Scott Atran, l’homme qui a compris les terroristes (France Culture)

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Scoo Atran (né en 1952)

Scott Atran

    Scott Atran (né en 1952 à New York) est un anthropologue américain spécialisé dans l’étude de la religion, de la violence et du terrorisme qui a travaillé sur le terrain avec des terroristes et fondamentalistes islamiques. Il est Directeur de recherche en anthropologie au CNRS à Paris, Senior Research Fellow à l’Université d’Oxford, Presidential Scholar au John Jay College of Criminal Justice à New York. Il a d’autre part enseigné dans de nombreuses universités dans le monde entier. Un seul de ses livres est traduit en français : Au nom du Seigneur (2009 – chez Odile Jacob).

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     Dans l’émission « L’Invité des Matins » sur France Culture, le réalisateur Guillaume Erner l’a reçu à deux reprises sur le thème de l’anthropologie du terrorisme. 

Emission du 18 janvier 2016 – 38 mn 09 (Vidéo Daily Motion, cliquez sur le lien ci-après)

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Quelques textes et propos de Scott Atran

Interview de Marie Boeton (Journal La Croix) – diffusé sur le Net le 09/09/2011

icon175x175    « Avec le recul, on constate combien l’Amérique a sombré dans une vengeance aveugle, et même dans l’hystérie collective. L’expression “War on Terror” (guerre à la terreur), de l’administration Bush, est tout à fait emblématique. Cette administration s’est lancée dans un combat contre une menace, plus que dans un combat contre les terroristes eux-mêmes. Or, c’est un leurre de croire qu’on pourra, un jour, accéder à une sécurité absolue. Pourtant, au nom de cette croyance un virage sécuritaire très préoccupant a été pris.
     L’Amérique s’est, en effet, permis de revenir sur certains principes absolument cardinaux dans notre état de droit. Je pense particulièrement au fait qu’elle ait légitimé le recours à la torture à l’encontre des “combattants ennemis”. Et ce sans réaliser combien il était paradoxal de déroger à ses valeurs… pour combattre ceux-là mêmes qui s’y étaient attaqués. Nous n’avons sans doute pas encore réalisé combien, en agissant de la sorte, nous avons pris le risque de saper les bases mêmes de la démocratie.
        Certains arguent que les actions ciblées des services de renseignements – intervenant hors de tout cadre juridique – permettent d’appréhender les terroristes sans avoir à mettre en place un système de surveillance généralisé pesant sur l’ensemble de la société. Je m’inscris en faux : rien ne le prouve. À l’inverse, parallèlement à ces actions extrajudiciaires condamnables sur le plan éthique, nous avons assisté à la mise en place d’un système de surveillance très impressionnant. 

« La recherche de la sécurité absolue est illusoire »

     Les pays occidentaux, l’Amérique en tête, ont assoupli leurs réglementations en matière de protection de la vie privée. Il est devenu plus difficile de défendre les libertés individuelles et le plus préoccupant, c’est que les lois adoptées dans la foulée des attentats – notamment le Patriot Act – n’ont pas été remises en question ces dix dernières années. Nous devrions plus souvent méditer la phrase de Benjamin Franklin : “Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre et fini par perdre les deux”.
          L’Europe a fait preuve d’un plus grand sens de la mesure. Elle s’est montrée plus proportionnée dans sa réponse vis-à-vis de la menace terroriste. C’est probablement lié à son rapport très différent à la guerre. Le Vieux continent sait davantage ce qu’implique le combat, lui qui a directement été confronté à la guerre au XXe  siècle. L’Amérique, elle, n’a que de très lointains souvenirs de la guerre civile. Par ailleurs, l’Europe a dû davantage faire face au terrorisme, elle sait que la recherche de la sécurité absolue est illusoire. Voilà sans doute qui explique qu’elle ait été capable d’une réponse plus mature que l’Amérique. L’évolution récente des pays arabes nous aidera peut-être à trouver un juste équilibre entre sécurité et liberté. En effet, on a vu les militants des droits de l’homme de certains de ces États batailler et risquer leur vie pour la liberté. »

la soldate américaine Lynndie England dans la prison d'Abou Ghraïb en 2004

la soldate américaine Lynndie England dans la prison d’Abou Ghraïb en 2004.

