Alain Badiou – Et s’il n’en reste qu’un (de communiste)…


 

Sortir du néolithique…

Conférence du philosophe Alain Badiou à l’institut Français de Grèce le 12 décembre 2019 : la Liberté, l’Egalité, la démocratie, le parlementarisme, la Nature, la technique, le néolithique, le capitalisme, l’impossible et le possible (entre autres)

Un texte fascinant de simplicité, de justesse et de clarté. Merci, Monsieur Badiou. (Nous avons supprimé les 9 mn 05 de la fastidieuse introduction)

Sur la Nature

       Depuis les origines de la philosophie on se demande ce qui recouvre le mot Nature. Il a pu signifier la rêverie romantique des soirs couchants, le matérialisme atomique de Lucrèce De Natura rerum (La Nature des Choses), l’Être intime des choses, la totalité de Spinoza « Deus sive Natura » (Dieu ou la Nature), l’envers objectif de toute culture, le site rural et paysan par opposition aux artifices suspects de la ville, « la terre elle ne ment pas » disait Pétain qui n’est pas une référence convenable. Ça peut désigner aussi la biologie par différence de la physique, la cosmologie au regard du petit monde qu’est notre planète, l’invariance séculaire au regard de la frénésie inventive, la sexualité naturelle au regard de la perversion, etc. Ce que je crois, c’est qu’aujourd’hui Nature désigne en fait surtout la paix des jardins et des villas, le charme touristique des animaux sauvages, la plage et la montagne où passer un agréable été et qui donc peut imaginer que l’homme soit comptable de la Nature lui qui n’est à ce jour qu’une puce pensante sur une planète secondaire dans un système solaire moyen sur les bords d’une galaxie banale.

Le capitalisme, c’est la forme contemporaine du néolithique*

     L’humanité depuis quatre ou cinq millénaires est organisée de façon immuable par la triade de la propriété privée qui concentre d’énormes richesses dans les mains de très petites oligarchies, de la famille où les fortunes transitent via l’héritage, de l’Etat qui protège par la force armée la propriété et la famille. C’est cette triade qui définit l’âge néolithique de notre espèce. Et nous y sommes toujours, voir plus que jamais. Le capitalisme c’est la forme  contemporaine du néolithique et son asservissement des techniques par la concurrence, le profit et la concentration du capital ne fait que porter à leur comble  les inégalités monstrueuses, les absurdités  sociales, les massacres guerriers et les idéologies délétère qui accompagne depuis toujours sous le règle historique de la hiérarchie de des classes le déploiement des techniques. Les techniques ont été les conditions initiales et non pas  du tout le résultat final de la mise en place néolithique.

Sur la nature humaine : De l’audace camarades, tentons l’impossible…*

    On ne peut pas parler de nature humaine mais d’un rapport intra-humain entre individu et sujet :

  • l’individu c’est l’ensemble des caractérisations empiriques d’une personne : ses capacités, sa langue, l’endroit où il a vécu, etc.. toutes une série de caractéristiques contraignantes à leur manière.
  • Le sujet c’est ce qui mesure ce dont il est capable au-delà justement de cette composition stricte qu’on peut dire naturelle.  une caractéristique fondamentale du sujet humain c’est  la découverte du fait qu’il est capable de choses dont il ne se savait pas capable.

    Ça, c’est la clé de l’humanité comme telle. L’humanité comme telle, ce n’est pas ce dont la nature humaine est capable, c’est le surgissement dans la nature humaine de ce dont elle se se savait pas capable et cette capacité à faire qui s’appelle la création, la capacité créatrice de l’humanité et je crois qu’on pourrait définir la politique la meilleure comme celle dont le point d’appui principal n’est pas la nature humaine mais le sujet humain qui s’appuie à tout moment sur l’hypothèse légitimement acceptée que le sujet humain est capable de ce qu’il ne se sait pas lui même capable. Cela veut dire qu’au delà la nature humaine il y a la dialectique entre ce qui est possible et ce qui est impossible. Je crois que le statut particulier de l’animal humain c’est de déplacer constamment les frontières entre le possible et l’impossible et de ne pas être déterminé pas même par l’impossibilité;

     Il faut tenir ferme sur un concept de l’humanité qui serait le déplacement constant et créateur de la frontière apparemment établie entre ce qui est possible et ce qui est impossible. L’homme c’est l’animal de l’impossible et finalement quand on me dit que le communisme est impossible, cela ne m’impressionne pas beaucoup car finalement parce que tout ce qui est intéressant est impossible.

    La réaction, c’est toujours la défense stricte de l’impossibilité ; le conservatisme c’est le gardien de l’impossible qui vise interdire le développement d’une nouvelle forme du sujet que créé par le déplacement entre le possible et l’impossible.

les titres sont de moi, le texte a été légèrement remanié.


