Una furtiva lagrima Negli occhi suoi spunto: Quelle festose giovani Invidiar sembro. Che piu cercando io vo? Che piu cercando io vo? M’ama! Sì, m’ama, lo vedo, lo vedo. Un solo instante i palpiti Del suo bel cor sentir! I miei sospir, confondere Per poco a’ suoi sospir! I palpiti, i palpiti sentir, Confondere i miei coi suoi sospir Cielo, si puo morir! Di piu non chiedo, non chiedo. Ah! Cielo, si puo, si puo morir, Di piu non chiedo, non chiedo. Si puo morir, si puo morir d’amor.
Chanson « Caruso » par Lucio Dalla
Ici ou la mer et le vent hurlent Sur une vieille terrasse devant le golf de Surriento Un homme embrasse une femme qui avait pleuré Puis s’éclaircit la voix et recommence le chant
Je t’aime beaucoup Énormément tu sais C’est une chaine désormais Qui chauffe le sang dans tes veines, tu sais
Il vît les lumières au milieu de la mer Il pensa aux nuits en Amérique Mais c’étaient seulement les lumières et le sillage blanc d’une hélice
Il ressentit la douleur dans la musique, s’élever du piano Mais quand il vît la lune dévoilée par un nuage Même le mort lui sembla plus douce
Il regarda dans les yeux la fille aux yeux verts comme La mer Puis soudainement une larme coula et lui a cru s’étouffer
Je t’aime beaucoup Énormément tu sais C’est une chaine qui désormais Chauffe le sang dans tes veines, tu sais
Puissante passion ou chaque drame est un faux Qu’avec un peu de maquillage et avec la mimique tu peux devenir un autre Mais deux yeux qui te regardent aussi profondément Te font oublier les paroles qui troublent nos pensées
Ainsi tout devient petit, même les nuits en Amérique Tu te tournes et tu vois ta vie comme le sillage d’une hélice Mais si c’est la vie qui finie alors lui n’y pensa plus autant Bien au contraire il se sentait déjà heureux et continua sa chanson
Je t’aime beaucoup Énormément tu sais C’est une chaine désormais Qui chauffe le sang dans tes veines tu sais.
Une jeune femme incroyable et irrésistible. Même que j’croyais pas qu’ça pouvait exister une fille comme ça ! Une jeune femme belle, drôle, magnétique. De la dynamite sur pattes, de l’énergie à revendre et un sourire, un sourire… un sourire qui désarme, qui entraîne, qui enjôle, qui séduit et je ne parle pas de son délicieux accent brésilien. Flavia, je vous remercie d’exister, d’être la preuve vivante qu’un être humain, sur cette terre meurtrie, où s’installe le pessimisme et de désespoir, qu’un être humain peut être animé d’une joie de vivre démesurée, plus contagieuse encore que le virus couronné. Sainte Flavia, lorsque vous chantez et remuez, vous réveilleriez les morts, feriez marcher les paralytiques et recouvrir la vue aux aveugles. Vous devriez être canonisée et, brésilienne qui avez choisi de vivre en France, devriez recevoir la légion d’honneur, devenir modèle de nos Mariannes dans nos mairies et avoir votre effigie au musée Grévin. De plus, vous détestez Bolsonaro et militez pour les droits des indigènes d’Amazonie. Alors…
Voici trois de ses chansons que j’ai découvert sur le Net : » La bonne nouvelle« , un live né du confinement, « Cé inventa » et « temontou« . Avec cette dernière chanson, elle m’a complètement désorienté et je ne sais plus quelle est ma droite de ma gauche ni le haut de mon bas… Il y en a des dizaines d’autres, toutes aussi entraînantes les unes que les autres. Vous aurez compris, je suis séduit !
