Montaigne et La Boétie : « Parce que c’était lui, parce que c’était moi »
« Au demeurant, ce que nous appelons ordinairement amis et amitiés, ne sont qu’accointances et familiarités nouées par quelque occasion ou commodité par le moyen de laquelle nos âmes s’entretiennent. En l’amitié de quoi je parle, elles se mêlent et se confondent l’une en l’autre, d’un mélange si universel qu’elles s’effacent et ne retrouvent plus la couture qui les a jointes. Si l’on me presse de dire pourquoi je l’aimais, je sens que cela ne se peut exprimer qu’en répondant : « Parce que c’était lui, parce que c’était moi ». Il y a, au-delà de tout mon discours et de ce que je puis dire particulièrement, je ne sais quelle force inexplicable et fatale médiatrice de cette union. Nous nous cherchions avant que de nous être vus et par les rapports que nous oyions l’un de l’autre qui faisaient en notre affection plus d’efforts que ne le porte la raison des rapports, je crois par quelque ordonnance du ciel ; nous nous embrassions par nos noms. Et à notre première rencontre, qui fut par hasard en une grande fête et compagnie de ville, nous nous trouvâmes si pris, si connus, si obligés entre nous que rien dès lors ne nous fut si proches que l’un à l’autre. »
Connaissez vous la Fondation de l’Ermitage à Lausanne ? C’est une fondation privée créée par les descendants d’un grand collectionneur, natif de la cité vaudoise, le banquier Charles-Juste Bugnion (1811-1897). En 1976, ceux-ci ont cédé à la ville une magnifique propriété située sur les hauteurs dominant la ville pour abriter une partie de la collection de la fondation composée de près de 800 œuvres d’art et pour abriter les deux ou trois expositions qui sont organisées chaque année. C’est le genre de musée que j’apprécie : aménagé dans une ancienne maison de maître de caractère située dans un immense parc peuplé d’essences rares avec une vue magnifique sur le lac Léman et les Alpes françaises, sa petite taille ne permet de présenter qu’un nombre limité d’œuvres. Tant mieux ! vous échapperez ainsi aux inconvénients des grands musées. Ici, pas de visite marathon au milieu d’une foule agitée et pressée dont on sort exténué et gavés d’un trop plein de nourritures spirituelles : une heure et demi à deux heures de visite suffisent et si le temps le permet vous pouvez ensuite boire un café ou déjeuner sur la terrasse ensoleillée de l’un des deux cafés restaurants aménagés dans le parc ou vous promener dans celui-ci en admirant le paysage et en devisant aimablement sur l’exposition présentée. La chance était avec nous, c’était justement les conditions climatiques qui prévalaient le jour de notre visite de l’exposition « Signac, une vie au fil de l’eau », dédiée comme son nom l’indique au peintre Paul Signac*.
J’avoue, avant l’exposition Signac, avoir été peu sensible aux œuvres des peintres pointillistes. Je jugeais leurs tableaux intéressants par leur singularité de leur technique et leur luminosité mais en même temps je les trouvais empreints, du fait justement de la spécificité de la technique utilisée, d’un caractère naïf et figé très marqué qui nuisait à l’expression pleine et entière des sujets représentés. C’est le peintre Georges Seurat, un ami de Paul Signac, qui avait inventé la technique pointilliste en s’appuyant sur la théorie du divisionnisme élaborée en 1839 par le chimiste Eugène Chevreul à partir de la Loi du contraste simultané des couleurs selon laquelle, pour un observateur, une couleur n’existe pas en soi mais seulement dans les relations qu’elle entretient avec les autres couleurs qui l’entourent. Seurat, reprenant en cela des techniques déjà utilisées par Delacroix et les impressionnistes, eut l’idée d’utiliser à grande échelle la technique de juxtaposition de petits points de couleur pure pour qu’à une certaine distance de l’oeil de l’observateur les couleurs donnent l’illusion de s’être mélangées et donnent ainsi naissance à une nouvelle teinte plus lumineuse et chargée de vibration qu’une couleur qui aurait été obtenue de manière traditionnelle par simple mélange.
Georges Seurat – Pointillisme : Une Baignade à Asnières (1883-1884) et Un dimanche après-midi à l’Île de la Grande Jatte (1884-1886), Institut d’art de Chicago
C’est en mai 1884, lors de l’ouverture de la première exposition du Groupe des artistes indépendants à Paris que Signac fait la connaissance de Seurat qui y expose alors son tableau pointilliste Une Baignade à Asnières. Malgré leurs caractères opposés, Seurat était ombrageux et secret alors que Signac était expansif, ils deviendront des amis très proches et Seurat l’initiera aux théories de la perception de la couleur. C’est dans ces circonstances qu’il assistera au début de 1885 à plusieurs conférences données par Eugène Chevreul aux ateliers des Gobelins. Signac jusqu’alors lié à l’impressionnisme s’enthousiasme pour la technique initiée par son ami et compose ses premières oeuvres divisées; l’une d’entre elles, intitulée Les Andelys, les laveuses a été peinte en 1986 en Normandie et a fait l’objet d’une réédition en lithographie l’année suivante dont l’exemplaire « bon à tirer » annoté de la main de l’artiste faisait partie de l’exposition.
