Una furtiva lagrima Negli occhi suoi spunto: Quelle festose giovani Invidiar sembro. Che piu cercando io vo? Che piu cercando io vo? M’ama! Sì, m’ama, lo vedo, lo vedo. Un solo instante i palpiti Del suo bel cor sentir! I miei sospir, confondere Per poco a’ suoi sospir! I palpiti, i palpiti sentir, Confondere i miei coi suoi sospir Cielo, si puo morir! Di piu non chiedo, non chiedo. Ah! Cielo, si puo, si puo morir, Di piu non chiedo, non chiedo. Si puo morir, si puo morir d’amor.
Chanson « Caruso » par Lucio Dalla
Ici ou la mer et le vent hurlent Sur une vieille terrasse devant le golf de Surriento Un homme embrasse une femme qui avait pleuré Puis s’éclaircit la voix et recommence le chant
Je t’aime beaucoup Énormément tu sais C’est une chaine désormais Qui chauffe le sang dans tes veines, tu sais
Il vît les lumières au milieu de la mer Il pensa aux nuits en Amérique Mais c’étaient seulement les lumières et le sillage blanc d’une hélice
Il ressentit la douleur dans la musique, s’élever du piano Mais quand il vît la lune dévoilée par un nuage Même le mort lui sembla plus douce
Il regarda dans les yeux la fille aux yeux verts comme La mer Puis soudainement une larme coula et lui a cru s’étouffer
Je t’aime beaucoup Énormément tu sais C’est une chaine qui désormais Chauffe le sang dans tes veines, tu sais
Puissante passion ou chaque drame est un faux Qu’avec un peu de maquillage et avec la mimique tu peux devenir un autre Mais deux yeux qui te regardent aussi profondément Te font oublier les paroles qui troublent nos pensées
Ainsi tout devient petit, même les nuits en Amérique Tu te tournes et tu vois ta vie comme le sillage d’une hélice Mais si c’est la vie qui finie alors lui n’y pensa plus autant Bien au contraire il se sentait déjà heureux et continua sa chanson
Je t’aime beaucoup Énormément tu sais C’est une chaine désormais Qui chauffe le sang dans tes veines tu sais.
Kathleen Mary Ferrier est une extraordinaire contralto anglaise qui a acquis une renommée internationale grâce à la scène, aux concerts et à ses enregistrements. Son répertoire s’étendait de la chanson folklorique et de la ballade populaire aux œuvres classiques de Bach, de Brahms, de Mahler et d’Elgar. Sa mort, le 8 octobre 1953, causée au sommet de sa gloire par un cancer, a consterné le monde de la musique et le grand public, qui ne connaissait pas la nature de la maladie. Voici ce qu’en disait l’artiste photographe Isabelle Françaix, dans une présentation de la chanteuse :
« Kathleen Ferrier, dont la brève carrière a suffi cependant à marquer profondément les âmes, dont la voix pure, lumineuse et ample rayonne aujourd’hui encore sur ceux qui la découvrent, dont la « présence » bouleversante est plus forte encore que le tragique souvenir de son « destin d’artiste » brisé par un cancer décelé trop tard. »
Parmi les âmes marquées profondément par cette présence exceptionnelle figurent celles de deux hommes de lettres : le poète Yves Bonnefoy qui lui consacra un poème cinq années après sa mort en 1958 et un jeune auteur de 22 ans, Benoît Mailliet Le Penven qui écrivit en 1997 « la voix de Kathleen Ferrier » un livre qui est un véritable essai amoureux pour celle qu’il avait découvert à l’âge de 15 ans en l’écoutant interpréter Mahler et Brahms :
« Cette découverte fut un choc véritablement physique (frissons par vagues, souffle coupé, yeux brûlants). Je voyais poindre déjà le sens renouvelé du beau, de la pure émotion esthétique. Le chant grégorien, le Clavier bien tempéré, les Variations Goldberg et l’Art de la fugue, les chorals de Buxtehude… tel avait été l’univers musical de mon enfance, qui avait eu cette clarté égale, harmonieuse et méditative que prend la lumière d’une après-midi d’été dans une église romane du Val-de-Loire : la voix de Kathleen Ferrier en modifiait soudain la perspective et la profondeur, y apportant une luminosité nouvelle en même temps qu’une sorte de ténèbres. » et encore : « Je crois aux rencontres, aux intercesseurs : Kathleen Ferrier fut pour moi l’un et l’autre. Après cette rencontre, je m’attachai à mieux connaître l’être dont la voix avait chanté en moi comme un appel de l’autre rive. »
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Kathleen Ferrier – « Ich bin der Welt abhanden gekommen » (Mahler: Rückert-Lieder n°3) – Bruno Walter – Wienr Philharmoniker.
