Arno Schmidt : « mettre des couleurs à la vie »


Le-coeur-de-pierreArno Schmidt (1914-1979)

Des couleurs à la vie

      Lorsqu’un texte d’Arno Schmidt nous tombe pour la première fois entre les mains, l’idée que cet auteur vit dans un monde d’incohérences et de folie nous vient tout de suite à l’esprit car il semble qu’il n’appréhende pas le monde qui pourtant nous est commun comme vous et moi. Dans son Essai sur le goût publié en 1757, Montesquieu après avoir classé les plaisirs que goûte notre âme en trois catégories : ceux qui relèvent du fond même de notre existence, c’est-à-dire de notre personnalité, ceux qui relèvent des impulsions de notre corps, c’est-à-dire les sentiments et les passions et enfin ceux qui nous sont imposés par les règles de la vie en société, nous délivre une vérité profonde, celle du caractère relatif de notre perception du monde  : « Notre manière d’être est entièrement arbitraire ; nous pouvions avoir été faits comme nous sommes, ou autrement. mais si nous avions été faits autrement, nous verrions autrement ; un organe de plus ou de moins dans notre machine nous aurait fait une autre éloquence, une autre poésie ; une contexture différente des mêmes organes aurait fait encorune autre poésie : par exemple, si la constitution de nos organes nous avait rendus capables d’une plus longue attention, toutes les règles qui proportionnent la disposition du sujet à la mesure de notre attention ne seraient plus ; si nous avions été rendus capables de plus de pénétration, toutes les règles qui sont fondées sur la mesure de notre pénétration tomberaient de même ; enfin toutes les lois établies sur ce que notre machine est d’une certaine façon seraient différentes si notre machine n’était pas de cette façon. » Si l’on se base sur ces critères définis par Montesquieu, il faut croire qu’Arno Schmidt est fait d’une complexion autre que celle du commun des mortels. Dès les premières lignes de son livre Le cœur de pierre qui met en scène les tribulations burlesques d’un collectionneur sans scrupules qui se met en tête de dérober un ouvrage rare dans une bibliothèque de l’Allemagne de l’Est en compagnie de ses logeurs, un chauffeur-routier qui veut en profiter pour exfiltrer sa maîtresse et de sa femme dont il est devenu l’amant, le ton est donné : lorsqu’il arpente les rues d’une ville, le héros du roman ne discerne pas les choses de la même manière que nous, ou plus précisément il les voit, mais métamorphosées, mutées par le prisme déformant de son regard. C’est ainsi que les passants qu’il croise semblent évoluer dans un milieu aquatique telles des créatures anaérobies privées d’oxygène sur un fond d’ « étang d’air » dans lequel des arbres « aquaplantiques » oscillent sous le regard froid de l’oeil chargé d’œillets de sa chaussure gauche… Le décor lui paraît en mouvement : la rue « fait des glissades » devant lui et le « contraint à prendre à droite » respectant en cela la volonté des anciens maçons qui avaient construits tout exprès un « canal de pierre », ceci en présence d’un « cheval éploré qui le regarde à travers des lentilles ». Dans son errance il rencontre « un visage en pelure de patates » dont « la branche grise rameuse s’empare d’une boîte de lait » et dont l’ « orifice-bouche » va souffler « 4 plaquettes de syllabes noires »… On est là à la deuxième page et les 268 pages qui vont suivre sont à l’avenant, toutes chargées de métaphores surréalistes et expressionnistes plus truculentes et féroces les unes que les autres. Alors, fou à lier, Arno Schmidt ? Non, juste un poète révolté qui étouffe sous la lourde chape bien pensante et hypocrite de la restauration morale de l’Allemagne d’après-guerre de l’ère Adenauer et utilise son imagination débordante chargée de dérision pour la faire sauter. Dans l’un de ses texte, il annonce la couleur : les lecteurs sont ceux qui disent toute leur vie « parapluie » pour une chose à la vue de laquelle un écrivain pense « une canne en jupon ». Sous sa plume les choses les plus banales que l’on remarque habituellement à peine et oublie aussitôt, prennent une autre vie et nous captivent en nous racontant avec humour une histoire. Ce faisant Arno Schmidt met des couleurs à la vie, à notre vie.