Parce que t’es mon haut Parce que t’es mon bas Parce que t’es ma gauche, ma droite, mon ciel et mon trépas Parce que c’est pour toi que j’imagine Tous mes foutus stratagèmes Et que t’es la seule raison d’être de ce maudit théorème Parce que tu es tout ce que je voudrais être Tout ce que je ne suis pas Parce que tu es tout c’que j’aime, tout c’que j’aime (tout c’que j’aime) Parce que t’es mon haut Parce que t’es mon bas Parce que sans dessus, dessous j’sais plus quand on …, c’est tout Parce que t’es mon seul problème Et mon seul remède ici-bas Parce que t’es le poison et la cûre C’est la seule chose dont je sois sûre Tu es tout c’que j’aime, tout c’que j’aime Tout c’que j’aime (Tout c’que j’aime) Parce que t’es mon haut Parce que t’es mon bas Parce que t’es ma gauche, ma droite Je sais plus où je suis quand t’es plus là Parce que tu sais tout ce que je veux Et aussi tout c’que j’ne veux pas Parce que tu es tout c’que j’aime Et tout cqu’il me restera Parce que tu es tout ces petits riens Qui font mon tout et c’est pas rien Tu es tout c’que j’aime, tout c’que j’aime (Tout c’que j’aime) Et même si l’on s’échine et qu’on se hante souvent moi je sais que l’air que je respire est plus doux quand t’es dedans Tu es tout c’que j’aime Tout c’que j’aime Parce que t’es mon haut Parce que t’es mon bas Parce que t’es ma gauche, ma droite, mon ciel et mon trépas Parce que tu sais tout ce que je veux Et aussi tout c’que je n’veux pas Parce que la seule chose qui me hante C’est la distance jusqu’à tes bras Tu es tout c’que j’aime, tout c’que j’aime Tu es tout c’que j’aime, tout c’que j’aime Oooh Aaah Oooh Aaah Tout c’que j’aime Parce que tu es tout c’que j’aime, tout c’que j’aime
C’est tout à fait par hasard en écoutant une émission diffusée par France Culture sur le thème de la jalousie en référence à un livre du philosophe Jean-Pierre Dupuy, » La Jalousie. Une géométrie du désir « , que j’ai appris l’existence du chanteur et musicien brésilien Caetano Veloso. En fait je le connaissais sans en avoir conscience puisque j’appréciais depuis longtemps son interprétation de deux chansons iconiques : « Sohnos » (Rêves), une chanson brésilienne et la chanson mexicaine « Cucurrucucu paloma » dont j’avais adoré la touchante interprétation dans le film Hable con ella (Parle avec Elle) du réalisateur espagnol Pablo Almadovar. Ces deux chansons ont la particularité d’être toutes les deux des chansons tristes qui chantent la fin d’un amour. La chanson Sonhos parle d’un homme qui aime une femme passionnément et à qui celle-ci annonce soudainement qu’elle s’est éprise d’un autre homme. Contre toute attente et malgré sa souffrance, il ne se révolte pas contre cette situation et remercie sincèrement cette femme pour ce qu’elle lui a apporté et appris. (Ça existe vraiment des hommes comme ça ?). D’après Jean-Pierre Dupuy qui se considère franco-brésilien pour des raisons familiales, il semble que ce comportement va à l’encontre de la mentalité machiste des hommes de ce pays dans lequel le nombre des meurtres d’origine passionnelle (ou plutôt pathologique) l’emporterait largement sur celui de ceux liés à la drogue… Quant à la chanson Cucurrucucu paloma écrite par le chanteur compositeur mexicain Tomas Méndes en 1954, elle parle de la perte d’un être cher et de la souffrance qui en résulte.
Sonhos
Sonhos
Tudo era apenas uma brincadeira E foi crescendo, crescendo, me absorvendo E de repente eu me vi assim completamente seu Vi a minha força amarrada no seu passo Vi que sem você não há caminho, eu não me acho Vi um grande amor gritar dentro de mim Como eu sonhei um dia
Quando o meu mundo era mais mundo E todo mundo admitia Uma mudança muito estranha Mais pureza, mais carinho mais calma, mais alegria No meu jeito de me dar
Quando a canção se fez mais clara e mais sentida Quando a poesia realmente fez folia em minha vida Você veio me falar dessa paixão inesperada Por outra pessoa
Mas não tem revolta não Eu só quero que você se encontre Saudade até que é bom É melhor que caminhar vazio A esperança é um dom Que eu tenho em mim, eu tenho sim
Não tem desespero não Você me ensinou milhões de coisas Tenho um sonho em minhas mãos Amanhã será um novo dia Certamente eu vou ser mais feliz
Quando o meu mundo era mais mundo…
Rêves
Tout était juste une plaisanterie Et elle a grandi, grandi M’absorbant Et soudain Je me suis vu ainsi complétement à toi J’ai vu ma force amarrée à tes pas J’ai vu que sans toi il n’y avait pas de chemin Je ne me trouvais pas J’ai vu un grand amour crier à l’intérieur de moi Comme je l’ai rêvé un jour.
