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La bataille de Fontenoy (9 mai 1745)
Henri Félix Emmanuel Philippoteaux – Bataille de Fontenoy
Dans le cadre de la guerre de Succession d’Autriche (1740-1748), l’armée de Louis XV, roi de France, menée par le maréchal Adrien Maurice de Noailles, envahit en mai 1744 les Pays-Bas autrichiens. Placée l’année suivante sous le commandement du maréchal Maurice de Saxe, l’armée française investit Tournai le 26 avril 1745 que les armées alliées tentent de reprendre. Arrivé le 8 mai à la tête de l’armée, le roi Louis XV établit dans l’après-midi du 9 mai 1745 ses quartiers au château de Curgies, à Calonne, sur la rive gauche de l’Escaut, à quelque 2 kilomètres de Fontenoy. Les forces en présence sont équilibrées : 47.000 soldats pour les français, 51.000 pour les alliés. La bataille débute le 11 mai à 5 heures du matin et se termine vers 14 heures par la victoire des français. Les pertes humaines auraient été pour les deux armées de 4.800 tués (env. 5 % des combattants) et 10.200 blessés (10,40 % des combattants). Après cette victoire, les troupes française s’emparèrent aisément de la ville de Tournai et, en l’espace de deux années à peine, conquirent l’ensemble des Pays-Bas autrichiens. Au terme de trois grandes batailles (Fontenoy, Rocourt et Lauffeld) et de 24 sièges de places dans les Pays-Bas (Pays-Bas autrichiens et Provinces-Unies), la paix fut signée le 18 octobre 1748, à Aix-la-Chapelle. Lors des pourparlers de paix, se voulant grand seigneur et refusant de s’abaisser à ce qu’il considérait un marchandage indigne de sa qualité de roi, Louis XV rétrocéda toutefois toutes ses conquêtes autrichiennes sans la moindre contrepartie : « Sa Majesté très chrétienne a le souci défaire la paix non en marchand mais en roi », fit-il fièrement annoncer aux plénipotentiaires anglais, autrichiens et prussiens ébahis de tant de naïve ineptie. Le roi de Prusse Frédéric II, son allié, eut moins de scrupules ou plus d’intelligence, il réclama la Silésie au détriment de l’Autriche et on lui accorda. Les dizaines de milliers de soldats, tombés à Fontenoy (15.000), Rocourt (15.000) ou Lawfeld étaient morts ou avaient été blessés pour rien, ou plutôt pour l’intérêt exclusif de la Prusse qui deviendra un peu plus tard l’un des ennemis les plus redoutables de la France. De là viendrait l’expression « Travailler pour le roi de Prusse » qui signifie « agir sans profit pour le bénéfice de quelqu’un autre ». Une autre expression, « bête comme la paix » était utilisée par les Parisiens pour ironiser sur le bradage de la victoire.
À l’issue de cette guerre, le roi Louis XV aurait déclaré à son fils, le dauphin Louis-Ferdinand : « Voyez ce qu’il en coûte à un bon cœur de remporter des victoires. Le sang de nos ennemis est toujours le sang des hommes. La vraie gloire est de l’épargner. » Plut à Dieu qu’il ait appliqué cette maxime avant même de déclencher cette guerre inutile.
Théâtre d’opération de la Guerre de Succession d’Autriche (1741-1748)
Edouard Detaille – bataille de Fontenoy
La guerre en dentelles
Dans son essai « Précis du siècle de Louis XIV », Voltaire a décrit la scène célèbre de la bataille de Fontenoy où les commandants anglais et français font assaut de politesse pour savoir qui tirera le premier …

Voltaire (1694-1778)
« On était à cinquante pas de distance. Un régiment des gardes anglaises, celui de Campbell, et le royal-écossais, étaient les premiers : M. de Campbell était leur lieutenant général; le comte d’Albemarle, leur général-major, et M. de Churchill, petit-fils naturel du grand duc de Marlborough, leur brigadier. Les officiers anglais saluèrent les Français, en ôtant leurs chapeaux. Le comte de Chabanes, le duc de Biron, qui s’étaient avancés, et tous les officiers des gardes françaises, leur rendirent le salut. Milord Charles Hay, capitaine aux gardes anglaises, cria : « Messieurs des gardes françaises, tirez. »
Le comte Charles-Alexandre d’Auteroche, alors lieutenant des grenadiers, et depuis capitaine, leur dit à voix haute : « Messieurs, nous ne tirons jamais les premiers, tirez vous-mêmes ». Les Anglais firent un feu roulant, c’est-à-dire, qu’ils tiraient par divisions ; de sorte que le front d’un bataillon, sur quatre hommes de hauteur ayant tiré, un autre bataillon faisait sa décharge, et ensuite un troisième, tandis que les premiers rechargeaient. La ligne d’infanterie française ne tira point ainsi : elle était seule sur quatre de hauteur, les rangs assez éloignés, et n’étant soutenue par aucune autre troupe d’infanterie. Dix-neuf officiers des gardes tombèrent blessés à cette seule charge. Messieurs de Clisson, de Langey, de Peyre, y perdirent la vie ; quatre-vingt-quinze soldats demeurèrent sur la place ; deux cent quatre-vingt-cinq y reçurent des blessures ; onze officiers suisses tombèrent blessés, ainsi que deux cent neuf de leurs soldats, parmi lesquels soixante-quatre furent tués. Le colonel de Courten, son lieutenant colonel, quatre officiers, soixante et quinze soldats tombèrent morts : quatorze officiers et deux cents soldats furent blessés dangereusement. Le premier rang ainsi emporté, les trois autres regardèrent derrière eux, et ne voyant qu’une cavalerie à plus de trois cents toises, ils se dispersèrent. Le duc de Grammont, leur colonel et premier lieutenant général, qui aurait pu les faire soutenir, était tué. (…). »
Certains sujets de sa Gracieuse Majesté présentent une autre version du début de la confrontation; le commandant français, surpris par l’arrivée des anglais, en proie à la panique, aurait crié à ses troupes : « Messieurs ! les anglais ! Tirez les premiers ! ». Cette interprétation est évidemment de totale mauvaise foi puisque les français ne pouvaient en aucun cas être surpris par l’arrivée des anglais, la disposition des troupes étant parfaitement visible sur le chant de bataille.
