Ombre et lumière : Angélique Ionatos chantant un poème d’Odysseus Elytis.


     « En général, les occidentaux situent le mystère dans l’obscurité. En Grèce, le mystère se passe en pleine lumière.         C’est cette surexposition de lumière qui crée le mystère. »               
Angélique Ionatos citant Elytis.

     ionatos.jpg   Angélique Ionatos

      Titre extrait de l’album « O Hélios O Héliatoras » paru sur le label « Arc en Ciel » en 1983 Angélique Ionatos : chant, guitare Sur un poème de Odysseus Elytis.


Odysseus Elytis (1911-1996).jpg    Odysseus Elytis (1911-1996)

     Traduction des paroles de la chanson « Omorphi ke paraxeni patrida » , d’après le poème de Odysseus Elytis, prix Nobel de littérature en 1979.

Belle mais étrange patrie

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Belle mais étrange patrie
Que celle qui m’a été donnée

Elle jette les filets pour prendre des poissons
Et c’est des oiseaux qu’elle attrape
Elle construit des bateaux sur terre
Et des jardins sur l’eau

Belle mais étrange patrie
Que celle qui m’a été donnée

Elle menace de prendre une pierre
Elle renonce
Elle fait mine de la creuser
Et des miracles naissent

Belle mais étrange patrie
Que celle qui m’a été donnée

Avec une petite barque
Elle atteint des océans
Elle cherche la révolte
Et s’offre des tyrans

Belle mais étrange patrie…


Όμορφη και παράξενη πατρίδα

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Όμορφη και παράξενη πατρίδα 
ω σαν αυτή που μου ‘λαχε δεν είδα 

Ρίχνει να πιάσει ψάρια πιάνει φτερωτά 
στήνει στην γη καράβι κήπο στα νερά 
κλαίει φιλεί το χώμα ξενιτεύεται 
μένει στους πέντε δρόμους αντρειεύεται 

Όμορφη και παράξενη πατρίδα 
ω σαν αυτή που μου ‘λαχε δεν είδα 

Κάνει να πάρει πέτρα την επαρατά 
κάνει να τη σκαλίσει βγάνει θάματα 
μπαίνει σ’ ένα βαρκάκι πιάνει ωκεανούς 
ξεσηκωμούς γυρεύει θέλει τύρρανους 

Όμορφη και παράξενη πατρίδα 
ω σαν αυτή που μου ‘λαχε δεν είδα


A beautiful and strange country

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A beautiful and strange country
like the one that luck gave me, I ‘ve never seen

He throws the net to catch fish. he catches birds,
he sets a boat on the ground, a garden in the water,
he cries, kisses the dirt, migrates,
ends up by himself, he becomes a man

A beautiful and strange country
like the one that luck gave me, I ‘ve never seen

He tries to grab a stone, he throws it away
he tries to poke in it, he makes miracles
he takes a little boat, he reaches the oceans
he asks for a revolution, he asks for tyrants

A beautiful and strange country
like the one that luck gave me, I ‘ve never seen

***


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Salade russe : quand un illustre illustrateur rencontre un écrivain aventurier : Alexandre Alexeïeff et Joseph Kessel


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Joseph Kessel (1898-1979) 

