Deux chansons d’amour tristes


      C’est tout à fait par hasard en écoutant une émission diffusée par France Culture sur le thème de la jalousie en référence à un livre du philosophe Jean-Pierre Dupuy,  » La Jalousie. Une géométrie du désir « ,  que j’ai appris l’existence du chanteur et musicien brésilien Caetano Veloso. En fait je le connaissais sans en avoir conscience puisque j’appréciais depuis longtemps son interprétation de deux chansons iconiques : « Sohnos » (Rêves), une chanson brésilienne et la chanson mexicaine « Cucurrucucu paloma » dont j’avais adoré la touchante interprétation dans le film Hable con ella (Parle avec Elle) du réalisateur espagnol Pablo Almadovar. Ces deux chansons ont la particularité d’être toutes les deux des chansons tristes qui chantent la fin d’un amour. La chanson Sonhos parle d’un homme qui aime une femme passionnément et à qui celle-ci annonce soudainement qu’elle s’est éprise d’un autre homme. Contre toute attente et malgré sa souffrance, il ne se révolte pas contre cette situation et remercie sincèrement cette femme pour ce qu’elle lui a apporté et appris. (Ça existe vraiment des hommes comme ça ?). D’après Jean-Pierre Dupuy qui se considère franco-brésilien pour des raisons familiales, il semble que ce comportement va à l’encontre de la mentalité machiste des hommes de ce pays dans lequel le nombre des meurtres d’origine passionnelle (ou plutôt pathologique) l’emporterait largement sur celui de ceux liés à la drogue… Quant à la chanson Cucurrucucu paloma écrite par le chanteur compositeur mexicain Tomas Méndes en 1954, elle parle de la perte d’un être cher et de la souffrance qui en résulte.


Sonhos

Sonhos

Tudo era apenas uma brincadeira
E foi crescendo, crescendo, me absorvendo
E de repente eu me vi assim completamente seu
Vi a minha força amarrada no seu passo
Vi que sem você não há caminho, eu não me acho
Vi um grande amor gritar dentro de mim
Como eu sonhei um dia

Quando o meu mundo era mais mundo
E todo mundo admitia
Uma mudança muito estranha
Mais pureza, mais carinho mais calma, mais alegria
No meu jeito de me dar

Quando a canção se fez mais clara e mais sentida
Quando a poesia realmente fez folia em minha vida
Você veio me falar dessa paixão inesperada
Por outra pessoa

Mas não tem revolta não
Eu só quero que você se encontre
Saudade até que é bom
É melhor que caminhar vazio
A esperança é um dom
Que eu tenho em mim, eu tenho sim

Não tem desespero não
Você me ensinou milhões de coisas
Tenho um sonho em minhas mãos
Amanhã será um novo dia
Certamente eu vou ser mais feliz

Quando o meu mundo era mais mundo…


Rêves

Tout était juste une plaisanterie
Et elle a grandi, grandi
M’absorbant
Et soudain
Je me suis vu ainsi complétement à toi
J’ai vu ma force amarrée à tes pas
J’ai vu que sans toi il n’y avait pas de chemin
Je ne me trouvais pas
J’ai vu un grand amour crier à l’intérieur de moi
Comme je l’ai rêvé un jour.

Quand mon monde était plus un monde
Et tout le monde admettait
Un changement très étrange
Plus de pureté, plus de tendresse
Plus de calme, plus de joie
Dans ma façon d’être
Quand la chanson s’est fait plus claire,
Et plus triste
Quand la poésie est devenue une véritable folie dans ma vie
Tu es venue me parler de cette passion inattendue
Pour une autre personne.

Mais il n’y a pas de révolte, non
Je veux juste que tu te trouves
La mélancolie est parfois bonne
C’est mieux que de marcher vide
L’espérance est un don
Que j’ai en moi
Je l’ai, oui
Il n’y a pas de désespoir, non
Tu m’as appris des millions de choses
J’ai un rêve entre les mains
Demain sera un nouveau jour
Je vais certainement être plus heureux.

Quand mon monde était plus un monde…


Cucurrucucu paloma

     Caetano Veloso : dans cette interprétation magnifique les mots chantés que laissent échapper ses lèvres sont comme des oiseaux qui prennent leur envol dans une gracieuse lenteur. On comprend pourquoi les femmes qui l’écoutent posent sur lui un tel regard. Heureux l’homme sur qui se portent de tels regards…

Dicen que por las noches                                      Ils disent qu’il passait
Nomas se le iba en puro llorar,                           Ses nuits a pleurer
Dicen que no comia,                                               Ils disent qu’il ne mangeait pas
Nomas se le iba en puro tomar,                          Il ne faisait que boire
Juran que el mismo cielo                                      Ils jurent que le ciel lui même
Se estremecia al oir su llanto                              Se rétrécissait en écoutant ses pleurs
Como sufrio por ella,                                             Comme il a souffert pour elle
Que hasta en su muerte la fue llamando         Même dans sa mort il l’appellait
Ay, ay, ay, ay, ay, … cantaba,                                 Ay, ay, ay, ay. , ay…. il chantait
Ay, ay, ay, ay, ay, … gemia,                                    Ay, ay, ay, ay, ay…il gemissait
Ay, ay, ay, ay, ay, … cantaba,                                 Ay, ay, ay, ay, ay…. il chantait
De pasión mortal… moria                                    De passion mortelle…il mourrait
Que una paloma triste                                          Qu ‘une colombe triste
Muy de manana le va a cantar,                          Va lui chanter tot le matin
A la casita sola,                                                       A la maisonnette seule
Con sus puertitas de par en par,                       Avec ses petites portes
Juran que esa paloma                                           Ils jurent que cette colombe
No es otra cosa mas que su alma,                      N’est rien d’autre que son âme
Que todavia la espera                                           Qui attend toujours
A que regrese la desdichada                               Le retour de la malheureuse
Cucurrucucu… paloma,                                       Cucurrucucu…. colombe
Cucurrucucu… no llores,                                     Cucurrucucu…ne pleure
Las piedras jamas, paloma                                 Jamais les pierres, colombe
¡Que van a saber de amores !                            Que savent elles d’amour !
Cucurrucucu… paloma, ya no llores                Cucurrucucu…colombe, ne pleure plus


jealousy1895edvardmunchEdvard Munch – Jalousie (1897). Le peintre expressionniste norvégien que ce thème obsédait en a réalisé à partir de 1895 pas moins de 16 représentations.

La Jalousie. Une géométrie du désir

Capture d’écran 2020-06-13 à 15.21.44    Jean-Pierre Dupuy, philosophe, professeur émérite à l’Ecole Polytechnique, professeur à l’université Stanford (Californie), dans son livre  » La Jalousie. Une géométrie du désir   » (Seuil) propose une théorie générale de la jalousie en s’appuyant sur la théorie du désir mimétique défini par René Girard. France Culture, dans le cadre de l’émission La Conversation scientifique présentée par Etienne Klein, l’a invité à présenter son ouvrage.  (59 mn)

C’est   ICI.


George Steiner :  » Un être qui connaît un livre par cœur est invulnérable »


ob_b6b97c_jorge-luis-borges-hotel-paris-1969Jorge Luis Borges (1899-1986)

« L’univers (que d’autres nomment la Bibliothèque) se compose d’un nombre indéfini, et peut-être infini, de galeries hexagonales, avec de vastes puits d’aération bordés par des balustrades très basses. »  Fictions, Jorge Luis Borges.