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Ils ont dit… Roland Gori – La fabrique des imposteurs


220.jpgDessin de Paul Weber

Sociétés de la norme et du contrôle

      Extraits (remaniés) de la conférence « La Fabrique des Imposteurs » prononcée par  le psychanalyste Roland Gori dans le cadre des conférences de l’Université permanente de l’Université de Nantes en référence à son ouvrage « La Fabrique des Imposteurs » (Actes sud, 2015)


PENSER : Textes de Roland Gori sur une citation du philosophe Jean-François Léotard…

« Dans un univers où le succès est de gagner du temps, penser n’a qu’un défaut mais incorrigible; c’est d’en faire perdre »   – Jean-François Léotard.

    « Aujourd’hui tous les dispositifs d’initiation sociale, d’éducation, de soins, de travail social ont pour objectif de vous éviter d’avoir à penser, de vous économiser d’avoir à penser.  Vous ne pouvez pas vous imaginer à quel point   Penser n’est pas autant désiré que cela par les individus. Penser, comme décider d’ailleurs, ça mobilise de l’angoisse, l’angoisse de l’imprévu, de l’avenir, de la liberté, de la décision. Décider c’est renoncer et on n’aime pas renoncer et renoncer d’une certaine manière dans culpabilité ; C’est peut-être ce qui fait finalement que l’on se coule  relativement facilement dans tous ces dispositifs de colonisation des mœurs qui sont des espèces de programmes de vie, de modes d’emplois, de protocoles calibrés.
     Cela d’autant plus que les discours de légitimation sociale, les discours dominants qui fondent la fabrique de l’opinion publique et font la pensée du jour, les discours de légitimation sociale de pilotage des individus et des sociétés sont aujourd’hui de plus en plus passés d’un pilotage par de grands récits, récits mythiques, religieux ou politiques, du côté des chiffres et des lettres. Finalement, tous les dispositifs d’évaluation, qu’il s’agisse des agences d’évaluation de la recherche, de l’enseignement supérieur, de la santé, de la culture de l’information fonctionnent à peu près sur le modèle des systèmes d’évaluations financières qui déterminent le crédit que l’on peut accorder à une entreprise, à une collectivité territoriale, à un pays, cette pratique a pour effet de limiter la conception de la valeur. La valeur l’est plus que ce qui est soluble dans la pensée du droit des affaires, dans finalement ce qui peut se mesurer, se financiariser, se  monétiser, ou ce qui peut demeurer conforme à des procédure. »


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Aliénation : sur une citation du philosophe Giorgio Agamben.

    « Le citoyen libre des sociétés démocratico-technologiques, les nôtres, est un être qui obéit sans cesse dans le geste même par lequel il donne un commandement »  – Giorgio Agamben.

     « Nous sommes pris dans une chaîne de production des comportements, dans un système qui nous assigne à des places qui sont des places fonctionnelles, des places instrumentales qui ne requiert pas d’avoir à penser, d’avoir même un état d’âme. C’est le gros problème de nos sociétés techniques. C’est que l’emprise de la technique est telle que la technique ne requiert pas de penser et n’exige pas de réfléchir, de réflexion morale, elle n’a pas d’état d’âme. La technique exige une exécution et donc même une fonction de commandement est une fonction de servitude. »

    « Proposer pour les sociétés humaines dans leur recherche de toujours plus d’organisation, le modèle de l’organisme, c’est au fond, rêver d’un retour non pas même aux sociétés archaïques mais aux sociétés animales »  – Georges Canghillem.


L’imposture

    « L’imposteur est aujourd’hui dans nos sociétés comme un poisson dans l’eau : faire prévaloir la forme sur le fond, valoriser les moyens plutôt que les fins, se fier à l’apparence et à la réputation plutôt qu’au travail et à la probité, préférer l’audience au mérite, opter pour le pragmatisme avantageux plutôt que pour le courage de la vérité, choisir l’opportunisme de l’opinion plutôt que tenir bon sur les valeurs, pratiquer l’art de l’illusion plutôt que s’émanciper par la pensée critique, s’abandonner aux fausses sécurités des procédures plutôt que se risquer à l’amour et à la création. Voilà le milieu où prospère l’imposture ! Notre société de la norme, même travestie sous un hédonisme de masse et fardée de publicité tapageuse, fabrique des imposteurs. L’imposteur est un authentique martyr de notre environnement social, maître de l’opinion, éponge vivante des valeurs de son temps, fétichiste des modes et des formes.


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      « Là où le monde se change en simples images, les images deviennent des êtres réels et les motivations d’un comportement hypnotique. Le spectacle est le contraire du dialogue »  – Guy Debord.

     « Nous avons remplacé le dialogue par le communiqué. »  –  Albert Camus.

L’imposteur vit à crédit, au crédit de l’Autre.