Les Nuits de Sibérie de Joseph Kessel

   Fils de parents juifs ayant fui la Russie pour la France, Joseph Kessel, le futur compositeur avec son neveu Maurice Druon en mai 1943 à Londres du Chant des Partisans et futur journaliste émérite et académicien français, est né en 1898 en Argentine où son père, après avoir passé son doctorat à Montpellier, avait obtenu un poste pour 3 années. À son retour en Europe la famille rejoint la famille de sa grand-mère maternelle à Orenbourg au bord du fleuve Oural où elle restera 3 années avant de revenir s’installer définitivement en France, à Nice, en 1908. En 1914 et 1915 il est à Paris où il fréquente le Lycée Louis-Le-Grand puis la Sorbonne. Il obtient sa licence de lettres classiques mais décide d’entamer des études d’acteur au Conservatoire d’Art Dramatique qui le conduisent sur les planches au Théâtre de l’Odéon. Entre temps, il s’est frotté au journalisme en tant que rédacteur au Journal des Débats. Mais en 1916, il a alors 18 ans, il décide de s’engager comme volontaire dans l’armée française où il va servir courageusement dans l’aviation au sein de la fameuse escadrille S.39 qui lui fera découvrir le goût du risque et de l’aventure. En 1918, la France décide d’envoyer un corps expéditionnaire en Sibérie pour aider les Russes Blancs en lutte contre les Bolcheviques qui ont abandonné la lutte contre l’Allemagne après le traité de Brest-Litvosk, permettant ainsi à ce pays de concentrer ses  forces sur le front de l’ouest. Parlant russe et cédant à l’appel de l’aventure,  Joseph Kessel se porte volontaire. L’ironie veut que son unité embarque à Brest le 11 novembre 1918 sur un navire américain, le jour même de l’armistice avec l’Allemagne, mais pour des considérations de politique extérieure, la lutte contre le bolchévisme, l’expédition est maintenue. Commence alors pour son escadrille un long voyage de traversée de l’Atlantique, des Etats-Unis et du Pacifique pour rejoindre Vladivostok ( « Le Seigneur de l’Orient » en russe) en proie à la guerre civile. À son arrivée à l’hiver 1909 dans le grand port des confins de l’Empire russe, plongé dans « la stupeur et la suffocation », il se retrouve plongé dans un gigantesque chaos où s’affrontent les russes blancs et rouges et des troupes de bandits incontrôlables sous l’œil impassibles des troupes de quatre pays alliés : américaines, françaises, britanniques et japonaises, ces dernières ayant la maîtrise du port. Il ne combattra pas et à titre d’aventure, sa connaissance de la langue russe lui fera occuper le poste de chef de gare de la grande ville. De ce séjour où alterneront errance dans la ville et dérives nocturnes noyées dans la vodka, naîtront plusieurs nouvelles réunies en 1922 dans un premier recueil, La Steppe rouge, puis en 1928 un roman, Les nuits de Sibérie qui décrit la nuit sibérienne dans laquelle s’agitent des personnages interlopes hauts en couleurs et une foule hétéroclite de réfugiés sans abri : soldats de toutes nations, réfugiés russes fuyant la guerre civile, travailleurs annamites, prisonniers allemands, turcs, hongrois, roumains, légionnaires tchécoslovaques, bulgares, polonais, lettons, cavaliers hindous et brigands de grands chemins avec comme personnages principaux Lena, une pauvre femme russe qui lutte désespérément pour survivre et le redoutable cosaque Semenof et sa troupe, personnages ambigües qui s’opposent aux « rouges » en faisant régner la terreur et qu’on hésite à classer dans les héros ou les bandits. Le roman prend la forme d’un récit, celui d’un aviateur français qui dans un bar raconte à un ami ses nuits passées dans cette ville, « étalage de détresse » où défile « cette misère en marche ».

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Le port of Vladivostok durant l’intervention internationale en Russie vers 1918-1919  –  American Naval Institute Photo Archive


Images de l’expédition de 1919 en Extrême Orient russe


L’édition spéciale des « nuits de Sibérie » illustrée par  Alexandre Alexeïeff.3332_10620052_1   

capture d_écran 2019-01-26 à 06.41.18   Les nuits de Sibérie seront éditées par Ernest Flammarion en 1928 soit près d’une dizaine d’années après l’expérience vécue par Joseph Kessel à Vladivostok en 1919. Une édition originale de ce roman illustrée de six belles eaux-fortes rehaussées d’aquatinte et d’une vignette de couverture réalisées par l’un de ses compatriotes lui aussi réfugié en France, Alexandre Alexeïeff, a été également publiée à 750 exemplaires sur papier vélin de Rives. Ce sont ces illustrations que je vous présente aujourd’hui.