      Ce livre, sous-titré par l’auteur  « Roman historique de l’an de grâce 1954 » a connu un succès important en Allemagne malgré une critique officielle bien-pensante et haineuse qui se déchaîne, décrivant ses écrits comme  « un attentat haineux contre l’esprit, la langue et l‘homme  — et pour finir, contre Dieu et le christianisme ». 


         Je ne résiste pas à l’envie de vous faire partager une scène de sexe débridée et hilarante à la manière rabelaisienne entre le collectionneur et sa logeuse. C’est sûr, on est très loin de l’amour courtois…

Capture d’écran 2019-10-24 à 13.29.01.pngPicasso – Copulation, estampe de la suite Vollard, 1933

Le cœur de pierre d’Arno Schmidt, extrait.

À l’intérieur, elle attendait déjà à la porte de la cuisine (empocha avec un signe de la tête la clé que je lui tendis sans rien dire ; la Forte, la tendue de peau blanche) dans sa nouvelle blouse-tablier aux plis net et précis, joliment faite et sentant bon le savon.

Elle saisit mes yeux avec les siens : « Je monte avec » annonça-t-elle torpide et rétive.

Devant ma porte : nous nous tirâmes l’un contre l’autre par les haussières de nos bras ; elle saisit ma bouche avec la sienne ; nos cœurs faisaient un barouf d’enfer.

La fille du serpent : nous pétrissions nos peaux tavelées, donnions des coups de klaxons sur de belles bosses et de long renflements, partout : elle était pleine de boucles puissantes, entourées de fentes bées au claquement de langue. (Je pris un sein et le baisotai jusqu’à ce que sa pointe devienne comme un dé à coudre).

Dans le torrent de ses mains : elle secouait en frissonnant un bouchon rose-violet ( tandis que je palpais son désarroi de blanche étendue) : « Vise voir : il miroite littéralement » (and she had the finest fingers for the backlilt between Berwick and Carlisle).

Nous nous bouclâmes ainsi l’un à l’autre à l’aide de bras, nous fixâmes solidement les ventouses (et ses jambes se mirent violemment à la besogne. Bibi partit au grand galop : juché sur elle.

Inondé de soleil : son ventre, ample désert doré ; au travers duquel ma main caravanait (puis patauger, enfoncée jusqu’aux nœuds dans la chaude et sèche végétation : Tombouctou. Se rouler : Bloemfontein). « Dis, qu’est-ce que c’est bien : comme ça, au soleil ! » (murmura-t-elle avec ardeur, fit de ses genoux et seins une sierra, tales of the ragged mountains ; bras et jambes s’écoulèrent ; autour de noires forêts au fond de vallées encaissées).

Gymnastique nue : faire les lettres de l’alphabet : de son corps elle fit un T, un X, un Y ; à genoux un Z (et d’autres aussi toutes neuves, des cyrilliques : les pieds reçurent chacun un nom propre chuchoté ; « Insolence » et le droit « Chenapan ». L’horloge en bas commença à bailler bruyamment ; 2 sons bubons s’envolèrent en râlant l’un derrière l’autre (puis, lors de l’écoulement, ils glissèrent vite l’un sur l’autre; de si fines plaques)).

Son bibi à elle s’agenouilla nu sur la chaise et m’examina (les almanachs d’État aussi) à travers des disques bagués de couleurs : un torse blanc, une main flasque feuilletante. Elle se frotta tendue, à la chien de chasse, l’ongle du pouce contre les dents supérieures : « T’en auras un tous les samedis soirs » décida-t-elle.

Quelle aventure, cette femme !! : elle était plantée là ; nue ; mes almanachs d’État sous le bras (de façon à ce que le sein gauche reposât en partie dessus : sur l’année bleu chaux 1943 !) : en haut un sourire froid, en bas des pantoufles. me présenta cependant d’un air distingué l’épaule droite pour un baiser !. Je tirai ce côté vers moi (en faisant attention ; pour ne pas abîmer les livres !) ; elle inspira tant en tressaillant que sa tête partit en arrière : – – ! –. Puis, vaincue, elle me heurta du front : « Je viens ce soir : pour toute la nuit, dis ! » (Et s’en fut heureuse, touflant avec vigueur).

