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Paul Signac, une vie au fil de l’eau
Connaissez vous la Fondation de l’Ermitage à Lausanne ? C’est une fondation privée créée par les descendants d’un grand collectionneur, natif de la cité vaudoise, le banquier Charles-Juste Bugnion (1811-1897). En 1976, ceux-ci ont cédé à la ville une magnifique propriété située sur les hauteurs dominant la ville pour abriter une partie de la collection de la fondation composée de près de 800 œuvres d’art et pour abriter les deux ou trois expositions qui sont organisées chaque année.
C’est le genre de musée que j’apprécie : aménagé dans une ancienne maison de maître de caractère située dans un immense parc peuplé d’essences rares avec une vue magnifique sur le lac Léman et les Alpes françaises, sa petite taille ne permet de présenter qu’un nombre limité d’œuvres. Tant mieux ! vous échapperez ainsi aux inconvénients des grands musées. Ici, pas de visite marathon au milieu d’une foule agitée et pressée dont on sort exténué et gavés d’un trop plein de nourritures spirituelles : une heure et demi à deux heures de visite suffisent et si le temps le permet vous pouvez ensuite boire un café ou déjeuner sur la terrasse ensoleillée de l’un des deux cafés restaurants aménagés dans le parc ou vous promener dans celui-ci en admirant le paysage et en devisant aimablement sur l’exposition présentée. La chance était avec nous, c’était justement les conditions climatiques qui prévalaient le jour de notre visite de l’exposition « Signac, une vie au fil de l’eau », dédiée comme son nom l’indique au peintre Paul Signac*.
* Du 24 juin au 30 octobre 2016
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Paul Signac (1863-1935)
Le pointillisme
J’avoue, avant l’exposition Signac, avoir été peu sensible aux œuvres des peintres pointillistes. Je jugeais leurs tableaux intéressants par leur singularité de leur technique et leur luminosité mais en même temps je les trouvais empreints, du fait justement de la spécificité de la technique utilisée, d’un caractère naïf et figé très marqué qui nuisait à l’expression pleine et entière des sujets représentés. C’est le peintre Georges Seurat, un ami de Paul Signac, qui avait inventé la technique pointilliste en s’appuyant sur la théorie du divisionnisme élaborée en 1839 par le chimiste Eugène Chevreul à partir de la Loi du contraste simultané des couleurs selon laquelle, pour un observateur, une couleur n’existe pas en soi mais seulement dans les relations qu’elle entretient avec les autres couleurs qui l’entourent. Seurat, reprenant en cela des techniques déjà utilisées par Delacroix et les impressionnistes, eut l’idée d’utiliser à grande échelle la technique de juxtaposition de petits points de couleur pure pour qu’à une certaine distance de l’oeil de l’observateur les couleurs donnent l’illusion de s’être mélangées et donnent ainsi naissance à une nouvelle teinte plus lumineuse et chargée de vibration qu’une couleur qui aurait été obtenue de manière traditionnelle par simple mélange.
Georges Seurat – Pointillisme : Une Baignade à Asnières (1883-1884) et Un dimanche après-midi à l’Île de la Grande Jatte (1884-1886), Institut d’art de Chicago
C’est en mai 1884, lors de l’ouverture de la première exposition du Groupe des artistes indépendants à Paris que Signac fait la connaissance de Seurat qui y expose alors son tableau pointilliste Une Baignade à Asnières. Malgré leurs caractères opposés, Seurat était ombrageux et secret alors que Signac était expansif, ils deviendront des amis très proches et Seurat l’initiera aux théories de la perception de la couleur. C’est dans ces circonstances qu’il assistera au début de 1885 à plusieurs conférences données par Eugène Chevreul aux ateliers des Gobelins. Signac jusqu’alors lié à l’impressionnisme s’enthousiasme pour la technique initiée par son ami et compose ses premières oeuvres divisées; l’une d’entre elles, intitulée Les Andelys, les laveuses a été peinte en 1986 en Normandie et a fait l’objet d’une réédition en lithographie l’année suivante dont l’exemplaire « bon à tirer » annoté de la main de l’artiste faisait partie de l’exposition.