Paul Signac – Les Andelys, les laveuses, 1886 : l’un des premiers tableaux pointilliste du peintre. La grossièreté des touches de peinture, leur espacement, et l’absence de dégradés dans les teintes montrent que le peintre n’a pas encore parfaitement maîtrisé cette nouvelle technique de représentation.
Paul Signac – Saint-Briac, les Balises. Opus 210, 1890. Ce tableau souligne l’évolution du peintre qui, sous l’influence de l’art des estampes japonaises, tente de transcrire l’essence d’un paysage en le dépouillant de toute anecdote en cherchant à le réduire à l’essentiel dans l’harmonie des pleins et des vides et dans la vibration des tons.
Paul Signac – Saint-Tropez, la jetée vue du chantier naval, 1892. Ce dessin effectué au crayon Conté représente la jetée du port; le peintre dilue les lignes des contours et accentue le contraste entre les parties sombres et claires faisant ainsi nettement référence à la technique de mise en valeur du clair-obscur de son ami Seurat qui était décédé l’année précédente
Paul Signac – Port de Saint-Tropez, étude de reflets, 1894. Aquarelle, plume et encre de Chine, 1894
Paul Signac – Soleil couchant sur la ville de Saint-Tropez, 1892 – Etude colorée qui fait penser à certains tableaux des peintres scandinaves influencés par le symbolisme et l’expressionnisme.
En 1892, lassé de la vie parisienne, Signac, sur les conseils de son ami Henri-Edmond Cross déjà installé au Lavandou, aborde à Saint-Tropez à la barre de son voilier Olympia avec sa jeune épouse Berthe Roblès et un matelot. Il découvre la crique des Graniers et loue au-dessus de ce mouillage naturel, une maison, la Hune, dont il fera un plus plus tard l’acquisition et où il passera désormais la belle saison. Quand il n’entreprend pas l’un de ses nombreux voyages à l’étranger, il va alors partager son temps entre Paris (Salon des Indépendants à l’automne), la Bretagne et Saint-Tropez (mai-septembre).La petite cité méditerranéenne va devenir l’un des thèmes favoris du peintre. Depuis la mort de Seurat en 1891, le peintre est le dernier représentant du pointillisme et reçoit le surnom de « Saint-Paul du pointillisme ». Mais avec le temps, il n’hésite pas à expérimenter d’autres techniques sont utilisées pour représenter Saint-Tropez et ses environs et notamment les aquarelles rehaussées d’encre à la plume rappelant les estampes du peintre japonais Hiroshige.
Paul Signac – Saint-Tropez, Fontaine des Lices, 1895.
Paul Signac – saint-Tropez après l’orage, 1895
Paul Signac – le port de Saint-Tropez, 1901
Paul Signac – Juan les Pins, 1914
Paul Signac – la Place des Lices à Saint-Tropez, 1905 – aquarelle, plume et encre de Chine
Hiroshige – Maiko Beach in Harima Province, , 1854 et Vincent Van Gogh – Verger d’oliviers, oct. 1889
Au printemps 1890, Signac visite la rétrospective consacrée à l’estampe japonaise par l’Ecole des Beaux-Arts en compagnie du critique Arsène Alexandre qui se souvient : « Nous regardions longuement les paysages d’Hiroshige».
Paul Signac – Constantinople, Yeni Djami, vers 1909. Aquarelle, plume et encre de Chine
Paul Signac – Etude pour trois mats terre neuvas, 1931 – Encre de Chine, lavis d’encre, pierre noire sur papier
En 1929, alors âgé de 65 ans et au fait de sa technique et de sa célébrité, Signac se lance dans un projet qui lui tenait à cœur : peindre à l’aquarelle 100 ports de France. L’homme d’affaire et collectionneur d’art Gaston Lévy finance le projet et le peintre a trouvé un moyen original de le dédommager : « Je ferais deux aquarelles dans chaque port, l’une pour vous et l’autre pour moi, différentes d’ailleurs, et vous choisiriez celle des deux qui aurait votre préférence. » Il lui faudra plus de deux années pour mener à bien ce projet titanesque.
AaRON – Blouson Noir avec prélude de John Malkovich
Because The world is not belong to us; Because We’re nothing, leftovers, we’re tumbleweeds on roads; Because We are every lost, dashing, shadow; Because We’re poems on sidewalks; Because You are the needle in my arm;
Dresde, la Florence de l’Elbe, en ruine – l’Ange vu de l’Hôtel-de-ville, photo de Richard Peter, fin 1945
L’article qui suit est une réponse au commentaire adressé par une lectrice sur l’article » À l’aube du XXe siècle : rayons et ombres sur l’Europe » consacré à Stefan Zweig (c’est ICI) et plus spécialement à la photo de l’Ange de Dresde présentée ci-dessus qui figurait dans l’article.
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Un commentaire ; commenter : oui, pourquoi pas ?