     Soeur siamoise du conformisme, l’imposture est parmi nous. Elle emprunte la froide logique des instruments de gestion et de procédure, les combines de papier et les escroqueries des algorithmes, les usurpations de crédits, les expertises mensongères et l’hypocrisie des bons sentiments. De cette civilisation du faux-semblant, notre démocratie de caméléons est malade, enfermée dans ses normes et propulsée dans l’enfer d’un monde qui tourne à vide. Seules l’ambition de la culture et l’audace de la liberté partagée nous permettraient de créer l’avenir. »


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     Roland Gori est psychanalyste à Marseille et professeur de psychologie et de psychopathologie cliniques à l’université d’Aix-Marseille 1. Il est l’auteur de nombreux ouvrages de psychanalyse. Fils unique d’un père d’origine toscane «hyperdoué», chef des services techniques sur le port de Marseille et communiste militant, et d’une mère catholique dont le cœur penche à droite, il grandit entre crucifix et volonté d’apprendre, heureux et choyé sous l’ombre portée de la guerre, dans une atmosphère à la Cavanna des Ritals. Ses parents sont pourtant tous deux marqués par le deuil, l’un ayant perdu son père à l’âge de neuf ans, l’autre sa sœur jumelle. Leur tristesse laisse sur lui une empreinte qu’il estime bienfaisante . Après une enfance de rêve, les choses se gâtent à l’entrée au lycée où son «étrangeté» de fils du peuple s’affronte aux moqueries de la bourgeoisie. Sauf que Roland, lui, s’en sort en fréquentant des petites bandes de quartier qui renforcent son goût du collectif. Contre son père, qui le rêve ingénieur, il abandonne la filière scientifique et passe un bac philo. Puis il enchaîne les petits boulots, fait des remplacements d’instituteur.
     Monté à Paris il effectue sa première année de thèse avec Didier Anzieu et assiste à Nanterre aux événements de Mai 68. C’est pourtant à cette époque que, psychothérapeute, il entreprend une psychanalyse afin de mieux comprendre ses patients.
     De retour dans le Sud, il enseigne comme assistant puis maître-assistant à Aix et Montpellier et commence une longue carrière d’expert universitaire. Dès 1990, il s’alarme de la « philosophie de la rentabilité » qui, au nom des valeurs perdues, prône l’Evaluation et défigure la science, préparant la descente aux enfers de la psychanalyse. Avec Pierre Fédida et Elisabeth Roudinesco, il organise la riposte et sera très actif lors de l’amendement Accoyer. En 1996, il publie un traité d’épistémologie de la psychanalyse, la Preuve par la parole, et en 2002, Logique des passions, son livre le plus personnel, « la livre de chair » de son parcours existentiel, sans doute induit par sa rencontre avec Marie-José Del Volgo et l’amour.
(Présentation retouchée de Camille Laurent, écrivain, à partir des sources Wikipedia et Libération dans Babelio, citations et extraits, c’est ICI)


Comment apprivoiser le hamster qui est en nous…


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« Il s’appelle Pensouillard. C’est un tout petit hamster. Il court dans une roulette à l’intérieur de notre tête… Certains jours il court plus vite que d’autres… »

     1 heure 19 minutes 24 secondes... C’est la durée de cette conférence. Qui, aujourd’hui va vouloir consacrer autant de temps à écouter un conférencier… Habitués que nous sommes aux « flashs », aux courtes formules percutantes, aux raccourcis soi-disant synthétiques, on ne peut plus envisager de s’arrêter un moment au bord du chemin et de « prendre son temps » pour écouter et réfléchir. C’est dommage car le médecin québécois Serge Marquis a beaucoup à nous apprendre sur les moyens de résister au stress et améliorer notre qualité de vie. Il le fait avec talent et en plus, de manière truculente avec son délicieux accent québécois. Alors, arrêtez un moment vos activités, installez-vous dans un fauteuil confortable et écoutez… Vous ne serez pas déçus ! Près de 500.000 personnes l’ont déjà vu.

Quelques phrases tirées de la conférence :

  • Au début des années quatre-vingt, moins de 2% des prestations d’invalidité de longue durée dans les milieux de travail était associé à des troubles psychiques. En 1997, on approchait les 40 %. On est monté aujourd’hui à 70%. […] Ma petite nièce avait trois ans, en rentrant de la garderie m’a dit : « J’ai vraiment eu une grande journée aujourd’hui !».
  • L’aumônier lui avait dit : « Tu sais, si Jésus Christ revenait aujourd’hui, ce n’est pas les paralytiques qu’il ferait marcher, ce serait ceux qui courent…»
  • Mes parents croyaient très fortement que le Paradis c’était à la fin de leurs jours et ils croyaient aussi que le  plus ils enduraient avant, le plus ils auraient de chance d’y aller après. Il fallait « gagner son ciel.»
  • Au sujet d’Internet : Nous sommes piégés par notre génie ! Nous voulons tout faire, tout voir, tout savoir, tout avoir, tout être, tout de suite, tout le temps, tout en même temps. Il y a un pays qui s’appelle la Malaisie on s’y nourrissait autrefois de viande de singe. On avait trouvé un moyen extraordinaire pour les capturer, on prenait une noix de coco dont on pratiquait une ouverture dans la partie supérieure, on y plaçait une poignée de riz et on fixait la noix de coco à une branche d’arbre. Les singes accouraient et voulaient avoir le riz, mettaient la main dans la noix de coco pour saisir le riz mais pour cela, ils serraient la main qu’ils ne pouvaient plus ressortir de la noix de coco. C’est une phrase que je prononce plusieurs fois par jour ; « Serge, Lâche le riz ! »