Cette histoire ne serait qu’une légende et la réalité serait un peu différente. Voici comment le site Wikipedia décrit la manière dont la scène se serait déroulée :
Malgré une canonnade meurtrière, les régiments britanniques arrivèrent au contact de la première ligne française vers 11 heures. S’avançant à la tête du 1er bataillon des Gardes britanniques, un officier, Charles Hay, voulut encourager ses hommes en se moquant des Français. Sortant une petite flasque d’alcool, il but à leur santé en se moquant d’eux. En voyant cet insolent Britannique, un officier français, le comte Joseph-Charles-Alexandre d’Anterroches crut qu’il s’agissait d’une invitation à tirer. Il lui fit une réponse vraisemblablement proche de celle que Voltaire publia par la suite : « Monsieur, nous n’en ferons rien ! Tirez vous-mêmes ! » Sous l’effet de la nervosité, les premiers tirs partirent cependant des rangs français, entraînant à leur suite un feu désordonné et confus de la première ligne.
La tradition populaire ne devait retenir de cela qu’une citation : « Messieurs les Anglais, tirez les premiers ! »
Henri Félix Emmanuel Philippoteaux – Bataille de Fontenoy (détail où l’on voit les deux commandants se faire face)
Cette anecdote concernant la bataille et la décision de Louis XV, qui, pour des questions d’amour-propre, décida ne pas faire bénéficier à la France le prix du sang qui avait été versé pour elle montre bien quel était à l’époque le mode de conduite de la guerre : « des guerres en dentelles » où des troupes composées de soldats professionnels dirigés par des aristocrates orgueilleux et peu respectueux de la vie humaine s’affrontaient sur le terrain selon un code de conduite aberrant tels des pions sur un échiquier (un « macabre jeu d’échec » disait l’historien Albert Soboul). La seule limite apportée à ce qui fait l’apparence d’un jeu entre gens de bonne société était le coût de renouvellement des hommes et des armes qui faisait que l’on ne livrait bataille que lorsque l’on était sûr de vaincre. Dans le cas contraire, on esquivait, ce qui faisait que les batailles étaient souvent le théâtre de manœuvres complexes. il était même possible de vaincre sans avoir combattu. Le maréchal Maurice de Saxe qui était réputé pour son indécision écrira qu’un habile général peut éviter la bataille pendant toute sa vie.
Pierre Lenfant – Bataille de Fontenoy
Le comte de Guibert, général et théoricien militaire sous l’ancien régime et sous la Révolution qui influencera Napoléon, semblait néanmoins regretter cette forme de confrontation guerrière qu’était la guerre en dentelles qu’il qualifiait de « bel art, de beau système » car elle limitait le combat aux armées professionnelles et préservait ainsi les populations civiles qui n’étaient alors victimes que de manière indirecte. Son texte annoncent les guerres modernes dans lesquelles les populations civiles deviendront des acteurs à part entière des conflits et constitueront des cibles pour les belligérants. Les guerres en dentelles ne concernaient pas les nations, c’étaient des guerres sans idéologie dont les objectifs étaient plus dynastiques que nationaux. De ce fait les guerres n’était jamais « totales » comme elle le deviendront plus tard sous la Révolution et sous l’Empire lorsque la conscience nationale des peuples se sera éveillée et que le combattant passera du statut de soldat de métier à celui de soldat-citoyen.

Guibert
« Quand les nations elle-mêmes prendront part à la guerre tout changera de face; les habitants d’un pays devant soldats, on les traitera comme ennemis, la crainte de les avoir contre soi, l’inquiétude de les laisser derrière soi, les fera détruire. Ah ! c’était une heureuse invention que ce bel art, ce beau système de guerre moderne qui ne mettait en action qu’une certaine quantité de forces consacrées à vider la querelle des nations, et qui laissait en paix tout le reste, qui suppléait le nombre par la discipline, balançait le succès par la science et plaçait sans cesse des idées d’ordre et de conservation au milieu de cruelles nécessités que la guerre entraînait. »
Jacques-Antoine-Hyppolyte de Guibert (1743-1790)
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