Il y a des visions qui n’appellent pas les commentaires, mais peut-être est-ce déjà commenter que de le dire; dire qu’il n’y a rien à dire devant l’image de la destruction; sauf que l’ange, bien cadré au-dessus de la rue très propre, invite peut-être à circuler :
« Circulez, dit benoîtement l’ange, il n’y a rien à voir. »
Quelques années après la guerre auraient-elles redonné l’espoir au grand écrivain de la nostalgie ? Je ne crois pas. Sa mémoire scellée, réservée comme le souvenir de Walter Benjamin et de nombreux écrivains juifs allemands au monde de la culture, est en partie délaissée par la jeunesse qui a tellement de choses à penser ; et que penser des milliers d’années qui exigeront d’elle davantage de mémoire et de jugement ? Que penser de la science appliquée qui nous a porté jusqu’à la lune durant que bon nombre d’entre nous s’inscrivaient à l’article premier de la rêverie sous la définition : « être dans la lune. », déjà comblante ?
Michèle Cointe
L’article d’où est tiré la photo de Dresde détruite présentait une autre image qui se voulait être symétrique et qui représentait l’incendie de la cathédrale de Reims le 19 septembre 1914 après plusieurs jours de bombardements par l’armée allemande qui occupaient les hauteurs environnantes. Symétrie des ruines mais aussi symétrie des symboles par la figure de l’Ange qui dans les deux cas est emblématique des deux villes. Pour Dresde, « La Florence de l’Elbe », c’est l’ange qui apparaît en premier plan sur le cliché pris par le photographe natif de cette ville, Richard Peter, et qui, amputé d’une partie de ses doigts, semble prendre le monde à témoin des destructions qui s’étalent à ses pieds. Pour Reims, c’est le sublime « Ange au sourire » dont la tête, frappée par la chute d’une poutre lors du bombardement allemand, gisait fracassée en une vingtaine de morceaux au pied du fronton de la cathédrale incendiée.
L’ange au sourire de la cathédrale de Reims
Dans les deux cas, les deux anges n’avaient pas été créés pour visualiser l’horreur de la guerre et les destructions, ils avaient été imaginés par les édiles des deux cités pour représenter et célébrer la bonté, la joie et l’harmonie qui doivent sous-tendre les relations entre les habitants. La folie des hommes en aura voulu autrement et Dieu, s’il existe, n’est pour rien là-dedans. Stefan Zweig et Walter Benjamin auraient-ils retrouvé l’espoir s’ils avaient survécu ? Peut-être pas l’espoir qui avait animé leur jeunesse mais l’espoir sans doute d’empêcher que cette tragédie se renouvelle en tentant de comprendre les sources et le mécanisme du phénomène qui les avait broyé. C’est ce que d’autres intellectuels juifs allemands comme Hannah Arendt ou Theodor W. Adorno ont plus tard cherché à réaliser. Il me semble que les cas de Stefan Zweig et Walter Benjamin sont à différencier. Stefan Zweig était à l’abri au Brésil mais, usé par les épreuves successives, n’avait plus le goût de vivre. Walter Benjamin avait obtenu un visa pour les Etats-Unis mais se trouvait coincé à la frontière espagnole avec la menace d’être renvoyé en France et remis aux mains de la police de Vichy avec tous les risques que cela comportait d’être renvoyé en Allemagne, ce qu’il redoutait pardessus tout. Il existe des doutes sur la réalité de son suicide, certains ayant émis l’hypothèse d’un assassinat.
Curieusement, Walter Benjamin était lui aussi marqué par la figure de l’ange. Il était possesseur d’une aquarelle de Paul Klee, du nom d’Angelus novus, peinte en 1920, à laquelle il tenait beaucoup au point de l’emmener avec lui partout où il allait et qu’il avait décrit, dans la neuvième thèse de ses Thèses sur le concept d’histoire :
« Il existe un tableau de Klee qui s’intitule Angelus novus. Il représente un ange qui semble avoir dessein de s’éloigner de ce à quoi son regard semble rivé. Ses yeux sont écarquillés, sa bouche ouverte, ses ailes déployées. Tel est l’aspect que doit avoir nécessairement l’ange de l’histoire. Il a le visage tourné vers le passé. Où paraît devant nous une suite d’événements, il ne voit qu’une seule et unique catastrophe, qui ne cesse d’amonceler ruines sur ruines et les jette à ses pieds. Il voudrait bien s’attarder, réveiller les morts et rassembler les vaincus. Mais du paradis souffle une tempête qui s’est prise dans ses ailes, si forte que l’ange ne peut plus les refermer. Cette tempête le pousse incessamment vers l’avenir auquel il tourne le dos, cependant que jusqu’au ciel devant lui s’accumulent les ruines. Cette tempête est ce que nous appelons le progrès. »
