En souvenir d’Elsa

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Elsa triolet (1896-1970) - photo prise en 1925

Elsa triolet (1896-1970) – cette photo a été prise en 1925, quatre années après son divorce avec son premier mari, l’officier français André Triolet. Cette période de sa vie sera une période d’errance entre Londres, Berlin, Moscou et Paris, jusqu’au moment où elle rencontrera Louis Aragon en 1928 au café La Coupole à Paris avec lequel elle se mariera en 1939. Durant l’occupation allemande, elle entre avec lui dans la Résistance, dans la zone Sud et  continue à écrire : le roman Le Cheval blanc et des nouvelles publiées aux Éditions de Minuit qui obtiendront le prix Goncourt en 1945 au titre de l’année 1944. Elsa Triolet est la première femme à obtenir ce prix littéraire. Elle assiste en 1946 au procès de Nuremberg sur lequel elle écrit un reportage dans Les Lettres françaises.

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    Il est devenu de bon ton aujourd’hui de critiquer Elsa Triolet et de manière générale les intellectuels compagnons de route du parti communiste, sans se soucier de trier le bon grain de l’ivraie : « Jetez les tous dans la poubelle de l’histoire. Dieu reconnaîtra les siens… », paraphrasant ainsi la phrase qu’aurait prononcé l’Évêque Arnaud Amaury, durant la croisade contre les Albigeois lors du sac de Béziers : « Tuez les tous. Dieu reconnaîtra les siens… ». On lui reproche également apparemment de ne pas avoir levé suffisamment haut le drapeau du féminisme, bien avant l’heure.
    Pour en savoir plus sur la vie d’Elsa Triolet et sur sa participation à la résistance, se reporter à l’article très complet de Marianne Delranc-Gaudric « Elsa Triolet dans la Résistance : l’écriture et la vie », du 12 décembre 2011 sur le site de l’ERITA, c’est   ICI

Elsa Triolet avec Louis Aragon chez leur ami Pierre Seghers à Villeneuve-lès-Avignon en 1941

Elsa Triolet et Louis Aragon chez leur ami Pierre Seghers à Villeneuve-lès-Avignon en 1941

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Quelques poèmes d’Aragon consacrés à Elsa

Elsa Triolet

ELSA

Je suis l’hérésiarque de toutes les églises
Je te préfère à tout ce qui vaut de vivre et de mourir
Je te porte l’encens des lieux saints et la chanson du forum
Vois mes genoux en sang de prier devant toi
Mes yeux crevés pour tout ce qui n’est pas ta flamme
Je suis sourd à toute plainte qui n’est pas de ta bouche
Je ne comprends des millions de morts que lorsque c’est toi qui gémis
C’est à tes pieds que j’ai mal de tous les cailloux des chemins
A tes bras déchirés par toutes les haies de ronces
Tous les fardeaux portés martyrisent tes épaules
Tout le malheur du monde est dans une seule de tes larmes
Je n’avais jamais souffert avant toi
Souffert est-ce qu’elle a souffert
La bête clamant une plaie
Comment pouvez-vous comparer au mal animal
Ce vitrail en mille morceaux où s’opère une mise en croix du jour
Tu m’as enseigné l’alphabet de douleur
Je sais lire maintenant les sanglots Ils sont tous faits de ton nom
De ton nom seul ton nom brisé ton nom de rose effeuillée
Ton nom le jardin de toute Passion
Ton nom que j’irais dans le feu de l’enfer écrire à la face du monde
Comme ces lettres mystérieuses à l’écriteau du Christ
Ton nom le cri de ma chair et la déchirure de mon âme
Ton nom pour qui je brûlerais tous les livres
Ton nom toute science au bout du désert humain
Ton nom qui est pour moi l’histoire des siècles
Le cantique des cantiques
Le verre d’eau dans la chaîne des forçats
Et tous les vocables ne sont qu’un champ de culs-de- bouteille à la porte d’une cité maudite
Quand ton nom chante à mes lèvres gercées
Ton nom seul et qu’on me coupe la langue
Ton nom
Toute musique à la minute de mourir

Louis Aragon, «ELSA», 1959

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Elsa Triolet 2

Aragon

Les Yeux d’Elsa

Tes yeux sont si profonds qu’en me penchant pour boire
J’ai vu tous les soleils y venir se mirer
S’y jeter à mourir tous les désespérés
Tes yeux sont si profonds que j’y perds la mémoire

À l’ombre des oiseaux c’est l’océan troublé
Puis le beau temps soudain se lève et tes yeux changent
L’été taille la nue au tablier des anges
Le ciel n’est jamais bleu comme il l’est sur les blés