Arno Schmidt, Le cœur de pierre (Das steinerne Herz, 1956),
Édit. Tristam – Trad. Claude Riehl, pp.77-79

KueheinHalbtrauerPortrait d’Arno Schmidt par Jens Rusch


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Aenne Biermann : quatre portraits de sa fille Helga


Aenne Biermann - Helga

Aenne Biermann – Betrachtung (contemplation), 1930

      Ces quatre portraits de sa fille Helga sont caractéristiques du style photographique d’Aenne Biermann pour le portrait. Cadrage au plus près qui privilégie le sujet et nous projette au plus près de son intimité profonde. Savant dosage des ombres et de la lumière dont le contraste fait vivre le visage. Choix du moment qui dans le déroulé temporel des attitudes et des apparences fait ressortir celle qui sera la plus expressive du cheminement de la pensée ou d’un état d’âme. C’est le désir de fixer sur la pellicule la vie de ses enfants qui a amener Aenne à la photographie et la volonté à cette occasion de capturer en plein vol « le bon moment » et la représentation la plus vraie qui a éveillé son esprit à la technique photographique et a forgé son style. Sa mort précoce lui a épargné les persécutions nazies mais, malheureusement pour nous, pas son œuvre dont la plus grande partie a ensuite été détruite.

65dced537351ec038561b89698319a57    aenne-biermann-mein-kind-(helga-biermann,-la-fille-du-photographe, vers 1931)

My Child 1931 by Aenne Biermann 1893-1933


aenne-biermann-untitled-(self-portrait), vers 1931

    Aenne Biermann est née Anna Sibilla Sternfeld en 1898 dans une famille juive allemande aisée de la ville de Goch près de Clèves à deux pas de la frontière néerlandaise. En 1920 elle épouse Herbert Biermann un marchand de textile grand amateur d’art. Le couple s’installe à Gera, une petite ville de Thuringe qui possède des manufactures de textile et cultive une sensibilité artistique de modernité. De belles villas sont construites pour les entrepreneurs de la ville par des architectes renommés dont Van de Velde et elle est la ville natale du peintre et graveur expressionniste Otto Dix, l’un des fondateurs du courant artistique de la Nouvelle Objectivité. Deux enfants naîtront à Gera de cette union, Helga en 1921 et Gershon en 1923. Autodidacte, c’est en photographiant ses enfants que la jeune femme va développer une passion pour la photographie, rompant avec le style conventionnel du portrait et, influencée par la « Nouvelle Objectivité », un mouvement artistique d’avant-garde de la République de Weimar,  va porter son intérêt sur la représentation d’architectures géométriques et de natures mortes : minéraux, matériaux, plantes, objets du quotidien. À partir de 1926, elle va connaître une certaine notoriété; ses œuvres sont exposées dans plusieurs manifestations en Allemagne, en Suisse et en Belgique et des publications lui seront dédiées. Aenne Biermann ne connaîtra pas les exactions nazies contre les juifs; elle décède des suites d’une maladie du foi en janvier 1933 quelques jours avant la prise de pouvoir d’Hitler. Quelques mois plus tard, son mari et ses deux enfants émigreront en Palestine emportant avec eux 3.000 négatifs de ces œuvres qui seront malheureusement confisqués lors du passage de la frontière à Trieste et renvoyés en Allemagne. On ne retrouvera jamais leur trace.

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Aenne Biermann – autoportrait avec monocle


Das Lied vom Surabaya Johnny par Lotte Lenya


Lotte Lenya : Das Lied vom Surabaya Johnny

       Surabaya Song est avec Bilbao Song la chanson la plus célèbre tirée de Happy End, une comédie musicale crée par Kurt Weill, Elisabeth Hauptmann et Bertold Brecht en septembre 1929 à Berlin. N’ayant pas recueilli le succès escompté, elle sera retirée de l’affiche après seulement sept représentations mais sera montée à Broadway en 1977 où elle sera présentée 75 fois. la chanson a été interprétée par de nombreux chanteurs.