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    Article du Huffington Post tiré d’une allocution faite au Conseil de sécurité des Nations unies, lors d’un débat ministériel portant sur le rôle de la jeunesse dans la lutte contre l’extrémisme et pour la promotion de la paix. (traduction de Julia Engels pour Fast for Word – Diffusé sur le Net le 29/06/2015, mis à jour le 29/06/2015.

urlTERRORISME – Les anthropologues, tels que moi, étudient la diversité des cultures dans le but de dégager leurs points communs et leurs différences. Ils utilisent ensuite ces connaissances afin de surmonter ces différences. Mes recherches visent à réduire la violence entre les peuples, tout d’abord en essayant de comprendre des pensées et des comportements très différents des miens, comme ces kamikazes qui tuent des dizaines de personnes n’ayant rien à voir avec les revendications. Il y a un moment déjà, lorsque j’étais son assistant au Musée d’Histoire naturelle de New York, Margaret Mead m’a appris qu’il était essentiel de les comprendre sans pour autant les soutenir, mais de partager leur existence tant qu’il était moralement possible de le faire. Puis d’écrire un rapport.

     J’ai passé beaucoup de temps à observer, interroger et mener des études auprès de peuples de tous les continents, engagés dans des actions violentes pour soutenir un groupe et ses revendications. Le mois dernier, des collègues et moi sommes allés à Kirkouk, en Irak, rencontrer de jeunes hommes qui avaient tué pour Daesh, puis dans les banlieues de Paris et Barcelone, avec d’autres jeunes qui voulaient les rejoindre.
      En m’appuyant sur des recherches en sociologie, je vais essayer de donner un aperçu de certaines conditions susceptibles de détourner ces jeunes de la voie de l’extrémisme violent.
      Mais, tout d’abord, qui sont ces jeunes? Aucun des combattants pour Daesh que nous avons interviewés en Irak n’avait fait d’études secondaires. Certains étaient mariés, avec des enfants en bas âge. Quand on leur demandait ce qu’était l’Islam, ils répondaient : « Toute ma vie ». Ils ne savaient rien du Coran, ni du Hadith, ni même des califes Omar et Othman, mais ils connaissaient cette religion à travers la propagande d’Al-Qaïda et Daesh, qui enseignent que les musulmans finiront exterminés s’ils n’éliminent pas les impurs de manière préventive. Cette proposition n’est pas si étrange que cela pour des jeunes qui ont grandi après la chute de Saddam Hussein, dans un monde de haine et de guerres civiles, de familles déchirées par la mort et l’exil, sans pouvoir sortir de leur maison ou de leur abri de fortune pendant des mois.

     En Europe et ailleurs, dans la diaspora musulmane, les méthodes de recrutement diffèrent : environ trois quarts des personnes qui rejoignent Al-Qaïda ou Daesh le font par des amis, le reste d’entre eux par la famille ou des compagnons de voyage qui veulent donner un sens à leur vie. Cependant, il est très rare que les parents soient conscients du désir qu’ont leurs enfants de prendre part au mouvement. Dans les familles de la diaspora, les musulmans rechignent à parler de l’échec de la politique étrangère et de Daesh, alors que leurs enfants sont souvent avides de comprendre.
     La plupart des adeptes et des partisans étrangers s’inscrivent dans une catégorie que les sociologues appellent « la distribution normale » en termes de caractéristiques psychologiques comme l’empathie, la compassion ou l’idéalisme, et qui veulent principalement aider, plutôt que de faire du mal. Ces jeunes se trouvent souvent dans des phases de transition: étudiants, immigrés, entre deux emplois ou partenaires, ayant quitté ou étant sur le point de quitter leurs parents, et cherchant une nouvelle famille, de nouveaux amis ou compagnons de voyage avec qui trouver du sens. La plupart n’ont pas reçu d’éducation religieuse traditionnelle, et ils ont souvent le sentiment de « renaître » au travers d’une mission religieuse excluant sur le plan social et idéologique, mais de grande envergure. En effet, lorsque ceux qui pratiquent leur religion sont exclus des mosquées pour avoir fait part de leur extrémisme politique, le glissement vers la violence est fréquent.

