’eau donne plus d’importance à l’étendue d’eau sur laquelle le mont Fuji semble flotter, en équilibre entre l’eau et le ciel.
Peu de différence entre les deux photographies. Il semble que Enami a bénéficié d’une meilleure luminosité qui a permis d’accentuer le conteste entre la côte et la surface du lac. On remarquera problème récurrent chez Ponting de « coller » le sommet de la montagne au bord supérieur de la photo qui nuit à sa mise en valeur.
Photos également très semblables mais toujours le problème du « collage » du sommet de la montagne au bord supérieur du cadre. On a l’impression que Ponting cherche à « remplir » au maximum le cadre de sa photo.
Une nouvelle fois le choix de la présentation verticale de la photo nous semble judicieux. Enami a eu raison de rapprocher les deux personnages et de les placer au centre de la composition. Peut-être aurait-il du donner un peu moins d’importance au premier plan rocheux qui emplit presque la moitié de la photon au détriment du paysage et du ciel qui le domine.