La réponse à la question posée par Michèle Cointe sur le bien-fondé de la mémoire, je l’emprunterais à Walter Benjamin. En rupture avec l’idéologie du progrès qui postulait que le monde s’améliorait dans une perspective historique, ce philosophe pensait que ce qu’en appelait progrès devait être analysé à l’aune de la domination des vainqueurs et de l’écrasement des vaincus, ces « damnés de la terre » : « la tradition des opprimés nous enseigne que « l’état d’exception » est la règle. Tous ceux qui à ce jour ont obtenus la victoire, participent à ce cortège triomphal où les maîtres d’aujourd’hui marchent sur les corps de ceux qui aujourd’hui gisent à terre. Le butin, selon l’usage de toujours, est porté dans le cortège. C’est ce qu’on appelle les biens culturels. Ceux-ci trouveront dans l’historien matérialiste un spectateur réservé. Car tout ce qu’il aperçoit en fait de biens culturels révèlent une origine à laquelle il ne peut songer sans effroi. De tels biens doivent leur existence non seulement à l’effort des grands génies qui les ont crées, mais aussi au servage anonyme de leurs contemporains. car il n’y a pas de témoignage de culture qui ne soit en même temps témoignage de barbarie.» Si » Ange de l’histoire » il y a, son rôle devra être de perpétuer le souvenir de tous ceux que l’histoire officielle a tenté d’enfouir sous la chape du silence et de l’oubli. À l’instar des Anges de Reims et de Dresde, il contemple horrifié, la catastrophe « qui sans cesse amoncelle ruines sur ruines et les précipite à ses pieds. » Les philosophies de l’histoire ont introduit l’espérance dans le cœur des hommes en donnant un sens positif à l’évolution historique dans la mesure où celle ci devait conduire l’humanité vers la rédemption et le progrès mais pour Walter Benjamin cette perspective n’est que trop souvent illusion et tromperie, les catastrophes succédant dans le temps aux catastrophes et les révolutions dévorent leurs enfants. Contrairement au marxisme évolutionniste classique, Walter Benjamin, sous les influences conjointes du romantisme et du messianisme juif, deux mouvements qui l’ont profondément imprégné, ne conçevait pas la révolution comme le résultat “naturel” ou “inévitable” du progrès économique et technique, mais comme l‘interruption d’une évolution historique conduisant à la catastrophe. C’est dans le moment présent que peut surgir dans une structure métaphysique de type messianique ou révolutionnaire à la façon de la révolution française de 1789, l’imprévisibilité et la nouveauté capables d’interrompre le mouvement historique conduisant à la catastrophe. À nous de discerner ce moment et de prendre nos responsabilités. Les déséquilibres et les crises qui secouent le monde aujourd’hui et qui vont en se multipliant et s’accentuant laissent supposer que des opportunités pourront se produire qui donneront lieu à une avancée de l’humanité ou au contraire à des catastrophes encore plus grandes. On peut toujours rêver, peut-être qu’à ces occasions, les « lunatiques » reviendront-ils sur Terre….
Hommage à Walter Benjamin
Pour son cinquième album, Strange Angels, publié en 1989 par Warner Bros Records, la chanteuse et performeuse américaine complice de Lou Reed, Laurie Anderson, a composé une magnifique chanson dédiée à Walter Benjamin et au texte déjà cité que celui-ci avait consacré au fameux tableau de Paul Klee qu’il possédait, « Angelus novus » (voir plus haut). Cette chanson intitulée « The Dream Before » est également connue sous l’appellation de « Hansel et Gretel sont bien vivants« .
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THE DREAM BEFORE (for Walter Benjamin)
Hansel and Gretel are alive and well And they’re living in Berlin She is a cocktail waitress He had a part in a Fassbinder film And they sit around at night now drinking schnapps and gin And she says: Hansel, you’re really bringing me down And he says : Gretel, yu can really be a bitch He says : I’ve wated my life on our stupid legend When my one and only love was the wicked witch.