     L’été dernier, un sondage ICM a révélé que plus d’un quart des Français (toutes confessions confondues) âgés de 18 à 24 ans avaient une opinion favorable de Daesh. Ce mois‑ci, à Barcelone, cinq des onze sympathisants de l’organisation terroriste, arrêtés pour avoir tenté de poser des bombes à certains endroits de la ville, étaient athées ou récemment convertis au christianisme. Cette alliance profane entre djihadistes et nationalistes xénophobes, qui se nourrissent de leurs peurs respectives, commence à déstabiliser la classe moyenne européenne, comme cela s’était produit dans les années 1920 et 30 avec le fascisme et le communisme, tout en encourageant leur volonté de sacrifice. Par opposition, nos recherches montrent que les jeunes Occidentaux n’ont plus envie de verser leur sang pour défendre les idéaux de la démocratie libérale.
    Le taux de natalité en Europe est de 1,4 enfant par couple, ce qui signifie qu’il ne permet pas le renouvellement de la classe moyenne, sur laquelle dépend la réussite d’une société démocratique, sans une immigration massive. Pourtant, l’Europe n’a jamais été moins efficace dans sa gestion des questions d’immigration. Une jeune femme de Clichy‑sous‑Bois nous a expliqué que, comme beaucoup de ses relations, elle ne se sentait ni Française, ni Arabe. Puisqu’elle serait toujours regardée avec méfiance, elle a choisi le califat pour se créer une patrie où les musulmans peuvent partager leurs ressources, être à nouveau fort et vivre avec dignité.

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mise en scène de Daesh

     Mais la notion populaire du « choc des civilisations » entre l’Islam et l’Occident est trompeuse. L’extrémisme n’est pas le symptôme de la renaissance des cultures traditionnelles, mais leur effondrement, puisque ces jeunes, sans aucune attache aux traditions millénaires, se débattent dans leur quête d’une identité sociale qui leur apporte du sens et de la gloire. C’est le côté obscur de la mondialisation. Ils se radicalisent pour trouver une identité forte dans un monde terne, où les lignes verticales de communication entre les générations ont été remplacées par des attaches horizontales de partages qui peuvent couvrir le globe. De jeunes gens, dont les aïeuls étaient des animistes de l’âge de pierre à Célèbes, bien loin du monde arabe, m’ont dit qu’ils rêvaient de partir se battre en Irak ou en Palestine pour défendre l’Islam.
    Souvent définis uniquement en termes militaires, Al-Qaïda, Daesh et autres groupes de ce type constituent avant tout une menace parce qu’ils représentent le premier mouvement de « contre‑culture » au monde. Leurs valeurs vont à l’encontre du système d’états nations représenté ici, à l’ONU, et de sa Déclaration universelle des droits de l’Homme. Ce mouvement attire des jeunes du monde entier dans la force armée la plus importante et la plus puissante que le monde ait connu depuis la Seconde Guerre mondiale. Et, tout comme il a fallu plus d’une décennie à Al-Qaïda pour devenir une menace internationale, il faudra sans doute plusieurs années avant que Daesh ne donne toute sa mesure, même s’il est chassé de sa zone géographique actuelle.

    Nous n’arriverons pas à endiguer cette menace, à moins d’en comprendre les puissantes forces culturelles. Lorsque nos efforts se sont portés sur des solutions militaires et policières, comme c’est le cas actuellement, les choses étaient déjà allées bien trop loin. Nous risquons donc de perdre les générations futures si nous ne changeons pas de point de vue.

Que pouvons‑nous donc faire?

    Avant toute chose, vous devez continuer ce travail très important sur les problèmes de développement, d’immigration et d’intégration, afin de libérer l’énergie et les idéaux de la jeunesse pour que la triste « explosion démographique » devienne un véritable « essor de la jeunesse ».
    Je vous soumets trois conditions qui leur sont, à mon avis, nécessaires. J’illustrerai brièvement chacune par des exemples. Chaque pays devra cependant s’assurer qu’elles sont réunies, en les adaptant à sa propre situation.

1. Première condition : donner un sens à leur vie à travers la lutte, le sacrifice et la fraternité
     C’est ce que leur offre Daesh. Selon Idaraat at-Tawahoush (« La gestion de la barbarie »), le manifeste d’Al-Qaïda en Mésopotamie, et maintenant celui de Daesh, un plan médiatique international doit pousser les jeunes à « prendre l’avion pour venir dans les régions que nous contrôlons (…) car [ils] sont plus en accord avec la nature humaine du fait de leur esprit rebelle, celui-là même que les groupes islamiques passifs » tentent d’étouffer.
    Les suppliques régulières à « modérer l’Islam », qui sont souvent formulées par des personnes bien plus âgées, m’amènent à me demander s’ils plaisantent. Ils n’ont donc jamais eu d’adolescents à la maison? À quel moment le fait de « modérer » quoi que ce soit a‑t‑il attiré les jeunes dans leur recherche d’aventure, de gloire et de sens?