    Dans sa nouvelle L’aleph parue dans une revue littéraire de Buenos Aires au lendemain de la guerre, le grand écrivain argentin Jorge Luis Borges nous conte l’histoire fantastique d’une entité mystérieuse aux propriétés magiques enfouie dans la cave de la demeure d’un écrivain engagé dans la rédaction d’un poème consacré à la planète Terre qu’il qualifie lui-même de « fatras pédantesque ». L’écrivain qui est décrit comme un personnage fantasque ayant un lien de parenté avec le narrateur Borges auquel il a demandé de rédiger une préface pour son poème fait part à celui-ci de sa profonde angoisse car le projet de destruction prochaine de cette maison aura pour conséquence la disparition d’une chose enfouie au plus profond de la cave qui selon lui est indispensable pour pouvoir terminer son poème. Cet objet mystérieux, c’est l’Aleph, qui n’est pas un objet mais un lieu, un emplacement particulier où tous les points de l’espace apparaissent clairement visibles sans se confondre. C’est l’équivalent en quelque sorte de la boule de cristal utilisée par des médiums dans certaines pratiques de voyance ou de divination. Mais le champ d’application de l’Aleph est beaucoup plus vaste car il permet au visionnaire d’embrasser l’ensemble de l’univers dans toutes ses composantes. Dubitatif mais piqué par la curiosité, Borges demanda à l’écrivain s’il consentirait à lui faire expérimenter l’Aleph. Celui-ci acquiesça et lui indiqua alors la procédure : il fallait descendre dans la cave en pleine pénombre et s’étendre  de tout son long au bas de l’escalier et après que les yeux se soient habitués à l’obscurité, il fallait compter les marches jusqu’à la dix-neuvième et la regarder ensuite fixement avec intensité. Sans y croire, Borges se prêta à ce qu’il considérait comme un jeu et à son grand étonnement le miracle se produisit : une infinité de lieux, de scènes, de situations et de personnes lui apparut soudainement en un seul instant : « Mes yeux avaient vu cet objet secret et conjectural, dont les hommes usurpent le nom, mais qu’aucun homme n’a regardé ; l’inconcevable univers. »


Capture d’écran 2020-06-06 à 05.05.17George Steiner (1929-2020)

« Un être qui connaît un livre par cœur est invulnérable, c’est plus qu’une assurance vie, c’est une assurance sur la mort ! » George Steiner

       Il m’arrive lorsqu’une Insomnia tenace s’est installée sans être invitée dans ma couche et prend ses aises à mes côtés avec ses membres grêles et sa peau glacée de programmer sur mon portable l’écoute d’un morceau de musique classique ou du podcast d’une émission radiophonique portant sur un thème historique, littéraire ou philosophique sur lequel j’éprouve sur le moment un intérêt particulier. Il faut croire que mes sujets d’intérêts ne sont pas du tout du goût de l’Insomnia étendue à mes côtés car en général au bout de quelques instants, celle ci quitte discrètement la pièce, me laissant plongé dans le plus profond sommeil. Cette fois, les choses se sont passées de manière totalement différente. J’avais choisi d’écouter la causerie de Georges Steiner avec le journaliste et romancier Pierre Assouline, une émission tenue le 1er juin 2005 dans le cadre des Grandes conférences de la BnF sur le thème « Ma bibliothèque personnelle : entretien et lecture ». J’affectionne beaucoup George Steiner, personnage pluriel franco-américano-britannique atypique et iconoclaste parlant couramment trois langues le français, l’allemand et l’anglais  tout à la fois philosophe, linguiste, écrivain, éditorialiste et critique littéraire dans de grands magazines, à l’érudition universelle et prodigieuse, aimant le paradoxe et ne manquant jamais d’humour, le plus souvent caustique. J’ai eu de la peine lorsque j’ai appris sa mort survenue le 3 février dernier dans sa quatre-vingt dixième année à son domicile de Cambridge, ville où il avait été professeur. Une causerie sur la poésie et la littérature, me disais-je, parfait pour passer des bras d’Insomnia à ceux de Morphée…

       En fait, au cours de cette heure passée avec ce grand personnage, il m’a semblé n’avoir jamais été autant éveillé : une heure de délectation et de ravissement à l’évocation et la lecture d’œuvres de philosophes, d’écrivains et de poètes comme José Maria de Heredia, le poète parnassien de nos années de lycée aujourd’hui injustement oublié, René Char, Platon, Shakespeare, Celan et de références à l’histoire et au dilemme que pose la nature humaine capable en même temps et chez les mêmes individus du meilleur et du pire. «Ma question, celle avec laquelle je lutte dans tous mes enseignements, c’est : pourquoi les humanités au sens le plus large du mot, pourquoi la raison dans les sciences ne nous ont-elles donné aucune protection face à l’inhumain ? Pourquoi est-ce qu’on peut jouer Schubert le soir et aller faire son devoir au camp de concentration le matin ? ». Une heure d’admiration sans bornes pour la culture, l’intelligence subtile et la sensibilité d’un être hors du commun, né en France en 1929 après que ses parents, de riches bourgeois juifs cultivés de la haute société viennoise, se soient exilés après avoir pressenti la tragédie qui allait bientôt déferler sur l’Europe et sur leur communauté en particulier. Il s’est ensuivi une longue période d’errance aux Etats-Unis d’abord en 1940 où il s’inscrit au lycée français de Manhattan avant d’étudier la physique, les mathématiques et les lettres à Chicago puis à Harvard et rejoindre l’Angleterre pour soutenir un doctorat à Oxford. Il sera ensuite enseignant à Princeton, Cambridge et Genève tout en écrivant de nombreux essais sur des thèmes aussi variés que la religion,  la philosophie, les arts et les langues. Il est également l’auteur de plusieurs nouvelles. Son ouverture d’esprit, son honnêteté intellectuelle et sans doute aussi son goût du paradoxe ont fait qu’il n’a pas hésité lorsqu’il le jugeait nécessaire à critiquer Israël et à louer les œuvres d’antisémites notoires comme Céline, Lucien Rebatet et entretenir une relation amicale avec certains autres comme  Pierre Boutang, disciple de Maurras.

       À l’écoute de cette causerie Georges Steiner m’est apparu comme un Aleph au sens que lui a été donné par Borges. Sa parole ouvre des perspectives multiples dans les domaines de la pensée et de l’action humaine et vous donne à méditer et à évoluer. Un grand monsieur dont je vous invite à écouter les conférences et causeries sur France Culture et YouTube et en premier lieu, pour servir d’introduction aux autres, celle qui suit.

