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Lucas Cranach l’Ancien – Adam et Ève, 1526
Les différentes représentations du Paradis
Paradis : (Xe siècle) Du latin ecclésiastique paradisius « Jardin, Paradis, jardin d’éden » issu du grec ancien παράδεισος = parádeisos « enclos pour animaux », le terme fut utilisé lors de la traduction de la bible en grec pour désigner l’Eden. Le mot était lui-même issu de *pairiḍaēza signifiant « jardin, enclos, espace clos, enceinte noble, verger clôturé ou terrain de chasse » et issu de la langue avestique, une ancienne langue indo-iranienne utilisée dans l’Avesta, l’ancien livre sacré des iraniens zoroastrien. Le mot est composé de pairi « autour » et de daēza « mur » et a été transmis en Grèce par l’intermédiaire du persan pardêz. À noter également la proximité de ce mot avec l’hébreu « פרדס »(qui se prononce «pardes» comme son équivalent en chaldéen). Un paradis, ce n’était donc dans les temps anciens, qu’un jardin clos, espace privilégié par la flore, la faune et l’eau qu’il renfermait et protégeait, un lieu idéal pour les hommes du désert compte tenu de sa rareté. Ce mot apparaît plusieurs fois dans la Bible hébraïque avec le sens de jardin, verger, parc.
Jardin d’Eden : Le jardin d’Éden (hébreu גן עדן, jardin des délices) (arabe عَدْن, جَنَّة عَدْن, عدن, jardin des délices) est le nom du jardin merveilleux où la genèse (chapitres 2 et 3) situe l’histoire d’Adam et Ève. Il est souvent comparé au Paradis. Le mot Éden proviendrait du terme edinu « plaine, steppe » appartenant à une langue sémitique, l’akkadien, fortement influencé par l’ancien sumérien, et qui était parlée du début du IIe jusqu’au Ier millénaire avant J.C. en Mésopotamie.
Jardin des Hespérides : Selon une version de la mythologie grecque, les trois nymphes du couchant, filles d’Atlas et d’Hespéris, «l’heure du soir» qui représente l’Occident, le Couchant personnifié s’appellent les Hespérides (en grec ancien Ἑσπερίδες / Hesperídes. Elles résidaient dans un verger fabuleux, le fameux jardin des Hespérides, situé à la limite occidentale du monde (rives de l’Espagne ou du Maroc) et avaient la garde d’un pommier sacré, cadeau de Gaïa à Hera, qui produisait des fruits d’or destinés à Hera mais qu’elles chapardaient sans scrupules. Hera le fit donc garder par un dragon à cent têtes, Nérée. Le onzième des travaux d’Héraclès lui imposait de rapporter des fruits de cet arbre, il y parviendra grâce à l’aide de Nérée et d’Atlas. Les historiens se querellent sur la nature des fruits de l’arbre sacré; pour certains les fruits seraient des oranges, pour d’autres des coings.
L’Île de la nymphe Calypso : La nymphe, reine de l’île d’Ogygie, la presqu’île de Ceuta en face de Gibraltar, Calypso (Gr. Καλυψώ; Lat. Calypso), qui était la fille d’Atlas tomba amoureuse d‘Ulysse qui venait de faire naufrage. Elle s’efforça vainement durant sept années de lui faire oublier sa patrie et son épouse dans sa grotte enchantée, entourée de bois de peupliers et de cyprès et décorée de vignes et lui offrit l’immortalité mais le héros qui s’ennuyait ferme préféra quitter ce paradis et retrouver sa vie passée.
Babur (le fondateur de l’Empire moghol en Inde au XVIe siècle) supervisant la construction d’un jardin
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Le texte magnifique de Victor Hugo décrivant le paradis ( La Légende des Siècles)
Hieronymus Bosch – le Jardin des délices, entre 1480 et 1505
Première série – D’Ève à Jésus
I
L’aurore apparaissait ; quelle aurore ? Un abîme
D’éblouissement, vaste, insondable, sublime ;
Une ardente lueur de paix et de bonté.