She said : What is history? And he said: History is an angel being blown backwards into the future He said: History is a pile of debris And the angel wants to go back and fix things To repair the things that have been broken But there is a storm blowing from Paradise And the storm keeps blowing the angel backwards into the future And this storm, this storm is called Progress
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LE RÊVE D’AVANT
Hansel et Gretel sont bien vivants Et ils vivent à Berlin Elle est une serveuse de cocktail Lui avait un rôle dans un film de Fassbinder Et Ils sont assis en cercle dans la nuit maintenant buvant schnaps et gin Et elle dit : Hansel, tu vas vraiment me faire vaciller Et lui réponds : Gretel, tu peux vraiment être une chienne Il rajoute : J’ai gâché ma vie avec cette stupide légende Quand mon seul et unique amour était cette méchante sorcière
Elle a dit : quelle histoire ? Et lui répondit : l’histoire est celle d’un ange propulsé en arrière dans le futur Il ajouta : l’histoire est un tas de débris Et l’ange veut revenir en arrière et corriger les choses Réparer les choses qui ont été brisées Mais il y a une tempête venue du paradis Et la tempête continue de pousser l’ange en arrière dans le futur Et cette tempête, cette tempête est appelée Progrès
« La célébrité est un masque qui vous dévore le visage» – John Updike
Donald Trump vu par James Ostrer (show at the Art Central in Hong Kong)
Postiche bouffante couleur miel, groin de cochon, globes oculaires de moutons, tranches de poissons crus, coulures de pétrole brut, gravats dorés à la feuille, un demi-croissant au travers de la bouche, le tout engoncé dans un costume « high street » de production de masse, voilà comment l’artiste et photographe anglais James Ostrer connu pour ses compositions « Junk food » élaborées à partir de produits alimentaires et de déchets. voit le candidat à l’élection présidentielle américaine : « Si vous regardez tous les détails de ce travail, il y a beaucoup de références au marché des matières premières. Il y a du pétrole qui dégouline des trous de son costume. Ou des morceaux de gravats qui sont peints avec de l’or, en référence à son empire immobilier. Et, vous savez, financièrement, il aurait été préférable qu’il investisse toute sa fortune, car la plupart de ses sociétés ont fait faillite, et en même temps, il nous promet une Amérique plus forte. »
Portrait que je trouve pour ma part assez ressemblant. Le problème est de savoir pourquoi ce triste personnage monopolise la une des média et nous intéresse. La présence de la laideur tant physique que mentale est tout d’abord vécue chez l’homme comme une valeur négative provocante qui fascine, captive et le remet en question. En réaction, peut-être éprouve-t-il le besoin de surmonter cette négativité en l’affrontant et la domestiquant. Le laid est souvent la résultante de l’usure du temps. Le temps passant, on devient le plus souvent gros et laid, on perd ses cheveux, on rumine ses échecs et on a de moins en moins de succès auprès du sexe opposé. C’est le lot d’une fraction notable de la population américaine. Or voilà qu’apparait sur la scène politique où les jeux semblaient déjà faits, un personnage gros et laid, portant une postiche, inculte, raciste, misogyne, qui collectionne avec ses multiples faillites les échecs professionnels comme il collectionne les bimbos et qui se révèle avoir des chances d’être le prochain Président de la première puissance mondiale. Il n’en fallait pas moins pour s’attirer la sympathie de tous les vieux obèses, incultes, racistes, misogynes, chauves et frustrés du rêve américain déliquescent, et ils sont légion dans ce pays. Donald Trump est leur revanche, le doigt d’honneur qu’ils brandissent à la face de l’Amérique et du monde…
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Une Charogne
Rappelez-vous l’objet que nous vîmes, mon âme, Ce beau matin d’été si doux: Au détour d’un sentier une charogne infâme Sur un lit semé de cailloux,
Les jambes en l’air, comme une femme lubrique, Brûlante et suant les poisons, Ouvrait d’une façon nonchalante et cynique Son ventre plein d’exhalaisons.
Le soleil rayonnait sur cette pourriture, Comme afin de la cuire à point, Et de rendre au centuple à la grande Nature Tout ce qu’ensemble elle avait joint;
Et le ciel regardait la carcasse superbe Comme une fleur s’épanouir. La puanteur était si forte, que sur l’herbe Vous crûtes vous évanouir.
Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride, D’où sortaient de noirs bataillons De larves, qui coulaient comme un épais liquide Le long de ces vivants haillons.
Tout cela descendait, montait comme une vague Ou s’élançait en pétillant; On eût dit que le corps, enflé d’un souffle vague, Vivait en se multipliant.
Et ce monde rendait une étrange musique, Comme l’eau courante et le vent, Ou le grain qu’un vanneur d’un mouvement rythmique Agite et tourne dans son van.
Les formes s’effaçaient et n’étaient plus qu’un rêve, Une ébauche lente à venir Sur la toile oubliée, et que l’artiste achève Seulement par le souvenir.
Derrière les rochers une chienne inquiète Nous regardait d’un oeil fâché, Epiant le moment de reprendre au squelette Le morceau qu’elle avait lâché.
— Et pourtant vous serez semblable à cette ordure, À cette horrible infection, Etoile de mes yeux, soleil de ma nature, Vous, mon ange et ma passion!
Oui! telle vous serez, ô la reine des grâces, Apres les derniers sacrements, Quand vous irez, sous l’herbe et les floraisons grasses, Moisir parmi les ossements.
Alors, ô ma beauté! dites à la vermine Qui vous mangera de baisers, Que j’ai gardé la forme et l’essence divine De mes amours décomposés!
Préoccupé par cette affaire je me suis consacré à élucider les choses.
J’ai recherché les prêtres savants, je les ai attendus après le rite, je les ai guettés lorsqu’ils sortaient pour rendre visible à Dieu et au Diable.
Ils se lassèrent de mes questions. Eux non plus ne savaient pas grand-chose, Ils n’étaient que des administrateurs.
Les médecins me reçurent, entre une consultation et une autre, avec un bistouri dans chaque main, saturés d’auréomycine, chaque jour plus occupés
Selon ce que j’appris à travers ce qu’ils disaient le problème était le suivant : jamais n’est mort tant de microbes il en tombait des tonnes, mais le peu qui resta se révélait pervers.