Capture d’écran 2019-12-04 à 06.58.59.png Serge Marquis, médecin québécois, spécialiste en santé communautaire, auteur, conférencier est titulaire d’une maîtrise en médecine du travail au London School of Hygiene and Tropical Medicine de Londres. Il est l’un des meilleurs experts mondiaux de la gestion du stress et de la prévention des risques psycho-sociaux. Développement personnel, humanité, techniques de gestion du stress se marient avec du bon sens autour de l’urgence de ralentir et d’évacuer les pensées négatives qui nous empêchent de profiter de la vie. Il a étudié la perte de sens, la soif de reconnaissance et le rapport complètement névrosé qu’a l’homme moderne avec le temps. Il a également soigné un grand nombre de personnes devenues dysfonctionnelles au travail. Son approche drôle et humaniste vise à remettre du plaisir et du bon sens dans la vie de tous les jours.

     Il est l’auteur avec Eugène Houde d’un livre intitulé : « Bienvenue parmi les humains », et d’un autre livre intitulé : « Pensouillard le Hamster; Petit Traité de Décroissance Personnelle » paru aux Éditions Transcontinental. Ce livre a reçu le « Coup de Coeur de Renaud-Bray » et a été mis en nomination pour le prix du « Grand Public de la Presse ». Best-seller au Québec, le livre l’est également en Europe sous le titre « On est foutu, on pense trop ! », publié aux Éditions de La Martinière. L’an dernier, il a été traduit en italien, en allemand et en coréen. Puis, il est sorti en livre de poche aux éditions Points. En 2016 également, est paru chez Guy Saint-Jean Éditeur « Egoman », son premier roman, dans lequel il poursuit sa réflexion sur l’ego.

***


 

« Je me sens moins seul… »


De l’intelligence artificielle au sentiment artificiel

    Roulant l’autre jour sur l’autoroute, j’écoutais de manière distraite sur France Culture une émission  qui traitait des conséquences de la robotisation de l’outil de travail sur les rapports unissant l’homme à son travail. L’accent était mis sur le risque de déshumanisation du travail, le travailleur perdant toute initiative et se trouvant réduit à un rôle de « servant » passif de la machine et du chômage massif qui résultera d’une mécanisation à outrance. À un moment de l’émission, un participant citait le cas d’un employé qui avait travaillé jusqu’alors seul et de manière autonome dans un centre de stockage d’Amazon que l’entreprise venait de flanquer d’un robot qui accomplissait désormais une grande partie de ses tâches. Interrogé sur la manière dont il avait ressenti ce changement, l’homme avait répondu qu’il le considérait de manière positive car « il se sentait désormais moins seul…». Ainsi, il faut croire que l’on peut se sentir réconforté par la seule présence à ses côtés d’une machine sans âme sur laquelle on projette ses frustrations et ses désirs mais n’est-ce pas ainsi que fonctionne notre société de consommation qui multiplie à l’infini dans un but à la fois commercial et idéologique les succédanés censés remédier à notre mal-être… En même temps, il n’était pas apparemment venu à l’idée de cet employé que ce processus de robotisation en était qu’à ses débuts et que la prochaine étape serait l’installation d’un robot qui accomplirait à sa place l’ensemble de ses tâches.

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     Que faire de ces millions d’êtres humains restés sur le carreau quand l’ensemble de la production sera réalisée par des machines. J’ai sur ce sujet une suggestion à émettre que j’ose soumettre à nos élites : on sait que les machines deviennent de plus en plus intelligentes et sont désormais capables « d’apprendre » seules en intégrant et dépassant leurs propres erreurs. Il suffira de franchir une étape de plus dans « l’humanisation » de ces machines en les programmant de manière à ce qu’elles ressentent elles aussi des émotions et des sentiments. De ce fait, elles ne manqueront pas d’éprouver à leur tour le sentiment de solitude, seront saisies par le spleen et auront besoin, pour ne pas sombrer dans la dépression et voir leur productivité se réduire, d’un contact ou d’une présence avec lesquels elles pourront établir des relations  sociales et se remonter ainsi le moral ! Et quoi ou qui, pensez-vous, sera alors le plus apte à jouer ce rôle ? L’animal social qu’est l’homme, bien évidemment. À chaque robot sera associé un correspondant humain, attentionné et amical qui le soutiendra moralement… Les deux y trouveraient leur compte. Nul doute que la productivité mécanique augmenterait et que le chômage diminuerait de manière notable.

