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Moret-sur-Loing – le pont, les bords du Loing et la porte fortifiée de Bourgogne
Alfred Sisley – Moret-sur-Loing, 1891
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Marina Tsvetaeva (1892-1941)
Une poétesse russe à Moret-sur-Loing…
En route pour la Normandie, au cours d’une promenade dans la petite cité médiévale de Moret-sur-Loing dans le département de Seine-et-Marne peinte à plusieurs reprises par Alfred Sisley, une plaque commémorative posée sur le mur d’une maisonnette située au pied de l’église Notre-Dame attire mon attention, on y distingue le portrait d’une jeune femme que je connais bien puisque j’ai parlé d’elle dans ce blog à deux reprises, celui de la grande poétesse russe Marina Tsvetaeva (1892-1941). Elle se réfugiera en France en 1925 jusqu’à son retour en Russie en 1939 où elle connaîtra une fin tragique en 1941.
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Voici ce que la plaque commémorative de Moret-sur-Loing précise à son sujet :
Elle est née à Moscou dans un milieu intellectuel. Son père, Ivan Tsvetaev, professeur à l’université de Moscou, historien d’art renommé, était le fondateur du Musée des beaux-arts de Moscou. L’enfance heureuse et l’éducation traditionnelle sont très tôt marquées par la naissance de la vocation poétique, ainsi que par la mort de sa mère alors qu’elle allait sur ses treize ans. Marina publie son premier recueil poétique, L’album du soir, à compte d’auteur, à dix-huit ans.
Lorsqu’éclate la Révolution russe, Tsvetaeva est déjà un poète connu, femme mariée et mère de famille. Son mari, Serge Efron, élève officier, entre comme volontaire dans l’Armée blanche, formée pour défendre le régime tsariste de la Russie Impériale. Seule à Moscou avec ses deux filles Marina Tsvetaeva produit d’abondantes ouvres poétiques, tout en souffrant des privations de la guerre civile. Elle perd une fille, morte de faim, en 1920. (photo à gauche : Marina en 1917)
Deux ans plus tard, en 1922, elle quitte Moscou pour rejoindre son mari, réfugié à Berlin après la débâcle de l’Armée blanche. L’exil en Occident se prolonge pendant dix-sept ans (1922-1939) : d’abord à Berlin, ensuite à Prague. En 1925 après la naissance du fils Gueorgui (Murr) la famille s’installe en France. Durant toutes ces années d’exil, Tsvetaeva poursuit une œuvre très diversifiée : poèmes, longues compositions épico-lyriques, pièces de théâtre et enfin prose lyrique, critique et autobiographique. Les publications sont pourtant rares, et les ressources de la famille sont très faibles. De ses traductions de Pouchkine, un seul poème, Les Démons, verra le jour de son vivant. Tsvetaeva échappe à la pauvreté extrême grâce à la générosité de rares amis issus en général, comme elle, de l’émigration russe. (photo à gauche : maison du 18 rue de la Tannerie à Moret-sur-Loing où Marina a vécu ).
En 1937, la fille de la poétesse, Ariane, retourne à Moscou, suivie de peu par Serge Efron, contraint de fuir la France à la suite d’un assassinat politique sur ordre du NKVD (police secrète soviétique) auquel il s’est trouvé mêlé. Restée seule en exil, ostracisée par le milieu littéraire des émigrés et poussée par le désir de son fils de connaître l’URSS, Tsvetaeva finit par se décider au retour en 1939. Ce retour ne sera, hélas, une solution pour personne. La poétesse assistera bientôt à l’arrestation de sa fille, qui passera ensuite plusieurs années dans les camps staliniens, puis de son époux (fusillé peu après). Son fils perdra sa vie sur les champs de bataille en 1944. Lorsque l’URSS entre en guerre Marina Tsvetaeva part avec son fils en évacuation en Tatarie et arrivée à Yelabouta met fin à ses jours le 31 août 1941.
