un certain regard…

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le jour de gloire est arrivé…

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     J’étais passé peut-être des centaines de fois près de lui, le visualisant « d’un œil distrait », comme on dit joliment, c’est-à-dire sans le voir vraiment, n’ayant qu’une vague conscience de sa présence. Il était pourtant là, bien ancré dans le monde, mais en même temps totalement absent de mes pensées telles ces personnes que l’on croise dans une foule, que l’on évite de heurter en marchant, mais sans jamais les voir vraiment, notre attention et nos pensées étant dirigées vers un ailleurs lointain où portées sur d’autres personnes.
    Ce jour-là, pour la première fois, l’arbre m’a fait un signe et manifesté sa présence. Oh, pourtant il ne semblait pas au mieux de sa forme, tout dénudé qu’il était, exhibant son tronc sombre et son squelette de houppe branchue dont la noirceur était renforcée par l’effet du contre-jour mais il avait habillé son tronc d’un léger paréo de feuilles clairsemées d’un vert tendre lumineux qui miroitaient sous le soleil. – « Regarde comme cela me va bien » semblait-il me dire dans son langage d’arbre tout en faisant miroiter fièrement sa parure au grès du vent léger et du déplacement des nuages.  – « Tu es bien trop vieux pour jouer Cendrillon au soir de son premier bal » faillis-je lui lancer en boutade, voulant le taquiner; mais je gardais finalement pour moi ces mots méchants de peur de le peiner tellement il était touchant d’irradier ainsi de fierté et de bonheur. – « Tu es tellement beau que cela mérite une photo » finis-je par lui dire et je joignis le geste à la parole. Il prit alors la pose en bombant le torse et fit miroiter son feuillage de plus belle…
     Et je poursuivis mon chemin pensant que dans ce monde, chaque élément du paysage, chaque être, du plus grand au plus insignifiant doit pouvoir connaître ne serait-ce qu’une fois dans son existence son moment de gloire. C’est affaire de Timing comme on dit aujourd’hui. Il suffit pour cela que les astres soient configurés d’une certaine manière, que le globe terrestre occupe une certaine position par rapport au soleil dans une période de temps plus ou moins limitée de façon à ce que que les rayons solaires frappent l’objet à glorifier selon un angle particulier, avec une certaine intensité, mais qu’en même temps, le ciel soit suffisamment dégagé, non obscurci par la présence de nuages qu’une perturbation climatique causée par une éruption solaire ou volcanique, aurait induits. Mais surtout, après que toutes ces conditions nécessaires aient été réunies, il fallait aussi qu’un regard soit présent, le regard curieux et attentionné d’un humain que le hasard ou le conditionnement de sa propre trajectoire dans l’espace et le temps auraient conduit en cet endroit et à ce moment précis, là où le phénomène devait se produire. N’est-ce pas le même phénomène qui se produit lorsque deux êtres qui s’ignoraient jusque là, vivant à des milliers de kilomètres l’un de l’autre voient à l’occasion d’un voyage leurs lignes de vie rencontrer de manière fortuite et sont soudainement frappés par la foudre du sentiment amoureux ?

Enki sigle

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Retour sur l’article

24 mars 2016 : Dans la préface du recueil de poèmes de Marina Tsvétaïéva intitulé « Insomnie » ‘collection de poche Poésie/Gallimard, je suis tombé sur une déclaration de Marina qui faisait étrangement écho au texte ci-dessus :  « Chaque chose doit resplendir à son heure, et cette heure est celle où des yeux véritables la regardent »

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2 réflexions sur « un certain regard… »

  1. Le texte sur la rencontre avec l’arbre, je l’ai lu sans réussir momentanément à me souvenir de
    son auteur; il s’agissait d’ailleurs du fragment d’un récit qui le contenait en partie et avait retenu
    mon attention. Je pense le retrouver si vous souhaitez en savoir davantage. Amicalement. Michèle Cointe.

    • Les fantômes du passé…

      Vous me flattez car comme la signature pouvait le laissait supposer je suis l’auteur de ce texte… Mais peut-être l’ais-je lu effectivement moi-même dans un lointain passé, totalement oublié, et est-il ressorti sous ma plume « à l’insu de mon plein gré » comme le disait si joliment un coureur cycliste.

      Mais peut-être avez-vous vécu vous-même cette expérience somme toute pas si rare de communication intense avec un élément naturel, un arbre par exemple, et mettez-vous sur le compte de la lecture d’un texte littéraire cette remémoration intime…

      L’inconscient nous joue de tels tours…

      Mais si vous retrouviez ce texte originel qui semblerait alors vouloir se jouer de moi, je suis preneur… Tout cela me donne l’idée d’un conte qui narrerait l’histoire d’un texte vagabond ou facétieux qui à travers le temps chercherait à se faire « adopter » par un auteur, mais qui, toujours insatisfait, mènerait une quête perpétuelle…
      Suite à une expérience vécue à plusieurs reprises de recherche infructueuse et exaspérante d’un poème qui disparaissait d’un recueil de poèmes dans lequel j’étais absolument sûr qu’il figurait pour l’avoir lu précédemment, j’avais déjà imaginé l’histoire d’un poème fugueur qui se déplaçait de livre en livre, certains étant d’ailleurs totalement inadaptés à son contenu ce qui provoquait des situations cocasses mais qui finissait toujours par retourner au bercail de son livre premier…

      Bien à vous,
      Enki

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