Ils m’effrayèrent tant que j’ai cherché les fossoyeurs. Je partis aux fleuves où ils brûlent de grands cadavres peints, de petits morts osseux, des empereurs recouverts d’écailles terrifiantes, des femmes aplaties tout à coup par une rafale de colère. C’étaient des rives de défunts et des spécialistes cendreux.
Quand vint mon tour je leur posai quelques questions, ils me proposèrent de me brûler : c’était tout ce qu’ils savaient.
Dans mon pays les fossoyeurs me répondirent, entre deux verres : — « Trouve-toi donc une jeune fille robuste, et laisse tomber toutes ces sottises. »
Je n’ai jamais vu de gens si joyeux.
Ils chantaient en levant le vin à la santé et à la mort. C’étaient de grands fornicateurs.
Je rentrai chez moi plus vieux après avoir parcouru le monde.
Je ne demande rien à personne.
mais je sais chaque jour moins de choses.
Pablo Neruda, recueil de poèmes ESTRAVAGARIO, 1958 traduit en français sous le nom Vaguedivague Edit. Poésie/Gallimard, 1971-2013
« J’ai l’intime conviction que notre monde va droit à la catastrophe. Le chemin sur lequel s’avance l’humanité est suicidaire. Je parle de la catastrophe au singulier, non pour désigner un évènement unique, mais un système de discontinuités, de franchissements de seuils critiques, de ruptures, de changements structurels radicaux qui s’alimenteront les uns les autres, pour frapper de plein fouet avec un violence inouïe les générations montantes. Mon cœur se serre lorsque je pense à l’avenir de mes enfants et de leurs propres enfants, qui ne sont pas encore nés. Ceux qui espèrent que le XXIe siècle échappera aux horreurs qu’a produites le XXe siècle ont sans doute oublié que l’acte inaugural, daté du 11 septembre 2001, en fut un évènement d’une brutalité inconcevable. Ils croient sans doute que la science et la technique nous sortiront d’affaire comme elles l’ont toujours fait dans le passé. Quand j’étais enfant, on nous expliquait dans la classe d’éducation civique que tous les malheurs de l’humanité venaient de ce que les progrès de la science ne s’étaient pas accompagnés d’un progrès parallèle de la sagesse humaine. La science était pure, mais les hommes restaient mauvais. Quelle naïveté !
Je dois à Ivan Illitch, ce grand critique de la société industrielle et l’un de mes mentors, (…) d’avoir compris que l’humanité a toujours dû se garder de trois types de menace, et non pas simplement de deux — les deux auxquelles on pense d’abord : la force de la nature et la violence des hommes ; les tremblements de terre qui effondrent les cités glorieuses et la barbarie de la guerre qui massacre, mutile, viole leurs habitants. C’est en apprenant à mieux connaître la nature que les hommes ont réussi partiellement à la dompter; c’est devenant plus lucides sur les mécanismes de la haine et de la vengeance qu’ils ont compris que l’on peut s’entendre avec ses ennemis et qu’ils ont bâti les civilisations.
Mais il existe un troisième front sur lequel il est beaucoup plus difficile de se battre, car l’ennemi, c’est nous-mêmes. il a nos propres traits, mais nous ne le reconnaissons pas et tantôt nous le rabattons du côté de la nature, tantôt nous en faisons une Némésis haineuse et vengeresse. Le mal qui nous fond sur la tête depuis ce troisième front est la contrepartie de notre faculté d’agir, c’est-à-dire de déclencher des processus irréversibles et qui n’ont pas de fin, lesquels peuvent se retourner contre nous et prendre la forme de puissances hostiles qui nous détruisent.
Jean-Pierre Dupuy, La marque du sacré, 2008 – Champs essai Flammarion, 2010 – Chap. I : Penser au plus près de l’apocalypse, pp 1 et 2.
Edgar Morindans son ouvrage « Le paradigme perdu : la nature humaine » (1973) a traité du thème de l’« Homo démens », dénomination qui selon lui serait plus à même de rendre compte de la nature humaine que la dénomination « Homo sapiens ». Le saut qualitatif qui a permis à l’homme de se dégager pour une part de l’animalité lui a permis d’agir sur la nature grâce à la création d’outils, l’utilisation du langage et de la culture mais a dans le même temps ouvert la boîte de Pandore d’une activité mentale source de déraison, de magie, de démesure, de désordre et de violence, de ce que les grecs qualifieront par la suite d’Ubris(ou Hybris). Pour Edgar Morin, le propre de l’homo sapiens est d’être « un animal doué de déraison ». Ainsi, la folie, la violence que connaissent les sociétés humaines ne constitueraient pas des « accidents » ou des dérèglements de la nature humaine mais seraient inscrits dans cette nature.
