––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––
Lac d’Annecy au crépuscule – photo Enki
°°°
Entre chien et loup
— « le monde était comme absent »,
Que voulais-tu dire par là ?
— Je voulais dire que si tout était bien là,
le paysage en son entier, avec ses montagnes
son ciel, ses nuages, son lac, ses arbres…
il semblait manquer quelque chose,
quelque chose d’indéfinissable et pourtant essentiel.
Vois-tu, je venais juste de traverser
la majestueuse allée bordée de platanes
qui nous conduit avec les honneurs jusqu’au lac,
cette Axis Mundi si chère à mon cœur.
Tout paraissait trop calme, immobile et silencieux,
semblant étrangement au repos, à l’arrêt…
La surface du lac d’habitude si animée
était figée et compacte telle une plaque de marbre.
Pas la moindre once de vent
et un silence oppressant pesait sur toute chose.
Quant au soleil, il avait disparu et la lumière,
timidement présente, comptait comme un sursis.
C’était comme si le paysage tout entier
était dans l’attente et la crainte de quelque chose,
quelque chose d’immense et implacable
qui ne tarderait pas à se produire,
et que la vie qui habituellement tout animait
s’était enfuie et l’avait laissé exsangue.
Oui, quand je disais que
« le monde était comme absent »,
je voulais dire par là que le paysage
paraissait avoir perdu ce qui faisait son âme
et qu’il semblait réduit à l’état de simple décor.
Peut-être était-ce le moyen qu’il avait choisi
pour préparer son engloutissement par la nuit
comme le fait une ville qui évacue ses habitants
avant sa submersion par une armée barbare.
Si tu savais le sentiment de désarroi extrême
que l’on éprouve à ce moment là,
d’être comme un survivant dans un lieu mort.
Cette sensation que ressentira un jour lointain
le dernier homme présent sur Terre.
C’est le chant d’un oiseau
qui m’a tiré de ces sombres pensées
Un chant d’oiseau suivi d’un deuxième,
d’un troisième, puis de dizaines d’autres,
des centaines d’autres, peut-être même des milliers.
Tout le bois qui bordait la rive du lac
retentissait soudainement d’un concert
de joyeux piaillements, de sifflements harmonieux.
Chacun voulait exceller dans son domaine
et faisait de son mieux pour occuper le terrain.
C’était une explosion continue de sons,
une joyeuse et délirante cacophonie.
Des mélopées de coassements rauques
s’élevaient des épais massifs de roseaux
et venaient s’ajouter au charivari ambiant.
La gente ailée ne s’en laissait pas compter
et tentait, dans un combat d’arrière-garde,
de repousser l’avancée de la nuit…
°°°
Février 2016
Lac d’Annecy au crépuscule – photo Enki
Expérience vécue un soir au bord du lac, entre chien et loup, juste avant la tombée de la nuit.
––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––
––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––