« La poésie est la musique de la pensée »

Pour la vision complète (1 h 27) de la causerie sur le site GALLICA de la BnF, c’est  ICI

***


Alain Badiou – Et s’il n’en reste qu’un (de communiste)…


 

Sortir du néolithique…

Conférence du philosophe Alain Badiou à l’institut Français de Grèce le 12 décembre 2019 : la Liberté, l’Egalité, la démocratie, le parlementarisme, la Nature, la technique, le néolithique, le capitalisme, l’impossible et le possible (entre autres)

Un texte fascinant de simplicité, de justesse et de clarté. Merci, Monsieur Badiou. (Nous avons supprimé les 9 mn 05 de la fastidieuse introduction)

Sur la Nature

       Depuis les origines de la philosophie on se demande ce qui recouvre le mot Nature. Il a pu signifier la rêverie romantique des soirs couchants, le matérialisme atomique de Lucrèce De Natura rerum (La Nature des Choses), l’Être intime des choses, la totalité de Spinoza « Deus sive Natura » (Dieu ou la Nature), l’envers objectif de toute culture, le site rural et paysan par opposition aux artifices suspects de la ville, « la terre elle ne ment pas » disait Pétain qui n’est pas une référence convenable. Ça peut désigner aussi la biologie par différence de la physique, la cosmologie au regard du petit monde qu’est notre planète, l’invariance séculaire au regard de la frénésie inventive, la sexualité naturelle au regard de la perversion, etc. Ce que je crois, c’est qu’aujourd’hui Nature désigne en fait surtout la paix des jardins et des villas, le charme touristique des animaux sauvages, la plage et la montagne où passer un agréable été et qui donc peut imaginer que l’homme soit comptable de la Nature lui qui n’est à ce jour qu’une puce pensante sur une planète secondaire dans un système solaire moyen sur les bords d’une galaxie banale.

Le capitalisme, c’est la forme contemporaine du néolithique*

     L’humanité depuis quatre ou cinq millénaires est organisée de façon immuable par la triade de la propriété privée qui concentre d’énormes richesses dans les mains de très petites oligarchies, de la famille où les fortunes transitent via l’héritage, de l’Etat qui protège par la force armée la propriété et la famille. C’est cette triade qui définit l’âge néolithique de notre espèce. Et nous y sommes toujours, voir plus que jamais. Le capitalisme c’est la forme  contemporaine du néolithique et son asservissement des techniques par la concurrence, le profit et la concentration du capital ne fait que porter à leur comble  les inégalités monstrueuses, les absurdités  sociales, les massacres guerriers et les idéologies délétère qui accompagne depuis toujours sous le règle historique de la hiérarchie de des classes le déploiement des techniques. Les techniques ont été les conditions initiales et non pas  du tout le résultat final de la mise en place néolithique.

Sur la nature humaine : De l’audace camarades, tentons l’impossible…*

    On ne peut pas parler de nature humaine mais d’un rapport intra-humain entre individu et sujet :

  • l’individu c’est l’ensemble des caractérisations empiriques d’une personne : ses capacités, sa langue, l’endroit où il a vécu, etc.. toutes une série de caractéristiques contraignantes à leur manière.
  • Le sujet c’est ce qui mesure ce dont il est capable au-delà justement de cette composition stricte qu’on peut dire naturelle.  une caractéristique fondamentale du sujet humain c’est  la découverte du fait qu’il est capable de choses dont il ne se savait pas capable.

    Ça, c’est la clé de l’humanité comme telle. L’humanité comme telle, ce n’est pas ce dont la nature humaine est capable, c’est le surgissement dans la nature humaine de ce dont elle se se savait pas capable et cette capacité à faire qui s’appelle la création, la capacité créatrice de l’humanité et je crois qu’on pourrait définir la politique la meilleure comme celle dont le point d’appui principal n’est pas la nature humaine mais le sujet humain qui s’appuie à tout moment sur l’hypothèse légitimement acceptée que le sujet humain est capable de ce qu’il ne se sait pas lui même capable. Cela veut dire qu’au delà la nature humaine il y a la dialectique entre ce qui est possible et ce qui est impossible. Je crois que le statut particulier de l’animal humain c’est de déplacer constamment les frontières entre le possible et l’impossible et de ne pas être déterminé pas même par l’impossibilité;

     Il faut tenir ferme sur un concept de l’humanité qui serait le déplacement constant et créateur de la frontière apparemment établie entre ce qui est possible et ce qui est impossible. L’homme c’est l’animal de l’impossible et finalement quand on me dit que le communisme est impossible, cela ne m’impressionne pas beaucoup car finalement parce que tout ce qui est intéressant est impossible.

    La réaction, c’est toujours la défense stricte de l’impossibilité ; le conservatisme c’est le gardien de l’impossible qui vise interdire le développement d’une nouvelle forme du sujet que créé par le déplacement entre le possible et l’impossible.

les titres sont de moi, le texte a été légèrement remanié.


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Annihilation


Hubert-Felix Thiefaine, encore et toujours…

Annihilation

Qu’en est-il de ces heures troubles et désabusées
Où les dieux impuissants fixent l’humanité ?
Où les diet nazi(e)s s’installent au Pentagone
Où Marilyn revêt son treillis d’Antigone ?
On n’en finit jamais d’écrire la même chanson
Avec les mêmes discours les mêmes connotations
On n’en finit jamais de rejouer Guignol
Chez les Torquemada chez les Savonarole

Qui donc pourra faire taire les grondements de bête
Les hurlements furieux de la nuit dans nos têtes ?
Qui donc pourra faire taire les grondements de bête ?

Lassé de grimacer sur l’écran des vigiles
Je revisite l’Enfer de Dante et de Virgile
Je chante des cantiques mécaniques et barbares
A des poupées Barbie barbouillées de brouillard
C’est l’heure où les esprits dansent le pogo nuptial
L’heure où les vieux kapos changent ma pile corticale
C’est l’heure où les morts pleurent sous leur dalle de granit
Lorsque leur double astral percute un satellite

Qui donc pourra faire taire les grondements de bête
Les hurlements furieux de la nuit dans nos têtes ?
Qui donc pourra faire taire les grondements de bête ?

Crucifixion avec la Vierge et dix-sept saints
Fra Angelico met des larmes dans mon vin
La piété phagocyte mes prières et mes gammes
Quand les tarots s’éclairent sur la treizième lame
On meurt tous de stupeur et de bonheur tragique
Au coeur de nos centrales de rêves analgésiques
On joue les trapézistes de l’antimatière
Cherchant des étoiles noires au fond de nos déserts

Qui donc pourra faire taire les grondements de bête
Les hurlements furieux de la nuit dans nos têtes ?
Qui donc pourra faire taire les grondements de bête ?

Je dérègle mes sens et j’affûte ma schizo
Vous est un autre je et j’aime jouer mélo
Anéantissement tranquille et délicieux
Dans un décor d’absinthe aux tableaux véroleux
Memento remember je tremble et me souviens
Des moments familiers des labos clandestins
Où le vieil alchimiste me répétait tout bas:
Si tu veux pas noircir, tu ne blanchiras pas

Qui donc pourra faire taire les grondements de bête
Les hurlements furieux de la nuit dans nos têtes ?
Qui donc pourra faire taire les grondements de bête ?

Je calcule mes efforts et mesure la distance
Qui me reste à blêmir avant ma transhumance
Je fais des inventaires dans mon Pandémonium
Cerveau sous cellophane coeur dans l’aluminium
J’écoute la nuit danser derrière les persiennes
Les grillons résonner dans ma mémoire indienne
J’attends le zippo du diable pour cramer
La toile d’araignée où mon âme est piégée
J’attends le zippo du diable pour cramer
La toile d’araignée où mon âme est piégée

Qui donc pourra faire taire les grondements de bête
Les hurlements furieux de la nuit dans nos têtes ?
Qui donc pourra faire taire les grondements de bête ? 
Qui donc pourra faire taire les grondements de bête
Les hurlements furieux de la nuit dans nos têtes ?
Qui donc pourra faire taire les grondements de bête ?
Qui donc ?