Quand mon monde était plus un monde Et tout le monde admettait Un changement très étrange Plus de pureté, plus de tendresse Plus de calme, plus de joie Dans ma façon d’être Quand la chanson s’est fait plus claire, Et plus triste Quand la poésie est devenue une véritable folie dans ma vie Tu es venue me parler de cette passion inattendue Pour une autre personne.
Mais il n’y a pas de révolte, non Je veux juste que tu te trouves La mélancolie est parfois bonne C’est mieux que de marcher vide L’espérance est un don Que j’ai en moi Je l’ai, oui Il n’y a pas de désespoir, non Tu m’as appris des millions de choses J’ai un rêve entre les mains Demain sera un nouveau jour Je vais certainement être plus heureux.
Quand mon monde était plus un monde…
Cucurrucucu paloma
Caetano Veloso : dans cette interprétation magnifique les mots chantés que laissent échapper ses lèvres sont comme des oiseaux qui prennent leur envol dans une gracieuse lenteur. On comprend pourquoi les femmes qui l’écoutent posent sur lui un tel regard. Heureux l’homme sur qui se portent de tels regards…
Dicen que por las noches Ils disent qu’il passait Nomas se le iba en puro llorar, Ses nuits a pleurer Dicen que no comia, Ils disent qu’il ne mangeait pas Nomas se le iba en puro tomar, Il ne faisait que boire Juran que el mismo cielo Ils jurent que le ciel lui même Se estremecia al oir su llanto Se rétrécissait en écoutant ses pleurs Como sufrio por ella, Comme il a souffert pour elle Que hasta en su muerte la fue llamando Même dans sa mort il l’appellait Ay, ay, ay, ay, ay, … cantaba, Ay, ay, ay, ay. , ay…. il chantait Ay, ay, ay, ay, ay, … gemia, Ay, ay, ay, ay, ay…il gemissait Ay, ay, ay, ay, ay, … cantaba, Ay, ay, ay, ay, ay…. il chantait De pasión mortal… moria De passion mortelle…il mourrait Que una paloma triste Qu ‘une colombe triste Muy de manana le va a cantar, Va lui chanter tot le matin A la casita sola, A la maisonnette seule Con sus puertitas de par en par, Avec ses petites portes Juran que esa paloma Ils jurent que cette colombe No es otra cosa mas que su alma, N’est rien d’autre que son âme Que todavia la espera Qui attend toujours A que regrese la desdichada Le retour de la malheureuse Cucurrucucu… paloma, Cucurrucucu…. colombe Cucurrucucu… no llores, Cucurrucucu…ne pleure Las piedras jamas, paloma Jamais les pierres, colombe ¡Que van a saber de amores ! Que savent elles d’amour ! Cucurrucucu… paloma, ya no llores Cucurrucucu…colombe, ne pleure plus
Edvard Munch – Jalousie (1897). Le peintre expressionniste norvégien que ce thème obsédait en a réalisé à partir de 1895 pas moins de 16 représentations.
La Jalousie. Une géométrie du désir
Jean-Pierre Dupuy, philosophe, professeur émérite à l’Ecole Polytechnique, professeur à l’université Stanford (Californie), dans son livre » La Jalousie. Une géométrie du désir » (Seuil) propose une théorie générale de la jalousie en s’appuyant sur la théorie du désir mimétique défini par René Girard. France Culture, dans le cadre de l’émission La Conversation scientifique présentée par Etienne Klein, l’a invité à présenter son ouvrage. (59 mn)
« L’univers (que d’autres nomment la Bibliothèque) se compose d’un nombre indéfini, et peut-être infini, de galeries hexagonales, avec de vastes puits d’aération bordés par des balustrades très basses. »Fictions, Jorge Luis Borges.
