Tomas Tranströmer : La maison bleue

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Chagall - Vitbesk

La maison bleue

     Par une nuit de soleil éclatant. Je suis dans la forêt touffue et regarde ma maison aux murs couleur de brume. C’est comme si j’étais mort récemment et que je la regardais sous un angle nouveau.

      Elle est là depuis plus de quatre-vingts étés déjà. Son bois est imprégné de quatre couches de joie et trois couches de douleur. Quand celui qui l’a habitée meurt, on repeint la maison. le mort la peint lui-même, sans pinceau, du dedans.

      De l’autre côté, il y a un terrain découvert. un ancien jardin, aujourd’hui à l’abandon. Des brisants immobiles d’herbes folles, des pagodes d’herbes folles, un texte qui jaillit, des Upaniṣad d’herbes folles, une flotte viking, des têtes de dragons, des lances, un empire d’herbes folles !

17743

       Au-dessus du jardin abandonné voltige l’ombre d’un boomerang, lancé encore et encore. Il est relié à quelqu’un qui a vécu dans la maison, bien avant mon époque. Presque un enfant. Une impulsion en émane, une pensée, une résolution : « créer… dessiner…» pour pouvoir échapper à son destin.

      La maison ressemble à un dessin d’enfant. Une candeur intérimaire, apparue parce que quelqu’un s’est bien trop tôt défait du mandat de l’enfance. Ouvrez la porte et entrez ! Ici, dans la maison, l’agitation règne sous le toit et la paix dans les murs. Le tableau d’un peintre amateur est accroché au dessus du lit : il représente un bateau de dix-sept voiles, des crêtes de vagues qui moussent et un vent que le cadre doré ne parvient pas à contenir.

SV Concordia

      C’est toujours aussi tôt ici, c’est avant la croisée des chemins, avant les décisions irrévocables. merci pour cette vie ! Je manque pourtant d’alternatives. Toutes mes esquisses veulent devenir réalité.

      Au loin, sur l’eau, un moteur étire l’horizon de cette nuit d’été. la douleur et la joie se dilatent ensemble, sous le verre grossissant de la rosée. En fait, nous ne savons pas, mais nous pressentons qu’il existe un bateau jumeau de notre vie, qui suit un tout autre cours. Alors que le soleil flambe derrière les îles.

Tomas TranströmerBaltiques, œuvres complète 1954-2004 – nef Poésie/Gallimard

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Tomas Tranströmer (1931-2015)

     Tomas Tranströmer est un poète suédois, né le 15 avril 1931 à Stockholm et mort le 26 mars 2015 dans la même ville. Psychologue de formation, il a rédigé une quinzaine de recueils en cinquante ans d’écriture. Poète contemporain suédois le plus renommé et le plus traduit, il a reçu de nombreux prix, dont le prix Nobel de littérature en 2011. En 2013, Tranströmer fait partie des signataires, en compagnie de plusieurs écrivains dont quatre autres prix Nobel (Günter Grass, Elfriede Jelinek, J.M. Coetzee et Orhan Pamuk), d’un manifeste contre la société de surveillance et l’espionnage des citoyens orchestré par les États. La renommée de Tranströmer est largement due à la beauté de ses images, la concision de son style, la puissance expressive de ses compositions et sa maîtrise inégalée de la métaphore. Ses poèmes capturent les longs mois d’hiver suédois, le rythme des saisons et la splendeur de la nature. Il explore la relation entre notre intimité et le monde qui nous entoure.     (crédit Wikipedia)

     Plusieurs articles de ce blog ont été réalisés en hommage à ce poète, c’est  ICI ,  ICI ,  ICI ,   ICI  ,   ICI   ,  ICI    et encore  ICI

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