    Le style très particulier d’Alexeïeff basé sur l’utilisation de dégradés qui vont du noir au blanc rappelant les anciennes gravures. Il est intéressant de constater que ces six gravures sont antérieures à sa rencontre en 1930 avec Claire Parker, une riche étudiante en art américaine qu’il a rencontré à Paris et qui deviendra sa seconde épouse et avec laquelle il mettra au points la technique inventée par celle-ci de l’écran d’épingles, un écran composé de centaines de milliers de petits tubes blancs maintenus par pression à l’intérieur d’un cadre comportant des épingles noires qui affleurent à sa surface. En étant plus ou moins enfoncées et éclairées latéralement, elles permettent de créer des ombres portées sur la surface blanche de l’écran. Cette trame d’épingles, par effet de gris optique, peut ainsi créer une gamme de dégradés du blanc au noir, donnant à l’image animée l’aspect d’une gravure à l’aquatinte ou à la manière noire (source Wikipedia).

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Extrait des Nuits de de Sibérie

    UN JOUR que dans un petit bar, tout de laque et de silence, nous nous entretenions à mi-voix de nos voyages, mon ami le pilote Estienne parla ainsi :

    « Vladivostok est une ville que les grands vagabonds traversent souvent, mais où ils ne s’arrêtent guère. Par quoi les retiendrait-elle ? Une fois que, venant du Japon, on a découvert sa rade, ornée de collines doucement ondulées, que l’on a admiré le travail du brise-glaces, monstre maladroit qui effondre la carapace du gel dans un sillon d’eau vierge et sombre, Vladivostok n’a plus d’attraits.
    Le Pacifique y vient mourir sous un ciel si brumeux que l’on croit avec peine que le même océan berce Honolulu de vagues de corail et d’or. La ville est terne, sale, toute en longueur, étirée selon une rue interminable et boueuse, la Svetlanskaïa, d’où partent, en maigre éventail, des impasses et des culs-de-sac. Des immeubles sans style, construits vers la fin du siècle dernier, d’immenses casernes, sont flanqués d’un quartier japonais sans grâce et d’un quartier chinois sans mystère avec des maisons d’amour navrantes. Sur tout cela tantôt une misère mesquine, tantôt un laborieux mauvais goût.

     Comme tu le vois, c’est un de ces nœuds inévitables qu’imposent les longs itinéraires et que l’on ne songe qu’à quitter au plus vite. Or, le hasard voulut m’y laisser deux mois. Je faisais partie d’une escadrille expédiée de France quelques jours avant l’armistice et qui, après une folle traversée de l’Amérique, venait échouer par la force de l’inertie en un point du globe où elle n’avait plus rien à faire.
     L’aventure pourtant ne me déplaisait point. J’avais mon plein de cocktails, de palaces, de flirts, et j’ai un goût secret pour les villes militaires, sans ressources apparentes. La monotonie y donne aux habitudes le goût et l’exigence des vices.
      De plus, nous étions seulement à la fin de l’hiver 1919. Le bolchevisme n’avait pas mis encore de rubans roses. La mode était loin de se faire recevoir aux dîners des ambassadeurs du Kremlin. Nous ne savions rien de la Russie, nous n’en savons sans doute pas davantage aujourd’hui, mais Paris-Moscou comportait alors quelques difficultés qui ont disparu. Sur le vaste empire en convulsions d’étroites fenêtres s’ouvraient à des milliers de lieues l’une de l’autre : Arkhangelsk en mer Blanche, Odessa en mer Noire, et Vladivostok au bout de l’Asie, au fond du Pacifique. Qu’allais-je voir par cette meurtrière sibérienne entrebâillée sur le faux jour des mystères et des révolutions ?