     Comment les piètres promesses de confort et de sécurité des gouvernements actuels pourraient-elles rêver? Les jeunes ne vont PAS tout sacrifier, y compris leur vie et leurs propres intérêts, pour des motifs purement matériels. D’ailleurs, des études montrent que les promesses de récompenses matérielles ou de répression ne servent qu’à pousser les plus « engagés » vers les extrêmes.
      D’autres études montrent que la principale motivation de ceux qui sont prêts à se sacrifier est la notion d’unité dans une cause sacrée. Cela accroît leur sentiment d’avoir été choisis pour accomplir de grandes choses et leur volonté d’en découdre. C’est ce qui permet à des groupes d’insurgés ou à des révolutionnaires, au départ plutôt faibles, de résister, et souvent de l’emporter sur des ennemis mieux équipés, comme l’armée ou la police, mais davantage motivés par leur salaire et leurs primes que par l’envie sincère de défendre leur pays. Les valeurs sacrées doivent être combattues par d’autres valeurs sacrées, ou en démantelant les réseaux sociaux par lesquels ces valeurs sont véhiculées.

2. Deuxième condition : leur offrir une vision positive et personnelle, susceptible d’être concrétisée
    L’intérêt d’Al-Qaïda et de Daesh ne réside pas dans les sites djihadistes, qui regorgent d’imbécillités grandiloquentes, même si ceux-ci peuvent constituer une première source de curiosité. Il s’agit surtout de ce qui suit. Il existe près de 50.000 hashtags favorables à Daesh sur Twitter, chacun étant repris par une moyenne de 1000 abonnés. Leur réussite est principalement due aux opportunités d’engagement personnel qu’ils véhiculent. Chacun trouve ainsi un auditoire avec qui partager et améliorer ses revendications, ses espoirs et ses désirs. Par comparaison, les programmes en ligne d’aides et de sensibilisation mis en place par les gouvernements ne proposent que des « contre-exemples » d’idéaux et de croyances génériques, et ne prennent pas en compte la situation spécifique de leurs lecteurs. Ils n’arrivent pas à créer les réseaux sociaux intimes dont les rêveurs ont besoin.
     De plus, ces contre-exemples sont le plus souvent négatifs : « Daesh veut construire un nouvel avenir. Comme les décapitations ? Ou que quelqu’un vous dise ce que vous pouvez manger ou comment vous habiller ? »

     Comment peut-on encore ignorer cela? Pensez-vous que les personnes qui se sont ralliées à cette cause se soucient vraiment de ce genre d’arguments ? Une jeune adolescente de la banlieue de Chicago avait déclaré aux agents du FBI venus l’empêcher de s’envoler pour la Syrie que les décapitations pourraient peut-être « mettre fin aux bombardements qui font des milliers de victimes ». Pour certains, l’obéissance aveugle permet de se libérer de l’incertitude liée à ce que l’on attend de quelqu’un de bien.
      De plus, une fois que l’on est convaincu de la moralité d’une mission, la violence ne constitue plus un obstacle. Au contraire, elle devient sublime et valorisante. Edmund Burke l’avait remarqué à propos de la Révolution française, qui avait introduit la notion moderne de terreur en tant qu’arme des crises politiques majeures.

     Ne vous y trompez pas: l’immense majorité des candidats au jihad, de même que les nationalistes xénophobes d’ailleurs, ne sont pas nihilistes. C’est une accusation portée par ceux qui refusent de prendre en compte l’attrait moral, et donc le réel danger, de tels mouvements. Être prêt à mourir pour tuer d’autres personnes demande une foi profonde dans la moralité de ses actions.