Dans sa nouvelle L’aleph parue dans une revue littéraire de Buenos Aires au lendemain de la guerre, le grand écrivain argentin JorgeLuis Borges nous conte l’histoire fantastique d’une entité mystérieuse aux propriétés magiques enfouie dans la cave de la demeure d’un écrivain engagé dans la rédaction d’un poème consacré à la planète Terre qu’il qualifie lui-même de « fatras pédantesque ». L’écrivain qui est décrit comme un personnage fantasque ayant un lien de parenté avec le narrateur Borges auquel il a demandé de rédiger une préface pour son poème fait part à celui-ci de sa profonde angoisse car le projet de destruction prochaine de cette maison aura pour conséquence la disparition d’une chose enfouie au plus profond de la cave qui selon lui est indispensable pour pouvoir terminer son poème. Cet objet mystérieux, c’est l’Aleph, qui n’est pas un objet mais un lieu, un emplacement particulier où tous les points de l’espace apparaissent clairement visibles sans se confondre. C’est l’équivalent en quelque sorte de la boule de cristal utilisée par des médiums dans certaines pratiques de voyance ou de divination. Mais le champ d’application de l’Aleph est beaucoup plus vaste car il permet au visionnaire d’embrasser l’ensemble de l’univers dans toutes ses composantes. Dubitatif mais piqué par la curiosité, Borges demanda à l’écrivain s’il consentirait à lui faire expérimenter l’Aleph. Celui-ci acquiesça et lui indiqua alors la procédure : il fallait descendre dans la cave en pleine pénombre et s’étendre de tout son long au bas de l’escalier et après que les yeux se soient habitués à l’obscurité, il fallait compter les marches jusqu’à la dix-neuvième et la regarder ensuite fixement avec intensité. Sans y croire, Borges se prêta à ce qu’il considérait comme un jeu et à son grand étonnement le miracle se produisit : une infinité de lieux, de scènes, de situations et de personnes lui apparut soudainement en un seul instant : « Mes yeux avaient vu cet objet secret et conjectural, dont les hommes usurpent le nom, mais qu’aucun homme n’a regardé ; l’inconcevable univers. »
George Steiner (1929-2020)
« Un être qui connaît un livre par cœur est invulnérable, c’est plus qu’une assurance vie, c’est une assurance sur la mort ! » George Steiner
Il m’arrive lorsqu’une Insomnia tenace s’est installée sans être invitée dans ma couche et prend ses aises à mes côtés avec ses membres grêles et sa peau glacée de programmer sur mon portable l’écoute d’un morceau de musique classique ou du podcast d’une émission radiophonique portant sur un thème historique, littéraire ou philosophique sur lequel j’éprouve sur le moment un intérêt particulier. Il faut croire que mes sujets d’intérêts ne sont pas du tout du goût de l’Insomnia étendue à mes côtés car en général au bout de quelques instants, celle ci quitte discrètement la pièce, me laissant plongé dans le plus profond sommeil. Cette fois, les choses se sont passées de manière totalement différente. J’avais choisi d’écouter la causerie de Georges Steiner avec le journaliste et romancier Pierre Assouline, une émission tenue le 1er juin 2005 dans le cadre des Grandes conférences de la BnF sur le thème « Ma bibliothèque personnelle : entretien et lecture ». J’affectionne beaucoup George Steiner, personnage pluriel franco-américano-britannique atypique et iconoclaste parlant couramment trois langues le français, l’allemand et l’anglais tout à la fois philosophe, linguiste, écrivain, éditorialiste et critique littéraire dans de grands magazines, à l’érudition universelle et prodigieuse, aimant le paradoxe et ne manquant jamais d’humour, le plus souvent caustique. J’ai eu de la peine lorsque j’ai appris sa mort survenue le 3 février dernier dans sa quatre-vingt dixième année à son domicile de Cambridge, ville où il avait été professeur. Une causerie sur la poésie et la littérature, me disais-je, parfait pour passer des bras d’Insomnia à ceux de Morphée…