     Il y avait vraiment à cette époque et dans ce lieu désolé une atmosphère unique. Fin de guerre, fin d’un ordre social, peau neuve d’un peuple, de cent peuples. Les nations en folie y avaient toutes débarqué des soldats. Canadiens aux lèvres étroites, Américains lourds de dollars, Anglais qui venaient chasser proprement le loup rouge, Tchèques graves et hardis portant sur leurs visages les labeurs du chemin qu’ils avaient frayé à coups de grenades de la Volga à l’Océan. Et les Russes achevant de dégueniller leurs uniformes. Et les Japonais, maîtres sournois de la ville. Et les prisonniers autrichiens, allemands, turcs, hongrois, roumains, bulgares, polonais, lettons. Et les travailleurs annamites. Et les cavaliers hindous.
    Pour te peindre d’un mot ce mélange je te dirai que la patrouille de sécurité devait comprendre un homme par nation. Elle comptait vingt-trois fusils. Capotes, manteaux, pelisses – kaki, bleu, vert et noir, – bérets, bonnets, fourrures, chapskas, képis et casques, – toutes les couleurs, tous les uniformes et toutes les coiffures se confondaient dans cette étrange troupe. Mais pour l’utilité je doute qu’elle valût un piquet de gendarmes.
    Heureusement la ville était à peu près sûre. Les canons des bâtiments de guerre, hauts fantômes noirs sur la rade, répondaient de la tranquillité. Cependant il était sage de ne pas trop s’aventurer dans le port. La révolution y avait des partisans cachés, mais fanatiques, ouvriers et matelots qui prêtaient l’oreille avec une joie farouche aux premiers craquements du front de Koltchak, là-bas, de l’autre côté de la Sibérie immense. L’émeute couvait sourdement dans les ruelles sordides. Chaque nuit des coups de feu y animaient le silence. Parfois, au petit matin, on voyait passer, entre des cosaques, un homme un peu hagard. C’était un agitateur qui allait mourir.
    La population n’accordait à ces cortèges qu’une attention sans émoi. Curieuse population ! Elle ne ressemblait à aucune autre, elle n’avait pas l’air d’appartenir à la ville, il n’y avait pas d’accord entre elle, les rues et les maisons. On la sentait installée provisoirement, comme les troupes, prête à passer dans un autre asile, aussi précaire que celui-ci. Ainsi Vladivostok semblait une vaste et sale auberge. Le service y était fait par les Chinois. Ils assuraient tout le travail, tout le commerce. Gros marchands aux belles robes fourrées et aux sourires de proxénètes, coolies misérables dévorés de vermine, qui, leur hotte de porteur sur le dos, cheminaient d’un pas cahotant de bête chargée, ils étaient là patients, silencieux et comme éternels, pour amasser le pécule qui leur permettrait de rejoindre leur patrie de plaines, de poussière, de sagesse et de tombeaux.

    Au milieu de cet univers désespéré, que faisait notre escadrille ? Elle attendait ses appareils qui, d’ailleurs, sont arrivés longtemps après que le dernier d’entre nous eut quitté les côtes du Pacifique. Ne va pas croire cependant que nous restâmes désœuvrés.
    Notre mission occupait le Musée ethnologique et géologique de la province de l’Amour. Là, parmi les échantillons de pierres et d’argiles, parmi les crânes de Samoyèdes, de Toungouses, et de Bouriates, et de Iakoutes et de Tchouktches, les pilotes fumaient des cigarettes et dictaient des rapports. Pour moi, j’étais voué à d’autres destins.