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Les Rückert-Lieder sont cinq chants pour voix et orchestre composés par Gustav Mahler en 1901 et 1902. Ils furent créés à Vienne en 1905. Les poèmes sont extraits d’œuvres de Friedrich Rückert.
Les cinq chants sont (par ordre chronologique de composition) :
Blicke mir nicht in die Lieder
Ich atmet’ einen linden Duft
Ich bin der Welt abhanden gekommen
Um Mitternacht
Liebst du um Schönheit
Ich bin der Welt abhanden gekommen, (Je me suis retiré du monde) – (chant 3)
Pureté et transcendance
Nous avons trouvé sur un site consacré à Malher (c’est ICI) une présentation lumineuse de cette musique de Malher et l’admirable lied de Ruckert en allemand et dans sa traduction française. Nous vous les livrons tels quels :
« Selon les termes de John Williamson, ce poème est une « peinture étonnamment épurée d’une paix transcendante ». Et c’est bien sur la transcendance de ce monde isolé, paisible et solitaire, inoffensif et tranquille, que Mahler insiste avec une musique extrêmement méditative, bouleversante d’émotions, douée d’une portée quasi métaphysique. La description de cette dimension extra-ordinaire d’un paradis littéralement coupé du monde se fond tout naturellement dans cette suite de sons majestueusement assemblée par le génie créatif de Mahler ; Mahler fait bien plus que transposer des mots en sons, car il y intègre une amplification épique des émotions que délivre le texte de Rückert, surtout dans la partie finale du chant, où « la vision tout entière doit être résumée dans une libération émotionnelle sous les mots ‘In meinem Lieben’, chantés pianissimo : un sommet d’intensité retenue » (Williamson). Là où l’émotion est à son comble se trouve pourtant à mon avis sur la note instable, fragile et très aigüe et surtout très inattendue jouée pianissimo tout à la fin. Cette note surgit de façon extraordinaire, très doucement, et crée la surprise car on se demande vraiment comment une retenue musicale aussi magique est possible. Cette note trouve pourtant sa place dans la suite logique de la mélodie développée par Mahler, mais on se demande vraiment comment il est possible de l’atteindre tellement elle constitue un sommet émotionnel des plus éloignés… »
Ich bin der Welt abhangen gekommen,Me voilà coupé du monde mir der ich sonst viele Zeit verdorben,dans lequel je n’ai que trop perdu mon temps; sie hat so lange nichts von mir vernommen,il n’a depuis longtemps plus rien entendu de moi, sie mag wohl glauben, ich sei gestorben !il peut bien croire que je suis mort !
Es ist mir auch gar nichts daran gelegen,Et peu importe, à vrai dire, ob sie mich für gestorben hält,si je passe pour mort à ses yeux. ich kann auch gar nichts sagen dagegen,Et je n’ai rien à y redire, denn wirklich bin ich gestorben der Welt.car il est vrai que je suis mort au monde.
Ich bin gestorben dem Weltgetümmel,Je suis mort au monde et à son tumulte und ruh in einem stillen Gebiet.et je repose dans un coin tranquille. Ich leb allein in meinem HimmelJe vis solitaire dans mon ciel, in meinem Lieben, in meinem Lieddans mon amour, dans mon chant.