En fait, au cours de cette heure passée avec ce grand personnage, il m’a semblé n’avoir jamais été autant éveillé : une heure de délectation et de ravissement à l’évocation et la lecture d’œuvres de philosophes, d’écrivains et de poètes comme José Maria de Heredia, le poète parnassien de nos années de lycée aujourd’hui injustement oublié, René Char, Platon, Shakespeare, Celan et de références à l’histoire et au dilemme que pose la nature humaine capable en même temps et chez les mêmes individus du meilleur et du pire. «Ma question, celle avec laquelle je lutte dans tous mes enseignements, c’est : pourquoi les humanités au sens le plus large du mot, pourquoi la raison dans les sciences ne nous ont-elles donné aucune protection face à l’inhumain ? Pourquoi est-ce qu’on peut jouer Schubert le soir et aller faire son devoir au camp de concentration le matin ? ». Une heure d’admiration sans bornes pour la culture, l’intelligence subtile et la sensibilité d’un être hors du commun, né en France en 1929 après que ses parents, de riches bourgeois juifs cultivés de la haute société viennoise, se soient exilés après avoir pressenti la tragédie qui allait bientôt déferler sur l’Europe et sur leur communauté en particulier. Il s’est ensuivi une longue période d’errance aux Etats-Unis d’abord en 1940 où il s’inscrit au lycée français de Manhattan avant d’étudier la physique, les mathématiques et les lettres à Chicago puis à Harvard et rejoindre l’Angleterre pour soutenir un doctorat à Oxford. Il sera ensuite enseignant à Princeton, Cambridge et Genève tout en écrivant de nombreux essais sur des thèmes aussi variés que la religion, la philosophie, les arts et les langues. Il est également l’auteur de plusieurs nouvelles. Son ouverture d’esprit, son honnêteté intellectuelle et sans doute aussi son goût du paradoxe ont fait qu’il n’a pas hésité lorsqu’il le jugeait nécessaire à critiquer Israël et à louer les œuvres d’antisémites notoires comme Céline, Lucien Rebatet et entretenir une relation amicale avec certains autres comme Pierre Boutang, disciple de Maurras.
À l’écoute de cette causerie Georges Steiner m’est apparu comme un Aleph au sens que lui a été donné par Borges. Sa parole ouvre des perspectives multiples dans les domaines de la pensée et de l’action humaine et vous donne à méditer et à évoluer. Un grand monsieur dont je vous invite à écouter les conférences et causeries sur France Culture et YouTube et en premier lieu, pour servir d’introduction aux autres, celle qui suit.
« La poésie est la musique de la pensée »
Pour la vision complète (1 h 27) de la causerie sur le site GALLICA de la BnF, c’est ICI
Conférence du philosophe Alain Badiou à l’institut Français de Grèce le 12 décembre 2019 : la Liberté, l’Egalité, la démocratie, le parlementarisme, la Nature, la technique, le néolithique, le capitalisme, l’impossible et le possible (entre autres)
Un texte fascinant de simplicité, de justesse et de clarté. Merci, Monsieur Badiou.(Nous avons supprimé les 9 mn 05 de la fastidieuse introduction)
Sur la Nature
Depuis les origines de la philosophie on se demande ce qui recouvre le mot Nature. Il a pu signifier la rêverie romantique des soirs couchants, le matérialisme atomique de Lucrèce De Natura rerum (La Nature des Choses), l’Être intime des choses, la totalité de Spinoza « Deus sive Natura » (Dieu ou la Nature), l’envers objectif de toute culture, le site rural et paysan par opposition aux artifices suspects de la ville, « la terre elle ne ment pas » disait Pétain qui n’est pas une référence convenable. Ça peut désigner aussi la biologie par différence de la physique, la cosmologie au regard du petit monde qu’est notre planète, l’invariance séculaire au regard de la frénésie inventive, la sexualité naturelle au regard de la perversion, etc. Ce que je crois, c’est qu’aujourd’hui Nature désigne en fait surtout la paix des jardins et des villas, le charme touristique des animaux sauvages, la plage et la montagne où passer un agréable été et qui donc peut imaginer que l’homme soit comptable de la Nature lui qui n’est à ce jour qu’une puce pensante sur une planète secondaire dans un système solaire moyen sur les bords d’une galaxie banale.
Le capitalisme, c’est la forme contemporaine du néolithique*
L’humanité depuis quatre ou cinq millénaires est organisée de façon immuable par la triade de la propriété privée qui concentre d’énormes richesses dans les mains de très petites oligarchies, de la famille où les fortunes transitent via l’héritage, de l’Etat qui protège par la force armée la propriété et la famille. C’est cette triade qui définit l’âge néolithique de notre espèce. Et nous y sommes toujours, voir plus que jamais. Le capitalisme c’est la forme contemporaine du néolithique et son asservissement des techniques par la concurrence, le profit et la concentration du capital ne fait que porter à leur comble les inégalités monstrueuses, les absurdités sociales, les massacres guerriers et les idéologies délétère qui accompagne depuis toujours sous le règle historique de la hiérarchie de des classes le déploiement des techniques. Les techniques ont été les conditions initiales et non pas du tout le résultat final de la mise en place néolithique.