     Je t’ai déjà dit, je crois, que ma mère est d’origine russe et qu’elle m’a appris les rudiments de sa langue. Cela me valut d’être nommé chef de gare. C’est ainsi du moins que l’on peut résumer le plus brièvement mes fonctions. Elles consistaient à faire partie du concile international qui s’occupait de la voie ferrée et à assurer les convois destinés aux troupes françaises. Rien ne me désignait pour cet emploi si ce n’est ma connaissance du russe. Mais j’avais vingt et un ans. Tout me paraissait facile.
     Je ne savais pas encore ce qu’était cette gare et son désarmant désordre. Je ne savais pas qu’il me faudrait acheter les locomotives, voler les wagons, corrompre les sentinelles étrangères pour obtenir des munitions, gorger de vodka les chauffeurs qui ne consentaient à s’embarquer qu’ivres morts. Tout cela pour que la moitié au moins de mes trains fût capturée par les gens de Semenof, dont je te parlerai bientôt plus longuement.
     C’est mon âge aussi qui, me faisant prendre les choses au sérieux, me poussa, dès que je connus ma nomination, à prendre contact avec la gare. Il était pourtant six heures du soir, c’est-à-dire qu’il faisait nuit. Le dégel commençait. Neige flasque. Boueuse humidité. Du ciel obscur, toujours voilé, filtrait un suintement qui n’était ni pluie ni bruine. On eût dit que l’air était devenu un linge opaque, mouillé. On le sentait doux et mou sur les épaules. Mais rien ne pouvait m’arrêter. J’avais de mes devoirs une conception enfantine et catégorique. Il fallait que je connusse à l’instant mon champ imprévu d’activité. En perdant une heure je croyais priver nos troupes de cartouches. Déjà je les voyais encerclées et succombant sans défense par ma faute. J’avais vingt et un ans.

     À peine sorti du Musée ethnologique, j’appelai un cocher, sautai sur la banquette étroite et dure. Le gros homme, tout enveloppé d’une houppelande graissée par des générations, murmura dans sa barbe humide quelques mots à son cheval. Celui-ci comprit, à leur courbe paresseuse, qu’il n’était point de hâte au monde qui le dût décider à une autre allure que le pas et la voiture dépourvue de ressorts se mit à me cahoter impitoyablement et sans fin le long de la raboteuse Svetlanskaïa.
       Nous arrivâmes tout de même. Je contemplai avec anxiété le bâtiment que je n’avais jamais vu jusqu’à ce jour et d’où, dès le lendemain, j’allais faire partir mes convois. Son aspect était rassurant : neuf, un peu prétentieux. Je préparais déjà mon discours aux fonctionnaires russes en gravissant les degrés du perron. À peine eus-je poussé la porte que je ne pensais plus à eux, ni à mes cartouches. »


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  • Un illustrateur génial : le dessinateur franco-russe Alexandre Alexeïeff pour le roman Adrienne Mesurat de Julien Green (1929)

« Faire le pont » dans l’Égypte ancienne


Le mouvement des corps dans l’Egypte ancienne.

     En octobre dernier j’avais publié dans ce blog un article sur le célèbre poème de Rilke magnifiquement traduit par Philippe Jaccottet « Les connaître est mourir »  (c’est  ICI ). les recherches que j’avais entamées sur le contexte qui entourait ce poème m’avaient conduites jusqu’à l’Égypte ancienne et en particulier vers la déesse Nout :

     « Déesse du ciel et de la nuit, garante de l’ordre cosmique dont le corps se déploie, comme on peut le voir sur les sarcophages égyptiens, au-dessus de la Terre pour la protéger. Son rire est le tonnerre et ses larmes la pluie. Les extrémités de ses quatre membres, à l’endroit où ils touchent la Terre forment les quatre points cardinaux. Le soir, sa bouche avale le soleil qui va traverser son corps durant la nuit et qu’elle fait renaître au matin en l’expulsant par son vagin. De la même manière, les étoiles traversent son corps pendant le jour. À ce titre, Nout incarne la mort et la résurrection et est maîtresse de la mort et de la vie. »

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Papyrus de Nespakashouty, 

      J’avais accompagné ce texte d’une illustration tirée d’un papyrus ancien, le  papyrus de Nespakashouty exposé au Musée du Louvre qui représentait Nout, la déesse-Ciel, qui s’étirait en forme de voûte au-dessus de son frère époux étendu sur le dos, Geb dieu de la terre, de la fertilité, des plantes et des minéraux. À l’instar du ciel et de la terre, les deux époux sont séparés physiquement par l’air qui est lui aussi une divinité du nom de Shou et qui soutient de ses deux bras levés la déesse. L’air est traversé chaque jour la barque solaire du dieu Rê que Nout avale chaque soir  pour la rejeter chaque matin par son vagin. Entre temps la barque aura parcouru les profondeurs des la terre où le serpent Apophis essaie de la renverser. Il faut croire que Shou se libère de temps en temps de son précieux fardeau car il est écrit qu’au cours de la nuit Nout et Geb s’uniraient, séparés chaque matin par le sourcilleux Shou….