Das Lied vom Surabaya Johnny

Ich war jung, Gott, erst sechzehn Jahre                        J’étais jeune, dix-sept ans, une môme
Du kamest von Birma herauf                                          Je t’ai vu, t’arrivais d’Birmanie
Und sagtest, ich solle mit dir gehen                               Tu disais qu’il fallait que j’te suive
Du kämest für alles auf                                                    Tu disais «T’auras pas d’soucis»
Ich fragte nach deiner Stellung                                       J’ t’ai demandé c’que tu faisais dans la vie
Du sagtest, so wahr ich hier steh                                    Tu m’as dit, aussi vrai que j’suis là
Du hättest zu tun mit der Eisenbahn                             Je travaille quelque part aux chemins d’fer
Und nichts zu tun mit der See                                         Et je n’ai rien à fiche sur la mer
Du sagtest viel, Johnny                                                     Tu parlais trop, Johnny
Kein Wort war wahr, Johnny                                          Tout était faux, Johnny
Du hast mich betrogen,Johnny, in der ersten Stund  Dés l’premier mot, Johnny, tu m’as trompée
Ich hasse dich so, Johnny                                                 Ah, c’que j’te hais, johnny
Wie du da stehst und grinst, Johnny                             Quand t’es là qui ricanes, Johnny
                                                                                               Tu retires cette pipe de ta grande gueule ?
                                                                                               Ordure !
 
Surabaya-Johnny, warum bist du so roh ?                   Surabaya Johnny, pourquoi t’es si méchant ?
Surabaya-Johnny, mein Gott, ich liebe dich so.           Surabaya Johnny, Bon Dieu! Et moi qui t’aime tant
Surabaya-Johnny, warum bin ich nicht froh ?            Surabaya Johnny, pourquoi je souffre tant ?
Du hast kein Herz, Johnny, und ich liebe dich so.      T’as pas d’cœur, Johnny, et moi qui t’aime tant
 
Zuerst war es immer Sonntag                                         Y avait sept dimanches par semaine
So lang, bis ich mitging, mit dir                                      Au début quand j’te connaissais pas
Aber schon nach zwei Wochen                                       Mais au bout de quinze jours à peine
War dir nichts mehr recht an mir                                  Y’a plus rien qui t’plaisait en moi
Hinauf und hinab auf den Pandschab                          Qu’il est long le chemin jusqu’au Punjab
Den Fluß entlang bis zur See.                                          De la source du fleuve à la mer
Ich sehe schon aus im Spiegel                                         J’ose même plus me regarder dans une glace
Wie eine Vierzigjährige                                                    J’ai déjà l’air d’une vieille rombière
Du wolltest nicht Liebe, Johnny                                      Il t’fallait pas d’amour, Johnny
Du wolltest Geld, Johnny                                                  Il t’fallait du fric, Johnny
Ich aber sah, Johnny, nur auf deinen Mund                Moi, bonne idiote, je n’voyais plus qu’ta bouche
Du verlangtest alles, Johnny                                            Tu as tout exigé, Johnny
Ich gab dir mehr, Johnny                                                 Et j’en ai remis, Johnny
                                                                                               Tu retires cette pipe de ta grande gueule ?
                                                                                               Ordure !
 
Surabaya-Johnny, warum bist du so roh?                    Surabaya Johnny, pourquoi t’es si méchant ?
Surabaya-Johnny, mein Gott, ich liebe dich so.          Surabaya Johnny, Bon Dieu! Et moi qui t’aime tant
Surabaya-Johnny, warum bin ich nicht froh ?            Surabaya Johnny, pourquoi je souffre tant ?
Du hast kein Herz, Johnny, und ich liebe dich so.      T’as pas d’cœur, Johnny, et moi qui t’aime tant
 