***


La dérive des confinements…


***

Superdupont-super-revient-debut-septembre_655x231.jpgJ’arrive !

La dérive des confinements. Un peu de psycho…

    Après un mois de confinement, la presse se fait l’écho des dérives psychiques induites par cette situation. Le confinement « n’a pas les mêmes conséquences pour tous, selon les facteurs de protection psychique qui ont pu être acquis ou qui, hélas, font défaut », explique le neuropsychiatre Boris Cyrulnik dans un entretien à « L’Obs » publié cette semaine. Il cite « ceux qui souffrent de fragilités psychiques antérieures, un trauma infantile, une enfance difficile, des conflits familiaux ou une précarité sociale ». Dans un autre article la psychologue-psychothérapeute Catherine Pierrat écrit : « Chacun va réagir différemment selon son histoire. Pour certains, cela va réveiller des blessures familiales ou des moments douloureux vécus dans l’enfance. Le confinement va alors se transformer en véritable torture psychologique« . Le cas clinique présenté ci-dessus est typique de la réminiscence, sous l’action du confinement, de traumas anciens d’oppression et de négation du moi vécus par les deux sœurs au cours de leur enfance suite à une éducation pesante et rigide menée par un père autoritaire et omniprésent qui les avait empêché de s’épanouir et de devenir des adultes à part entière. Ce n’est pas un hasard si elles se déclarent être « bloquées » dans un « siphon » intergalactique. Rappelons, qu’en plomberie, un siphon est un élément constitué par courbure d’une canalisation d’eaux dites « usées » (dénomination qui révèle une volonté inconsciente d’évitement des qualificatifs « sale » ou « pollué » faisant référence trop explicite à leur impureté). la fonction d’un siphon est de « bloquer » les déchets et résidus de taille importante entraînées par les effluents liquides risquant d’obstruer la canalisation. En même temps, cet accessoire permet de bloquer le retour des mauvaises odeurs. La fonction du siphon est donc de retenir la partie du « sale » qui est hors norme de par sa nature et ses dimensions et qui nécessite pour être évacuée l’intervention d’un spécialiste nettoyeur, le plombier (ou d’un bon bricoleur). On n’ose imaginer ce que doivent être les terribles souvenirs d’enfance de ces jeunes personnes, enfouis au plus profond de leur tuyauterie psychique, trop volumineux pour être évacués naturellement par l’usure du temps et le phénomène de l’oubli et qui stagnent dans le siphon de leur inconscient attendant la moindre occasion pour résurger et faire rouvrir les vieilles blessures. L’appel désespéré lancé au Père destructeur montre le degré élevé de l’aliénation et la régression infantile qui en résultent… Je leur conseille, pour retrouver leur sérénité, l’intervention d’un(e) psychanalyste-plombier(e) (dans ce cas qui nous intéresse political correctness s’impose) qui se fixera pour tâche de purger ce siphon psychique encombré afin de rétablir l’écoulement harmonique de leurs fluides mentaux.

Enki-Doc


Orions-Horsehead-Nebula-Credit-Copyright-Ryan-Steinberg-Family-Adam-Block-NOAO-AURA-NSF-580x435.jpgOrion’s Horsehead Nebula 

Pour prendre leur mal en patience… Voici quarante minutes d’éternité selon Gérard Manset,

 « La mort d’Orion »

Où l’horizon prend fin,
Où l’œil de l’homme jamais n’apaisera sa fin,
Au seuil enfin de l’univers,
Sur cet autre revers,
Trouant le ciel de nuit
D’encre et d’ennui
Profond,
Se font et se défont les astres.

Par delà les grands univers
Où les colonies de la terre
Prolifèrent
Et dans la grande nébuleuse noire
Dont, voici dix mille ans, fut l’histoire.

Depuis qu’ils cheminaient par dix et cent de milles
Pour délaisser la terre et ses anciennes villes,
Depuis qu’ils voulaient voir
Ce peuple fou, ailé, la nébuleuse noire,
Depuis donc et déjà tant de siècles passés
Qu’ils avaient délaissé
La terre,
Ce peuple solitaire
S’éprit de ses vestiges
Et voulu en revoir la tige.

Or, pendant que coulaient
Tous ces millions d’années
Sur la planète mère,
Les survivants damnés
Redoraient le parvis
De leur vie,
Cependant que croulait interminablement
Un bruit de poussière et de vent
Et que s’affaissait le béton
Que coulait le peuple d’Orion.

On a vu bien d’autres étoiles depuis,
Allumées comme au fond d’un puits.
Sur Orion que la mort attend,
Un prêtre fait asseoir les hommes à genoux
Et le peuple incompris
Prie.

Orion ne reverra plus jamais le pays
Et la lune, sa sœur, aura bien loin d’ici
Des ailes.
Les cieux comme un taudis,
Privés de leur dentelles
Baissent les yeux

Au milieu des cerisiers blancs,
Sur son cheval,
Le prêtre a des ciseaux d’argent.
Il a les mains couvertes de papier doré
Et le devant de son visage est décollé.

Les grands arbres se dressent, les yeux mouillés
Et leurs cheveux comme des tresses
Qui cachent le soleil,
Les fleurs sont comme des oreilles, décollées.

Nous,
Même si nos membranes fragiles
Nous rendent un peu moins agiles
Ensemble,
S’il faut venger nos morts,
S’il faut souffrir encore,
Nous incinèrerons leurs corps
Si on veut de nous encore, encore,
Si on veut de nous encore, encore.

Et l’autel est dressé
Sur ses deux mains, sur ses bras blessés,
Regardant vers le nord,
Les mains tendues comme une plante carnivore.

Et du plus loin que l’on entende les rires
Déjà morts au sortir de leur bouche de cire,
Il faut les laisser faire.
Ce ne sont que des mammifères
Dans ce monde de prose
Où rien ne tient quand on le pose.

Nous,
Même si nos yeux sont trop clairs,
Nous retournerons sur la terre
Ensemble.
Nous franchirons les mers
De notre planisphère,
Reprendrons nos mines de fer
Si on nous laisse faire,
Si on nous laisse faire.

Nous,
Même si nos membranes fragiles
Nous rendent un peu moins agiles
Ensemble,
S’il faut venger nos morts,
S’il faut souffrir encore,
Nous incinèrerons leurs corps
Si on veut de nous encore,
Si on veut de nous encore.

Orion,
Sentant sa fin venir,
Dressa ses habitants contre leurs souvenirs,
Contre leurs souvenirs.

Depuis longtemps,
Depuis longtemps
Riche de tout,
Ce peuple parasite
Auquel nous rendions visite
Souvent fit notre faillite.

D’où il les avait mis sur le sol d’Orion,
Il pointa ses canons la tête la première
Vers l’horizon puis vers la terre.

Par delà les plus hauts monts,
Au milieu des goémons,
Vit Salomon,
Pareil aux preux chevaliers teutoniques,
Comme les lépreux sataniques,
Et dont la descendance princière et millénaire,
Pour toujours, un jour quitta la terre.

