toponymie de l’Arpitanie : origine des noms de lieux Nax dans le Val d’Hérens (Valais) en Suisse et Frontenex dans les deux Savoies.

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commune de Nax dans le Val d'Hérens (Valais) en Suisse

Nax, commune de montagne (altitude 1.286 m) située au-dessus de Sion dans le Valais (Suisse)

village

    Nax est une commune suisse du canton du Valais, située dans le district d’Herens, On l’appelle également le Balcon du Ciel du fait de son panorama exceptionnel. Village de Nax : l’existence de la commune de Nax s’établit au XIIe siècle grâce à un document de 1298 des archives communales. Une charte fait en effet mention d’un litige entre les communes de Bramois et de Nax au sujet de la forêt située sous les rochers de Nax.

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les rochers de Nax ou le Naxard couché

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   Pour les érudits et chercheurs qui se sont intéressé à l’oronyme Nax ou Nas, cette appellation est une énigme.  Voici le texte que les guides touristiques produisent en général pour tenter d’expliquer l’origine de ce toponyme :    

     Le Naxard couché ! Na, Nas, Naxnasus, nez ? D’où vient le nom de Nax, que peut-il bien signifier ? C’est une question récurrente sur le « Balcon du ciel. ». L’Armorial valaisan de 1946 nous enseigne que du XIe au XIVe siècle Nax s’écrivait Nas, puis Nax seulement à partir de 1364. Ce qui se vérifie d’ailleurs aisément dans les archives communales qui remontent au XIIIe siècle. En revanche les toponymistes sont peu clairs et ne s’accordent pas sur l’étymologie de ce mot. Henri Jaccard dans son Essai de toponymie (1906) doute que le mot ait son origine dans nardus, nard, graminée dure et piquante des pâturages de montagne. L’Armorial valaisan (1946) y voit peut-être le sens de prairie, de terrain humide, comme les nombreux Nayes, Naies, Nais, Neys… que l’on trouve en Suisse romande. Les abbés A. Gaspoz et J.-E. Tamini, dans Essai d’histoire de la vallée d’Hérens (1935), affirment que Nas (Nax), en celtique, signifie pré, prairie, nom qui, selon eux, convient à ce beau plateau verdoyant. Jules Guex, dans Noms de lieux alpins (Les Alpes de 1929 et 1930) penche plutôt pour nez (promontoire rocheux) du latin nasus. Qui a raison et que sait-on réellement de la langue celte ? Peu nous importe en fait, Nax pour nez nous convient parfaitement. Une chose est certaine, en parcourant la route de Nax on découvre son promontoire rocheux qui offre une bien curieuse silhouette, comme le montrent les photos et leur transcription graphique ci-dessus. La nature a sculpté ici le profil d’une belle tête humaine un peu renversée. En partant de droite à gauche, le rocher fait jaillir un front bombé, qui protège quelques sourcils suggérés subtilement par des arbres ; au-dessous d’un nez bourgeonnant, la bouche esquisse un léger sourire, et le menton enfin est bien avancé ; le visage s’achève par une formidable pomme d’Adam. 

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    La majeure partie des toponymistes voient effectivement dans ce toponyme le sens de graminée, pré ou prairie (Henri Jaccard (1906), Armorial Valaisan (1946), A. Gaspoz et J.-E. Tamini (1935)). Seul Jules Guex (en 1929/1930) explique ce terme par la forme d’une éminence rocheuse proche du sommet mais en le rattachant au latin nasus qui veut dire nez et effectivement cette forme peut être assimilée à un profil de visage au nez proéminent. Compte tenu de la faiblesse des études consacrées à la langue celtique et au primat donné à l’explication latine de la plupart des noms de lieux dans les régions anciennement colonisées par Rome, ces savants étaient alors dans l’ignorance de l’importance du substrat linguistique celtique qu’on s’accorde aujourd’hui à reconnaître comme ayant marqué la toponymie de nos régions.

