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Lorand Gaspar
Découverte et amour du désert
En 1954, Lorand Gaspar vient de terminer ses études de médecine et est interne dans un hôpital parisien, ses yeux tombent par hasard sur une affiche annonçant qu’un poste est vacant à l’hôpital français de Bethléem. Le jeune médecin dépose sa candidature qui est acceptée. Quelques mois plus tard, son DC3 atterrit sur l’aéroport de Jérusalem après avoir contourné l’état naissant d’Israël en survolant le désert.
Ce sera son premier contact avec le désert et il donnera lieu à un sentiment de fascination qui ne le quittera plus pour le reste de sa vie : « Et chaque fois, au long de ces années, qu’après une absence plus ou moins longue j’y revenais, la perception de ces couleurs pauvres, de ces courbures, de ces tables, de ces failles rythmiques, se déployant à la manière d’une fugue, m’inondait physiquement, de la même joie évidente et indicible » – (Préface à l’édit. de poche de Sol absolu – Gallimard,1982)
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l’univers naissait sans s’interrompre
non pas d’un ordre venu du dehors
mais ample mais plein de sa musique
d’être là caillou compact à l’infini
Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie…
Qu’est-ce que le monde ? Existe t’il en dehors de notre pensée ? Et s’il n’y avait dans l’univers ni conscience, ni pensée, le monde existerait-il encore ? Et où serait la preuve de son existence puisque compréhension, il n’y aurait plus. Et s’il existait objectivement, comment évoluerait-il, à quoi servirait-il, puisque ni chose, ni personne n’en aurait conscience. Peut-on imaginer un monde mort et désert inhabité par la conscience ? Certains prétendront que Dieu serait toujours présent et maintiendrait la conscience du monde puisqu’il l’aurait créé et qu’il est éternel .. Mais Dieu serait alors comme le monde ! Si nulle chose, ni personne ne savait qu’il existe, à quoi servirait-il ? Vous imaginez Dieu tout seul dans son nuage, sa galaxie ou dans son grain de poussière ou de sable entouré de l’univers tout entier, à tourner en rond en se morfondant, étant le seul à savoir que tout cela existe… Belle consolation ! Même avec l’égo démesuré qui sied à sa déité cela ne suffira pas, il lui faut des spectateurs…
À moins que les nuages, les galaxies, les grains de poussière ou de sable aient eux-aussi une conscience qui leur est propre, une conscience muette, une volonté cachée… Et si ce n’est une conscience ou une volonté, du moins un élan, une force qui les anime et les projette à la fois à l’intérieur et à l’extérieur d’eux-mêmes, à l’infini, sans départ ni achèvement, tout inondés du sublime éblouissement de la véloce lumière stellaire.
Silence
plus d’une fois à l’aube
dans le désert de Ram et de Toubeig
ou plus au sud sur les rives
orientales de la mer Rouge là où les
granits roses veinés de lave, grès tendres
et gypses aveuglants ralentissent leurs pentes
J’ai rêvé d’une genèse
l’univers naissait sans s’interrompre
non pas d’un ordre venu du dehors
mais ample mais plein de sa musique
d’être là caillou compact à l’infini
rempli par la danse dont vibre chaque son
foré dans la lumière —
fugue de courbures en claire et ombre
sans départ ni achèvement
jaillie du jaillissement
de la même marche indivisée
le souffle à deux battants
sur les pistes pulmonaires
la force de silence
dont ces déserts à l’aube
sont la feuille dépliée
la fraîcheur crissante — ébruitée —
ou encore
sur la rotonde crayeuse
des dernières arènes du jour
la vitesse de la lumière
soudain pénétrée par la lenteur d’une caresse
la rumeur des mains sous la peau profonde
comme une eau des yeux
qui rend flous les visages —
Sol absolu, 1982 – Lorand Gaspar
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