     La semaine dernière, à Singapour, plusieurs représentants des gouvernements occidentaux ont déclaré que le Califat n’était qu’une abstraction recouvrant des manœuvres politiques traditionnelles. Les études menées auprès des personnes ayant rejoint la cause ont montré qu’une telle interprétation était aussi erronée que dangereuse, car le Califat a remobilisé de nombreux musulmans. Un imam de Barcelone nous a dit: « Je suis contre la violence d’Al-Qaïda et de Daesh, mais ils nous mettent dans une situation délicate en Europe et partout dans le monde. Avant, on nous ignorait. Quant au Califat… on se contentait d’en rêver, tout comme les juifs ont longtemps rêvé de Zion. Mais il pourrait fédérer les peuples musulmans, comme l’Union européenne. Le Califat est là, dans nos cœurs, même si on ne sait pas encore quelle forme il prendra en fin de compte ».
         A vouloir ignorer ces passions, nous courrons le risque de les attiser.
     Tout engagement sérieux doit se faire en accord avec les individus et leurs réseaux, et non avec des campagnes régulières, destinées au plus grand nombre. Les jeunes se sentent solidaires les un des autres. En général, ils ne se font pas la morale. En Syrie, une jeune femme a fait passer ce message:

« Je sais à quel point il est difficile de laisser derrière soi un père et une mère que l’on aime, et de ne pas leur dire avant de partir que vous les aimerez toujours mais que votre destin vous poussait à les quitter. Je sais que c’est probablement ce que vous aurez à faire de plus dur, mais je vais vous aider à le comprendre, et à leur faire comprendre. » 

3. Troisième condition : leur donner la possibilité de créer leurs propres initiatives locales
     Les recherches en sociologie ont montré que les initiatives locales étaient plus efficaces que les programmes nationaux, ou à plus grande échelle, dans la réduction de la violence. Et ce, quelles que soient les agences gouvernementales concernées. Laissons les jeunes s’engager dans la recherche de moyens significatifs pour donner un sens à leurs problèmes : oppression, marginalisation politique, manque d’opportunités économiques, traumatismes dus à la violence, problèmes d’identité et d’exclusion sociale… N’oublions surtout pas d’encourager leur engagement personnel grâce à un soutien mutuel et à des mentors bien intégrés dans leur communauté. Très souvent, les extrémismes radicaux naissent d’une expérience personnelle, partagée avec des amis, qu’ils vont ensuite essayer de généraliser par une révolte morale et des actions violentes.

Un exemple:

       Gulalai Ismail, âgé de seize ans seulement, et sa sœur Saba ont mis en place le réseau Seeds of Peace avec un groupe d’amis, dans le but de changer la vie des jeunes femmes de Khyber Pakhtunkhwa, au nord‑ouest du Pakistan. Ils se sont d’abord intéressés à la place des femmes dans la société. Au fur et à mesure de leur développement, ils ont commencé à former de jeunes activistes pour en faire des médiateurs qui s’opposent, au niveau local, à la violence et l’extrémisme. En deux ans, ils ont formé cinquante jeunes pour promouvoir la tolérance, la non‑violence et la paix. L’initiative est tellement populaire qu’ils ont reçu pas moins de cent cinquante candidatures l’année dernière.
     Les cinquante bénévoles vont au contact des jeunes susceptibles d’être facilement influencés dans leur communauté. Ils organisent des cercles d’études et des entretiens individuels, afin de développer et de promouvoir des idées pour un meilleur avenir. Le programme, qui en est encore à ses débuts, devrait atteindre mille cinq cent personnes dans les trois prochaines années, accroissant le nombre d’activistes qui luttent contre les extrémismes religieux et politiques. Les résultats sont encore plus remarquables, mais Gulalai ne souhaite pas en faire étalage publiquement. 

     Imaginez un archipel international de bénévoles pour la paix: si nous arrivons à trouver des moyens concrets pour les aider et les responsabiliser, sans pour autant les contrôler, ils pourraient être la clé d’un meilleur avenir.
     En somme, le plus important, c’est le temps que des jeunes consacrent régulièrement à d’autres jeunes. Ils savent que les facteurs de motivation peuvent être très variés selon les circonstances, en dépit de leurs points communs, qu’il s’agisse d’un jeune père à Kirkouk, d’une adolescente parisienne, d’un groupe d’amis à Tétouan, au Maroc, ou de joueurs du club de foot du lycée de Fredrikstad, en Norvège. Ce mouvement dynamique, à la fois très personnel et international, qui n’inclut pas seulement des idées audacieuses mais aussi des activités physiques, de la musique et des divertissements, permettrait de lutter contre la « contre‑culture » mondiale de l’extrémisme violent, qui a aujourd’hui le vent en poupe.

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