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A la voix de Kathleen Ferrier
Toute douceur toute ironie se rassemblaient Pour un adieu de cristal et de brume, Les coups profonds du fer faisaient presque silence, La lumière du glaive s’était voilée.
Je célèbre la voix mêlée de couleur grise Qui hésite aux lointains du chant qui s’est perdu Comme si au delà de toute forme pure Tremblât un autre chant et le seul absolu.
Ô lumière et néant de lumière, ô larmes Souriantes plus haut que l’angoisse ou l’espoir, Ô cygne, lieu réel dans l’irréelle eau sombre, Ô source, quand ce fut profondément le soir !
Il semble que tu connaisses les deux rives, L’extrême joie et l’extrême douleur. Là-bas, parmi ces roseaux gris dans la lumière, Il semble que tu puises de l’éternel.
Yves Bonnefoy, extrait de Hier régnant désert, Mercure de de France 1959, c1958.
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Yves Bonnefoy
Vincent Vivès dans un chapitre de son Essai-commentaire sur « Poèmes » d’Yves Bonnefoy (Folio-Gallimard, 2010) a analysé ce poème dédié par celui-ci à la cantatrice (Une voix : Kathleen Ferrier, p. 138)
Vincent Vivès
« Coprésence des mots et du corps, la voix est de nature dialectique. Cette nature essentiellement dialectique de la voix, le poète la nomme ironie. Ironie est à prendre ici au sens fort que les romantiques lui donnaient, de Schlegel à Baudelaire : conscience écartelée dans les contraires. Ainsi est le poème « la voix de Kathleene Ferrier », voix où « toute douceur toute ironie se rassemblaient » (Hier, p.159). Voix « mêlée de couleur grise« , c’est-à-dire où le blanc et le noir s’interpénètrent, mais aussi lieu de compénétration de la couleur et du timbre. Voix qui connait « les deux rives » que sont « L’extrême joie et l’extrême douleur ». La voix-cri de Douve n’engageait rien qu’elle-même et se refermait sans avoir touché rien d’autre que l’inanité de toute parole. La voix éthique délaisse l’allégorie stérile et s’incarne dans la personne de la contralto anglaise morte prématurément d’un cancer en 1953 (date, rappelons-le de la publication de Douve). La célèbre cantatrice s’était fait connaître dans une trop courte carrière en interprétant Gluck (Orphée et Eurydice) et Gustav Mahler (Kindertotenlieder, Das Lied der Erde). Il est fort intéressant de comprendre comment la voix de Kathleen Ferrier est caractérisée dans le poème qui lui est dédié : Yves Bonnefoy en effet y indique une esthétique ainsi qu’une éthique qui font fi de la transposition d’art. (…) L’univers musical d’Yves Bonnefoy est fondé sur l’intensité révélée par le rythme et le timbre. Ce sont deux éléments que nous retrouvons dans le poème. Mais chose surprenante au premier abord si l’on se réfère à l’objet qu’est la voix (et particulièrement dans le contexte du chant lyrique de tradition savante), le poète ne s’arrête à aucun moment sur la tessiture de la voix. Rythme et timbre sont pour lui pertinents, mais non la hauteur (quoique l’on puise dire que le timbre lui-même varie en fonction de la hauteur de la note sur laquelle un son est émis). Le timbre est en effet amplement caractérisé (« cristal » et « brume », « voilée », « couleur grise ») au détriment de l’ambigus et de la tessiture spécifiques des contraltos (célébrées depuis l’époque romantique pour leurs voix ambiguës, androgynes – qui avaient remplacé celles des castrats – et leur puissance d’expressivité atteinte dans les notes les plus graves de l’organe féminin). Yves Bonnefoy choisit de privilégier l’un des aspects de la voix, le timbre, dans la mesure où ce dernier fait toujours entendre dans son sillage le langage, lui-même défini comme « un ici qui respire et expire l’ailleurs, méduse aux dimensions d’une mer qui serait le monde » (La longue chaîne de l’ancre) La voix est présence intérieure, s’incarnant tout à la fois et indifféremment dans le grain d’une émission, dans les timbres et le rythme de la matière allitérative du langage. » – Vincent Vivès
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Kathleen Ferrier – « Que faire sans Euridyce ? (Acte III) Gluck (Orphée et Eurydice) – (1998 – Remaster;) » de Kathleen Ferrier/Charles Bruck/Netherlands Opera Orchestra
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Kathleen Ferrier – final du Chant de la Terre ( l’Adieu) de Gustave Malher, interprété par Kathleen Ferrier sous la direction de Bruno Walter.