C’est au creux d’une lagune
Dont il cheminait les dunes
Qu’un soir de lune,
Descendant du ciel en spirales,
Tombèrent les anges des étoiles.

Tenant à peine debout,
Ensevelis par la boue,
Le sable mou,
Leur semblant comme autant de serpents,
Ils détruisirent tout en un instant.

Depuis longtemps,
Depuis longtemps
Riche de tout
Comme un coquillage
Dont la coquille est sans âge,
Salomon ignorait d’autres rivages.

Par delà les plus hauts monts,
Au milieu des goémons,
Vivait Salomon,
Pareil aux preux chevaliers teutoniques
Comme les lépreux sataniques,
Et dont le descendance princière et millénaire
Pour couvrir son corps creusa la terre.

Les fossoyeuses marines
Trouveront dans sa poitrine
Tant de vermines
Qui malgré les prêtres d’Orion,
Se nourrissant de lui, revivront.

Depuis longtemps,
Depuis longtemps
Jaloux de tout,
Debout dans leurs caravelles,
Ce peuple aux formes nouvelles
Fit tomber nos citadelles
D’un coup d’aile.

Orion ne reverra plus jamais le pays
Et la lune, sa sœur, aura, bien loin d’ici,
Des ailes.
Orion n’aura jamais s’il faut, pleuré, grandi,
Quoiqu’aura bien vécu du moins à ce qu’on dit
Sans elle.
Les cieux comme un taudis
Privés de leurs dentelles
Baissent les yeux.

Nous,
Par le droit que nous donne notre âge
Réduisons nos fils à l’esclavage,
Ensemble.
Si demain chacun d’eux nous ressemble,

Gérard MansetLa Mort d’Orion


0:00 Introduction
4:26 La mort d’Orion
12:38 Où l’horizon prend fin
14:25 Salomon l’hermite
20:22 Final

22:11 Vivent les hommes
29:38 Enchaînement
30:37 Ils
34:16 Le Paradis terrestre
40:00 Élégie funèbre


Ils ont dit : La pureté selon Michel Tournier



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    A l’heure des fanatismes de tous bords qui prônent la pureté ethnique, la pureté religieuse, les revendications identitaires et communautaristes qui excluent l’autre allant jusqu’à éradiquer et génocider leurs semblables, un texte fort et clairvoyant de l’écrivain Michel Tournier tiré de son roman Le Roi des aulnes pour lequel il a obtenu en 1970 le Prix Goncourt.

°°°


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      « L’une des inversions malignes les plus classiques et les plus meurtrières a donné naissance à l’idée de pureté. La pureté est l’inversion maligne de l’innocence. L’innocence est amour de l’être, acceptation souriante des nourritures célestes et terrestres, ignorance de l’alternative infernale pureté-impureté. De cette sainteté spontanée et comme native, Satan a fait une singerie qui lui ressemble et qui est tout l’inverse : la pureté. La pureté est horreur de la vie, haine de l’homme, passion morbide du néant. Un corps chimiquement pur a subi un traitement barbare pour parvenir à cet état absolument contre nature. L’homme chevauché par le démon de la pureté sème la ruine et la mort autour de lui. Purification religieuse, épuration politique, sauvegarde de la pureté de la race, nombreuses sont les variations sur ce thème atroce, mais toutes débouchent avec monotonie sur des crimes sans nombre dont l’instrument privilégié est le feu, symbole de pureté et symbole de l’enfer.»

Le Roi des aulnes – Michel Tournier


newthorak60.jpgle sculpteur nazi Joseph Thorak, le modèle et l’œuvre

     Cette photo montrant le sculpteur nazi Joseph Thorak, son modèle et son œuvre est tirée d’un site de vente de reproductions ou d’œuvres d’art nazi dont je ne nommerais pas le nom pour ne pas lui faire de la publicité. Voici comment ce site décrit le travail de ce sculpteur nazi qui était après Arno Breker le second « sculpteur officiel » du Troisième Reich :

    « Thorak dépeint les hommes et les femmes comme la nature et la divinité le voulaient. Personne depuis Michel-Ange n’est jamais venu près de leur travail. C’était vraiment une inspiration céleste !  […] Tant que l’homme aspire à la finesse artistique et admire le corps humain dans sa meilleure représentation, les œuvres de Josef Thorak resteront dans les mémoires. […] Nous croyons ou du moins théorisons que l’artiste Thorak a inclus cela comme une sorte de témoignage supplémentaire de sa croyance fervente dans les idéaux et les valeurs artistiques imprégnés dans le national-socialisme. Hitler et les grands artistes comme Arno Breker, Carl Diebitsch et Wolfgang Willrich ont tous travaillé avec diligence pour remplacer les ordures dégénérées de Picasso malades qui régnaient dans la République de Weimar par l’héroïque, les scènes extrêmement réalistes des travailleurs des champs et des usines et la beauté de l’homme et la femme aryenne. »

      Tout est dit dans cette photo et dans ce texte. Il ne s’agissait pas de représenter l’homme ou la femme tels qu’ils sont dans leur réalité psychique et charnelle mais dans une version idéalisée totalement irréelle. Les créatures « parfaites » sur le plan formel étant plutôt rares, voire inexistantes, l’artiste a du se « contenter » d’un modèle au corps commun de petite taille et aux larges hanches qu’il va s’attacher à transformer pour le magnifier en référence à son idéologie mortifère. C’est ce que Michel Tournier qualifie de « traitement barbare » parce qu’il nie l’unicité de l’être humain en tant qu’individu. Les cinq siècles qui ont suivi l’avancée humaniste de la Renaissance qui avait permis à l’art de se libérer des carcans de l’idéalisme religieux en promouvant une représentation de l’homme réaliste et profane sont d’un coup gommés. Cette attitude d’exaltation d’un modèle idéalisé et hors de portée exprime une forme de mépris pour l’être humain tel qu’il est dans sa réalité et le texte de Michel Tournier prend alors tout son sens : « La pureté est horreur de la vie, haine de l’homme, passion morbide du néant. Un corps chimiquement pur a subi un traitement barbare pour parvenir à cet état absolument contre nature. » D’un côté on gazait des millions d’êtres humains, assassinait les malades mentaux et les handicapés et de l’autre on exaltait une vision sublimée de l’homme nouveau. Cherchez l’erreur… Il faut croire que pour les nazis, l’horreur qu’ils accomplissaient n’était supportable que contrebalancée par l’état d’ivresse qu’apportait une vision fantasmée du futur où la race aryenne aurait atteint la perfection.

    En contrepoint de cette beauté irréelle et glaçante sculptée par Thorak, je vous propose la statue d’Aristide Maillol, L’action enchaînée, du Jardin des Tuileries à Paris que je ne manque jamais de contempler lorsque je me trouve dans ce quartier et que je trouve d’une beauté saisissante à couper le souffle.

Enki sigle

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Il y a « caresse » et « caresse »…


Le Journal d’une femme de chambre (extrait) : scène de la « caresse »

     De Luis Bunuel, 1964. Avec Jean Claude Carriere, le dialoguiste du film, dans le rôle du curé.