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      Le hasard a fait que j’ai retrouvé deux représentations de cette même scène quatre mois plus tard lors d’une visite au magnifique musée de Turin dédié à l’Égypte ancienne, le Muséo Egizio. Il s’agissait des images réalisées sur le cercueil intérieur et le sarcophage d’un scribe royal du nom de Boutehamon qui a vécu près de Thebes entre la fin du Nouvel Empire et la Troisième période intermédiaire qui débuta à la fin du règne de Ramsès XI. Ce sarcophage fait partie de la série des « sarcophages jaunes » réalisées au cours de cette dernière période, moment où l’on délaissa les représentations murales au profit de celles, très riches, réalisées sur les sarcophages.

La séparation du ciel et de la terre sur le sarcophage du scribe Boutehamon. Musée de Turin, Italie..jpg

    Sur le sarcophage intérieur on peut voir la scène de création du cosmos semblable à celle du papyrus de Nespakashouty conservé au Musée du Louvre à ceci près que  la barque solaire n’est plus représentée et que l’on voit le dieu Shou supporter de ses deux bras le corps dénudé de la déesse Nout. Au sol, est étendu Geb représenté en vert, couleur de la végétation dont il est le dieu. La même scène est reproduite sur le sarcophage extérieur mais avec des variantes : Shou a disparu et le dieu Geb est représenté allongé sur son dos avec son phallus en érection dressé vers le ciel.

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     Les représentations de cette scène mythiques sont légions dans l’iconographie égyptienne. L’une des plus belles sur le plan graphique est celle joliment colorée du tombeau de Ramsès IV  dans laquelle on voit Shou soutenir Nout alors qu’elle avale le disque solaire rouge. À noter que Geb n’était pas présent ce jour là…


     Ce jour là, ma visite au Muséo Egizio me réservait une autre surprise heureuse, celle de la vision d’une figure que je connaissais de longue date mais dont j’ignorais la présence à Turin. C’était celle d’une jeune danseuse acrobate au corps gracile et aux longs cheveux bouclés qui reproduit le même mouvement que celui exécuté par la déesse Nout dans la création du cosmos mais inversé. Elle a été découverte à l’endroit même ou vivait le scribe royal Boutehamon, à Deir El-Medina, un village de bâtisseurs de temples et de tombeaux situé à l’est de Thebes. Il s’agit d’un ostracon, ces supports improvisés constitués d’éclats de calcaire, de tessons de poterie sur lesquels on gravait ou dessinait quelques écritures ou motifs. Au départ, ostracon (ostraca au pluriel) désignait en grec ancien la coquille d’huitre mais a évolué par analogie pour désigner ces supports artistiques sur lesquels les ouvriers ou les scribes prenaient des notes ou réalisaient rapidement des croquis ou des miniatures. Ce qui est intéressant dans cet ostracon que l’on date du Nouvel Empire XIXe – XXe dynastie (1292-1076 av. J.C.), c’est que la forme de l’éclat de calcaire utilisé comme support a été choisi (ou reconfiguré) en relation avec le dessin de la danseuse. Les différentes arêtes sont en effet parallèles aux lignes du dessin.