Sur la nature humaine : De l’audace camarades, tentons l’impossible…*
On ne peut pas parler de nature humaine mais d’un rapport intra-humain entre individu et sujet :
l’individu c’est l’ensemble des caractérisations empiriques d’une personne : ses capacités, sa langue, l’endroit où il a vécu, etc.. toutes une série de caractéristiques contraignantes à leur manière.
Le sujet c’est ce qui mesure ce dont il est capable au-delà justement de cette composition stricte qu’on peut dire naturelle. une caractéristique fondamentale du sujet humain c’est la découverte du fait qu’il est capable de choses dont il ne se savait pas capable.
Ça, c’est la clé de l’humanité comme telle. L’humanité comme telle, ce n’est pas ce dont la nature humaine est capable, c’est le surgissement dans la nature humaine de ce dont elle se se savait pas capable et cette capacité à faire qui s’appelle la création, la capacité créatrice de l’humanité et je crois qu’on pourrait définir la politique la meilleure comme celle dont le point d’appui principal n’est pas la nature humaine mais le sujet humain qui s’appuie à tout moment sur l’hypothèse légitimement acceptée que le sujet humain est capable de ce qu’il ne se sait pas lui même capable. Cela veut dire qu’au delà la nature humaine il y a la dialectique entre ce qui est possible et ce qui est impossible. Je crois que le statut particulier de l’animal humain c’est de déplacer constamment les frontières entre le possible et l’impossible et de ne pas être déterminé pas même par l’impossibilité;
Il faut tenir ferme sur un concept de l’humanité qui serait le déplacement constant et créateur de la frontière apparemment établie entre ce qui est possible et ce qui est impossible. L’homme c’est l’animal de l’impossible et finalement quand on me dit que le communisme est impossible, cela ne m’impressionne pas beaucoup car finalement parce que tout ce qui est intéressant est impossible.
La réaction, c’est toujours la défense stricte de l’impossibilité ; le conservatisme c’est le gardien de l’impossible qui vise interdire le développement d’une nouvelle forme du sujet que créé par le déplacement entre le possible et l’impossible.
* les titres sont de moi, le texte a été légèrement remanié.
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L’idéologie du travail et la crise du capitalisme. Première partie :de l’âge d’or aux premières cités(Les moutons enragés, janvier 2015)
Qu’en est-il de ces heures troubles et désabusées Où les dieux impuissants fixent l’humanité ? Où les diet nazi(e)s s’installent au Pentagone Où Marilyn revêt son treillis d’Antigone ? On n’en finit jamais d’écrire la même chanson Avec les mêmes discours les mêmes connotations On n’en finit jamais de rejouer Guignol Chez les Torquemada chez les Savonarole
Qui donc pourra faire taire les grondements de bête Les hurlements furieux de la nuit dans nos têtes ? Qui donc pourra faire taire les grondements de bête ?
Lassé de grimacer sur l’écran des vigiles Je revisite l’Enfer de Dante et de Virgile Je chante des cantiques mécaniques et barbares A des poupées Barbie barbouillées de brouillard C’est l’heure où les esprits dansent le pogo nuptial L’heure où les vieux kapos changent ma pile corticale C’est l’heure où les morts pleurent sous leur dalle de granit Lorsque leur double astral percute un satellite
Qui donc pourra faire taire les grondements de bête Les hurlements furieux de la nuit dans nos têtes ? Qui donc pourra faire taire les grondements de bête ?
Crucifixion avec la Vierge et dix-sept saints Fra Angelico met des larmes dans mon vin La piété phagocyte mes prières et mes gammes Quand les tarots s’éclairent sur la treizième lame On meurt tous de stupeur et de bonheur tragique Au coeur de nos centrales de rêves analgésiques On joue les trapézistes de l’antimatière Cherchant des étoiles noires au fond de nos déserts
Qui donc pourra faire taire les grondements de bête Les hurlements furieux de la nuit dans nos têtes ? Qui donc pourra faire taire les grondements de bête ?