***


Ils ont dit : Montaigne


Sans commentaires…

Michel de Montaigne.pngMichel de Montaigne (1533-1592)

     « Le monde n’est qu’une branloire pérenne. Toutes choses y branlent sans cesse : la terre, les rochers du Caucase, les pyramides d’Egypte, et du branle public et du leur. La constance même n’est autre chose qu’un branle plus languissant. »

Michel de Montaigne, Essais, III, 2, Du repentir.

       Toute ressemblance avec un ou plusieurs événements récents  ou passés ne serait que pure coïncidence…


Ils ont dit… Roland Gori – La fabrique des imposteurs


220.jpgDessin de Paul Weber

Sociétés de la norme et du contrôle

      Extraits (remaniés) de la conférence « La Fabrique des Imposteurs » prononcée par  le psychanalyste Roland Gori dans le cadre des conférences de l’Université permanente de l’Université de Nantes en référence à son ouvrage « La Fabrique des Imposteurs » (Actes sud, 2015)


PENSER : Textes de Roland Gori sur une citation du philosophe Jean-François Léotard…

« Dans un univers où le succès est de gagner du temps, penser n’a qu’un défaut mais incorrigible; c’est d’en faire perdre »   – Jean-François Léotard.

    « Aujourd’hui tous les dispositifs d’initiation sociale, d’éducation, de soins, de travail social ont pour objectif de vous éviter d’avoir à penser, de vous économiser d’avoir à penser.  Vous ne pouvez pas vous imaginer à quel point   Penser n’est pas autant désiré que cela par les individus. Penser, comme décider d’ailleurs, ça mobilise de l’angoisse, l’angoisse de l’imprévu, de l’avenir, de la liberté, de la décision. Décider c’est renoncer et on n’aime pas renoncer et renoncer d’une certaine manière dans culpabilité ; C’est peut-être ce qui fait finalement que l’on se coule  relativement facilement dans tous ces dispositifs de colonisation des mœurs qui sont des espèces de programmes de vie, de modes d’emplois, de protocoles calibrés.
     Cela d’autant plus que les discours de légitimation sociale, les discours dominants qui fondent la fabrique de l’opinion publique et font la pensée du jour, les discours de légitimation sociale de pilotage des individus et des sociétés sont aujourd’hui de plus en plus passés d’un pilotage par de grands récits, récits mythiques, religieux ou politiques, du côté des chiffres et des lettres. Finalement, tous les dispositifs d’évaluation, qu’il s’agisse des agences d’évaluation de la recherche, de l’enseignement supérieur, de la santé, de la culture de l’information fonctionnent à peu près sur le modèle des systèmes d’évaluations financières qui déterminent le crédit que l’on peut accorder à une entreprise, à une collectivité territoriale, à un pays, cette pratique a pour effet de limiter la conception de la valeur. La valeur l’est plus que ce qui est soluble dans la pensée du droit des affaires, dans finalement ce qui peut se mesurer, se financiariser, se  monétiser, ou ce qui peut demeurer conforme à des procédure. »


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Aliénation : sur une citation du philosophe Giorgio Agamben.

    « Le citoyen libre des sociétés démocratico-technologiques, les nôtres, est un être qui obéit sans cesse dans le geste même par lequel il donne un commandement »  – Giorgio Agamben.

     « Nous sommes pris dans une chaîne de production des comportements, dans un système qui nous assigne à des places qui sont des places fonctionnelles, des places instrumentales qui ne requiert pas d’avoir à penser, d’avoir même un état d’âme. C’est le gros problème de nos sociétés techniques. C’est que l’emprise de la technique est telle que la technique ne requiert pas de penser et n’exige pas de réfléchir, de réflexion morale, elle n’a pas d’état d’âme. La technique exige une exécution et donc même une fonction de commandement est une fonction de servitude. »

    « Proposer pour les sociétés humaines dans leur recherche de toujours plus d’organisation, le modèle de l’organisme, c’est au fond, rêver d’un retour non pas même aux sociétés archaïques mais aux sociétés animales »  – Georges Canghillem.


L’imposture

    « L’imposteur est aujourd’hui dans nos sociétés comme un poisson dans l’eau : faire prévaloir la forme sur le fond, valoriser les moyens plutôt que les fins, se fier à l’apparence et à la réputation plutôt qu’au travail et à la probité, préférer l’audience au mérite, opter pour le pragmatisme avantageux plutôt que pour le courage de la vérité, choisir l’opportunisme de l’opinion plutôt que tenir bon sur les valeurs, pratiquer l’art de l’illusion plutôt que s’émanciper par la pensée critique, s’abandonner aux fausses sécurités des procédures plutôt que se risquer à l’amour et à la création. Voilà le milieu où prospère l’imposture ! Notre société de la norme, même travestie sous un hédonisme de masse et fardée de publicité tapageuse, fabrique des imposteurs. L’imposteur est un authentique martyr de notre environnement social, maître de l’opinion, éponge vivante des valeurs de son temps, fétichiste des modes et des formes.


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      « Là où le monde se change en simples images, les images deviennent des êtres réels et les motivations d’un comportement hypnotique. Le spectacle est le contraire du dialogue »  – Guy Debord.

     « Nous avons remplacé le dialogue par le communiqué. »  –  Albert Camus.

L’imposteur vit à crédit, au crédit de l’Autre.

     Soeur siamoise du conformisme, l’imposture est parmi nous. Elle emprunte la froide logique des instruments de gestion et de procédure, les combines de papier et les escroqueries des algorithmes, les usurpations de crédits, les expertises mensongères et l’hypocrisie des bons sentiments. De cette civilisation du faux-semblant, notre démocratie de caméléons est malade, enfermée dans ses normes et propulsée dans l’enfer d’un monde qui tourne à vide. Seules l’ambition de la culture et l’audace de la liberté partagée nous permettraient de créer l’avenir. »


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     Roland Gori est psychanalyste à Marseille et professeur de psychologie et de psychopathologie cliniques à l’université d’Aix-Marseille 1. Il est l’auteur de nombreux ouvrages de psychanalyse. Fils unique d’un père d’origine toscane «hyperdoué», chef des services techniques sur le port de Marseille et communiste militant, et d’une mère catholique dont le cœur penche à droite, il grandit entre crucifix et volonté d’apprendre, heureux et choyé sous l’ombre portée de la guerre, dans une atmosphère à la Cavanna des Ritals. Ses parents sont pourtant tous deux marqués par le deuil, l’un ayant perdu son père à l’âge de neuf ans, l’autre sa sœur jumelle. Leur tristesse laisse sur lui une empreinte qu’il estime bienfaisante . Après une enfance de rêve, les choses se gâtent à l’entrée au lycée où son «étrangeté» de fils du peuple s’affronte aux moqueries de la bourgeoisie. Sauf que Roland, lui, s’en sort en fréquentant des petites bandes de quartier qui renforcent son goût du collectif. Contre son père, qui le rêve ingénieur, il abandonne la filière scientifique et passe un bac philo. Puis il enchaîne les petits boulots, fait des remplacements d’instituteur.
     Monté à Paris il effectue sa première année de thèse avec Didier Anzieu et assiste à Nanterre aux événements de Mai 68. C’est pourtant à cette époque que, psychothérapeute, il entreprend une psychanalyse afin de mieux comprendre ses patients.
     De retour dans le Sud, il enseigne comme assistant puis maître-assistant à Aix et Montpellier et commence une longue carrière d’expert universitaire. Dès 1990, il s’alarme de la « philosophie de la rentabilité » qui, au nom des valeurs perdues, prône l’Evaluation et défigure la science, préparant la descente aux enfers de la psychanalyse. Avec Pierre Fédida et Elisabeth Roudinesco, il organise la riposte et sera très actif lors de l’amendement Accoyer. En 1996, il publie un traité d’épistémologie de la psychanalyse, la Preuve par la parole, et en 2002, Logique des passions, son livre le plus personnel, « la livre de chair » de son parcours existentiel, sans doute induit par sa rencontre avec Marie-José Del Volgo et l’amour.
(Présentation retouchée de Camille Laurent, écrivain, à partir des sources Wikipedia et Libération dans Babelio, citations et extraits, c’est ICI)