C’était aux premiers temps du globe ; et la clarté
Brillait sereine au front du ciel inaccessible,
Étant tout ce que Dieu peut avoir de visible ;
Tout s’illuminait, l’ombre et le brouillard obscur ;
Des avalanches d’or s’écroulaient dans l’azur ;
Le jour en flamme, au fond de la terre ravie,
Embrasait les lointains splendides de la vie ;
Les horizons pleins d’ombre et de rocs chevelus,
Et d’arbres effrayants que l’homme ne voit plus,
Luisaient comme le songe et comme le vertige,
Dans une profondeur d’éclair et de prodige ;
L’Éden pudique et nu s’éveillait mollement ;
Les oiseaux gazouillaient un hymne si charmant,
Si frais, si gracieux, si suave et si tendre,
Que les anges distraits se penchaient pour l’entendre ;
Le seul rugissement du tigre était plus doux ;
Les halliers où l’agneau paissait avec les loups,
Les mers où l’hydre aimait l’alcyon, et les plaines
Où les ours et les daims confondaient leurs haleines,
Hésitaient, dans le chœur des concerts infinis,
Entre le cri de l’antre et la chanson des nids.
La prière semblait à la clarté mêlée ;
Et sur cette nature encore immaculée
Qui du verbe éternel avait gardé l’accent,
Sur ce monde céleste, angélique, innocent,
Le matin, murmurant une sainte parole,
Souriait, et l’aurore était une auréole.
Tout avait la figure intègre du bonheur ;
Pas de bouche d’où vînt un souffle empoisonneur ;
Pas un être qui n’eût sa majesté première ;
Tout ce que l’infini peut jeter de lumière
Éclatait pêle-mêle à la fois dans les airs ;
Le vent jouait avec cette gerbe d’éclairs
Dans le tourbillon libre et fuyant des nuées ;
L’enfer balbutiait quelques vagues huées
Qui s’évanouissaient dans le grand cri joyeux
Des eaux, des monts, des bois, de la terre et des cieux !
Les vents et les rayons semaient de tels délires
Que les forêts vibraient comme de grandes lyres ;
De l’ombre à la clarté, de la base au sommet,
Une fraternité vénérable germait ;
L’astre était sans orgueil et le ver sans envie ;
On s’adorait d’un bout à l’autre de la vie ;
Une harmonie égale à la clarté, versant
Une extase divine au globe adolescent,
Semblait sortir du cœur mystérieux du monde ;
L’herbe en était émue, et le nuage, et l’onde,
Et même le rocher qui songe et qui se tait ;
L’arbre, tout pénétré de lumière, chantait ;
Chaque fleur, échangeant son souffle et sa pensée
Avec le ciel serein d’où tombe la rosée,
Recevait une perle et donnait un parfum ;
L’Être resplendissait, Un dans Tout, Tout dans Un ;
Le paradis brillait sous les sombres ramures
De la vie ivre d’ombre et pleine de murmures,
Et la lumière était faite de vérité ;
Et tout avait la grâce, ayant la pureté ;
Tout était flamme, hymen, bonheur, douceur, clémence,
Tant ces immenses jours avaient une aube immense !
Herri met de Bles – Le Paradis, entre 1541 et 1550
Lucas Cranach l’Ancien – Le Jardin d’Eden, XVIe siècle
II
Ineffable lever du premier rayon d’or !
Du jour éclairant tout sans rien savoir encor !
Ô Matin des matins ! amour ! joie effrénée
De commencer le temps, l’heure, le mois, l’année !
Ouverture du monde ! instant prodigieux !
