No language

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No language

Washington DC, Dupont Circle.
Un homme a pris un bus
et s’est assis sur un siège près du chauffeur.
C’est un étranger.

Le bus est plein de voyageurs,
tenues soignées, sélectes ou décontractées.
La plupart sont des employés
des administrations d’Etat
qui rejoignent leur domicile
après leur journée de travail.
Yeux tournés vers le spectacle de la rue,
yeux tournés vers on ne sait quel au-delà,
yeux tournés vers d’autres yeux
qui surplombent des lèvres remuantes,
yeux tournés vers les pages mouvantes
d’un livre ouvert sur les genoux,
yeux fermés pris en étau entre des  écouteurs,
yeux vifs, yeux lascifs, yeux las, yeux éteints…

Dans le couloir du bus
deux yeux hagards vont et viennent en tous sens.
Ce sont les yeux d’une vieille femme noire
qui dénote parmi les voyageurs.
Mal attifée, négligée, ébouriffée,
griboullis de visage tout frippé.
Elle bredouille un langage inintelligible
en s’adressant avec véhémence à certains voyageurs :

« Ι#Πx§Θ⇓⊃Δ⊗⊥⌋√ ! »

Les yeux auxquels elle s’adresse restent impassibles
les autres yeux regardent ailleurs
ou jettent de brefs regards à la dérobée, sans bouger la tête,
Tous ces yeux ont choisis de ne pas voir,
de ne pas entendre…
A croire que pour eux, la vieille femme est invisible et muette,
n’est qu’une illusion, un mirage…
Dans son for intérieur, l’étranger prononce les mots :

« NO EXISTENCE »

L’étranger a un sombre pressentiment,
la vieille dame se dirige dans sa direction.
Elle va s’adresser à lui, c’est sûr !
Il tente alors désespérément de rétrécir sur son siège
regrettant de ne pas posséder la faculté des caméléons
qui le ferait se fondre dans le décor.
Son pressentiment était fondé,
quelque chose en lui a attiré l’attention de la vieille,
son allure non américaine sans doute…
Ou peut-être la tension palpable
qui se dégage de tout son être.
La forme rabougrie au vieux manteau râpé, aux vieilles mains ridées tremblotantes qui agrippent un sac d’un autre âge se plante devient lui.

« Ι#Πx§Θ⇓⊃Δ⊗⊥⌋√ ! »

« Ι#Πx§Θ⇓⊃Δ⊗⊥⌋√ ! »

Tous les yeux des passagers se sont maintenant déplacés
et sont fixés sur lui, comme en attente.
Maintenant qu’ils sont tous sortis d’affaire,
ils doivent se délecter de la scène, c’est sûr !
Il se sent obligé de lever la tête.
Son regard croise alors le regard de la vieille femme,
Un regard comme il n’en avait encore jamais vu
Un regard vide qui qui n’arrête pas votre regard
et qui fait que vous vous sentez plonger
dans un abîme sans fond.
L’étranger se sent défaillir
il voudrait éconduire la vieille femme
mais les mots anglais lui manquent
et il ne peut que bredouiller lamentablement :

« NO LANGUAGE »

Enki sigle   Annecy, le 5 septembre 2015

Washington DC - Dupont Circle

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2 réflexions sur « No language »

  1. Ah ! Les yeux qui ne font pas l’affaire du coeur…
    Vos « errances » finissent pas tracer une sentier sensible et culturel curieux de tout, et c’est un plaisir de vous retrouver. Michèle Cointe. Galerie Malebranche.

    • Les yeux ne font pas (toujours) l’affaire du cœur mais comme le dit le renard du Petit Prince : « On ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux »… Mes « errances », comme vous l’écrivez, se situent à l’intérieur d’un labyrinthe et mes articles sont les petits cailloux dont je jalonne le sentier… Bien à vous, Enki

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