Enki sigle


le marché de la Porta Palazzo à Turin


le marché de la Porta Palazzo à Turin – crédit photo : Cities of Migration

      À deux pas des belles avenues rectilignes où s’exhibent les boutiques de fripes de luxe et les restaurants branchés, un lieu vrai et vivant haut en couleur où bat le pouls du petit peuple turinois : des monceaux de fruits et légumes de toutes origines, formes et couleurs, des festons de saucisses, de jambons, de carcasses de viandes de toute nature,  des porcelets entiers à la peau blême suspendus dans les airs qui vous fixent d’un air morne, des masses de tripes à gogo, des épices exotiques de toutes couleurs, d’innombrables variétés d’olives, d’ails, d’oignons, des grappes de fromages serrés les uns contre les autres qui ressemblent à des outres, des pâtes, des pâtes et encore des pâtes,  de toutes les formes : des campanelles, des castellanes, des conchiglies, des farfalles, des fusillies, des gemellis, des richiolinni, des canellonis, des macaronis, des spaghettis en vrac, en sacs, en paquets, en sachets. Le tout dans une cacophonie joyeuse où l’on crie, chante, s’interpelle, plaisante, agite les bras et les mains, où l’on se presse, joue des coudes, se bouscule mais toujours dans une bonne humeur et de joie de vivre contagieuse.

      L’Italie comme on l’aime…

photos Enki, le 24/12/2018, vers midi


Adieu, ma belle planète bleue…


Adieu, ma belle planète bleue…

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     Sécheresses prolongées, fonte des glaciers et de la banquise, inondations cataclysmiques à répétition, incendies dévastateurs…  Voilà le montage que tous ces événements m’ont inspirés à partir du dessin de Banksy, la petite fille au ballon rouge en forme de cœur peint sur un mur de Londres…
   Aurons-nous le courage de changer radicalement notre mode de vie et lutter pour imposer les solutions nécessaires au complexe socio-économique qui nous conditionne et nous dirige ?
     J’avoue être gagné parfois par le pessimisme…

Enki sigle

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Tout le monde sait qu’on va à la catastrophe et pourtant rien ne change…


Aurélien Barrau

    Aurélien Barrau, né le 19 mai 1973 à Neuilly-sur-Seine, est un astrophysicien spécialisé dans la physique des astroparticules, des trous noirs et en cosmologie. Il travaille au Laboratoire de physique subatomique et de cosmologie de Grenoble (LPSC) sur le polygone scientifique. Il est également professeur à l’université Grenoble-Alpes. Il a été invité en tant que visiteur à l’Institute for Advanced Study (IAS) de Princeton, à l’Institut des hautes études scientifiques (IHES) de Bures-sur-Yvette1 et à l’Institut Perimeter (PI) de physique théorique au Canada. Il est (ou a été) membre du comité de direction du Centre de physique théorique de Grenoble-Alpes et du laboratoire d’excellence ENIGMASS, et responsable du master de physique subatomique et de cosmologie de Grenoble. Il est membre nommé du Comité national de la recherche scientifique (CoNRS), section « physique théorique ».
       Il est engagé dans la question écologique. Il a notamment lancé un appel, signé par plus de 200 personnalités, dans le journal Le Monde à la suite de la démission de Nicolas Hulot. En septembre 2018, au festival Climax de Bordeaux, lors de la conférence intitulée «Quel nouveau contrat social avec le vivant ?», Aurélien Barrau est intervenu avec un discours de politique écologique et réitère son appel à un changement sociétal pour préserver la planète.  (crédit Wikipedia)

***


Cataclysme planétaire – « Le plus grand défi de l’histoire de l’humanité »


L’appel des 200

     Quelques jours après la démission de Nicolas Hulot, nous lançons cet appel : face au plus grand défi de l’histoire de l’humanité, le pouvoir politique doit agir fermement et immédiatement. Il est temps d’être sérieux.
   Nous vivons un cataclysme planétaire. Réchauffement climatique, diminution drastique des espaces de vie, effondrement de la biodiversité, pollution profonde des sols, de l’eau et de l’air, déforestation rapide : tous les indicateurs sont alarmants. Au rythme actuel, dans quelques décennies, il ne restera presque plus rien. Les humains et la plupart des espèces vivantes sont en situation critique. 
      Il est trop tard pour que rien ne se soit passé : l’effondrement est en cours. La sixième extinction massive se déroule à une vitesse sans précédent. Mais il n’est pas trop tard pour éviter le pire.
      Nous considérons donc que toute action politique qui ne ferait pas de la lutte contre ce cataclysme sa priorité concrète, annoncée et assumée, ne serait plus crédible.
      Nous considérons qu’un gouvernement qui ne ferait pas du sauvetage de ce qui peut encore l’être son objectif premier et revendiqué ne saurait être pris au sérieux.
   Nous proposons le choix du politique – loin des lobbys – et des mesures potentiellement impopulaires qui en résulteront.
     C’est une question de survie. Elle ne peut, par essence, pas être considérée comme secondaire.
      De très nombreux autres combats sont légitimes. Mais si celui-ci est perdu, aucun ne pourra plus être mené.