Beauté convulsive


Paul Valery (1871-1945)

  « Invente les effets de quelque créature extrêmement désirée de l’esprit : vu une fois, elle absorberait dans une fixité splendide n’importe quelle pensée pouvant venir après elle.»
                                      Paul Valéry – La Jeune Parque

      Cet article est né de la rencontre entre un texte en prose à la poésie étrange et envoutante tiré de La Jeune Parque de Paul Valéry et de la vidéo d’une créature improbable et merveilleuse qui hante les profondeurs des abysses, l’Architeuthis dux. Avant la vision de cette vidéo, je m’étais efforcé vainement de traduire en sensations et images, les visions ou les pensées oniriques que dans l’attente ou sous l’emprise profonde du sommeil, décrivait avec talent Paul Valéry dans son conte Agathe. Dans la nuit éternelle du plus profond des abysses surgissent soudainement des monstres encore plus terrifiants que ceux qui peuplent les pires cauchemars de Goya et de Füssli. Ils inspirent la terreur mais fascinent aussi parce qu’ils sont tout à la fois puissants et merveilleux, irradiant de la beauté étrange et convulsive qui fascinait André Breton. L’inconscient humain, à l’instar des abysses ténébreuses libère, sous le couvert de l’opacité secrète du sommeil, lui aussi ses monstres et lorsqu’on les désire, ses créatures exquises et fascinantes.

Enki sigle


Beauté convulsive

Paul Valéry, La Jeune Parque (extrait du chapitre « Agathe »)

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                                        Robert Rich Perpetual

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     Plus je pense, plus je pense ; si, peu à peu nouveaux, je vois tous les êtres connus devenir étonnants dans moi-même, et ensuite mieux connus. Tout à coup je les ai conçus lentement ; et, quand ils disparaissent, c’est sans peine.
     Je suis changeant dans l’ombre, dans un lit. Une idée devenue sans commencement, se fait claire, mais fausse, mais pure, puis vide ou immense ou vieille : elle devient même nulle, pour s’élever à l’inattendu et elle amène tout mon esprit
        Mon corps connaît à peine que les masses tranquilles et vagues de ma couche le lèvent : là-dessus ma chair régnant regarde et mélange l’obscurité. Je fixe, j’ébranle, je perd, par le mouvement de mes yeux, quelque centre dans l’espace sans lumière, et rien du groupe noir ne bouge.

      Il en résulte qu’une lueur tout près de moi, paraît.

     Sur le nu ou le velours de l’esprit ou du minuit, elle, de qui je doute, représente pour une faible valeur tardive, toute antérieure clarté; seulement suffisante, elle porte parmi la ténèbre active, un reste léger du jour brillant, pensé, presque pensant. Cette lueur pauvre se transforme en une joue terne et passagère, bientôt physionomie inutile souriant contre moi, prompte, elle-même bue par la noirceur reprenant son éclat.
     C’est mon fond que je touche. A ce nombre de figures spontanées retourne toute invention, soit que recommence, ici, loin de toute grandeur comparable, après un laps indifférent, ayant suivi des chemins toujours perdus, l’être fait pour l’oubli ; ou que reviennent séparés les charmes diurnes et se défasse la constellation de formes du jour général.
       La noirceur imagine encore quelques fragments d’étendue mince, les souffle, et une croupe glaciale de cheval… Ma durée poursuit doucement la destruction d’une suite de semblables foyers, nécessaires dans une région anéantie.

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      Sur cette ombre sans preuve, j’écris comme avec le phosphore, de mourantes formules que je veux; et quand je suis au bout, près de les reprendre, je dois toujours les tracer encore, car elles s’endorment à mesure que je les nourris, avant que je les altère. Si, une fois je les presse et surpasse la mystère de leur mort; que je puisse les retenir en vue suspendues apparentes au-dessus de l’horizon de plusieurs moments, par effort j’ai cru les approfondir, et ne fait que passer enfin à des formes nouvelles dont la liaison avec les premières peut sans cesse être demandée : ce qui mène je ne sais où, infiniment et aussitôt.
     Là, perdu que je suis, mais sans horreur et nouveau mystérieusement, la perte monotone de pensée me prolonge et m’oublie. Ces idoles qui se développent, par une déformation insensible me transportent. Unique, mon étonnement s’éloigne, parmi tant de fantômes qui s’ignorent entre eux.

     A ce moment de moi, je distingue se détruire ce qui pense jusqu’à ce qui pensera. Un rien de temps manque à tous ces instants pour les sauver de la nullité; mais revenant de la profondeur trouvée amère, je m’embarque sur des bois délicieux.
     Alors ressemblerais-je à celui qui dort, si je ne l’imitais point. Je berce ma vérité, je rêve ce que je suis.
     Mes muscles mêlés à leur couche indéfinie, la force paraît une agitation de feuilles par l’air, à peine lue au loin.
     Je commence à appeler « mouvement » tout désir; et uni plus étroitement à l’exécution pure de la pensée, je visite chaque tendance jusqu’à son repos; je ne dessine que ce qui arrive; tout ce que je devine se colore; je suis partout où je serais.

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     Si je veux légèrement, je prononce une action immense, où ne se mélange aucune machine, et qui se déploie sans résistance devant mes moindres inclinations. A cause d’une liberté secrète, qui augmente, telle que je dédaigne la marche, la trace, et le poids particuliers, je délivre en moi-même une source d’agilité fidèle : je ranime toute nuance physique, et je dénoue la nage aux yeux mouillés, l’abondance d’une eau flexible paresse aux pieds fluides dans le plein de l’eau haute… Humain presque debout dans le ressort de la mer; drapé de vaste froid, et que l’entière grandeur presse, jusqu’aux épaules, jusqu’aux oreilles vaines de bruit qui varie; je touche encore l’absence étrange de sol, comme une origine de notions toutes nouvelles; et avec le reste de ma vigueur, je tremble. Ma puissance est désordonnée, ma faiblesse n’est plus la même. Cette facilité incompréhensible qui m’ébranle, me trouble et absorbe les travaux de tout mon corps : une hauteur plus glacée, cachée au-dessous de moi, me cède, et reviendra me boire dans quelque rêve.