Paul Signac – Les Andelys, les laveuses, 1886 : l’un des premiers tableaux pointilliste du peintre. La grossièreté des touches de peinture, leur espacement, et l’absence de dégradés dans les teintes montrent que le peintre n’a pas encore parfaitement maîtrisé cette nouvelle technique de représentation.
Paul Signac – Saint-Briac, les Balises. Opus 210, 1890. Ce tableau souligne l’évolution du peintre qui, sous l’influence de l’art des estampes japonaises, tente de transcrire l’essence d’un paysage en le dépouillant de toute anecdote en cherchant à le réduire à l’essentiel dans l’harmonie des pleins et des vides et dans la vibration des tons.
Paul Signac – Saint-Tropez, la jetée vue du chantier naval, 1892. Ce dessin effectué au crayon Conté représente la jetée du port; le peintre dilue les lignes des contours et accentue le contraste entre les parties sombres et claires faisant ainsi nettement référence à la technique de mise en valeur du clair-obscur de son ami Seurat qui était décédé l’année précédente
Paul Signac – Port de Saint-Tropez, étude de reflets, 1894. Aquarelle, plume et encre de Chine, 1894
Paul Signac – Soleil couchant sur la ville de Saint-Tropez, 1892 – Etude colorée qui fait penser à certains tableaux des peintres scandinaves influencés par le symbolisme et l’expressionnisme.
En 1892, lassé de la vie parisienne, Signac, sur les conseils de son ami Henri-Edmond Cross déjà installé au Lavandou, aborde à Saint-Tropez à la barre de son voilier Olympia avec sa jeune épouse Berthe Roblès et un matelot. Il découvre la crique des Graniers et loue au-dessus de ce mouillage naturel, une maison, la Hune, dont il fera un plus plus tard l’acquisition et où il passera désormais la belle saison. Quand il n’entreprend pas l’un de ses nombreux voyages à l’étranger, il va alors partager son temps entre Paris (Salon des Indépendants à l’automne), la Bretagne et Saint-Tropez (mai-septembre). La petite cité méditerranéenne va devenir l’un des thèmes favoris du peintre. Depuis la mort de Seurat en 1891, le peintre est le dernier représentant du pointillisme et reçoit le surnom de « Saint-Paul du pointillisme ». Mais avec le temps, il n’hésite pas à expérimenter d’autres techniques sont utilisées pour représenter Saint-Tropez et ses environs et notamment les aquarelles rehaussées d’encre à la plume rappelant les estampes du peintre japonais Hiroshige.
Paul Signac – Saint-Tropez, Fontaine des Lices, 1895.
Paul Signac – saint-Tropez après l’orage, 1895
Paul Signac – le port de Saint-Tropez, 1901
Paul Signac – Juan les Pins, 1914
Paul Signac – la Place des Lices à Saint-Tropez, 1905 – aquarelle, plume et encre de Chine
Hiroshige – Maiko Beach in Harima Province, , 1854 et Vincent Van Gogh – Verger d’oliviers, oct. 1889
Au printemps 1890, Signac visite la rétrospective consacrée à l’estampe japonaise par l’Ecole des Beaux-Arts en compagnie du critique Arsène Alexandre qui se souvient : « Nous regardions longuement les paysages d’Hiroshige».
Paul Signac – Constantinople, Yeni Djami, vers 1909. Aquarelle, plume et encre de Chine
Paul Signac – Etude pour trois mats terre neuvas, 1931 – Encre de Chine, lavis d’encre, pierre noire sur papier
En 1929, alors âgé de 65 ans et au fait de sa technique et de sa célébrité, Signac se lance dans un projet qui lui tenait à cœur : peindre à l’aquarelle 100 ports de France. L’homme d’affaire et collectionneur d’art Gaston Lévy finance le projet et le peintre a trouvé un moyen original de le dédommager : « Je ferais deux aquarelles dans chaque port, l’une pour vous et l’autre pour moi, différentes d’ailleurs, et vous choisiriez celle des deux qui aurait votre préférence. » Il lui faudra plus de deux années pour mener à bien ce projet titanesque.
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