Ich habe es nicht beachtet                                               J’ai jamais bien cherché au juste
Warum du den Namen hast                                            Où t’avais pu trouver c’nom-là
Aber auf der ganzen langen Küste                                Mais du haut jusqu’en bas de la côte
Warst du ein bekannter Gast                                          Y’avait pas d’client plus connu que toi
Eines morgens in einem Sixpencebett                          Un beau jour, dans un lit à cent balles
Werd ich donnern hören die See                                    J’entendrai le tonnerre de la mer
Und du gehst, ohne etwas zu sagen                               Et voilà qu’tu t’en vas sans rien dire
Und dein Schiff liegt unten am Kai                                Ton bateau est à l’ancre en bas
Du hast kein Herz, Johnny                                               Tu n’as pas d’cœur, Johnny
Du bist ein Schuft, Johnny                                                T’es un salaud, Johnny
Du gehst jetzt weg, Johnny, sag mir den Grund          Voilà qu’tu pars, Johnny, sans dire pourquoi
Ich liebe dich doch, Johnny                                             Mais moi, je t’aime, Johnny
Wie am ersten Tag, Johnny                                             Comme au premier jour
Nimm die Pfeife aus dem Maul                                      Johnny, tu la retire cette pipe de ta grande gueule ?
Du Hund.                                                                             Ordure !
 
Surabaya-Johnny, warum bist du so roh?                    Surabaya Johnny, pourquoi t’es si méchant ?
Surabaya-Johnny, mein Gott, ich liebe dich so.          Surabaya Johnny, Bon Dieu! Et moi qui t’aime tant
Surabaya-Johnny, warum bin ich nicht froh?             Surabaya Johnny, pourquoi je souffre tant ?
Du hast kein Herz, Johnny, und ich liebe dich so.      T’as pas d’cœur, Johnny, et moi qui t’aime tant

Johnny !                                                                               Johnny !


Lotte_Lenya.jpgLotte Lenya est une chanteuse et actrice autrichienne née à Vienne en 1898, naturalisée américaine. Elle avait épousé le compositeur allemand Kurt Weill, collaborateur de Bertold Brecht, en 1927 mais le couple avait du quitter l’Allemagne à cause des origine juives de celui-ci et de ses sympathies communistes. Ses œuvres avaient fait l’objet d’un autodafé  organisé par les nazis. Après un séjour à Paris, ils émigrent à New York où ils poursuivent leurs carrières respectives. Au décès de Kurt en 1950, Lotte poursuit une carrière de chanteuse et d’actrice jusqu’à sa mort d’un cancer en 1981.


 

dialogue inter-Net : Pas touche au coq gaulois ! (Attention : écrit politiquement hautement incorrect)

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Gérard de Lairesse - Allegorie de la Liberté du commerce, 1672

     « La guerre et le commerce ne sont que deux moyens différents d’atteindre le même but : celui de posséder ce que l’on désire. Le commerce n’est qu’un hommage rendu à la force du possesseur par l’aspirant à la possession. C’est une tentative pour obtenir de gré à gré ce qu’on n’espère plus conquérir par la violence. Un homme qui serait toujours le plus fort n’aurait jamais l’idée du commerce. C’est l’expérience qui, en lui prouvant que la guerre, c’est-à-dire l’emploi de sa force contre la force d’autrui, l’expose à diverses résistances et à divers échecs, le porte à recourir au commerce, c’est-à-dire à un moyen plus doux et plus sûr d’engager l’intérêt d’un autre à consentir à ce qui convient à son intérêt. La guerre est l’impulsion, le commerce est le calcul.  ».   (B. Constant, 1815)     Allégorie de la Liberté du commerce
        Gérard de Lairesse, 1672.