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Alfred Sisley – Église de Moret-sur-Loing après la pluie (1894)
Un séjour « sous les chimères » de l’église Notre-Dame à Moret-sur-Loing
Quelle était la raison de sa venue à Moret-sur-Long en cette année 1936 ? la plaque commémorative est peu disserte à ce sujet. on y apprends seulement qu’elle y a séjourné avec son fils Murr à partir de juillet 1936. Ses moyens financiers étaient limités et elle n’occupe alors que les deux chambres au premier étage de la maisonnée. C’est là qu’elle compose ses traductions de poèmes de Pouchkine et rêve de les faire publier pour le centenaire de la mort du poète classique en 1937. Peut-être avait-elle ressenti le besoin de se retirer dans une petite ville tranquille, loin du tumulte parisien, pour mener à bien son entreprise de traduction. Dans la biographie qu’elle a écrite sur la poétesse, « The Double Beat of Heaven and Hell », l’écrivain Lily Feiler écrit que Marina avait été invitée par des amis à y passer l’été et qu’elle espérait que son mari Sergey se joindrait à eux. Dans l’enquête menée par la police française sur les implications de son mari dans le meurtre de l’espion soviétique Ignace Reiss à Lausanne en septembre 1937 après qu’il eut déclaré sa défection à Staline, Marina Tsvetaeva déclare avoir séjourné au château d’Arcine près de Bonneville en Haute-Savoie à la fin de l’été 1936 et précise-t-elle, en août ou en septembre. Elle n’aurait donc séjourné à Moret-sur-Loing qu’un moment très court, un à deux mois en juillet ou en juillet et août 1936.
Voici la lettre qu’elle a écrit à une amie tchèque le 10 juillet 1936 et qui prouve qu’elle était bien présente à Moret-sur-Loing à cette date :
Chère Anna Antonovna, et ça, c’est une réponse au château. C’est par cette porte que l’on sortait vers le fleuve, plutôt vers la rivière au nom merveilleux de Loing ( » loin ! ») (…)
Moret est une petite ville médiévale, près de Fontainebleau, les rues (sauf la principale qui est marchande) semblent être tombée dans l’oubli, pas de monde du tout, par contre une quantité de chats. Et de vieilles femmes ancestrales. Nous habitons au 1er étage, deux chambres à part (Serguej Yakkovlevitch doit arriver plus tard) dont les fenêtres donnent directement dans le dos de l’église. Nous demeurons sous les chimères. (…)
Je traduis Pouchkine, pour le centenaire de 1937 (en français en vers). (…) En ce moment je travaille sur Les Adieux à la mer, mon poème préféré. (…)
Adieux à la mer
Adieu, Espace des Espaces !
Pour une dernière fois mon œil
Voit s’étirer ta vive grâce
Et s’étaler ton bel orgueil.
Telle une fête qui s’achève,
Supplique d’une chère voix —
Ta grave voix, ta voix de rêve
J’entends pour la dernière fois. (…)
Adieu, ô Gouffre ! L’heure presse,
Mais en tout temps et en tout lieu
Me poursuivra sans fin ni cesse
Ta voix à l’heure des adieux.
Dans mon désert sans sources vives
J’emporterai, empli de Toi,
Tes durs granits, tes belles rives,
Tes jets, tes flots, ton bruit de voix…
Alexandre Pouchkine, Odessa, 1824
Traduction Marina Tsvetaeva, Moret-sur-Loing, 1936
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George G. Sjisjkin – portrait de Marina Tsvétaïéva
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Sites et articles liés
- Biographie de Marina Tsvetaeva : c’est ICI
- Poèmes de Marina Tsvetaeva dans 2 articles de ce blog : ICI et ICI
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Retour sur l’article
- 24 mars 2016 : Dans la préface du recueil de poèmes de Marina Tsvétaïéva intitulé « Insomnie » ‘collection de poche Poésie/Gallimard, je suis tombé sur une déclaration de Marina qui faisait étrangement écho à un article que j’avais écrit en décembre 2015 sur le thème de la transfiguration d’un arbre constaté lors d’une de mes promenades sur les bords du lac d’Annecy. L’article s’appelait « Le jour de gloire est arrivé » (c’est ICI ) et une phrase du texte était : «Et je poursuivis mon chemin pensant que dans ce monde, chaque élément du paysage, chaque être, du plus grand au plus insignifiant doit pouvoir connaître ne serait-ce qu’une fois dans son existence son moment de gloire. Il suffit pour cela que les astres soient configurés d’une certaine manière, (…) il fallait aussi qu’un regard soit présent, le regard curieux et attentionné d’un humain que le hasard ou le conditionnement de sa propre trajectoire dans l’espace et le temps auraient conduit en cet endroit et à ce moment précis, là où le phénomène devait se produire.» La phrase relevée de Marina exprimait en plus court quelque chose d’équivalent : « Chaque chose doit resplendir à son heure, et cette heure est celle où des yeux véritables la regardent». Curieusement, je suis tombé à peu près en même temps et tout à fait par hasard sur une vieille et très belle photo de Moret-sur-Loing prise exactement à l’endroit où Alfred Sisley avait peint son tableau en 1891 et où l’on voit de jeunes garçons faisant boire leurs chevaux dans le Loing avec en arrière plan la tour fortifiée de la Porte de Bourgogne. L’hôtel où nous avons fait escale en route pour la Normandie se situait sur la rive du Loing un peu plus à droite.
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