La nuit se dissolvait dans les énormes cieux
Où rien ne tremble, où rien ne pleure, où rien ne souffre ;
Autant que le chaos la lumière était gouffre ;
Dieu se manifestait dans sa calme grandeur,
Certitude pour l’âme et pour les yeux splendeur ;
De faîte en faîte, au ciel et sur terre, et dans toutes
Les épaisseurs de l’être aux innombrables voûtes,
On voyait l’évidence adorable éclater ;
Le monde s’ébauchait ; tout semblait méditer ;
Les types primitifs, offrant dans leur mélange
Presque la brute informe et rude et presque l’ange,
Surgissaient, orageux, gigantesques, touffus ;
On sentait tressaillir sous leurs groupes confus
La terre, inépuisable et suprême matrice ;
La création sainte, à son tour créatrice,
Modelait vaguement des aspects merveilleux,
Faisait sortir l’essaim des êtres fabuleux
Tantôt des bois, tantôt des mers, tantôt des nues,
Et proposait à Dieu des formes inconnues
Que le temps, moissonneur pensif, plus tard changea ;
On sentait sourdre, et vivre, et végéter déjà
Tous les arbres futurs, pins, érables, yeuses,
Dans des verdissements de feuilles monstrueuses ;
Une sorte de vie excessive gonflait
La mamelle du monde au mystérieux lait ;
Tout semblait presque hors de la mesure éclore ;
Comme si la nature, en étant proche encore,
Eût pris, pour ses essais sur la terre et les eaux,
Une difformité splendide au noir chaos.
Les divins paradis, pleins d’une étrange sève,
Semblent au fond des temps reluire dans le rêve,
Et, pour nos yeux obscurs, sans idéal, sans foi,
Leur extase aujourd’hui serait presque l’effroi ;
Mais qu’importe à l’abîme, à l’âme universelle
Qui dépense un soleil au lieu d’une étincelle,
Et qui, pour y pouvoir poser l’ange azuré,
Fait croître jusqu’aux cieux l’Éden démesuré !
Jours inouïs ! le bien, le beau, le vrai, le juste,
Coulaient dans le torrent, frissonnaient dans l’arbuste ;
L’aquilon louait Dieu de sagesse vêtu ;
L’arbre était bon ; la fleur était une vertu ;
C’est trop peu d’être blanc, le lis était candide ;
Rien n’avait de souillure et rien n’avait de ride ;
Jours purs ! rien ne saignait sous l’ongle et sous la dent ;
La bête heureuse était l’innocence rôdant ;
Le mal n’avait encor rien mis de son mystère
Dans le serpent, dans l’aigle altier, dans la panthère ;
Le précipice ouvert dans l’animal sacré
N’avait pas d’ombre, étant jusqu’au fond éclairé ;
La montagne était jeune et la vague était vierge ;
Le globe, hors des mers dont le flot le submerge,
Sortait beau, magnifique, aimant, fier, triomphant,
Et rien n’était petit quoique tout fût enfant ;
La terre avait, parmi ses hymnes d’innocence,
Un étourdissement de sève et de croissance ;
L’instinct fécond faisait rêver l’instinct vivant ;
Et, répandu partout, sur les eaux, dans le vent,
L’amour épars flottait comme un parfum s’exhale ;
La nature riait, naïve et colossale ;
L’espace vagissait ainsi qu’un nouveau-né.
L’aube était le regard du soleil étonné.
Pierre Paul Rubens et Jan Brueghel l’Ancien – Le Jardin d’Eden et la chute de l’homme, vers 1615
III
Or, ce jour-là, c’était le plus beau qu’eût encore
Versé sur l’univers la radieuse aurore ;
Le même séraphique et saint frémissement
Unissait l’algue à l’onde et l’être à l’élément ;
L’éther plus pur luisait dans les cieux plus sublimes ;
Les souffles abondaient plus profonds sur les cimes ;
Les feuillages avaient de plus doux mouvements ;
Et les rayons tombaient caressants et charmants
Sur un frais vallon vert, où, débordant d’extase,
Adorant ce grand ciel que la lumière embrase,
Heureux d’être, joyeux d’aimer, ivres de voir,
Dans l’ombre, au bord d’un lac, vertigineux miroir,
Étaient assis, les pieds effleurés par la lame,
Le premier homme auprès de la première femme.
L’époux priait, ayant l’épouse à son côté.
Jan Bruegel l’Ancien – Ulysse et Calypso, 1616
Marc Chagall – Adam et Ève chassés du paradis, 1961
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