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Les signataires

Isabelle Adjani, actrice ; Laure Adler, journaliste ; Pedro Almodovar, cinéaste ; Laurie Anderson, artiste ; Charles Aznavour, chanteur ; Santiago Amigorena, écrivain ; Pierre Arditi, acteur ; Niels Arestrup, acteur ; Ariane Ascaride, actrice ; Olivier Assayas, cinéaste ; Yvan Attal, acteur, cinéaste ; Josiane Balasko, actrice ; Aurélien Barrau, astrophysicien (Institut universitaire de France) ; Nathalie Baye, actrice ; Emmanuelle Béart, actrice ; Xavier Beauvois, cinéaste ; Alain Benoit, physicien (Académie des sciences) ; Jane Birkin, chanteuse, actrice ; Juliette Binoche, actrice ; Benjamin Biolay, chanteur ; Dominique Blanc, actrice ; Gilles Boeuf, biologiste ; Mathieu Boogaerts, chanteur ; John Boorman, cinéaste ; Romane Bohringer, actrice ; Carole Bouquet, actrice ; Stéphane Braunschweig, metteur en scène ; Zabou Breitman, actrice, metteuse en scène ; Nicolas Briançon, acteur, metteur en scène ; Irina Brook, metteuse en scène ; Valeria Bruni Tedeschi, actrice, cinéaste ; Florence Burgat, philosophe ; Gabriel Byrne, acteur ; Cali, chanteur ; Sophie Calle, artiste ; Jane Campion, cinéaste ; Isabelle Carré, actrice ; Emmanuel Carrère, écrivain ; Anne Carson, auteure et professeure ; Michel Cassé, astrophysicien ; Laetitia Casta, actrice ; Bernard Castaing, physicien (Académie des sciences) ; Antoine de Caunes, journaliste, cinéaste ; Alain Chamfort, chanteur ; Boris Charmatz, chorégraphe ; Christiane Chauviré, philosophe ; Jeanne Cherhal, chanteuse ; François Civil, acteur ; Hélène Cixous, écrivaine ; Isabel Coixet, cinéaste ; Françoise Combes, astrophysicienne (Collège de France) ; François Cluzet, acteur ; Gregory Colbert, photographe, cinéaste ; Bradley Cooper, acteur ; Brady Corbet, acteur ; Béatrice Copper-Royer, psychologue ; Marion Cotillard, actrice ; Denis Couvet, écologue ; Camille Cottin, actrice ; Clotilde Courau, actrice ; Franck Courchamp, écologue (Académie européenne des sciences) ; Nicole Croisille, chanteuse ; David Cronenberg, cinéaste ; Alfonso Cuaro, cinéaste ; Willem Dafoe, acteur ; Philippe Decouflé, chorégraphe ; Sébastien Delage, musicien ; Vincent Delerm, chanteur ; Alain Delon, acteur ; Catherine Deneuve, actrice ; Claire Denis, cinéaste ; Philippe Descola, anthropologue (Collège de France) ; Alexandre Desplat, compositeur ; Manu Dibango, musicien ; Hervé Dole, astrophysicien (Institut universitaire de France) ; Valérie Dréville, actrice ; Diane Dufresne, chanteuse ; Sandrine Dumas, actrice, metteuse en scène ; Romain Duris, acteur ; Lars Eidinger, acteur ; Marianne Faithfull, chanteuse ; Pierre Fayet, physicien (Académie des sciences) ; Ralph Fiennes, acteur ; Frah (Shaka Ponk), chanteur ; Cécile de France, actrice ; Stéphane Freiss, acteur ; Thierry Frémaux, directeur de festival ; Jean-Michel Frodon, critique, professeur ; Marie-Agnès Gillot, danseuse étoile ; Pierre-Henri Gouyon, biologiste ; Julien Grain, astrophysicien ; Anouk Grinberg, actrice ; Mikhaïl Gromov, mathématicien (Académie des sciences) ; Sylvie Guillem, danseuse étoile ; Arthur H, chanteur ; Ethan Hawke, acteur ; Christopher Hampton, scénariste ; Nora Hamzawi, actrice ; Ivo Van Hove, metteur en scène ; Isabelle Huppert, actrice ; Agnès Jaoui, actrice, cinéaste ; Michel Jonasz, chanteur ; Camelia Jordana, chanteuse ; Jean Jouzel, climatologue (Académie des sciences) ; Juliette, chanteuse ; Anish Kapoor, sculpteur, peintre ; Mathieu Kassovitz, acteur ; Angélique Kidjo, chanteuse ; Cédric Klapisch, cinéaste ; Thierry Klifa, cinéaste ; Panos H. Koutras, cinéaste ; Lou de Laâge, actrice ; Ludovic Lagarde, metteur en scène ; Laurent Lafitte, acteur ; Laurent Lamarca, chanteur ; Maxence Laperouse, comédien ; Camille Laurens, écrivaine ; Bernard Lavilliers, chanteur ; Sandra Lavorel, écologue (Académie des sciences) ; Jude Law, acteur; Patrice Leconte, cinéaste ; Roland Lehoucq, astrophysicien ; Gérard Lefort, journaliste ; Nolwenn Leroy, chanteuse ; Peter Lindbergh, photographe ; Louane, chanteuse ; Luce, chanteuse ; Ibrahim Maalouf, musicien ; Vincent Macaigne, metteur en scène, acteur ; Benoît Magimel, acteur ; Yvon Le Maho, écologue (Académie des sciences) ; Andreï Makine, écrivain de l’Académie Française ; Abd al Malik, rappeur ; Sophie Marceau, actrice ; Virginie Maris, philosophe ; André Markowicz, traducteur ; Nicolas Martin, journaliste ; Vincent Message, écrivain ; Wajdi Mouawad, metteur en scène ; Nana Mouskouri, chanteuse ; Jean-Luc Nancy, philosophe ; Arthur Nauzyciel, metteur en scène ; Safy Nebbou, cinéaste ; Pierre Niney, acteur ; Helena Noguerra, chanteuse ; Claude Nuridsany, cinéaste ; Michael Ondaatje, écrivain ; Thomas Ostermeier, metteur en scène ; Clive Owen, acteur ; Corine Pelluchon, philosophe ; Laurent Pelly, metteur en scène ; Raphaël Personnaz, acteur ; Dominique Pitoiset, metteur en scène ; Denis Podalydès, acteur ; Pomme, chanteuse ; Martin Provost, cinéaste ; Olivier Py, metteur en scène ; Susheela Raman, chanteuse ; Charlotte Rampling, actrice ; Raphaël, chanteur ; Régine, chanteuse ; Cécile Renault, astrophysicienne ; Robin Renucci, acteur ; Jean-Michel Ribes, metteur en scène ; Tim Robbins, acteur ; Muriel Robin, actrice ; Isabella Rossellini, actrice ; Brigitte Roüan, actrice, cinéaste ; Carlo Rovelli, physicien (Institut universitaire de France) ; Eric Ruf, directeur de la Comédie-Française ; Céline Sallette, actrice ; Rodrigo Santoro, acteur ; Marjane Satrapi, cinéaste ; Kristin Scott Thomas, actrice ; Albin de la Simone, musicien ; Abderrahmane Sissako, cinéaste ; Marianne Slot, productrice ; Patti Smith, chanteuse, écrivaine ; Sabrina Speich, géoscientifique ; Marion Stalens, réalisatrice ; Kristen Stewart, actrice ; Tom Stoppard, dramaturge ; Peter Suschitzky, chef opérateur ; Malgorzata Szumowska, cinéaste ; Béla Tarr, cinéaste ; Gilles Taurand, scénariste ; Alexandre Tharaud, musicien ; James Thierrée, danseur, chorégraphe ; Mélanie Thierry, actrice ; Danièle Thompson, cinéaste ; Melita Toscan du Plantier, attachée de presse ; Jean-Louis Trintignant, acteur ; John Turturro, acteur ; Hélène Tysman, pianiste ; Pierre Vanhove, physicien ; Karin Viard, actrice ; Polydoros Vogiatzis, acteur ; Rufus Wainwright, chanteur ; Régis Wargnier, cinéaste ; Jacques Weber, acteur ; Wim Wenders, cinéaste ; Sonia Wieder-Atherton, musicienne ; Bob Wilson, metteur en scène ; Lambert Wilson, acteur ; Jia Zhang-ke, cinéaste ; Elsa Zylberstein, actrice