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DIE KINDERTOTENLIEDER : (Chants sur la mort des enfants) sont un cycle de cinq lieder pour voix et orchestre composé par Gustav Mahler de 1901 à 1904. – Rückert-lieder.
Les cinq chants sont :
1. Nun will die Sonn’ so hell aufgehn 2. Nun seh’ ich wohl, warum so dunkle Flammen 3. Wenn dein Mütterlein 4. Oft denk’ ich, sie sind nur ausgegangen 5. In diesem Wetter, in diesem Braus
Nun will die Sonn so hell aufgehn (chant 1)
Nun will die Sonn so hell aufgehn, A présent le soleil radieux va se lever als sei kein Unglück die Nacht geschehn. comme si, la nuit, nul malheur n’avait frappé. Das Unglück geschah nur mir allein, Le malheur n’a frappé que moi seul, die Sonne, sie scheinet allgemein. tandis que le soleil brille à la ronde.
Du musst nicht in dir verschränken, N’enferme pas la nuit en ton coeur, musst sie ins ewge Licht versenken. plonge-là dans la lumière éternelle. Ein Lämplein verlosch in meinem Zeit, Une lampe s’est éteinte en ma demeure, Heil sei Freundenlicht der Welt gloire à la lumière, joie du monde !
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Le 13 mai 1952, Kathleen Ferrier arrive à Vienne pour enregistrer Le Chant de la terre de Mahler sous la direction de Bruno Walter. Trois jours en studio ont été prévus pour graver cette œuvre. Kathleen sait déjà depuis une année qu’elle est atteinte d’un cancer. Jérôme Spycket dans sa biographie de la cantatrice écrira que la dernière séance d’enregistrement est dramatique : « Cette séance est dramatique, et laissera à tous ceux qui l’ont vécue, la gorge nouée, le souvenir d’une angoisse insupportable (…) Kathleen lutte désespérément contre elle-même. Souffrant au moindre geste, elle laisse même échapper un cri – qui pétrifie l’orchestre et son chef – en se levant pour se traîner jusqu’au micro ». Aussitôt après, Kathleen reprit l’avion pour son Angleterre. Entre deux séances de radiothérapie, elle continuera à donner des concerts. Puis, en février 1953, ce furent les représentations terribles de l’Orphée de Gluck à Covent Garden. A l’issue de la deuxième, il fallut la transporter à l’hôpital où, quelques mois plus tard, elle rendrait son dernier souffle, à quarante et un ans. Kathleen Ferrier était la plus adorée des antistars. Fille d’un directeur d’école, elle avait perdu sa mère très tôt et c’est sa sœur qui s’était occupée d’elle. Elle avait arrêté ses études à 14 ans pour devenir employée des postes à Blackburn (Lancashire). Sa voix était si grave et originale qu’on n’avait pas voulu d’elle pour l’horloge parlante. Après son mariage, Kathleen Ferrier déménage à Carlisle, ville où était organisé dans le cadre d’un festival un concours de chant et de piano. Elle le gagne en 1937. Elle avait commencé le piano enfant mais avait pris sa première leçon de chant tardivement, à l’âge de 27 ans.
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