    J’ai bien conscience que cet article est politiquement incorrect, qu’il va être taxé de faute absolue, que l’on va m’accuser d’anti-germanisme primaire, de vouloir réveiller les vieux démons qui ont conduit par deux fois l’Europe à la catastrophe mais on sait également depuis Freud qu’un conflit condamné à l’intériorisation par des préjugés ou un tabou induit des conséquences néfastes sur notre équilibre mental et qu’il est préférable de s’en libérer par la parole ou par l’écrit. Quel est mon problème avec l’Allemagne ? Je dois dire que j’en ai vraiment plus qu’assez d’une certaine arrogance allemande qui s’exprime sur les plans économique et diplomatique et sur les médias par l’intermédiaire de la publicité. Sur le plan économique, OK ! Reconnaissons-le, l’Allemagne apparaît exemplaire : paix sociale, industrie performante, balance des paiements largement bénéficiaire, excédent budgétaire mais ces bons chiffres sont en grande partie la résultante d’une politique de recherche de compétitivité forcenée sur le dos de ses partenaires européens et de la France en particulier.  De 1998 à 2010, le pouvoir d’achat de chaque salarié avait baissé de 1% en Allemagne alors qu’il avait progressé de 18% en France ce qui a eu pour effet de faire passer le pourcentage de travailleurs pauvres dans ce pays (l’Allemagne) de 8% à 10% (Alternatives économiques – Gilles Raveaud, avril 2014). Cette « déflation salariale » a permis d’améliorer la compétitivité de l’Allemagne et maintenir l’emploi au détriment de ses partenaires mais en même temps cette politique a eu pour effet de déprimer sa consommation intérieure ainsi que celle du reste de l’Europe car la plupart des pays européens ont été contraints de procéder à la même politique que l’Allemagne pour rééquilibrer leur compétitivité et redresser leurs exportations, amorçant ainsi une spirale de déflation salariale et économique dont l’Europe n’est toujours pas sortie et qui est l’une des causes du marasme actuel. On sait également que l’actuelle perte de compétitivité de l’agriculture française par rapport à l’agriculture allemande résulte pour une part d’un coût salarial inférieur en Allemagne dû au fait que les travailleurs agricoles émigrés dans ce pays sont rémunérés aux conditions de leur pays d’origine ce qui n’est pas le cas en France. Alors, un exemple de l’éternelle fable de la cigale et de la fourmi ? Non, car le monde ne peut être constitué que de fourmis  : « Si tout le monde mène la politique allemande centrée sur les exportations, il n’y aura plus personne pour acheter celle des autres. Dans le commerce mondial, il ne peut y avoir plus d’excédents que de déficits : la Terre ne peut pas encore exporter vers la Lune ! »  (L’Allemagne, modèle ou repoussoir – Le point économie). Alors, oui, succès sur toute la ligne pour l’Allemagne mais au détriment de ses partenaires car les excédents qu’elle accumule provoquent les déficits de ceux-ci.
     Alors, dans ces conditions, le déferlement des publicités des marques allemandes vantant la supériorité du made in Germany telle la publicité « Das Auto » de Wolkswagen (on sait ce qu’il en est réellement depuis la révélation du scandale des moteurs truqués) ou « Deutsch Qualität » de la marque OPEL qui met en scène un bellâtre arrogant a de quoi énerver. De plus j’ai un compte personnel à régler avec une marque allemande de machine à laver pour un modèle que j’avais acheté fort cher (la fameuse « Deutsch Qualität ») et qui m’a lâché…

OPEL - Deutsch Qualität

      D’où, pour me défouler, le pamphlet cocardier qui va suivre, de totale mauvaise foi, je l’admets bien volontiers. Ce qui est dommage c’est que c’est un écrit de Günther Anders qui a servi de prétexte à ce défoulement. Ce penseur et essayiste autrichien d’origine allemande a souffert en Allemagne, en tant que juif, de l’antisémitisme et a du s’exiler en France puis aux Etats-Unis et ne peut donc être accusé de nationalisme. De retour en Europe en 1950, il refusera d’ailleurs de retourner en Allemagne de l’Ouest, préférant s’installer pour un temps en RDA, puis en Autriche. Il deviendra en 1968 membre du Tribunal Russell sur les crimes contre l’humanité.

     Une dernière mise au point : que cet article ne vous empêche surtout pas de lire Günther Anders

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Article d’origine :  « Le poulet éternellement picorant » du blog Nana Marton, Une dans l’Ain, (c’est  ICI) dans lequel elle écrit « J‘ai noté, il y a un certain temps, de lire Günther Anders, philosophe allemand disparu en 1992 qui dénonce le péril nucléaire. Je n’ai pas encore pris le temps de le faire. Et voilà que je tombe sur un extrait de Sténogrammes philosophiques, ouvrage qui rassemble ses pensées au fil de la plume.
Je vais, de ce pas, lire Günther Anders. »