In limbo


Dans les limbes, Un film de Antoine Viviani

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    Comment filmer Internet ? Comment filmer quelque chose d’aussi abstrait qu’Internet ? J’ai voulu avant tout trouver un langage et une forme propre au film. C’est extrêmement important dans mon travail. Alors j’ai dû inventer une forme pour filmer Internet. Je voulais faire de ce film une immersion dans un rêve ou un cauchemar du réseau. Les gens que l’on y rencontre sont représentés comme des fantômes, des spectres numériques.                                   Antoine Viviani

Le film

     La voix d’un esprit mystérieux, interprétée par Nancy Huston, se réveille dans les méandres des centres de données de notre réseau mondial. C’est comme s’il ne restait plus sur terre que cette immense machine, sans cesse en train d’enregistrer nos souvenirs. En plongeant dans sa mémoire, elle nous emmène à la rencontre de personnages fantomatiques tels que les pères fondateurs d’Internet, les dirigeants de Google ou encore des archivistes numériques et observe le monde de nos souvenirs, fascinée. Que sommes­-nous en train de construire avec ce monde de mémoire numérique ? S’agît-­il d’une nouvelle cathédrale, fondement d’une nouvelle civilisation, ou bien du plus grand cimetière de notre histoire ? Dans les limbes est un conte philosophique qui parcourt Internet comme s’il s’agissait de notre au­-delà…
     C’est en 2015 qu’Antoine Viviani a produit et réalise Dans les Limbes (titre anglais: In Limbo) un essai documentaire qui nous fait voyager dans les limbes de l’Internet, comme si le réseau mondial était en train de rêver de lui-même. Déjà projeté à plusieurs reprises de par le monde dont au CPH : Dox de Copenhague (nov. 2015) où il faisait partie de la compétition internationale, Dans les limbes est l’aboutissement cinématographique de l’expérience In Limbo interactive, disponible sur le site d’ARTE. On y croise une voix incarnée par Nancy Huston, des data centers à la fois beaux et inhumains et des ingénieurs (notamment Gordon Bell et Ray Kurzweil, directeur de l’ingénierie chez Google…) qui sont aussi les acteurs de premier plan de la « révolution numérique ». Pour galvaudée qu’elle soit, l’expression trouve ici une certaine justesse dans la proposition esthétique d’Antoine Viviani, qui s’aventure dans une narration emprunte de poésie visuelle et d’échappées sonores.