Je dérègle mes sens et j’affûte ma schizo Vous est un autre je et j’aime jouer mélo Anéantissement tranquille et délicieux Dans un décor d’absinthe aux tableaux véroleux Memento remember je tremble et me souviens Des moments familiers des labos clandestins Où le vieil alchimiste me répétait tout bas: Si tu veux pas noircir, tu ne blanchiras pas
Qui donc pourra faire taire les grondements de bête Les hurlements furieux de la nuit dans nos têtes ? Qui donc pourra faire taire les grondements de bête ?
Je calcule mes efforts et mesure la distance Qui me reste à blêmir avant ma transhumance Je fais des inventaires dans mon Pandémonium Cerveau sous cellophane coeur dans l’aluminium J’écoute la nuit danser derrière les persiennes Les grillons résonner dans ma mémoire indienne J’attends le zippo du diable pour cramer La toile d’araignée où mon âme est piégée J’attends le zippo du diable pour cramer La toile d’araignée où mon âme est piégée
Qui donc pourra faire taire les grondements de bête Les hurlements furieux de la nuit dans nos têtes ? Qui donc pourra faire taire les grondements de bête ? Qui donc pourra faire taire les grondements de bête Les hurlements furieux de la nuit dans nos têtes ? Qui donc pourra faire taire les grondements de bête ? Qui donc ?
Quand le monde autour de toi aura tant changé Que toutes ces choses que tu frôlais sans danger Seront toutes si lourdes à bouger Seront toutes des objets étrangers Où l’a-t-on rangé Ce bout de verger Avec ses fleurs grimpantes Sa lumière en pente Couleur de dragée Quand le monde autour de toi sera mélangé Que le drap de ta chambre dans l’ombre restera plongé Que viendra la nuit aux pourpres orangés Et sans rien de plus peut-être pour te protéger Où l’a-t-on rangé Ce bout de verger Avec sa glycine Comme une racine Dans la terre plongée Jardin des délices Tourne comme une hélice Dans le fond du crâne Tourne comme une hélice.
Gérard Manset – Album le Jardin des Délices, 2006.
Pour manifester ma peine aux souffrances que supporte avec courage et dignité actuellement le peuple italien je lui dédie cette bouleversante interprétation de 1956 par l’inoubliable Maria Callas du morceau « Vissi D’arte » (« J’ai vécu d’Art ») tiré de la Tosca de Pucini.
Paroles de chanson italienne « Vissi d’Arte«
Vissi d’arte, Vissi d’amore, J’ai vécu d’art, j’ai vécu d’amour, non feci mai mâle ad anima viva! Je n’ai jamais fait de mal à âme qui vive ! Con man furtiva Par une main cachée quante misere conobbi aiutai. J’ai soulagé toutes les misères que j’ai rencontrées. Sempre con fè sincera Toujours avec une foi sincère la mia preghiera Ma prière ai santi tabernacoli Sali. Est allée vers le saint tabernacle. Sempre con fè sincera Toujours avec une foi sincère diedi fiori agl’altar. J’ai offert des fleurs à l’autel. Nell ‘ ora del dolore En ce temps de douleur perchè, perchè, Signore, Pourquoi, pourquoi, Seigneur, perchè me ne rimuneri così? Pourquoi m’en récompenses-tu ainsi ? diedi gioielli della Madonna al manto, J’ai offert des joyaux pour le manteau de la Madone e diedi il canto agli astri, al ciel, Et offert mon chant aux étoiles, au ciel, che ne ridean più belli. Qui en resplendissaient, encore plus beaux. Nell’ora del dolor En ce temps de douleur perchè, perchè, Signor, Pourquoi, pourquoi, Seigneur, ah , perchè me ne rimuneri così? Ah, pourquoi m’en récompenses-tu ainsi ?
A l’heure des fanatismes de tous bords qui prônent la pureté ethnique, la pureté religieuse, les revendications identitaires et communautaristes qui excluent l’autre allant jusqu’à éradiquer et génocider leurs semblables, un texte fort et clairvoyant de l’écrivain Michel Tournier tiré de son roman Le Roi des aulnes pour lequel il a obtenu en 1970 le Prix Goncourt.