Chez les anciens grecs, lorsque les hommes donnaient libre cours à l’ubris et risquaient à cette occasion de perturber l’harmonie et l’ordre du monde, les dieux leur envoyait pour les punir, Nemesis, l’implacable déesse de la juste colère et de la vengeance divine. Son rôle est de rétablir l’équilibre rompu par la folie des hommes. Son nom dérive d’ailleurs du verbe grec némeïnn qui signifie « répartir équitablement, distribuer ce qui est dû ».Jean-Pierre Dupuy nous explique, en reprenant à son compte les analyses de Hannah Arendt (The Human Condition, 1958) et d’Ivan Illitch, que les actes négatifs des hommes sont à double détente et que les processus incontrôlés qu’ils induisent et qui se mettent en mouvement à la suite de leur mise en œuvre peuvent être beaucoup plus graves que les conséquences directes qui en résultent et irréversibles. Pour certains hommes, ils apparaissent alors comme une punition divine, une némésis : « L’action et la parole engendrent des histoires dont nul ne peut se dire l’auteur et qui connaissent parfois, ou souvent, un dénouement tragique. De cette expérience primordiale de l’autonomisation de l’action par rapport aux intentions des acteurs sont probablement nés le sacrés, la tragédie, la religion et la politique – autant de dispositifs symboliques et réels susceptibles de maintenir dans des limites cette capacité d’agir ».
De la crise énergétique à la crise du réchauffement climatique
Pour illustrer son propos, Jean-Pierre Dupuy prend l’exemple de la crise énergétique qui, on le sait aujourd’hui, ne peut que s’aggraver et avoir des conséquences de plus en plus néfastes sur l’équilibre du climat et les conditions de vie de l’homme sur la Terre. pendant longtemps, le seul problème traité par les économistes étaient celui de la raréfaction des ressources des énergies fossiles sur le globe (pétrole, charbon, gaz naturel). L’augmentation des besoins découlant de l’élévation du niveau de vie des pays développés et de l’émergence de pays en voie de développement rapide a longtemps laissé craindre une raréfaction de ces ressources dans un avenir relativement proche fixé d’ici 30 à 50 ans. Une grande part des conflits intervenus entre nations depuis 50 ans était d’ailleurs liés à ce constat, les grandes puissances cherchant à s’assurer le contrôle de leur approvisionnement futur. Certains pensent aujourd’hui qu’il est possible de reculer l’horizon de la pénurie par la découverte de nouvelles sources d’énergie fossiles (gaz de schiste, sables bitumineux), d’autres misent sur la science et la technologie pour trouver des solutions miracles qui régleraient le problème. Mais pour Jean-Pierre Dupuy, le problème de la raréfaction des ressources de ces sources d’énergie est un faux problème car la planète ne peut supporter davantage qu’elle le fait aujourd’hui la pollution et les déséquilibres induits par cette utilisation débridée des ressources fossiles. Les chiffres sont implacables : Les émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES) couvertes par le protocole de Kyoto ont atteint près de 49 milliards de tonnes équivalent CO2 en 2010 selon les dernières données du Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Elles ont augmenté de 80% entre 1970 et 2010, principalement en raison du doublement de la consommation d’énergie dans le monde sur cette période. Si cette tendance se poursuivait (scénario dit «émetteur»), ce que l’on a tout lieu de craindre compte tenu du choix d’un développement de « type occidental » choisi par les pays en voie de développement, le réchauffement climatique pourrait atteindre 4°C à 5°C d’ici la fin du siècle. Dans ce cas, le système climatique deviendra chaotique, ce qui lui fera franchir des « points de basculement » (tipping points) à partir desquels tous les phénomènes s’amplifieront dans une dynamique auto-renforcée qui ne sera plus contrôlable : risque d’ère glacaire sur l’Europe par une modification du régime des courants marins, fonte du permafrost (terre gelée aujourd’hui en permanence) qui libérera dans l’atmosphère des quantités gigantesques de méthane. La Conférence sur le climat de Paris (COP 21) qui s’est tenue en décembre 2015 a abouti à un accord historique signé par 195 pays qui s’engagent à réduire leurs émissions deGES. Cet accord a pour objectif de stabiliser le réchauffement climatique dû aux activités humaines à la surface de la Terre « nettement en dessous » de 2°C d’ici à 2100 par rapport à la température de l’ère préindustrielle (période de référence 1861-1880) et de poursuivre les efforts pour limiter ce réchauffement à 1,5°C. Ce que, en opposition au scénario dit « émetteur », on appelle lescénario« sobre » implique une réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre : il faudrait limiter les émissions d’ici à 2100 à environ 1 000 milliards de tonnes, soit l’équivalent d’environ 20 ans d’émissions mondiales au rythme actuel. Il faudrait que les émissions mondiales baissent de 40% à 70% d’ici à 2050 et atteindre une économie quasiment neutre en carbone durant la deuxième partie du XXIe siècle. Mais cet engagement se réduit pour le moment à une promesse, signe d’une prise de conscience, mais il faut maintenant mettre en œuvre les politiques permettant de la réaliser, ce qui est loin d’être acquis.
Energies fossiles : rareté des ressources ou surabondance ?