Les vents chassent en vain les chagrins de l’azur
Tes yeux plus clairs que lui lorsqu’une larme y luit
Tes yeux rendent jaloux le ciel d’après la pluie
Le verre n’est jamais si bleu qu’à sa brisure

Mère des Sept douleurs ô lumière mouillée
Sept glaives ont percé le prisme des couleurs
Le jour est plus poignant qui point entre les pleurs
L’iris troué de noir plus bleu d’être endeuillé

Tes yeux dans le malheur ouvrent la double brèche
Par où se reproduit le miracle des Rois
Lorsque le coeur battant ils virent tous les trois
Le manteau de Marie accroché dans la crèche

Une bouche suffit au mois de Mai des mots
Pour toutes les chansons et pour tous les hélas
Trop peu d’un firmament pour des millions d’astres
Il leur fallait tes yeux et leurs secrets gémeaux

L’enfant accaparé par les belles images
Écarquille les siens moins démesurément
Quand tu fais les grands yeux je ne sais si tu mens
On dirait que l’averse ouvre des fleurs sauvages

Cachent-ils des éclairs dans cette lavande où
Des insectes défont leurs amours violentes
Je suis pris au filet des étoiles filantes
Comme un marin qui meurt en mer en plein mois d’août

J’ai retiré ce radium de la pechblende
Et j’ai brûlé mes doigts à ce feu défendu
Ô paradis cent fois retrouvé reperdu
Tes yeux sont mon Pérou ma Golconde mes Indes

Il advint qu’un beau soir l’univers se brisa
Sur des récifs que les naufrageurs enflammèrent
Moi je voyais briller au-dessus de la mer
Les yeux d’Elsa les yeux d’Elsa les yeux d’Elsa


Louis Aragon, Extrait de « Les Yeux d’Elsa » – édition Seghers.

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Suffit-il donc que tu paraisses

Suffit-il donc que tu paraisses
De l’air que te fait rattachant
Tes cheveux ce geste touchant
Que je renaisse et reconnaisse
Un monde habité par le chant
Elsa mon amour ma jeunesse

Eau forte et douce comme un vin
Pareille au soleil des fenêtres
Tu me rends la caresse d’être
Tu me rends la soif et la faim
De vivre encore et de connaître
Notre histoire jusqu’à la fin

C’est miracle que d’être ensemble
Que la lumière sur ta joue
Qu’autour de toi le vent se joue
Toujours si je te vois, je tremble
Comme à son premier rendez-vous
Un jeune homme qui me ressemble

M’habituer m’habituer
Si je ne le puis qu’on me blâme
Peut-on s’habituer aux flammes
Elles vous ont avant tué
Ah crevez les yeux de l’âme
S’ils s’habituaient aux nuées

Pour la première fois ta bouche
Pour la première fois ta voix
D’une aile à la cime des bois
L’arbre frémit jusqu’à la souche
C’est toujours la première fois
Quand ta robe en passant me touche

Prends ce fruit lourd et palpitant
Jettes-en la moitié véreuse
Tu peux mordre la part heureuse
Trente ans perdus et puis trente ans
Au moins que ta morsure creuse
C’est ma vie et je te la rends

Ma vie en vérité commence
Le jour où je t’ai rencontrée
Toi dont les bras ont su barrer
Sa route atroce à ma démence
Et qui m’a montré la contrée
Que la bonté seule ensemence

Tu vins au coeur du désarroi
Pour chasser les mauvaises fièvres
Et j’ai flambé comme un genièvre
A la Noël entre tes doigts
Je suis né vraiment de ta lèvre
Ma vie est à partir de toi

Louis Aragon, Extrait de « Le Roman inachevé » – édition Seghers.

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Elsa Triolet

Les Lilas

Je rêve et je me réveille
Dans une odeur de Lilas
De quel côté du sommeil
T’ai-je ici laissée là

Je dormais dans ta mémoire
Et tu m’oubliais tout bas
Ou c’était l’inverse histoire
Étais-je ou tu n’étais pas

Je me rendors pour t’atteindre
Au pays que tu songeas
Rien n’y fait que fuir et feindre
Toi tu l’as quitté déjà

Dans la vie ou dans le songe
Tout a cet étrange éclat
Du parfum qui se prolonge
Et du chant qui s’envola

ô claire nuit jour obscur
Mon absente entre mes bras
Et rien d’autre en moi ne dure
Que ce que tu murmuras

Louis Aragon, Extrait de « Le Fou d’Elsa »

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