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Lacrimacorpus dissolvens
Dans son traité Le livre des êtres imaginaires, l’écrivain argentin Jorge Luis Borges nous fait découvrir le Squonk (Lacrimacorpus dissolvens), un animal étrange considéré comme l’animal « le plus malheureux de la création » à cause de son apparence pitoyable, qui vit dans le nord de l’Amérique plus précisément en Pennsylvanie et qui a la particularité d’être facilement sujet à des crises de larmes.
« Le domaine du Squonk est très limité. En dehors de la Pennsylvanie, peu de gens ont entendu parler de lui, bien qu’on dise qu’il est encore assez commun dans les champs de ciguë de cet État. Le Squonk est très sauvage : généralement il voyage à l’heure du crépuscule. Sa peau qui est couverte de verrues et de grains de beauté, ne lui sied pas bien; les connaisseurs les plus avertis déclarent qu’il est le plus malheureux des animaux. Suivre sa piste est facile, car il pleure continuellement et il laisse une trace de larmes. Quand on le traque et qu’il ne peut pas fuir ou quand on le surprend et qu’on lui fait peur, il fond en larmes. Les chasseurs de Squonks ont plus de succès les nuits de froid et de lune, alors que les larmes tombent lentement et que l’animal n’aime pas bouger; ses odeurs s’entendent sous les branches des obscurs arbustes de ciguë. »
William T. Cox, Fearsome Creatures of the Lumberwoods, 1910
On raconte qu’un trappeur de Pennsylvanie parvint une nuit à mettre la main sur un Squonk. En imitant ses pleurs, il l’aurait amené à se fourrer dans un sac. Durant tout le trajet qui le ramenait chez lui, l’homme entendit la pauvre créature pleurer convulsivement. Comme le trappeur approchait de chez lui, les pleurs cessèrent enfin. Mais lorsque l’homme ouvrit triomphalement son sac devant sa famille et ses amis, tout ce que la toile grossière retenait encore n’étaient que quelques bulles et quelques larmes brillantes, qui se dissolvèrent rapidement.
On rapporte également qu’un autre chasseur, se croyant plus malin, piégea un Squonk en creusant une fosse au pied d’un grand sapin. Tombé dans le piège, le petit être commença aussitôt à pleurer et le chasseur descendit dans la fosse pour s’en saisir. L’homme mourut noyé dans l’abondance des larmes du Squonk.
Cité par André-François Ruand dans Le Dico féérique : Le Règne humanoïde
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Le complément d’Enki : métabolisme du Squonk, des perspectives effarantes.
Voici plus d’un siècle qu’on a plus vu de Squonk en Pennsylvanie. La plupart des scientifiques considèrent qu’il s’agit d’un espèce disparue à cause de la coutume stupide qu’avaient les maraîchers de cet État d’attacher en période de sécheresse l’un de ces animaux au pied de chacun de leurs arbres fruitiers pour leur assurer grâce à l’abondance de ses larmes une humidité suffisante. On raconte que certains d’entre eux, sachant que les pleurs de l’animal étaient motivées par la laideur extrême de son visage, allaient jusqu’à placer un miroir au pied de l’arbre afin qu’à la vue de sa pitoyable face la pauvre créature redouble de pleurs. Il est certain qu’avec un tel traitement, ces animaux ne pouvaient résister longtemps. Quelques chercheurs persistent à penser qu’il pourrait néanmoins en subsister encore quelques uns et organisent régulièrement des battues dans les zones forestières de Pennsylvanie et des Ètats limitrophes où quelques derniers spécimen auraient pu se réfugier. Leur recherche n’est absolument pas désintéressée; il y a peut-être de l’argent à gagner… En effet la faculté que possédait l’animal de se dissoudre dans ses larmes (qui serait à l’origine de l’expression « fondre en larmes») intéresse au plus haut point ces scientifiques. Ils émettent l’hypothèse que la chair de l’animal aurait pu avoir une consistance semblable à celle du savon ce qui expliquerait sa capacité de dissolution en milieu humide. Ils souhaiteraient notamment savoir si le phénomène était réversible, c’est à dire si l’animal avait la faculté de se reconstituer après que le danger soit passé. Si une telle résilience se révélait possible, cela ouvrirait des perspectives immenses dans le domaine de l’économie des transports car on pourrait envisager de liquéfier les êtres vivants dans des barriques ou des containers pour les transporter sur de longues distances et les reconstituer à l’arrivée.
On est parfois surpris par la teneur du courrier des lecteurs. L’un de ceux-ci m’a demandé sans rire « s’il existait un risque que ce comportement lacrymal des Squonks puisse se transmettre aux êtres humains et si dans ce cas le sexe féminin pouvait présenter une prédisposition à cette atteinte…». Il expliquait qu’il y avait dans sa famille et dans le cercle de ses amis plusieurs femmes qui fondaient effectivement en larmes à toute occasion. Il précise que certaines d’entre elles avaient séjourné dans le passé aux Etats-Unis et auraient très bien pu se rendre à cette occasion en Pennsylvanie. Je lui ai répondu que cette faculté des Squonks devait être d’ordre génétique et qu’il était peu probable qu’elle ait pu franchir la barrière des espèces et se transmettre à l’homme. J’ajoutais en plaisantant que s’il voulait s’en assurer, il lui suffisait de placer l’une des personnes qu’il soupçonnait d’être atteinte dans un grand sac et vérifier au bout de quelque temps si elle s’était transformée en mare de larmes et en bulles de savon ou non. J’ose espérer qu’il n’a pas pris mon conseil à la lettre…
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En 1976, le groupe de rock Genesis a créé une chanson qui fait référence aux larmes du Squonk (album A Trick of the Tail)
«I opened up the sack, all that I had
A pool of bubbles and tears – just a pool of tears»
« Squonk »
Like father like son
Not flesh nor fish nor bone
A red rag hangs from an open mouth
Alive at both ends but a little dead in the middle
A-tumbling and a-bumbling he will go
All the King’s horses and all the King’s men
Could never put a smile on that face
He’s a sly one, he’s a shy one
Wouldn’t you be too?
Scared to be left all on his own
Hasn’t a, hasn’t a friend to play with, the Ugly Duckling
The pressure on, the bubble will burst before our eyes
All the while in perfect time
His tears are falling on the ground
But if you don’t stand up you don’t stand a chance
Go a little faster now, you might get there in time
Mirror mirror on the wall
His heart was broken long before he ever came to you
Stop your tears from falling
The trail they leave is very clear for all to see at night
All to see at night
In season, out of season
What’s the difference when you don’t know the reason
In one hand bread, the other a stone
The hunter enters the forest
All are not huntsmen who can blow the huntsman’s horn
By the look of this one you’ve not got much to fear
Here I am, I’m very fierce and frightening
Come to match my skill to yours
Now listen here, listen to me, don’t you run away now
I am a friend, I’d really like to play with you
Making noises my little furry friend would make
I’ll trick him, then I’ll kick him into my sack
You better watch out, you better watch out
I’ve got you, I’ve got you, you’ll never get away
Walking home that night
The sack across my back, the sound of sobbing on my shoulder
When suddenly it stopped
I opened up the sack, all that I had
A pool of bubbles and tears – just a pool of tears
All in all you are a very dying race
Placing trust upon a cruel world
You never had the things you thought you should have had
And you’ll not get them now
And all the while in perfect time
Your tears are falling on the ground
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