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    Se contente-t-elle de « faire le pont » à l’envers ou bien exécute-t-elle une pirouette, un somersault ? Dans les fêtes égyptiennes, Les danseuses et les acrobates presque nues aux corps élancés étaient choisies pour divertir les convives parmi celles « qui n’ont pas encore enfantées ». On connaît quelques autres de ces ostraka, en voici un autre un peu moins réussi (photo extraite du livre “Carnets de pierre – L’art de l’ostraca dans l’Egypte ancienne”, par Anne Mimault-Gout, Hazan, 2002)

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       Les danseuses ou danseurs acrobates pouvaient aussi être représentés sur les bas-reliefs comme ci-dessous sur le relief de la Chapelle Rouge de Hatchepsut montrant des acrobates. Temple d’Amon à Karnak, XVIIIe dynastie, début du XVIe siècle avant notre ère. (Photo Werner Forman)

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Retour à l’envoyeur


Gymnastique neuronale

Mon premier est ma première
et ma seconde est aussi ma première
ma troisième est ma sixième
ma quatrième appartient à l’oiseau
ma cinquième, c’est elle
ma sixième est ma neuvième
ma septième est première dans l’Un
ma huitième est le commencement de l’erreur
ma neuvième est redondante dans Andromaque
ma dixième est égale à cinq
ma onzième se trouve à l’intérieur de l’œuf
ma douzième est égale à ma septième
ma treizième est égale à dix.

Mon Tout ? bah, c’est Tout ce que je vous souhaite…

Enki sigle


Lenore, the cute little dead girl – (2) The New Toy


C’est le temps des cadeaux pour ces chers petits…

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« A Dirge for her (them), the doubly dead.
   In that she died so young »

« Lenore » Edgar Allan Poe, 1831


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la fabrique de la rareté


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       La collection Pluriel des éditions Fayard qui propose des ouvrages en format de poche vient d’expérimenter une nouveauté dans le domaine de l’édition qui mérite d’être saluée.      
     Ayant commandé le livre « Les origines de la culture » de René Girard chez mon libraire favori, j’ai eu la surprise de constater à la réception qu’il devait se lire à l’envers ! Ainsi, lorsque vous ouvrez le livre à la première page, vous tombez effectivement sur le titre du livre, mais écrit à l’envers.      

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    Vous me direz que c’est inutile de faire des histoires pour si peu et qu’il me suffit simplement de faire pivoter le livre d’un tour complet pour lire le texte à l’endroit. Et vous aurez entièrement raison ! j’ai donc mis le texte à l’endroit et tourné la page pour lire l’introduction. Le texte de la page suivante est effectivement apparu à l’endroit mais  un nouveau problème s’est présenté car les pages se lisent maintenant de droite à gauche ce qui, vous l’avouerez, est tout de même singulier… Quant à l’épaisseur du livre restant à lire, elle se trouve à gauche alors que dans le cas normal elle se situe à droite…
      Comme si René Girard n’était déjà pas si difficile à lire !