Illustration Joseph Crawhall - Spanish Cock and Snail.jpg

      « Que nos repas désignent des temps dévolus à notre restauration est le signe de notre humanité. Car entre les repas se déploie le temps libre de toute consommation et le vaste horizon du monde non consommable, le territoire de l’absence, de ce qu’on ne peut contempler, envisager, le territoire du possible – bref : le monde de l’esprit. Vraiment ? Aujourd’hui encore ? Guère. Car la tendance pointe vers une consommation ininterrompue, vers une existence vers laquelle sans cesse nous consommons comme nous respirons : sans cesse nous mâchons du chewing-gum ; sans cesse, nous écoutons la radio. Et comme il n’est rien qui ne devienne produit de consommation, la substitution d’un produit par un autre garantit la non-interruption de la consommation. Une situation animale. Non, la situation des animaux les plus vulgaires. Pas celle des animaux qui embrassent l’horizon, du regard ou en le survolant, afin d’atteindre leurs proies. L’horizon de ceux-ci est encore vaste ; leur temps, dans sa plus grande partie, libre de consommation. Mais celle du poulet, éternellement picorant. »

Günther Anders, Sténogrammes philosophiques, Fario

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Aigle et coq

     « Quoi ! Qu’est-ce qu’il avait contre les poulets, Günther Anders ? Pourquoi les méprisait-il ? Ne perçevait-il pas les conséquences de la comparaison qu’il établissait entre les poulets vulgaires qui picorent et les animaux nobles qui « embrassent l’horizon du regard ou en le survolant, afin d’atteindre leurs proies. » Voilà une position bien maladroite. Aurait-il voulu opposer l’aigle germanique au coq gaulois qu’il ne s’y serait pas pris autrement. C’est y pas malheureux après trois siècles de guerres franco-allemandes dont deux mondiales ! D’abord, le poulet, s’il picore, c’est parce qu’il mange avec mesure et humilité alors que tout le monde l’aura remarqué, l’aigle baffre de manière brutale et sanguinaire… Et pourquoi pensait-il, ce Günther Anders, que l’on est idiot lorsque l’on picore ? Contrairement à l’aigle tout entier absorbé par la traque, la capture, le transport puis le déchiquetage et l’ingurgitation de ses proies, le poulet, en picorant, a tout le loisir de penser et réfléchir, lui… Oui, Monsieur Anders, de penser et réfléchir, car le picorage est un automatisme qui loin de brider la pensée, la libère et lui permet de se projeter et de s’épanouir. Et lui, Günther Anders, n’avait-il jamais lu son journal au petit déjeuner et, entre deux brötchen, parlé philosophie ou commenté l’actualité ? Et puis, d’après lui, que fait un animal soi-disant noble comme est réputé être l’aigle germanique, entre deux agapes ? Il pratique la poésie ou la philosophie peut-être ? à moins que par inclination romantique, il admire le paysage et médite sur celui-ci ? Non, Monsieur Anders, entre deux agapes, l’aigle germanique n’a qu’une seule activité : rechercher et traquer d’autres proies car son appétit est insatiable et il ne pense qu’à baffrer, cet animal là ! Et lorsque l’on est tenaillé par la faim et que l’on traque, on est tout entier obsédé et absorbé par cette tâche, on n’a pas le temps de penser, Monsieur Anders ! Et puis, Monsieur Anders, toujours lors de votre frühstück, lorsque vous trempiez vos mouillettes dans votre  œuf à la coque, c’était un œuf d’Aigle Impérial, peut-être ?  Alors, s’il vous plait, un peu moins de condescendance et faites preuve de respect pour les gallinacés. »

Enki sigle

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J-D Echenard - Coq Brahma perdrix doré

Coq Brahma perdrix doré  (J-D Echenard)