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L’hypothèse du chanoine breton François Falc’h Hun : racine celte cnec, nec’h « hauteur » > nec, mac > neh > nef > né, nay, na

le chanoine François Falc'Hun (1909-1991)      En 1970, paraît à Rennes, aux Editions Armoricaines, un petit fascicule écrit par un linguiste spécialiste de la langue bretonne, le chanoine François Falc’Hun (en collaboration avec Bernard Tanguy). Dans cet essai l’auteur signale une confusion souvent établie en breton pour la prononciation de h, x, r, rh, rx, etc… C’est ainsi que le mot breton êr (air) peut être interprété selon la prononciation comme erh ou erc’h (neige), le mot neh comme nec’h (hauteur) et le mot ler (cuir) comme lec’h (place, lieu). (pages 130-131). Ainsi, ce serait par un processus identique à la transformation du mot baggage en barrage quand il est prononcé par un suédois et du ach allemand de achtung en ar de artiste quand il est prononcé par un français que s’opérerait le glissement phonétique du nec’h ou cnec celtique originel en ner ou neh français.

     En Bretagne bretonnante, François Falc’Hun va alors recenser les noms de lieux qui possèdent la racine nec’h au sens de hauteur :

  • Coat-an-Nec’h, « le bois de la colline », hameau de Cornouaille à Collorec.
  • Penn-an-Néac’h, « l’extrémité ou le sommet de la colline », plusieurs lieux-dits dans le Finistère.
  • Coata/ner, « le bois de la colline », hameau à Scaër.
  • Forêt de Coat-an-Hay, « le bois de la colline » dans les Côtes-du-Nord.
  • Coat-Nay et Coat-Nec’h, toujours « le bois de la colline » avec disparition de l’article an.
  • Coues/néhan, hameau et Néant-sur-Yvel dans le Morbihan avec le diminutif an.
  • Moulin-du-Néhou à Maël-Pestivien dans les Côtes-du-Nord qui serait un « moulin des hauteurs » avec -ou, désinence de pluriel celtique.
  • Quénéac’h-du et Quénarc’h-Du, « la colline noire », dans le Finistère à partir du moyen-breton Knech.
  • Quénah-Guen, « la colline blanche », dans le Morbihan.
  • Quénard (côtes-du-Nord) et Quinard (Île-et-Vilaine)

En Bretagne francisée, il explique de la même manière les noms de lieux suivants :

  • Penn/ère et Pen/net comme d’anciens Pen-Nech, Pen- et Pen-Nay,  « l’extrémité ou le sommet de la colline ».
  • le Néard ou le Niard, village juché sur une colline de Plelan-le-Grand en Île-et-Vilaine par un ancien Néac’h, variante de Nec’h.
  • Ner/mont à saint-Coulomb en Île-et-Vilaine, un ancien Nerc’h avec rajout du nom mont après que le sens de Ner ait été oublié.
  • Canac’h à Laniscat et Saint-Nicolas-du-Pelem dans les Côtes-du-Nord correspondant à des anciens Canec’h.
  • Caner à Brélidy (Côte-du-Nord) correspondant à un ancien Canec’h.
  • Canard(s) de Lanfains et Le Gouray correspondant à des anciens Canec’h.

    Etendant sa recherche au reste du territoire français qui ne l’oublions pas était occupé avant la colonisation romaine par des tribus celtes, il explique de la même manière les noms de lieux suivants dans la mesure où le contexte géographique fait apparaître la présence d’une hauteur :