     Vous me direz alors que c’est une erreur de l’imprimerie et qu’il suffit de demander à l’éditeur de l’échanger contre un nouvel exemplaire pour que le problème soit résolu, mais alors là, désolé, vous n’aurez pas raison… Il est absolument hors de question que j’échange une chimère contre un livre désespérément normal. Si votre chienne mettait bas un chiot à 2 têtes avec une queue de dragon, l’échangeriez-vous contre un chiot ordinaire ?  Bien sûr que non ! Vous seriez fier de vous promener en ville en sa compagnie et d’attirer ainsi tous les regards. Je vais ranger immédiatement ce livre dans mon cabinet de curiosité où il côtoiera, dans un rassemblement à la Prévert, des cristaux de roches dénichés dans le massif du Mont-Blanc au-dessus du glacier d’Argentière, une sphère métallique censée être une météorite trouvée au pied des falaises battues par la mer en Normandie, une rose des sables du Sahara, l’attestation encadrée de mon certificat d’études, une plume sergent-major datant de ma première année d’école primaire encore toute tachée d’encre violette, un coquillage des mers du sud que j’avais dérobé pour écouter la mer quand j’avais 8 ans dans le placard des sciences naturelles de l’école Carnot d’Aspergopolis (j’en ai encore la honte), un galet noir ovoïde de forme parfaite ramassé sur la grande plage de la baie d’Audierne en Bretagne que j’ai toujours supposé être un œuf fossilisé de dinosaure, un morceau de pierre arraché à une colonne du théâtre antique de Taormina en Sicile par ma maman qui pensait ainsi me faire plaisir (imaginez le désastre si toutes les mamans du monde arrachaient un morceau de monument historique pour faire plaisir à leur fils…), un pavé ramassé rue de la Contrescarpe en mai 68 à Paris qui sent encore les lacrymos (les gilets jaunes peuvent aller se rhabiller…), plusieurs pin’s à la gloire de l’Union Soviétique ramené d’un voyage à Moscou, mon duvet imbibé de la sueur de 10 années de courses en montagne roulé en boule compacte que je n’ai jamais osé ouvrir depuis plusieurs décennies, le vieux piton qui avait cédé lors d’une ascension en montagne et m’avait entraîné dans sa chute, une patte de poulet devenue toute ratatinée avec laquelle j’avais joué enfant (en tirant le tendon les serres se rétractaient…), une vieille moulinette métallique à fixer sur le plateau d’une table identique à celle avec laquelle le réalisateur iconoclaste Jean-Christophe Averty moulinait des bébés à la télévision dans les années soixante, un exemplaire unique d’oiseau mécanique enfermé dans une cage qui tourne sur lui-même après qu’on ait remonté le mécanisme payé très cher mais qu’un ami brocanteur m’a dit ensuite être fabriqué en Chine pour 3 sous à des millions d’exemplaires,  un putti en plâtre au joli sourire mais sans ses 4 membres trouvé lors d’un relevé dans le grenier d’un presbytère, deux très beaux Alebrijes, ces sculptures en bois d’animaux fantastiques, ramené de Oaxaca au Mexique,  etc, etc…      

     De plus, imaginez que ce livre-chimère soit unique, il vaudrait une fortune ! Des collectionneurs sont prêts à dépenser des sommes folles dans l’acquisition de spécimens uniques résultant d’une erreur d’impression ou de composition. Avec ce livre, ma retraite sera peut-être assurée…

connaissez-vous-les-chats-chimere-ces-felins-a-double-face.jpgBah quoi ? qu’est-ce que j’ai ?


Connaissez-vous le coprin chevelu ?


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     Le coprin chevelu (Coprinus comatus) est l’un des derniers champignons que l’on ramasse en fin d’automne. Il pousse dans les champs en lisière de forêt et dans les larges chemins forestiers car il a besoin de lumière. C’est un champignon excellent que j’aime à préparer en omelette. Certains le consomme cru en salade (à condition qu’il soit très frais).

     Ce champignon qui pousse très rapidement en groupe par temps humide a la particularité de se décomposer très rapidement. Il ne faut le cueillir que lorsque les chapeaux ne sont pas encore ouverts car très rapidement les lames rosissent puis tournent à un noir d’encre et finissent par se liquéfier Sur la photo ci-dessus présentée, on constate qu’alors même que les chapeaux n’ont pas commencé à s’ouvrir leur extrémité basse tourne au rose et au violet. Ayant répandu sur la pelouse de mon jardin, les chapeaux des champignons de ma récolte qui commençaient à rosir, j’ai eu la bonne surprise de voir apparaître à l’automne de l’année suivante des groupes épars de coprins chevelus. 

      Je suppose que ce champignons pousse aussi en Suède car le grand poète suédois Tomas Tranströmer parle de lui dans l’un de ses poèmes. Je ne résiste pas au plaisir de vous le soumettre même s’il est un peu lugubre…


Tomas Tranströmer (1931)

Esquisse en octobre

Le remorqueur a des tâches de rousseur. Que fait-il si
    loin dans les terres ?
C’est une lourde lampe éteinte dans le froid.
Mais les arbres ont des teintes impétueuses. Des signaux
    envoyés à l’autre rive !
Comme si certains d’entre eux voulaient qu’on vienne 
    les  prendre.

En rentrant chez moi, je vois que les coprins jaillissent
    du gazon.
Ce sont les doigts désemparés de celui
qui a longtemps sangloté seul dans l’obscurité du sol.
Nous sommes à la terre.

Tomas Tranströmer, Baltiques.