Le coq gaulois 

       Le choix du coq comme « emblème » de la France fait référence aux origines gauloises de ce pays en jouant sur le jeu de mot latin gallus (coq) et Gallus (Gaulois), comme le faisait remarquer l’auteur latin Suétone. Il faut néanmoins souligner que malgré son utilisation  comme symbole de la France, il n’a jamais été choisi comme symbole officiel de la République française. C’est à partir de l’époque de la Renaissance que le coq commence à symboliser le roi de France, puis son royaume. Il figure, en même temps que la fleur de Lys, sur de nombreux emblèmes officiels de rois de France des dynasties des Valois et des Bourbons. La Révolution le met à l’honneur comme symbole de la Vigilance et du Travail et il est souvent représenté coiffé d’un bonnet phrygien. Napoléon Ier lui préférera l’aigle impérial car « le coq n’a point de force, il ne peut être l’image d’un empire tel que la France« .  L’avènement de la monarchie de Juillet marquera son retour et plus tard, au cours des IIIe, IVe et Ve Républiques le coq gaulois ornera occasionnellement les timbres, les pièces de monnaie en franc. Lors de la Première guerre mondiale, le coq sert la propagande officielle, notamment par le biais d’affiche, se dressant en rempart et en veilleur courageux face à la menace allemande. A la fin du conflit, il orne de nombreux monuments aux morts. Créé par décret en 1951, l’insigne officiel des maires aux couleurs nationales est conforme au modèle ci-après: « Sur un fond d’émail bleu, blanc et rouge portant + MAIRE + sur le blanc et + R.F.+ sur le bleu; entouré de deux rameaux de sinople, d’olivier à dextre et de chêne à senestre, le tout brochant sur un faisceau de licteur d’argent sommé d’une tête de coq d’or barbée et crêtée de gueules« .

Pour une histoire plus complète du coq gaulois, regarder  ICI

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articles liés

  • un article de Max Gallo de l’Académie française : Deutsche Qualität, c’est  ICI

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Une anecdote sur les « coqs humains » de la cour d’Angleterre

      La fascination pour les monstres animaux et humains existait dans le Bas-empire romain et un commerce florissant avait cours après la « fabrication » de monstres humains à partir d’enfants confiés à des nourrices très spéciales par des marchands sans scrupules. Cette fascination s’est perpétuée en Europe jusqu’au XVIIe siècle. Le roman de Victor Hugo, « L’Homme qui rit » conte l’histoire d’un jeune homme qui a été défiguré enfant pour arborer un sourire permanent. Des tribus nomades originaires de l’Inde qui avaient émigré en Europe portant le nom de Dacianos avaient la réputation de fabriquer des monstres et fournissaient à la cour d’Angleterre des « coqs humains » qui après une intervention mutilante sur le larynx, ayant perdu l’usage de la parole, ne pouvaient s’exprimer que par des sons gutturaux ressemblant au chant du coq. Les « coqs humains » avaient charge à la cour de chanter l’avènement de chaque heure et étaient rétribués pour cette tâche. Cette horrible tradition qui remontait au début du Moyen Âge a perduré jusqu’au règne du roi George II (1683-1760) qui y mit un terme non sans avoir fait exécuter le coq.
     L’histoire ne dit pas pourquoi ce pauvre personnage aurait été exécuté. Peut-être avait-il manqué une heure faisant un rendez-vous à son illustre maître ? Ou bien avait-il troublé trop tôt son sommeil…

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L’arme secrète de l’Allemagne pour faire payer les grecs…

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les Wildecker Herzbuben :  Der Alte Häuptling der Indianer (le vieux chef des indiens)

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Nina Hagen – Diva de la dér(a)ision

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Naturträne (Rockpalast), 1978

    Qu’est devenue Nina Hagen, la Diva punk de la dérision et de la déraison des années soixante dix, Lady Gaga avant l’heure, missile à fragmentation multiple tiré par la RDA pour déstabiliser l’Europe de l’Ouest par les ondes sonores insupportables qu’elle émettait et provoquer la nausée avec ses contorsions faciales et ses maquillages du mauvais goût le plus extrême. Aux dernières nouvelles, la belle-fille du chanteur Wolf Biermann qui avait suivi à l’ouest ses parents déchus de leur nationalité est-allemande (on comprend pourquoi la famille avait été expulsée en l’entendant chanter…) se serait convertie au christianisme, tendance protestante et continue à chanter (chanter : Est-ce bien le mot à employer ?). Finalement, le régime est-allemand ne devait pas être si mauvais que ça pour avoir permis l’éclosion d’un tel talent…

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