     Il ne m’en coûte rien d’appartenir à ces abîmes, assez véritables profondeurs, et assez vains par leur durée, pour que je sente toute leur force, entre deux fois que je connais la mienne. Je réponds à ce grand calme qui m’entoure, par les actes les plus étendus, jusqu’à des monstres de mouvement et de changement. Qu’est-ce qui se renverse avec bonheur, dans le repos, et se détache ? Qui se joue et circule sans habitude, sans origine et sans nom ? QUI interroge ? Le même répond. Le même écrit, efface une même ligne. Ce ne sont que des écritures sous les eaux.
     Une fois que mon pouvoir s’est trompé, je le possède plus que jamais.
     A cette heure qui ne compte pas qu’importe toute mon histoire ? Je la méprise comme un livre. Mais c’est ici l’occasion pure : défaire du souvenir l’ordre mortel, annuler mon expérience, illuminer ce qui fut indifférent, et, par un simple songe nocturne, me déprendre tout à fait, y méconnaître ma propre forme. Tout me semble partiel. Au milieu de cette extension, je gouverne mon esprit vers le hasard, et autre que le dormeur, je m’abandonne clairement.

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                                        Arctica – Annuminas

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   Visibles, déjà, sont toutes transformations, et la certitude infinie, étant infiniment divisée. Les sentiments qui furent graves montrent leur mort uniforme. Absente est l’attente continue de la suite de la connaissance; je n’entends plus le murmure de la profonde, intarissable sibylle qui calcule sans cesse les éléments de l’avenir le plus proche, et qui additionne obscurément les éléments de la durée; au dernier connu le premier inconnu, sans faute, sans retour. C’était une prévision toujours coulante, commençant le nouveau fatal par une intime conséquence de chaque instant, et qui faisait paraître lucide l’ensemble des jours naturels par une imperceptible préparation de leurs changements. Je ne ressens plus la difficulté intérieure. Tout se fait sans étonnement, puisque les ressorts de la surprise sont détendus. Les êtres les plus éloignés se touchent sans que leurs contacts me rendent extraordinaire. Le comprendre n’a plus de proie; et aucune solidité singulière ne marque certaines notions.

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     Cette dérive, différente d’un songe, approche tant que je veux des secrets du sommeil, — sauf que, légère ou fruste, jusqu’en ce clos unique où mes êtres quelconques se consument à l’égal, — entre quelque chose indépendante : le bruit, ou des ondes enveloppant la distance. Au large, se meurt, si je ne la forme, une masse capitale de boue et de feux. […] Invente les effets de quelque créature extrêmement désirée de l’esprit : vu une fois, elle absorberait dans une fixité splendide n’importe quelle pensée pouvant venir après elle.

Paul Valéry, La Jeune Parque (extrait du chapitre « Agathe »)

***

Image associée


Paul Valéry (1871-1945)

     « J’appelle « Agathe » une de ces femmes qui, tout à coup, s’endorment pour plusieurs années. Elles durent ainsi, indéfiniment choses ; et après ce long calme, ou plus apparent que celui de la mort puisqu’aucune dissolution ne l’altère, elles s’éveillent. / Je suppose qu’enfin revenue dans nos habitudes, Agathe se souvienne et parle. Je suppose qu’elle ait rêvé pendant toute la durée de son immense sommeil. »                                           Paul Valéry, (AG, f.10)

 

    Etrange texte auquel Paul Valéry a consacré plusieurs années à la rédaction et qui porte la double appellation d’Agathe et du Manuscrit trouvé dans une cervelle. Ce texte traite de sujets qui ont imprégnés fortement l’œuvre de l’écrivain : le sommeil et le rêve, la conscience et l’intention. C’est entre 1898 et 1901 que la rédaction du texte aurait débuté suivie d’interruptions répétées. En 1898, dans une lettre à son ami Gustave Fourment il fait part de son ambition folle d’appliquer la méthode scientifique pour découvrir les lois qui régissent les phénomènes mentaux : « Il ne serait pas méprisable d’avoir une méthode qui permettrait par exemple de faire régulièrement ou de défaire à propos d’une idée quelconque, le maximum d’associations qu’elle entraîne, d’envisager l’ensemble de ces associations, de savoir jusqu’où on peut dépouiller de ces associations cette idée sans la détruire, sans l’altérer, sans l’empêcher d’être reconnaissable, et de connaître réciproquement le mécanisme existant qui permet d’accrocher toute idée à toute autre suivant 1 ou M chemins, suivant une série d’états plus ou moins longue ». Cette méthode, il pense l’avoir trouvé dans l’élaboration d’un Système basé sur les représentations thermodynamiques et la théorie des équilibres des systèmes chimiques de Gibbs : « Mon idée hardie, neuve, féconde pour moi […] consista, ce qui n’avait jamais été fait, je crois, à considérer pensée, perception, conscience — etc, en bloc comme représentées par un système en transformation — à peu près comme on traitait en physique les phénomènes sous l’aspect énergétique. Cette vue éliminait d’abord les « contenus» de la connaissance; il est clair que quel que soit le rêve que l’on fasse, tous les rêves sont soumis à des conditions d’être des rêves, de ne pas rompre le sommeil. […] J’y ajoutais l’observation si simple du fait essentiel que je baptisai self variance — c’est-à-dire l’instabilité propre, essentielle, de tout ce qui est psychique ; connaissance, pensée sont avant tout des changements ». l’essayiste et écrivain Benoît Peeters dans la biographie qu’il a consacré à Valéry ; Paul Valéry, Une vie, considère que cette recherche anticipe les recherches philosophiques de Wittgenstein et des travaux sur la phénoménologie de Husserl et Merleau-Ponty. Cette tâche démesurée est pleine d’embûche, c’est ainsi que dix jours à peine après la lettre adressée à Gustave Fournier, il écrit à Gide en faisant allusion au conte Agathe qui décrit une femme qui aurait été plongée dans un profond sommeil durant plusieurs années et qui réveillée, décrirait les événements qu’elle a vécu en rêve. : « Un soir de ces derniers jours, je me suis mis chez moi Sub lumine* (à la lumière) , à écrire le début du conte suivant que  je ne finirais jamais car il est trop difficile. » C’est donc dans les pénombres et les silences de la nuit, éclairé par une lumière, que Valéry débute la rédaction de son texte. La nuit offre l’opportunité de se couper du réel et de déployer pleinement son imagination à la lumière de l’intelligence : « Si donc elle a rêvé et rempli sa nuit personnelle […] ; qu’elle dise ce que devient un monde […] où rien n’est régulier, rien n’est dur. C’est un monde qui change à l’écart de la réalité. » Dans ce conte onirique qu’est Agathe, les frontières entre les objets, les états de la matière et les idées sont brouillées et le corps du narrateur s’assimile à l’ombre : « ma chair régnant regarde et mélange l’obscurité » dans un espace créé par « le nu et le velours de l’esprit et du minuit ». Pour Benoît Peeters le sommeil et le rêve sont pour Valéry des états qui permettent l’expérimentation des phénomènes mentaux dans le but de fonder comme le proclamait lui-même Paul Valéry une « psychologie transcendante, imaginaire ». L’altération des images et la submertion de la pensée consciente sous l’effet d’un « immense sommeil » offrirait le moyen d’étudier les phénomènes de dégradation de la conscience et leurs conséquences. Agathe ne sera jamais achevé et Paul Valéry, tirant les leçons de ce semi échec écrira à ce sujet : « Je dis maintenant que le travail sans méthode, […] est un travail inachevé; et qu’il doit ses charmes précisément à cet état inachevé. »

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