  • Barde/nac en Charente-Maritime et à Marquay en Dordogne seraient également des Barr-de-Nec’h, des « sommet de la colline », de même que le Bar-do-necchia italien, dérivé de cnecc-ia.
  • Cap-de-nac dans le Lot (cap-de-nac-ense en 861), forteresse médiévale sur une impressionnante « extrémité de colline » serait un équivalent hybride des nombreux Pen-Nay et Pen-Nec’h ou Penne-an-Nec’h de Basse-Bretagne.
  • le Mont alpin Pen/nay, 1371 m, au N-E de Chambéry pourrait être un ancien Pen-Nech ou Pen-Nay, c’est à dire le « sommet de la colline ».
  • Tall-e-Nay dans le Doubs correspondaient au lieux-dits du Morbihan Tell-e- et Tal-nay, « front de la colline » avec le préfixe breton Tall : front remplacé par le français Front dans Front-e-nac (Gironde et Lot), Front-e-nard (Seine-et-Loire), Front-e-nay en 1362, Front-e-nas (Rhône), Front-e-naud (Seine-et-Loire), Front-e-nay (Jura, Vienne et Deux-Sèvres), Front-e-nex (Savoie Front-e-nay en 1255), Front-o-nas en Isère, Front-a-nas au IXe siècle)
  • Seyth-e-nex en Haute-Savoie et Saize/nay dans le Jura qui englobe un bois de Saizenay entourant un piton de 735 m seraient des Coat-an-Nec’h, « bois de la colline ».
  • Née/willer, plusieurs noms de lieux dans le Bas-Rhin qui s’écrivaient aussi Neh/willer seraient issues eux-aussi de la racine celtique cnec, « hauteur » par l’évolution de cette-ci en : cnec > nec > neh > nef > né.
  • Saint-Jacques-du-Néhaou, dans la Manche, serait un « Saint-Jacques des hauteurs » avec -ou,  désinence de pluriel celtique.
  • Ners dans le Gard qui s’étage au flanc d’un promontoire remarquable (et que ses habitants prononcent (nèh), Ner/ville-la-Forêt qui se dresse en Seine-et-Oise sur une hauteur en bordure de la fortêt de l’Isle-Adam, Nerpol dans l’Isère seraient eux-aussi des « Neh« 
  • les sommets pyrénéens du Pène Nère (2050 m) et du Soum de Nère (2401 m) que l’on explique habituellement par le latin nigrum « noir », pourraient être des cousins gaulois des Pennère et Pen-Nec’h bretons.
  • De même le Pic d’Anéou (2179 m) qui pourrait-être un ancien Neh-ou et le Pic de Bar/ané (1977 m), un ancien Barr-an-Néh, le « sommet de la montagne »;
  • les toponymes Conore ou Connore en Peyrilhac en Haute-Vienne et les Conords en Vensat dans le Puy-de-Dôme pourrait être issues de cnoch à partir d’une forme conoch attestée par le Cartulaire de Redon.

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   Ainsi, si l’on applique à la commune du Val d’Hérens le raisonnement tenu par François Falc’Hun, l’appellation Nax dériverait d’un ancien Cnec’h celtique, signifiant hauteur ou sommet et qui aurait avec le temps muté en nec’h > nec > nac > nas > nax. Il est à craindre, en l’absence de témoignages écrits antérieurs au XIIe siècle qui auraient permis de connaître les formes anciennes du nom de la commune qu’il ne soit pas possible de trancher entre les trois hypothèses présentées pour expliquer son origine.

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Les toponymes Frontenex en Savoie et Haute-Savoie

    Dans sa démonstration, Falc’Hun cite une commune savoyarde du nom de Frontenex, anciennement Front-e-nay en 1255, dont le nom signifierait « le Front de la colline » équivalente à divers lieux-dits que l’on trouve en Bretagne du nom celtique de Tall-e-nay et qui signifie également « le Front de la colline » avec les substantifs celtiques Tall, « Front » et Nay, « hauteur » (Morbihan). Dans le cas des Frontenex de Savoie et de Haute-Savoie, on considère que ces toponymes ont été créés relativement récemment, au moment où la langue française commençaient à s’imposer dans la région avec l’apposition du substantif français « Front » devant un terme dont on ne connaissait plus la signification « Nay« qui signifiait en celte la hauteur.

Hameau de Frontenex à Annecy-le-Vieux en Haute-Savoie

Hameau de Frontenex à Annecy-le-Vieux en Haute-Savoie

    J’ai habité durant plusieurs années la commune d’Annecy-le-Vieux en Haute-Savoie qui est implantée sur le plateau dominant la commune d’Annecy. C’est après la ruine de leur cité Boutae, détruite par les invasions barbares au moment de la chute de l’Empire Romain que les habitants survivants ont reconstruit dans un but défensif une nouvelle bourgade sur le bord du plateau qui dominait l’ancienne cité, le site de plaine ayant abrité jusque là cette dernière étant jugé trop vulnérable. On constate qu’un hameau du nom de Frontenex se situe à proximité immédiate de la rupture de pente entre le plateau (la hauteur) et la plaine. Le lieu où est implanté ce hameau correspond bien au « Front » de la hauteur dont le nom d’origine celtique Nay aurait été conservé. Ajoutons qu’à environ 2 km de ce lieu, il existe un lieu situé sous une falaise du nom de Talabar, Tal-a-bar, lui aussi d’origine celtique puis qu’il signifie « le Front de la barre ». (Voir notre article consacré à ce toponyme, c’est  ICI )

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