sources : présentation officielle et Le blog documentaire


Bande-annonce du film


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     Antoine Viviani est un jeune réalisateur primé. Diplômé de Sciences Po Paris en 2007, il a d’abord produit des documentaires en collaboration avec Vincent Moon (Arcade  Fire  et  R.E.M). Il a également travaillé en compagnie de l’artiste contemporain Pierre Huyghe. En 2009, il fonde une compagnie de production, Providences. En 2011, il produit et réalise In Situ, un long métrage documentaire à propos de l’implication artistique dans le milieu urbain en Europe. Ce film a reçu le prix du Best Digital Documentary au Festival IDFA à Amsterdam en 2011 ainsi que le prix du Meilleur Film au London Doc. Fest en 2012. Il développe actuellement des longs métrages pour les projets cinéma et immersifs.


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Le paradis a existé (pour les hommes…)


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Pierre Clastres (1934-1977)

     Pierre Clastres est un anthropologue et ethnologue français connu pour ses travaux d’anthropologie politique, ses convictions et son engagement libertaire et sa monographie des indiens Guayaki du Paraguay. Sa principale thèse est que les sociétés primitives ne sont pas des sociétés qui n’auraient pas encore découvert le pouvoir et l’État, mais au contraire des sociétés construites pour éviter que l’État n’apparaisse. Pierre Clastres a effectué de nombreux travaux de terrain de 1963 à 1974 en Amérique latine chez les  indiens Guayaki du Paraguay, les Guaranis, les Chulupi et les Yanomami. En 1974 il devient chercheur au  CNRS et publie son œuvre la plus connue, La Société contre l’ÉtatCritique du structuralisme, en conflit direct avec Claude Levi-Strauss, dont il dénonce notamment la vision de la guerre comme échec de l’échange, il quitte le laboratoire d’anthropologie sociale et devient directeur d’études à la cinquième section de L’École pratique des hautes études. Il meurt en 1977 à 43 ans dans un accident de la route, laissant son œuvre inachevée et éparpillée. (crédit Wikipedia)


Le paradis des hommes

       «  C’est ce qui frappa, sans ambiguïté, les premiers observateurs européens des Indiens du Brésil. Grande était leur réprobation à constater que des gaillards pleins de santé préféraient s’attifer comme des femmes de peintures et de plumes au lieu de transpirer sur leurs jardins. Gens donc qui ignoraient délibérément qu’il faut gagner son pain à la sueur de son front. C’en était trop, et cela ne dura pas : on mit rapidement les Indiens au travail, et ils en périrent. Deux axiomes en effet paraissent guider la marche de la civilisation occidentale, dés son aurore : le premier pose que la vraie société se déploie à l’ombre protectrice de l’État; le second énonce un impératif catégorique : il faut travailler.

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      Les Indiens ne consacraient effectivement que peu de temps à ce que l’on appelle le travail. Et ils ne mourraient pas de faim néanmoins. Les chroniques de l’époque sont unanimes à décrire la belle apparence des adultes, la bonne santé de nombreux enfants, l’abondance et la variété des ressources alimentaires. Par conséquent, l’économie de subsistance qui était celle des tribus indiennes n’impliquait nullement la recherche angoissée, à temps complet, de la nourriture. Donc une économie de subsistance est compatible avec une considérable limitation du temps consacré aux activités productives. Soit le cas des tribus sud-américaines d’agriculteurs, les Tupi-Guarani par exemple, dont la fainéantise irritait tant les Français et les Portugais. La vie économique de ces Indiens se fondait principalement sur l’agriculture, accessoirement sur la chasse, la pêche et la collecte. Un même jardin était utilisé pendant quatre à six années consécutives. Après quoi on l’abandonnait, en raison de l’épuisement du sol ou, plus vraisemblablement, de l’invasion de l’espace dégagé par une végétation parasitaire difficile à éliminer. Le gros du travail, effectué par les hommes, consistait à défricher, à la hache de pierre et par le feu, la superficie nécessaire. Cette tâche, accomplie à la fin de la saison des pluies, mobilisait les hommes pendant un ou deux mois. Presque tout le reste du processus agricole — planter, sarcler, récolter — conformément à la division sexuelle du travail, était pris en charge par les femmes. Il en résulte donc cette conclusion joyeuse : les hommes, c’est-à-dire la moitié de la population, travaillaient environ deux mois tous les quatre ans ! Quant au reste du temps, ils le vouaient à des occupations éprouvées non comme peine mais comme plaisir : chasse, pêche ; fêtes et beuveries ; à satisfaire enfin leur goût passionné pour la guerre. »

Pierre Clastres, la société contre l’Etat, 1974. p.165

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