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« L’une des inversions malignes les plus classiques et les plus meurtrières a donné naissance à l’idée de pureté. La pureté est l’inversion maligne de l’innocence. L’innocence est amour de l’être, acceptation souriante des nourritures célestes et terrestres, ignorance de l’alternative infernale pureté-impureté. De cette sainteté spontanée et comme native, Satan a fait une singerie qui lui ressemble et qui est tout l’inverse : la pureté. La pureté est horreur de la vie, haine de l’homme, passion morbide du néant. Un corps chimiquement pur a subi un traitement barbare pour parvenir à cet état absolument contre nature. L’homme chevauché par le démon de la pureté sème la ruine et la mort autour de lui. Purification religieuse, épuration politique, sauvegarde de la pureté de la race, nombreuses sont les variations sur ce thème atroce, mais toutes débouchent avec monotonie sur des crimes sans nombre dont l’instrument privilégié est le feu, symbole de pureté et symbole de l’enfer.»
Le Roi des aulnes – Michel Tournier
le sculpteur nazi Joseph Thorak, le modèle et l’œuvre
Cette photo montrant le sculpteur nazi Joseph Thorak, son modèle et son œuvre est tirée d’un site de vente de reproductions ou d’œuvres d’art nazi dont je ne nommerais pas le nom pour ne pas lui faire de la publicité. Voici comment ce site décrit le travail de ce sculpteur nazi qui était après Arno Breker le second « sculpteur officiel » du Troisième Reich :
« Thorak dépeint les hommes et les femmes comme la nature et la divinité le voulaient. Personne depuis Michel-Ange n’est jamais venu près de leur travail. C’était vraiment une inspiration céleste ![…]Tant que l’homme aspire à la finesse artistique et admire le corps humain dans sa meilleure représentation, les œuvres de Josef Thorak resteront dans les mémoires. […] Nous croyons ou du moins théorisons que l’artiste Thorak a inclus cela comme une sorte de témoignage supplémentaire de sa croyance fervente dans les idéaux et les valeurs artistiques imprégnés dans le national-socialisme. Hitler et les grands artistes comme Arno Breker, Carl Diebitsch et Wolfgang Willrich ont tous travaillé avec diligence pour remplacer les ordures dégénérées de Picasso malades qui régnaient dans la République de Weimar par l’héroïque, les scènes extrêmement réalistes des travailleurs des champs et des usines et la beauté de l’homme et la femme aryenne. »
Tout est dit dans cette photo et dans ce texte. Il ne s’agissait pas de représenter l’homme ou la femme tels qu’ils sont dans leur réalité psychique et charnelle mais dans une version idéalisée totalement irréelle. Les créatures « parfaites » sur le plan formel étant plutôt rares, voire inexistantes, l’artiste a du se « contenter » d’un modèle au corps commun de petite taille et aux larges hanches qu’il va s’attacher à transformer pour le magnifier en référence à son idéologie mortifère. C’est ce que Michel Tournier qualifie de « traitement barbare » parce qu’il nie l’unicité de l’être humain en tant qu’individu. Les cinq siècles qui ont suivi l’avancée humaniste de la Renaissance qui avait permis à l’art de se libérer des carcans de l’idéalisme religieux en promouvant une représentation de l’homme réaliste et profane sont d’un coup gommés. Cette attitude d’exaltation d’un modèle idéalisé et hors de portée exprime une forme de mépris pour l’être humain tel qu’il est dans sa réalité et le texte de Michel Tournier prend alors tout son sens : « La pureté est horreur de la vie, haine de l’homme, passion morbide du néant. Un corps chimiquement pur a subi un traitement barbare pour parvenir à cet état absolument contre nature. » D’un côté on gazait des millions d’êtres humains, assassinait les malades mentaux et les handicapés et de l’autre on exaltait une vision sublimée de l’homme nouveau. Cherchez l’erreur… Il faut croire que pour les nazis, l’horreur qu’ils accomplissaient n’était supportable que contrebalancée par l’état d’ivresse qu’apportait une vision fantasmée du futur où la race aryenne aurait atteint la perfection.
En contrepoint de cette beauté irréelle et glaçante sculptée par Thorak, je vous propose la statue d’Aristide Maillol,L’action enchaînée, du Jardin des Tuileries à Paris que je ne manque jamais de contempler lorsque je me trouve dans ce quartier et que je trouve d’une beauté saisissante à couper le souffle.
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