Jean-Pierre Dupuy précise que pour atteindre ces objectifs et éviter ainsi le désastre irréversible du « scénario émetteur » que serait une augmentation de 3° à la fin du siècle, l’humanité devrait s’astreindre impérativement à ne pas extraire du sous-sol dans les deux siècles qui viennent plus du tiers des réserves de carbone aujourd’hui connues sous la forme des énergies fossiles. Il arrive ainsi à la conclusion paradoxale, que dans le cadre d’une réaction éthique et responsable soucieuse de l’avenir de la planète « ce n’est pas de rareté des ressources qu’il faut parler mais de surabondance. » Par rapport aux objectifs affichés de réduction des GES, nous avons trois fois trop de ressources fossiles…
Entre l’homo demens et l’homo sapiens, qui l’emportera ?
L’humanité sera t’elle capable de relever les défis qui se présentent à elle ? Pour Jean-Pierre Dupuy, plusieurs dangers menacent la survie même de l’homme sur la terre. Les deux premiers sont déjà connus : la destruction du milieu comme conséquence de la pollution et du réchauffement climatique et, avec la prolifération des armes de destruction massive, la violence intestine, qu’elle soit le fait du choc des intérêts et des idéologies ou des conséquences de la destruction du milieu. Mais il existe désormais de nouveaux dangers induits par les applications sur le vivant d’une science et d’une technologie devenues folles dans les domaines des nanotechnologies qui manipulent la matière à l’échelle moléculaire et atomique et des biotechnologies, des technologies de l’information. La convergence sous l’égide des sciences cognitives de ces technologies avancées rend possible la modification du vivant, sa transformation et même la création de formes nouvelle de vie. L’expérience passée montre que l’homme n’a jamais pu résister à son désir de pouvoir et de puissance et qu’un outil créé finira par être utilisé : « Il nous a fallu longtemps pour comprendre que la puissance d’une technique était proportionnelle à son « incontrôlabilité » (out-of-controlness) intrinsèque, à sa capacité à nous surprendre en engendrant de l’inédit. En vérité, si nous n’éprouvons pas de l’inquiétude devant une technique, c’est qu’elle n’est pas assez révolutionnaire. » (Kevin Kelly, spécialiste visionnaire en écologie et cybernétique). Bel exemple de l‘Ubris qui menace le genre humain par la mise en œuvre d’actions ou interventions irréfléchies qui ont pour effet d’induire des processus nouveaux inattendus fonctionnant de manière autonome et incontrôlable à la manière du Faust de Goethe qui, ayant passé un pacte avec le Diable, voit ses actions orientées vers le bien servir en fait le mal. Ainsi, le mal s’autonomise par rapport aux intentions de ceux qui agissent quelque soient leurs intentions premières (Illitch, Anders, Arendt), ce que le bon sens populaire exprime par le proverbe : « l’Enfer est pavé de bonnes intentions ». Si l’humanité est menacée physiquement, elle l’est aussi sur le plan de sa culture, de ses principes de vie et de ses valeurs. On sait que la peur et la violence qui accompagne la lutte d’un communauté pour sa survie a souvent pour conséquence le sacrifice de valeurs essentielles et un retour plus ou moins important à la barbarie et Jean-Pierre Dupuy se pose une question fondamentale : «À quoi servirait à l’humanité de se sauver elle-même si elle en venait à perdre son âme ? ».
Albrecht Dürer – Les quatres cavaliers de l’Apocalypse, 1498
Jean-Pierre Dupuy (né en 1941) est un ingénieur, épistémologue et philosophe français, polytechnicien et ingénieur des mines, il est professeur de français et chercheur au Centre d’Étude du Langage et de l’Information (CSLI) de l’université Stanford, en Californie. Il a aussi enseigné la philosophie sociale et politique et l’éthique des sciences et techniques jusqu’en 2006 à l’École polytechnique (dont il a été un ancien élève). Il est membre de l’Académie des technologies et de l’Académie catholique de France, admirant les valeurs du christianisme, bien qu’il ne soit pas croyant. Il a fondé le centre de sciences cognitives et d’épistémologie de l’École polytechnique (CREA) en 1982 avec Jean-Marie Domenach sur la base de réflexions préliminaires de Jean Ullmo. Ce centre est devenu une unité mixte de recherche (UMR) en 1987 qui, en 2001, s’est constitué en un laboratoire polyscientifique de sciences cognitives théoriques. Jean-Pierre Dupuy a contribué à introduire et diffuser en France la pensée d’Ivan Illich, de René Girard, de John Rawls et de Günther Anders. Une partie de son travail porte sur les nanotechnologies, un possible « tsunami » technologique à venir, dont il étudie tant les effets pervers possibles que la teneur du débat autour de ce risque. Partant du constat qu’un seuil a été franchi et que l’humanité est désormais capable de s’anéantir elle-même, par les armes de destruction massive ou simplement en continuant d’altérer ses conditions de survie et que l’on refuse de le croire, il s’intéresse aux appréhensions et réflexions autour des catastrophes, passées comme prévisibles. Jean-Pierre Dupuy compte également parmi les membres fondateurs du Collegium international éthique, politique et scientifique, association qui souhaite « apporter des réponses intelligentes et appropriées qu’attendent les peuples du monde face aux nouveaux défis de notre temps. » Il a reçu le prix Roger-Caillois de l’essai 2011. (Crédit Wikipedia)